Ce document est extrait de la base de données textuelles Frantext réalisée par l'Institut National de la Langue [Image] Française (INaLF) De la fréquente communion où Les sentimens des pères, des papes et des Conciles, touchant l'usage des sacremens de pénitence et d'Eucharistie, sont fidèlement exposez... [Document électronique] / par M. Antoine Arnauld,... PARTIE 1 CHAPITRE 1 ---------------------------------------------------------------------- p1 Où il est traité de la veritable intelligence des passages de l' escriture, et des peres que cét auteur allegue pour la frequente communion. Des conditions d' un bon directeur pour regler les communions. Si l' on doit porter indifferemment toutes sortes de personnes à communier tous les huit jours. Et de l' indisposition que les pechez veniels peuvent apporter à la frequente communion. que l' auteur de cette question a grande raison de proposer comme la meilleure regle, qu' on doive suivre en toutes choses, les sentimens de l' antiquité, les traditions des saints, et les vieilles coustumes de l' eglise. ---------------------------------------------------------------------- p2 response. Cette premiere maxime, sur laquelle vous pretendez establir tout vostre escrit, est si solide, et si sainte, que je ne me tiendrois pas pour catholique, si je ne l' embrassois de tout mon coeur, et si je ne portois une reverence particuliere à ces paroles, par lesquelles vous reconnoissez, que (...). Car en effet, quelle asseurance pouvons-nous avoir, que nostre esprit, qui n' est de soy-mesme qu' erreur et que tenebres, ne s' esgare point dans la conduite des ames ; qu' en suivant la lumiere que Jesus-Christ a donnée à son eglise, et qui se conserve dans la tradition de la mesme eglise. Si le fils de Dieu ayant esté envoyé par son pere, pour illuminer le monde, n' a rien dit que ce qu' il a oüy de son pere, comme il le declare dans l' evangile ; si le Saint Esprit, ayant esté depuis envoyé par le fils, n' a rien dit que ce qu' il a oüy du fils, comme le mesme fils le tesmoigne ; si les apostres, ayans esté envoyez par le Saint Esprit, n' ont rien dit que ce qu' ils ---------------------------------------------------------------------- p3 ont appris de luy ; et enfin, si les evesques ayans esté envoyez par les apostres, n' ont rien enseigné que ce qu' ils avoient appris d' eux ; il n' y a point d' apparence, comme vous le jugez fort bien, qu' il soit permis à des hommes foibles, et aveugles comme nous, de rechercher dans nostre propre sens, et dans nostre fantaisie, les instructions que les ames nous demandent, et de leur enseigner une autre doctrine, et d' autres regles de pieté, que celles que l' eglise a receuës des peres de main en main, et de siecle en siecle, comme les premiers d' entr' eux les avoient receuës des apostres, les apostres du Saint Esprit, le Saint Esprit du fils, et le fils du pere. Car ne me croyez pas si peu instruit dans la science de l' eglise, que je vueille renfermer dans les seuls poincts de la foy, et de l' intelligence des mysteres, l' excellente regle que vous proposez. Je reconnois avec vous, qu' elle s' estend dans toutes les maximes qui regardent la vertu et la pieté chrestienne, comme est la question que vous traittez ; et qu' ainsi que vous dites, nous la devons suivre generallement en toutes choses ; c' est à dire, dans toutes les veritez de la foy, et dans toute la morale du christianisme. Et qui seroit le catholique, qui pûst avoir en cette rencontre un sentiment different du vostre ; qui pûst croire, que la tradition divine deust estre seulement la regle de nostre creance, ---------------------------------------------------------------------- p4 et non pas le modelle de nos moeurs ; que l' approbation de la doctrine des peres nous fust commandée, et que l' imitation de leur conduite nous fust defenduë ; qu' il soit interdit de nous esloigner de ce qu' ils enseignent, et qu' il soit permis de chercher des voyes pour aller au ciel, ou differentes des leurs, ou qui mesme leur sont entierement opposées ; et enfin, que l' on ne puisse pas dire de la foy, (...), la foy des temps, et non pas de l' evangile ; et que l' on puisse dire des moeurs, (...), les moeurs des temps, et non pas de l' evangile. Nous apprenons des peres, et particulierement de S Gregoire Le Grand dans ses morales ; que la vertu et la pieté chrestienne ne doit pas estre moins fondée dans la succession apostolique, que la doctrine et la foy ; (...). Ce qu' il confirme dans son pastoral, escrit depuis ses morales, où il remarque, (...). ---------------------------------------------------------------------- p5 Voila quel est le devoir, selon ce grand pape, d' un pasteur evangelique, et d' un fidelle directeur des ames. Voila le modelle de sa conduite : voila ce qui le rend digne de recompense devant Dieu, et de loüange devant les hommes : voila ce qui le deffend contre les attaques de l' ignorance, ce qui le justifie contre les accusations de la calomnie, et ce qui l' absout, comme entierement irreprochable devant les sçavans et les vertueux. Adrien Ii impose la mesme loy à tous les fidelles, et leur represente en peu de mots, (...). Mais on ne peut rien adjouster aux paroles toutes divines d' un concile de nostre France sur ce sujet. (...). ---------------------------------------------------------------------- p6 Si les papes et les conciles parlent de cette sorte, comment est-ce que nous qui ne sommes rien, prendrons la hardiesse de mespriser les regles saintes de la pieté chrestienne, que les ss. Nous ont laissées, et par leurs escrits, et par leurs exemples ; et croirons marcher plus seurement, en marchant par des voyes toutes nouvelles, que ces grands maistres de la vertu ont entierement ignorées, qu' en suivant les routes anciennes qui les ont conduits et menez au ciel. C' est veritablement ce que vous avez grande raison de ne pas vouloir souffrir, et ce qui est si contraire à l' esprit du christianisme, qu' un autre grand pape dit, qu' il ne faut pas moins s' opposer à ceux, qui combattent les constitutions des ss. Peres, en ce qui regarde les moeurs, qu' en ce qui regarde la foy. C' est la decision que Gregoire Vii prononce dans une apologie qu' il fit dresser pour les decrets de son concile de Rome : (...). ---------------------------------------------------------------------- p7 Que si l' autorité de ces trois grands papes, et de tous les autres peres, n' est que trop suffisante pour confirmer cette maxime si sainte et si constante, que vous avez avancée ; cét oracle du S Esprit mesme que vous alleguez, est capable de fermer la bouche à tous ceux qui ne la respecteroient pas autant qu' ils doivent. Car puis que dans le passage que vous avez cité, Saint Jean oblige tous les chrestiens, de demeurer fermes dans ce qu' ils ont receu au commencement ; afin que le pere demeure en eux, et eux dans le pere ; ne seroit-ce pas resister à la voix de Dieu, que de ne vouloir pas ---------------------------------------------------------------------- p8 escouter celle de ce grand apostre ; ou plûtost la voix generalle des apostres, et des prophetes : puis que le vieil et le nouveau testament, ne condemnent rien si puissamment en plusieurs endroits, que de quitter les voyes anciennes, et de passer les bornes que nos peres ont marquées, pour se laisser emporter à des doctrines estrangeres, et à des nouveautez prophanes. Ainsi d' une part vous avez cet avantage, que l' on ne peut esbranler le fondement que vous avez estably en cette dispute ; que l' on ne peut vous combattre que par vos propres armes, ny juger de vos consequences, que par la verité de vostre principe : mais de l' autre, vous avez grand sujet d' apprehender, qu' il ne se trouve par l' examen de vostre discours, qu' au lieu de bastir avec de l' or, de l' argent, et des pierres precieuses sur un fondement si divin, vous n' ayez basty qu' avec du bois, du foin, et du chaume : et qu' ainsi, la parole de Dieu, qui est appellée feu dans les escritures, ne reduise en cendres tout vostre edifice. Vous avez sujet de craindre que vos propres armes ne se tournent contre vous ; que la verité, sur laquelle vous avez pensé appuyer vostre doctrine, ne s' esleve la premiere pour la destruire ; et que Jesus-Christ ne vous adresse ces paroles estonnantes de son evangile ; je vous juge par vostre bouche . C' est ce que j' espere vous monstrer dans la suitte de cette response ; et ce que vous reconnoistrez vous-mesme, ---------------------------------------------------------------------- p9 pourveu que l' amour de la verité soit plus fort dans vostre esprit, que la passion de defendre vos sentimens, (...). Lors que vous serez victorieux de l' animosité qui vous possede, vous pourrez posseder la verité qui est victorieuse de vous. PARTIE 1 CHAPITRE 2 de quelle sorte on doit suivre l' exemple de la frequente communion des premiers chrestiens. response. Vous ne sçauriez avoir un plus loüable dessein, que celuy que vous proposez en cét article ; mais parce que la confusion sert autant à couvrir l' erreur, que la distinction à éclaircir la verité ; pour proceder avec ordre dans la recherche où vous m' engagez, il est besoin de considerer avant toutes choses, ce que tous les peres nous enseignent, que l' eglise est composée de deux sortes de personnes, d' innocens et de pecheurs ; c' est à dire, de ceux qui sont demeurez ----------------------------------------------------------------------p10 dans la grace du baptesme, et de ceux qui l' ont perduë par quelque peché mortel. Pardonnez moy si je vous dis, que toutes vos mauvaises consequences ne sont procedées que de l' ignorance de cette distinction, et de la diversité de la discipline envers deux estats si differents. Car tout ce recueil de passages, que vous n' avez peut-estre jamais leus dans leurs sources, comme il est aisé de le juger, ne monstre autre chose, que ce qui se pratiquoit envers les premiers, qui sont les innocens et les justes ; et envers ceux d' entre les derniers, c' est à dire, d' entre les pecheurs , qui s' estans purgez de toutes leurs impuretez par une longue et serieuse penitence, s' estoient remis dans l' exercice d' une vie vrayment chrestienne. Mais quant à ceux qui s' estoient nouvellement relevez de quelque peché mortel, je feray voir dans la suitte, que tant s' en faut, qu' aucun des peres leur ait jamais conseillé de communier souvent, qu' au contraire par la pratique de l' eglise ils ont tousjours esté retranchez de la communion pour quelque temps, comme d' une viande trop solide, et disproportionnée à leur foiblesse. De sorte que celuy qui veut regler la maniere dont il se faut conduire, pour ce qui regarde l' eucharistie envers les pecheurs et les penitens, (qui est le principal point dont veritablement il s' agit) par l' usage de l' eglise ----------------------------------------------------------------------p11 ancienne envers les innocens et les justes, se rend aussi ridicule qu' un homme qui ramasseroit tout ce que disent Hipocrate et Galien touchant la nourriture de ceux qui se portent bien, pour en conclure que les malades, ou ceux qui ne font que sortir de la maladie, se doivent servir du mesme regime de vivre. Mais pour vous monstrer, qu' en tout cecy je ne desire rien dire de moy-mesme ; escoutez ce que Sainct Bonaventure nous enseigne sur la mesme question que vous proposez ; s' il vaut mieux communier souvent que rarement ; et sur le mesme exemple dont vous vous servez, des frequentes communions de l' eglise primitive. Ce grand homme, dont Gerson prefere la doctrine à celle de tous les autres scholastiques, apres avoir rapporté ce qui se peut dire de part et d' autre touchant la frequente reception de l' eucharistie, forme enfin sa decision en ces excellentes paroles. (...). ----------------------------------------------------------------------p12 Ce seul passage pourroit servir de response toute entiere à tout vostre escrit, puis qu' il renverse en ce peu de mots toutes vos fausses maximes. Car vous proposez generallement à toutes sortes de personnes, quelques foibles et imparfaites qu' elles soient, afin de ne dire pis, l' exemple des premiers fidelles, pour les porter à communier souvent : et ce saint soustient au contraire, que cét exemple ne doit estre imité que de ceux qui imitent la ferveur et la sainteté de ces premiers chrestiens, et qui comme eux se conservent inviolablement dans la renaissance divine, et dans la plenitude ----------------------------------------------------------------------p13 du Saint Esprit, que le baptesme et la confirmation leur ont conferée. Vous voulez que pour tiede et pour froide qu' une ame se reconnoisse, elle communie souvent sans aucune crainte : et luy, soustient au contraire, que les ames froides, et qui se trouvent en l' estat de l' eglise finissante, dont Jesus-Christ mesme a predit que le feu de la charité se refroidiroit, ne doivent communier que rarement. Vous ne voulez pas, que ce soit une action de respect envers l' eucharistie, que de s' en abstenir quelquesfois par humilité : et luy nous asseure, que ceux-mesmes, qui sont arrivez à une plus grande perfection que ne porte cét estat de la vieillesse de l' eglise, se doivent partager entre le respect, et l' amour ; et que ce mystere demande d' estre honoré égallement par une abstinence religieuse, et par une sainte avidité. Vous osez nier, que le delay serve en quelque chose à communier avec plus de reverence : et S Bonaventure condemne si clairement cét erreur, qu' il enseigne en termes exprez, que l' ame qui a desja fait quelque progrez dans la vertu chrestienne, doit se retirer quelquesfois du saint sacrement, pour apprendre à le reverer, ut addiscat revereri . Et enfin, vous ne connoissez point d' autre voye pour toutes sortes de personnes, que la ----------------------------------------------------------------------p14 multiplication des communions : et ce saint qui estoit poussé d' un autre esprit que le vostre, et qui sçavoit en combien de differentes manieres Jesus-Christ a accoustumé de conduire ses serviteurs, veut que chaque personne juge par sa propre experience, s' il luy est plus utile pour son avancement dans la pieté de communier plus, ou moins souvent ; et qu' elle choisisse la voye qu' elle sent estre la plus agreable à Dieu, et que Jesus-Christ favorise davantage de ses graces. Jugez quelle doit estre vostre doctrine, puis qu' elle est directement contraire à celle de ce grand docteur. Jugez, si c' est le plus grand malheur qui puisse arriver à l' eglise , comme vous dites sur la fin de ce discours, de suivre le conseil de ce saint, pour porter quelques personnes à se retirer quelquesfois de l' eucharistie par humilité et par reverence ; et pour destourner les ames impures et pecheresses de communier souvent ; ou d' y pousser indifferemment tout le monde, comme vous faites par vostre escrit. Jugez si c' est sa doctrine, ou la vostre, qui est un stratageme du diable , pour user de vos paroles. Et pardonnez-nous, si nous estimons davantage le jugement de Saint Bonaventure, qui estoit animé de l' esprit, et esclairé de la lumiere des anciens peres ; que celuy d' un homme, qui tesmoigne ne sçavoir que des maximes que ----------------------------------------------------------------------p15 les peres ont ignorées, et ignorer celles que les peres ont sceuës. Pardonnez-nous, si nous reverons autant la sagesse, avec laquelle il distingue le temps de la plus grande vigueur, et de cette force heroïque de l' eglise primitive, d' avec celuy de sa decadence et de son declin, les chrestiens du treiziesme siecle, d' avec ceux du premier, les foibles estincelles du feu divin, d' avec les flammes ardentes, qui embraserent toute la terre, comme nous improuvons l' indiscretion avec laquelle vous confondez des âges si differents, et des choses si distinctes et si separées. Et enfin pardonnez-nous, si nous aymons mieux nous conduire selon cette regle ancienne d' un religieux si saint, d' un docteur si celebre, et d' un prelat si illustre ; que selon les nouveaux advis d' un directeur inconnû, qui peut-estre n' a qu' une vertu commune, et qui certainement n' a qu' une suffisance tres-mediocre, et nulle autorité dans l' eglise. PARTIE 1 CHAPITRE 3 de la frequente communion, dont il est parlé dans les actes des apostres. ----------------------------------------------------------------------p16 response. Si vous aviez entrepris de confirmer ce que je viens de dire, vous n' en pouviez apporter une preuve plus evidente. Les apostres ont estably la communion ordinaire entre les fidelles : mais entre quels fidelles ? Entre ceux que le baptesme venoit de despoüiller du vieil homme avec toutes ses actions, et revestir du nouveau ; à qui l' imposition de leurs mains venoit de conferer la plenitude de l' esprit sainct ; dont la foy operoit tous les jours une infinité de miracles ; dont l' esperance les eslevant desja dans le ciel, leur faisoit fouler aux pieds toutes les richesses de la terre ; dont la charité, qui est le comble de la perfection chrestienne, estoit si parfaicte, qu' ils ne faisoient tous ensemble qu' un coeur et qu' une ame : enfin entre ceux, que l' eglise a tousjours considerez, comme le modelle le plus accomply de la saincteté du christianisme, et de toutes les religions. Examinez, je vous prie, la solidité de vos raisonnemens. Les premiers fidelles tout bruslans ----------------------------------------------------------------------p17 encore de ce feu, que Jesus-Christ venoit d' envoyer du ciel, pour embraser les coeurs des hommes, participoient souvent à l' eucharistie : donc quelque tiedeur, et quelque indevotion que l' on ressente , sans peser, si c' est un effect de nostre foiblesse, où une suitte de nostre mauvaise vie, on doit faire la mesme chose sans aucune crainte ; c' est vostre doctrine. Ceux que le sang de Jesus-Christ encore tout boüillant venoit de remplir de son saint amour, s' approchoient souvent des autels : donc ceux qui sont remplis de l' amour d' eux-mesmes, font tres-bien de communier souvent ; c' est vostre conduite. Ceux qui se trouvoient si destachez de toutes les choses du monde, qu' ils portoient avec joye tous leurs biens aux pieds des apostres, recherchoient souvent dans l' eucharistie de s' unir à Jesus-Christ : donc ceux-là luy font grand honneur, de faire la mesme chose, qui sont si attachez au monde que de merveille ; ce sont vos termes, et vos conseils. Ceux qui venoient de recevoir la grace avec abondance, se nourrissoient souvent de ce pain des forts : donc plus on se trouve denué de grace, plus on se doit hardiment approcher de l' eucharistie ; ce sont vos propres paroles. Par quelles regles du raisonnement pourroit-on tirer ces conclusions de ces principes ? Mais pour considerer la parole de Dieu, ----------------------------------------------------------------------p18 avec un peu plus d' attention que vous n' avez fait ; je trouve que ce mesme endroict des actes des apostres, nous fournit deux considerations extremément remarquables. La premiere, c' est que l' escriture nous declare deux choses de ces premiers chrestiens ; l' une, qu' ils perseveroient en la doctrine des apostres, et l' autre, qu' ils perseveroient en la sainte communion ; où la seconde est une suitte de la premiere. ils perseveroient, dit l' escriture, en la doctrine des apostres, et en la communion de la fraction du pain. ne craignez vous point de commettre un sacrilege en renversant l' ordre estably par le Saint Esprit, en faisant marcher, comme vous faites tousjours en cét escrit, la perseverance en la communion, avant la perseverance en la doctrine des apostres ; au lieu que la perseverance en la doctrine des apostres, c' est à dire l' observation des regles divines qu' ils avoient apprises de Jesus-Christ, et qu' il leur avoit commandé d' enseigner aux autres, precede selon l' escriture la perseverance dans la participation de l' eucharistie. La seconde remarque, qui vous monstrera bien evidemment, quelle pureté l' on doit avoir pour se presenter à la table du seigneur ; c' est qu' au lieu que dans ce second chapitre il est expressément dit des nouveaux convertis, qu' ils perseveroient en la doctrine des apostres, ----------------------------------------------------------------------p19 et en la sainte communion : dans le premier, où l' escriture descrit particulierement, ce que faisoient ces six vingts personnes, qui depuis l' ascension de Jesus-Christ attendoient dans Jerusalem les effects de sa promesse ; il n' en est dit autre chose, sinon qu' ils perseveroient en prieres, sans y adjouster un seul mot de l' eucharistie ; d' où l' on peut aysément conclurre, que les apostres, apres avoir receu depuis la resurrection tant de graces de leur maistre ; apres avoir receu le Saint Esprit par le souffle mesme de sa bouche ; apres avoir receu de luy le commandement de prescher par tout sa doctrine, et la puissance de la confirmer par toutes sortes de miracles, ne se creurent pas neantmoins encore assez bien disposez pour se nourrir de ce pain du ciel ; et voulurent attendre la plenitude du Saint Esprit, pour celebrer plus dignement ces redoutables mysteres. Ce qui monstre l' ordre dans lequel l' eucharistie doit estre receuë selon son vray usage : et l' on peut croire avec raison que c' est pour cette cause que l' eglise, conduite par son espoux, a fait celebrer la feste du saint sacrement immediatement apres celle de la pentecoste ; afin d' apprendre à ses enfans, que la premiere est une preparation à la seconde ; et qu' il faut que le Saint Esprit descende sur les hommes, pour les rendre capables de s' approcher de cette ----------------------------------------------------------------------p20 viande sainte, afin que le mesme esprit qui a preparé la Sainte Vierge par la plenitude de ses graces, pour former dans elle le corps mortel du fils de Dieu, prepare encore et purifie par ses lumieres les ames des chrestiens pour recevoir ce mesme corps du fils de Dieu ; mais impassible, immortel, et glorieux, selon ce que les peres enseignent, que le saint sacrement est une suitte et une estenduë de l' incarnation, extensio incarnationis . Et cette consideration de l' eglise est si solide, et si veritable, que lors que le fils de Dieu communia les deux disciples d' Emaüs, qui est la seule communion qui ait esté faite avant la descente du Saint Esprit, l' evangile fait voir expressément par leurs propres paroles, qu' il leur avoit auparavant remply le coeur du feu divin, ainsi qu' ils le tesmoignent eux-mesmes, en s' escriant comme dans un transport de la grace qu' ils avoient receuë ; nonne cor nostrum ardens erat in nobis ? nostre coeur n' estoit-il pas tout bruslant dans nous ? De sorte qu' ainsi qu' il avança pour eux la distribution de son corps, il avança de mesme l' effusion de son esprit, il leur donna des dispositions extraordinaires, comme il les communia en un temps extraordinaire ; pour tracer en eux une image de ce qui devoit arriver à tous les fidelles apres la descente du Saint Esprit, comme il a figuré en une infinité de manieres ----------------------------------------------------------------------p21 dans l' evangile ce qui devoit arriver à toute l' eglise. PARTIE 1 CHAPITRE 4 qui sont ceux qui meritent d' assister à la messe, selon S Denys. ----------------------------------------------------------------------p22 response. Si vous aviez bien compris l' esprit veritable de cette sainte discipline, qui s' observoit à la naissance de l' eglise, non seulement vous vous seriez abstenu de la rapporter comme vous estant favorable, mais vous auriez facilement reconnu, qu' il ne se peut rien concevoir qui soit plus contraire à vos maximes, et qui ruine davantage toutes vos pretensions. Car que sert-il de nous dire, qu' avant la celebration des mysteres, on chassoit tous ceux qui n' estoient pas disposez à recevoir l' eucharistie, si vous ne nous enseignez, qui estoient ceux qu' ils n' y jugeoient pas disposez. Et s' il se trouvoit, qu' ils eussent mis de ce nombre, non seulement ceux, qui ne font pas profession de vivre vertueusement, (à qui neantmoins vous conseillez la frequente communion, ainsi que je le feray voir,) mais ceux mesmes, qui estoient une fois tombez de l' estat d' une vie sainte et chrestienne, quoy qu' ils eussent dessein d' y r' entrer : non seulement ceux, qui portans à la haste aux pieds d' un prestre leurs habitudes enracinées, et leurs crimes encore tous vivans, doivent, selon vous, estre aussi-tost admis à l' eucharistie, mais ceux mesmes, qui s' estans desja retirez de la vie contraire à la vertu, ne sont pas encore purifiez des images qui leur restent ----------------------------------------------------------------------p23 de leurs déreglemens passez : non seulement ceux, qui sont remplis de l' amour d' eux-mesmes, mais aussi ceux, qui n' ont pas encore l' amour divin, pur, et sans aucun meslange : non seulement ceux, qui sont si attachez au monde que de merveille ; mais tous ceux, qui ne sont pas encore parfaictement unis à Dieu seul, et entierement irreprochables. si, dis-je, il se rencontroit, que toutes ces personnes eussent esté chassées du sacrifice, cette sainte discipline feroit-elle voir autre chose, sinon, que ceux que vous admettez, ou plustost que vous poussez à la frequente participation des mysteres ; ne devroient pas seulement y assister, selon le sentiment de ces grands saints, que vous confessez avec tous les catholiques au commencement de ce discours, nous devoir servir de regle. Je ne desire pas que vous m' en croyez, mais escoutons tous deux vos propres tesmoins ; et principalement celuy d' entr' eux qui vous en peut le mieux informer, comme estant le seul qui ait escrit particulierement de ces choses. Le grand S Denis declare ce que vous rapportez, qu' apres l' evangile, et la lecture des saintes lettres, ceux, qui n' estoient pas disposez à recevoir l' eucharistie, estoient mis dehors : mais parce que vous avez oblié de nous dire, quels estoient ces gens-là, que l' on mettoit hors de l' eglise, il faut que ses paroles vous l' apprennent ; ouvrez donc les yeux et les oreilles du coeur, ----------------------------------------------------------------------p25 et voyez si vous pourrez soustenir la splendeur de ces esclairs, et le bruit de ce tonnerre. Cette doctrine est-elle conforme à la vostre ? Et si ce grand saint avoit preveu tous vos excez, et tous les desordres que vous voulez establir, (comme l' esprit qui l' animoit les prevoyoit bien) les auroit-il peu estouffer avec des paroles plus pressantes ? PARTIE 1 CHAPITRE 5 de la coustume de communier tous les jours. vous nous obligerez de nous monstrer ces divers endroicts, où Saint Augustin fait cette remarque des eglises de Rome, et d' Espagne ; car je suis fort trompé si vous en pouvez faire voir un seul. Pour Saint Hierosme il ne parle, dans l' apologie adressée à Pammachius pour ses livres contre Jouinien, que des eglises de Rome ; c' est dans l' epistre à Lucinius qu' il y adjouste celles d' Espagne : mais il ne dit en nul endroict, ----------------------------------------------------------------------p26 que cette coustume leur fust demeurée du temps des apostres ; comme il semble par vos paroles que vous le vouliez persuader. Et de plus, vous ne deviez pas obmetre, que dans le lieu mesme que vous citez, Saint Hierosme parle fortement contre ceux, qui sous le pretexte de cette coustume prenoient la hardiesse de communier, n' estans pas dans toute la pureté que demande cet auguste sacrement. Ce qui nous fait voir que quelque coustume qu' il y ait eu dans l' eglise d' approcher souvent de l' eucharistie, elle ne donne jamais la liberté d' en approcher qu' avec les dispositions necessaires pour un mystere si adorable : et qu' ainsi, ne s' agissant pas s' il est bon de communier souvent, mais quelles doivent estre les dispositions pour le faire, il suffit de vous renvoyer à Saint Denys, pour apprendre sur ce sujet les sentimens des apostres ; et de leurs disciples. PARTIE 1 CHAPITRE 6 du commandement de communier en la primitive eglise. ----------------------------------------------------------------------p27 vous avez raison de reconnoistre qu' il n' y a point de fondement assez solide, pour establir dans la primitive eglise le precepte de communier tous les jours : et quant à la coustume de participer au sacrifice toutes les fois que l' on y assistoit ; je vous ay desja monstré qu' elle ne nous fait voir autre chose, sinon que ces saints disciples des apostres, demandoient les mesmes dispositions pour entendre la messe, que pour recevoir l' eucharistie : et par consequent, qu' il ne faut pas s' estonner si la plus grande partie de ceux qui l' entendoient, y communioient. C' est pourquoy, quand vous aurez banny de l' eglise tous ceux qu' ils en bannissoient, c' est à dire, (comme Saint Denys nous le tesmoigne,) (...) ; ----------------------------------------------------------------------p28 l' on ne trouvera nullement mauvais, qu' à l' exemple de ces premiers chrestiens, vous conviez à la reception de l' eucharistie, tous ceux qui demeureront pour assister à la celebration des mysteres. Mais que vous vous serviez de cette sainte pratique, pour porter ceux qu' ils auroient chassez de l' eglise à s' approcher souvent des autels ; c' est ce qu' on ne peut voir sans gemissement, et sans douleur. Et pour vous apprendre en passant (en attendant que je le fasse plus au long en un autre endroit) que la coustume, ou mesme le precepte, si vous le voulez, de communier souvent en la primitive eglise, ne regardoit, que les innocens et les justes , et non pas les pecheurs et les penitens , il ne faut que vous renvoyer à vostre office, où vous trouverez que Saint Soter pape, faisant commandement à tous les fidelles de communier le jour de la cene, ne manque pas d' en excepter ceux, qui estoient separez de l' eucharistie pour quelque peché mortel. PARTIE 1 CHAPITRE 7 ----------------------------------------------------------------------p29 en quel sens les peres conseillent la frequente communion. hé ! Qui ne la conseille avec eux ? Mais vous ne nous dites jamais, que la moitié de ce qu' il faut dire. Ce n' est pas assez de nous monstrer, que les peres ont conseillé la frequente communion ; il faut faire voir à qui ils l' ont conseillée. Tous les medecins conseillent le pain et la viande, comme une fort bonne nourriture : s' ensuit-il pour cela qu' ils les conseillent indifferemment à toutes sortes de personnes, et qu' ils en nourrissent les malades, aussi-tost mesme qu' ils sont hors de fievre ? C' est pourquoy je vous conjure au nom de celuy, qui ayant rachepté ses brebis de son propre sang, ne veut pas qu' on les nourrisse du poison d' une mauvaise doctrine ; de nous declarer, si vous croyez, que cette frequente communion, dont les ----------------------------------------------------------------------p30 peres parlent, s' estendist égallement aux innocens et aux coupables ; aux justes , et aux penitens . Si vous avez cette creance, je vous feray voir par tous les peres que vous citez, que vous n' estes pas fort intelligent dans leur doctrine : que si vous ne l' avez pas ; vous abusez de l' ignorance des autres dans une matiere aussi importante que la conduite des ames ; leur faisant accroire, que suivant l' esprit des peres, ils doivent communier souvent, au lieu qu' en l' estat où une grande partie se trouve, les peres les eussent retranchez pour long-temps de la veuë mesme des mysteres. PARTIE 1 CHAPITRE 8 sentimens de Saint Basile, touchant la penitence et la sainte communion. ce que vous rapportez de Saint Basile, (puis qu' il faut que je vous trouve tous vos passages) ne se rencontre que dans un recueil d' epistres adjousté à ses oeuvres, dont une ----------------------------------------------------------------------p31 grande partie n' est pas de luy : et il y a mesme beaucoup de sujet de croire, que celle que vous citez, qui est la 289 ad caesariam patritiam , n' est pas de ce saint. Mais quoy qu' il en soit, en retranchant de ce passage le mot de, tous, que vous y avez adjousté, le reste ne nous monstre, que ce qui se pratiquoit envers ceux, qui menoient une vie veritablement chrestienne ; et non point envers ceux, qui en estoient decheus par des pechez mortels ; en quoy consiste le principal point de nostre contestation, personne ne doutant que la frequente communion ne soit utile aux ames pures. Mais pour ce qui regarde les personnes, qui ont besoin de penitence, si vous aviez un peu leu Saint Basile, vous n' auriez eu garde de le produire en cette rencontre pour apuyer vos sentimens : car si entre les ouvrages qui sont indubitablement de luy, vous aviez leu seulement ses deux epistres à Amphilochius, qui ayant esté inserées par l' eglise grecque dans le corps de ses canons, ne doivent plus estre considerées, comme l' opinion du seul Saint Basile, mais comme la voix de toute l' eglise d' Orient ; vous y auriez trouvé des choses fort peu propres à establir vostre doctrine. Vous y auriez veu plusieurs années de penitence, et de separation de l' eucharistie, pour des pechez fort ordinaires, et pour quelques-uns des moindres d' entre les pechez mortels. ----------------------------------------------------------------------p32 Une année, et quelquefois deux pour un larcin : quatre ans, et quelquefois sept pour une simple fornication : onze ans pour les parjures : quinze ans pour un adultere : le mesme temps pour avoir contracté mariage dans les degrez deffendus : vingt ans pour un homicide : toute la vie pour le violement qu' un religieux ou une religieuse auroient fait de leur voeu de chasteté. Vous y auriez mesme rencontré des années entieres de retranchement de l' autel pour des actions qui sont innocentes d' elles-mesmes, à cause seulement qu' elles portent quelque image d' incontinence, et que procedantes de quelque sorte de relaschement, elles sembloient un peu blesser cette grande pureté, que l' eglise jugeoit necessaire à ceux qui s' approchoient de l' eucharistie ; sçavoir pour les secondes nopces ; quoy qu' il declare formellement, qu' il les tient pour de bons, et legitimes mariages : mais afin que cette severité ne vous estonne pas trop, vous apprendrez deux choses du mesme saint, qui vous feront voir le juste temperament, que l' esprit de Dieu veut estre observé entre la trop grande rigueur, et la trop grande condescendence. La premiere, que bien que ces temps fussent prescrits par les canons, il demeuroit tousjours en la puissance de l' evesque d' en relascher quelque chose, selon les fruits de penitence, ----------------------------------------------------------------------p33 que ceux à qui l' on l' avoit imposée, faisoient paroistre. La seconde, que si les pecheurs refusoient de subir ces lois, ces grands saints ne se relaschoient pas pour cela de la vigueur de l' evangile. Le canon 84 de la seconde epistre justifie l' un et l' autre en des termes tres remarquables, (...) ! Mais pour apprendre encore plus particulierement de ce grand saint avec quelle disposition il se faut approcher de l' eucharistie, il ne faut que lire ce qu' il escrit dans le chapitre ----------------------------------------------------------------------p34 dernier du livre premier du baptesme ; (...). Et Sainct Basile ne separe point ses deux nourritures, l' une d' avec l' autre ; establissant comme une maxime constante, que celuy qui ne fait pas la volonté de Dieu, en violant les preceptes de l' evangile par la corruption de ses moeurs, doit estre privé de la communion ; c' est à dire que celuy qui ne se nourrit pas de bonnes oeuvres, qui sont la premiere nourriture celeste, et spirituelle, doit estre privé de l' autre : ce qu' il ne dit pas seulement de ceux qui sont dans le desordre du vice, et qui commettent des pechez mortels à toutes rencontres ; mais de ceux mesmes qui menent une vie plus reglée, et comme moitié chrestienne, et moitié seculiere, ne vivans pas tout à fait pour Jesus-Christ, selon ce qu' ils ont promis au baptesme. Et il establit cette maxime, (...). ----------------------------------------------------------------------p36 Considerez, je vous prie, avec quelque attention, les paroles de ce grand saint, et jugez si celuy qui ne se contente pas que l' on soit exempt de toute impureté de corps, et d' esprit , pour approcher de l' eucharistie, envoyeroit à la table sacrée ceux qui auroient commis des pechez mortels, aussi tost apres une simple confession. Jugez, si celuy qui veut, que l' on monstre clairement, que l' on est mort au peché, (ce qui ne se peut faire, que par le tesmoignage des bonnes oeuvres, qui sont les fruits certains et visibles de cette mort sainte) feroit communier tous les huict jours, ceux dont les habitudes inveterées, et les passions criminelles sont encore toutes vivantes. Jugez enfin si celuy qui veut, que l' on tesmoigne clairement, que l' on est mort au monde, et à soy-mesme, et que l' on ne vit plus que pour Dieu seul, porteroit à des frequentes communions (ainsi que vous faites, et que vous le declarez en termes formels dans cet escrit) ceux qui sont remplis d' amour d' eux-mesmes, et si attachez au monde que de merveille ? PARTIE 1 CHAPITRE 9 que Saint Epiphane ne dit rien qui favorise cet auteur. vous demeurez tousjours dans le mesme esgarement, ne prouvant jamais ce dont il s' agit. Mais de plus, encore que vostre façon de citer des volumes tous entiers, ----------------------------------------------------------------------p37 sans specifier aucun lieu, soit fort propre pour n' estre pas facilement convaincu d' alleguer à faux : je prendray neantmoins la hardiesse d' asseurer en cét endroit que vous vous trompez, ou que vous voulez tromper les autres, ce que j' aurois plus de peine à croire. Vous n' avez pû prendre ce que vous rapportez de Saint Epiphane, que de la declaration de la foy, qui est à la fin de son ouvrage contre les heresies : où il ne dit autre chose, sinon (...) ; mais par ce qu' il y a dans le grec le mot de (...), qui se prend assez souvent pour l' eucharistie, un medecin alleman la traduit inconsiderément, communiones, ce que vous avez aussi-tost pris, pour un precepte de communier trois fois la semaine, en y adjoustant du vostre, que Saint Epiphane parle de son eglise en particulier. On pourroit traiter cette question, si toutes les fois que les chrestiens s' assembloient, on leur distribuoit l' eucharistie ; mais elle n' est pas de nostre sujet, et il n' est point besoin de l' examiner icy. Car quand cela eust esté, les penitens en seroient tousjours demeurez exclus, et pour ce qui regarde les autres fidelles, il eust entierement dependu de leur liberté, de ne s' en approcher pas. Ce qui justifie bien le peu de verité qu' il y a dans vos paroles : lors que vous ----------------------------------------------------------------------p38 faites dire à Sainct Epiphane ; qu' il estoit enjoint à ceux de son eglise de communier trois fois la semaine. et pour monstrer, que vous faites force sur ce mot, d' enjoint ; qui marque precepte, et necessité, vous adjoustez ; qu' aux autres jours il n' estoit pas deffendu, comme de fait plusieurs ne laissoient pas de communier ; ce qui est une fausseté si estrange, et qui m' a tellement surpris, que je ne puis m' empescher d' en rougir pour vous, n' y ayant pas un seul mot dans Sainct Epiphane, qui puisse donner la moindre occasion de luy attribuer des choses, aux quelles il ne pensa jamais. C' est à vous à me detromper si je m' abuse, et à nous descouvrir ce secret, par lequel vous lisez dans les peres, ce que tous les autres n' y ont jamais leu. PARTIE 1 CHAPITRE 10 explication d' un passage de Saint Ignace. il ne faut qu' opposer à l' obscurité de vos paroles la clarté de celles de S Ignace, pour juger, que leur vray sens est tres-éloigné de vostre pensee : car voicy comme ----------------------------------------------------------------------p39 ce S Martyr parle dans l' epistre aux ephesiens, de laquelle seule vous pouvez avoir tiré ce passage, quoy que sur vostre citation il soit assez difficile de le reconnoistre. (...). Je sçay bien, que ces paroles du texte grec (...), ont donné lieu à quelques interpretes d' entendre de l' eucharistie le commencement de ce passage. Mais le mot de (...) qui suit apres, monstre clairement, que ces termes ne signifient autre chose en ce lieu, que l' action de graces, et de loüanges qu' on rend à Dieu ; pour laquelle l' on sçait que les chrestiens s' assembloient, et non pas seulement pour communier. ----------------------------------------------------------------------p40 Et d' ailleurs, il est visible, que l' effect dont vous parlez en vostre article, de repousser les puissances de Sathan, n' est pas attribué à l' eucharistie, quand mesme le mot (...), la marqueroit ; mais à l' unité de l' esprit, et de la foy, au lien de la paix, et de la concorde, qui s' entretenoit par ces saintes assemblees, et qui s' enflammoit par les hymnes, et par les cantiques qu' ils chantoient, pour imiter dans la terre, ce que les anges font dans le ciel. Et ce que Sainct Ignace dit icy a grand rapport à ces paroles celebres de Tertullien ; (...). Qui peut douter, que ce qui est agreable à Dieu, ne soit odieux, et formidable aux demons, comme dit ce grand martyr ? Et qui ne voit, que ces esprits de tenebres conspirans tous ensemble pour blasphemer Dieu, ils ne peuvent rien haïr davantage, que ceux qui conspirent ensemble pour le loüer ? Cette interpretation neantmoins, qui paroist tres veritable et tres naturelle, n' empesche pas, que sous ces paroles generales de rendre graces à Dieu, et de le loüer , l' eucharistie ----------------------------------------------------------------------p41 ne puisse estre comprise, comme la plus parfaite de toutes les actions de graces, et qui est appellée particulierement le sacrifice de loüange. Mais apres que vous aurez remarqué, que ceux à qui il escrivoit, estoient en un si eminent degré de saincteté, qu' il prie Dieu peu auparavant, (...). Apres cela, dis-je, vous n' aurez plus sujet d' abuser de ce passage (quand mesme il ne s' entendroit que de la seule communion ; ce qui n' est pas) pour porter à une aussi frequente participation de l' eucharistie, ceux qui n' ont pas seulement l' ombre de la vertu de ces chrestiens d' Ephese, et qui pour user de vos mesmes termes ; (...), que ces premiers fidels estoient remplis de l' amour de Dieu, et attachez à Jesus Christ seul. PARTIE 1 CHAPITRE 11 ----------------------------------------------------------------------p42 sentimens de Saint Cyprien touchant la penitence et la frequente communion. si vous aviez quelque connoissance de l' antiquité, vous n' allegueriez pas ce livre de la cene du seigneur, comme un ouvrage de Saint Cyprien ; quoy qu' il ne contienne rien, qui ne vous condamne : et le nom seul de ce grand saint, vous feroit trembler en parlant de cette matiere : n' y ayant point de pere, qui soit plus propre à vous faire voir la difference que l' on doit mettre entre la communion des justes et innocens , et celle de ceux qui veulent revivre, apres avoir fait mourir leurs ames, par quelque offence mortelle : c' est à dire des penitens . Il faudroit transcrire une grande partie de ----------------------------------------------------------------------p43 ses ouvrages, pour vous monstrer, avec quelque vehemence et quelle sainte cholere il parle contre ceux, qui estans tombez durant la persecution, vouloient estre admis à l' eucharistie, avant que d' avoir fleschi la misericorde de Dieu par une longue, et serieuse penitence, par des gemissemens continuels, par des larmes inépuisables, par les veilles, par les cilices, par les prieres, par les jeusnes, par les aumosnes, et par toutes sortes de bonnes oeuvres. Je n' en rapporteray que trois ou quatre endroits pour vous donner sujet de reconnoistre, ou devant les hommes, ou devant Dieu, avec combien d' indiscretion vous avez osé appuyer vostre mauvaise doctrine sur celle de ce grand saint. Voicy quelques-unes de ses paroles du traitté qu' il a faict de ceux qui estoient tombez durant la persecution. (...). ----------------------------------------------------------------------p44 Si vous n' estes convaincu de ces paroles, et si apres les avoir ouïes, vous voulez encore abuser les ames par une fausse douceur ; ce saint vous pourra reprocher, comme il fait en cét endroit à ceux qui vous ressembloient : (...). ----------------------------------------------------------------------p45 Et si vous n' estes satisfait ; il adjoustera ce qu' il dit dans son epistre dixiesme : (...). Que si vous pensez vous eschapper en disant, qu' il ne parle que des idolatres ; il vous repliquera au mesme endroict : (...). Et de peur que vous ne croyez, que cela luy soit eschappé, il repete la mesme chose dans son epistre douxiesme, et en termes encore plus forts ; (...). ----------------------------------------------------------------------p46 Et en fin pour vous oster toute sorte de replique, il vous soustiendra dans l' epistre à Antonien, (...). Apres cela, je doute, qu' il vous prenne plus envie de vouloir faire passer ce saint evesque, et ce saint martyr pour partisan de vostre doctrine. Mais si je vous monstre, qu' à l' endroit mesme que vous citez, il vous condamne formellement, ----------------------------------------------------------------------p47 que vous restera-il pour vostre deffence ? Escoutez donc, je vous prie, les propres paroles de vostre texte, que vous avez horriblement corrompu, en y retranchant tout ce qui ruinoit vostre dessein. (...). N' est-il pas clair par ces termes, que Saint Cyprien ne conseille en façon quelconque de communier souvent ; mais qu' il dit seulement, que ceux qui sont, qui demeurent, et qui vivent en Jesus-Christ, et qui reçoivent tous les jours l' eucharistie, prient Dieu de les preserver des grands pechez, (qui sont les pechez mortels) pour lesquels ils seroient separez du corps de Jesus-Christ : ce qu' il explique encore un peu plus bas en ces termes : (...). C' est ce qu' il avoit appris de Tertullien, qui dans le traité de la priere explique la mesme chose en ce peu de mots : (...). ----------------------------------------------------------------------p48 Et c' est aussi ce que Saint Augustin n' a point faict de difficulté d' imiter, lors que dans son homelie 42 expliquant le mesme endroit de l' oraison dominicale, il semble avoir pris plaisir de declarer plus au long le sens de Saint Cyprien, comme ceux qui sont versez en la lecture de ses ouvrages, sçavent qu' il a faict en beaucoup d' autres endroits : (...). Ne voyez-vous pas, que ces deux grands saints establissent la perseverance dans la pieté, dans la vertu, dans la foy, dans la bonne vie, dans les bonnes oeuvres, comme une condition absolument necessaire pour n' estre point retranché de l' eucharistie ? Et vous au ----------------------------------------------------------------------p49 contraire enseignez, que tous les crimes et toutes les abominations du monde, n' empeschent pas qu' aussi-tost qu' un homme s' en est confessé ; c' est à dire, aussi-tost qu' il a donné une demy-heure à Dieu, pour des vingt années qu' il aura données au diable, il ne doive sans aucune crainte se presenter à son juge : et non seulement vous poussez les ames à cette presomption ; mais vous condemnez, comme temeraires , ceux qui par la frayeur des jugemens de Dieu voudroient prendre quelque temps pour fleschir sa misericorde par l' exercice des bonnes oeuvres, avant que de prendre la hardiesse de se nourrir de son propre corps. PARTIE 1 CHAPITRE 12 Saint Athanase allegué mal à propos. Saint Athanase n' a point fait de commentaire sur les epistres de Saint Paul, comme vos paroles le pourroient faire croire. Et ceux qui luy ont esté attribuez dans quelques vieilles ----------------------------------------------------------------------p50 editions, en ont esté retranchez dans toutes les autres, parce qu' il est indubitable que ce saint n' en est point l' auteur. Mais qui ne souscriroit aisément à la doctrine que vous en rapportez ? Il n' est question que de sçavoir ce que c' est qu' une conscience bien examinée. Et j' espere de faire voir à tout le monde les excés que vous commettez, lors que vous voulez decider ce point. PARTIE 1 CHAPITRE 13 sentimens de Saint Ambroise touchant la penitence. un homme judicieux auroit remarqué que ces livres des sacremens de Saint Ambroise (si neantmoins ils sont de luy) sont faits pour les neophytes, qui sortans des eaux du baptesme, revestus d' innocence, ----------------------------------------------------------------------p51 et de pureté, ou pour mieux dire de Jesus-Christ mesme ; et remplis en suitte de la plenitude du Saint Esprit par la confirmation, se trouvoient dans les plus saintes dispositions que l' on puisse desirer pour recevoir l' eucharistie. Et pour vous faire comprendre cette verité, escoutez je vous prie, de quelle sorte il leur parle : (...). Ce n' est donc pas de cét ouvrage qui ne s' adresse qu' aux innocens , qu' il faut apprendre les regles, que l' eglise veut qu' on observe pour remettre les pecheurs dans la participation de l' eucharistie ; mais des deux livres de la penitence, qui sont indubitablement de luy, et qui traittent plainement cette matiere. Voicy ce qu' il en dit en peu de mots, mais pleins de vigueur et de verité. (...). ----------------------------------------------------------------------p52 Se peut-il rien adjoûter à cette decision ? Il vous la confirmera neanmoins, si vous le desirez par l' exemple de l' apostre ; (...). Vous voyez, que les apostres ont establi le retranchement de l' eucharistie pour l' une des principales parties de la penitence ; et vous osez appeller un stratageme du diable , ce que les disciples du Saint Esprit, et les maistres de toutes les nations ont enseigné à toute l' eglise. Et vous voyez encore que Saint Ambroise n' attribue pas à une moindre douceur d' imposer au pecheur cette peine pour sauver son ame ; que de le restablir en suitte dans l' usage des sacremens, lors que Dieu l' en a rendu digne par les oeuvres de penitence : tant il est vray que le veritable esprit de la douceur chrestienne ne ----------------------------------------------------------------------p53 consiste, qu' à procurer le salut des ames, selon les differentes voyes que leurs differentes dispositions demandent, et qu' il n' y a point au contraire de plus veritable cruauté, (...). Que si l' on considere, que les livres de Saint Ambroise de la penitence ont esté faits contre les novatiens, qui par une dureté inhumaine ne laissoient aucune esperance, à ceux qui pechoient mortellement apres le baptesme, de r' entrer dans la participation de l' eucharistie, l' on jugera facilement, que si l' on pouvoit entrer en quelque soupçon que ce saint eût passé les bornes de la verité dans cét ouvrage ; ce devroit estre plustost par une trop grande indulgence, que par une trop grande rigueur : et cependant remarquez de quelle sorte il s' oppose à l' excessive severité de ces heretiques ; et quelle penitence il veut que l' on fasse des pechez, mesme secrets, pour pouvoir estre remis dans la communion de l' eglise. (...). ----------------------------------------------------------------------p55 Voila les veritables sentimens de Sainct Ambroise, touchant les preparations que ceux qui ont perdu par des pechez mortels le diamant celeste , c' est à dire, l' innocence de leur baptesme, comme il dit en ce mesme livre, doivent apporter à la sainte communion. Mais pour vous faire reconnoistre encore davantage vostre peu de jugement ; je vous veux monstrer, que l' endroit mesme que vous citez du livre cinquiesme des sacremens ch. 4 porte avec luy vostre condemnation. (...) : ces dernieres paroles ne devroient-elles pas avoir un peu arresté vostre esprit, et vostre plume, lors que vous avez escrit en termes generaux, et sans exception quelconque, que les pechez mortels n' empeschent pas de communier aussi-tost que l' on s' est confessé ; de sorte que vous pouvez dire à un homme tout au contraire de S Ambroise. Quelque vie que vous meniez, quelques crimes que vous commettiez, pourveu que vous vous confessiez souvent, vous meriterez de communier souvent. PARTIE 1 CHAPITRE 14 explication d' un excellent passage de Saint Augustin, que l' auteur attribuë faussement à Saint Hilaire. ----------------------------------------------------------------------p56 vous vous abusez ; Saint Hilaire, que vous citez sur la foy de Gratien, ne dit en aucun lieu ce que vous rapportez comme de luy. Ce passage ne se trouve que dans S Augustin : mais si vous l' aviez leu dans sa source, et non pas dans de faux memoires, et que vous comprissiez quelque chose dans la doctrine de ce grand homme, vous vous fussiez bien gardé de l' alleguer ; puis qu' il renverse entierement la plus grande partie des poincts de vostre mauvaise conduite. C' est ce qu' il est important de faire voir pour des-abuser les ames, à qui sous le nom de ces grands saints, vous presentez le poison comme dans une coupe d' or. C' est dans son epistre cent dix-huitiesme, où il propose à un de ses amis les sentimens differens de deux personnes vertueuses, touchant la reception de l' eucharistie, avec une decision veritablement chrestienne. (...). ----------------------------------------------------------------------p58 De cét excellent passage nous pouvons faire cinq remarques fort importantes. La premiere, que les paroles que vous en rapportez, ne sont point de Saint Augustin, parlant en sa personne : mais ne contiennent, que les raisons de l' un des deux advis qu' il propose, sans les approuver davantage, ou peut-estre encore moins, que celles de l' advis contraire, comme j' espere de le faire voir plus bas, lors que vous voulez encore abuser du mesme passage. La seconde, que cette dispute ne se propose pas sur le sujet de ces demy-chrestiens, qui s' eforcent d' accorder les regles de l' evangile avec ----------------------------------------------------------------------p59 toutes leurs passions déreglées ; qui voudroient bien meriter le paradis, sans estre obligez de faire aucune des actions qui y menent ; qui taschent de se partager entre Dieu, et le monde, et faire mentir la verité mesme, qui nous asseure, que l' on ne peut servir deux maistres ; dont toute la vie se passe en une suitte continuelle de pechez, mesme mortels, et de confessions sans amandement ; et enfin (pour descouvrir en un mot, et par vos propres termes ; la cause de tous leurs desordres) qui sont remplis d' amour d' eux-mesmes ; ce qui leur donne quelque desir de ne se pas perdre : et si attachez au monde, que de merveille ; ce qui les empesche d' embrasser ce qu' il faut faire pour ne se pas perdre. Ce n' est pas, dis-je, entre les personnes de cette sorte, que ce grand saint propose ce differend, ausquelles il eust esté si esloigné de permettre la communion de tous les jours ; qu' à peine leur eust-il seulement permis d' assister aux sacrez mysteres. Mais il ne le propose qu' entre ceux dont la vie ne des-honore point la sainteté du christianisme ; dont la foy est fortifiée par l' esperance, et l' esperance animée par la charité ; qui offensent Dieu tous les jours, parce qu' ils sont hommes, mais qui ne l' offensent point mortellement, parce qu' ils sont enfans de Dieu ; qui ont droit de se nourrir du corps de Jesus-Christ, parce qu' ils sont eux-mesmes ce corps, comme parle Saint Augustin : ----------------------------------------------------------------------p60 et enfin pour dire tout, cette dispute ne s' agite qu' entre deux hommes, dont l' un a une sainte avidité, qui merite d' estre comparée à la ferveur de Zachée, qui le fit resoudre en un moment à donner aux pauvres la moitié de tout son bien : et l' autre a une crainte respectueuse, qui merite d' estre comparée à l' humilité du centenier, dont la foy a esté preferée à celle de tout Israël par la bouche du sauveur mesme. La troisiesme remarque qui suit de cette seconde, est qu' encore que Saint Augustin propose deux avis differens sur la reception de l' eucharistie ; sçavoir, s' il est meilleur de la recevoir tous les jours, ou de s' en abstenir quelquesfois par reverence, il declare neantmoins en termes clairs, comme une chose constante parmy tous les fidelles, et dont personne ne pouvoit douter ; que pour les pechez mortels, il faut differer cette sainte nourriture ; se separer de l' autel pour faire penitence ; et ne s' en approcher point, que par l' autorité du prestre, apres la penitence achevée. Car il ne faut point douter, que par cette playe du peché, et cette violence de maladie, qui nous doivent oster l' usage de ces remedes, lesquels ne sont utiles qu' aux ames plus fortes ; il n' entende toute sorte de pechez mortels, et qui tuent l' ame par une seule playe, comme il dit ailleurs : puis que vous-mesme le reconnoissez, en alleguant plus bas ce ----------------------------------------------------------------------p61 mesme endroit pour prouver, que les pechez veniels ne doivent pas empescher de communier. Autrement l' on feroit approuver à Saint Augustin une pensée abominable, et absolument contraire à ses sentimens, (...). Je sçay bien, que l' imagination des hommes n' estant remplie que de ce qu' ils voyent prattiquer, et ne se parlant en nostre temps d' excommunication que pour de certains pechez, qui bien que tres-grands, ne sont pas tousjours les plus enormes devant Dieu, et pour lesquels on ne l' ordonne qu' apres beaucoup de formalitez ; aussi-tost qu' ils trouvent dans les peres le mot d' excommunication , ils l' appliquent à l' image qu' ils en ont formée dans leur esprit ; et voyans qu' aujourd' huy l' eglise n' excommunie pas pour la pluspart des pechez mortels ; ils s' imaginent, que ces pechez sont bien differens de ceux, que les peres asseurent meriter l' excommunication. Mais il est aisé de monstrer (et j' espere de le faire si clairement en son lieu, que personne n' en pourra douter) premierement, que dans la doctrine de l' antiquité, et principallement de Saint Augustin, (...), ne sont que la mesme chose, quoy que dans cette mesme peine, il y eust quelque ----------------------------------------------------------------------p62 diversité, selon la diversité des personnes, impenitentes, ou penitentes, comme nous dirons en un autre endroit. Et en second lieu, que cette peine estoit imposée pour tous les pechez mortels, c' est à dire, pour ceux qu' il appelle, (...). Il suffira pour cette heure d' avoir monstré l' absurdité qu' il y auroit d' entendre autrement ce saint docteur au lieu que nous expliquons ; puis qu' il s' ensuivroit, qu' il auroit laissé libre la communion de tous les jours à ceux qui commettent des pechez mortels, que les bons chrestiens ne commettent point, comme il le soûtient ailleurs en termes formels : (...). La quatriesme remarque, qui est d' une extréme importance, pour soustenir la verité que vous avez si hardiment condemnée ; c' est que selon la doctrine de l' eglise, expliquée par la bouche de ce grand saint, recevoir indignement le corps de Jesus-Christ, ce n' est pas seulement le recevoir, ayant la conscience chargée de quelque peché mortel ; mais mesme le recevoir durant le temps où l' on doit faire penitence de son peché. (...). ----------------------------------------------------------------------p63 Et ne craignez-vous point, que ce grand maistre de l' eglise, que vous osez condemner en la personne de ceux qui voudroient suivre ses saintes regles, ne s' esleve quelque jour en jugement contre vous, et ne vous soustienne, que ce n' est pas luy, mais toute l' eglise que vous condemnez, puis qu' il n' en a esté en cét endroit que la voix, et le tesmoin ? C' est ce que je vous laisse à considerer, pour passer au cinquiesme et dernier poinct, qui vous monstrera avec combien peu de retenuë vous voulez que l' on s' approche de l' eucharistie sans crainte aucune , et blasmez generallement tous ceux qui s' en retirent durant quelque temps par crainte, et par reverence. Je viens de vous faire voir, que ce grand homme qui a esté si particulierement esclairé de Dieu, proposant les raisons de deux personnes, dont l' un pretend, qu' il faut s' approcher fort souvent de la communion ; et l' autre, qu' il s' en faut quelquefois separer par retenuë, n' ose porter jugement en faveur de l' un, ou de l' autre : mais ----------------------------------------------------------------------p64 les exhorte seulement à vivre en paix, et à suivre chacun les mouvemens que la foy luy inspire ; adjoutant : (...). Reconnoissez, je vous prie, combien ces excellentes paroles, remplies d' une sainte moderation, sont esloignées de vos jugemens precipitez : et ne travaillez plus desormais à citer beaucoup de peres, dont vous ne connoissez que le nom, pour persuader aux ignorans, que vous parlez selon leurs maximes. PARTIE 1 CHAPITRE 15 combien Saint Augustin est contraire aux sentimens de cét auteur. ----------------------------------------------------------------------p65 un homme sçavant, et judicieux m' auroit espargné la peine de répondre à cet article. Car vous venez de citer un passage de Saint Augustin sous le nom de Saint Hilaire ; et icy, comme pour luy rendre autant que vous luy avez osté, vous luy en attribuez un qui ne fut jamais de luy, et que vous mesme avez cité un peu auparavant sous le nom d' un autre auteur. Apprenez donc, je vous prie, puisque vous tesmoignez ne le sçavoir pas, que ce sermon 28 des paroles du seigneur n' est autre chose, que le quatriesme chapitre du livre cinquiesme des sacremens de Saint Ambroise, comme il y a desja long-temps que les docteurs de Louvain l' ont remarqué. Voila la preuve de vostre science : celle de vostre jugement, est d' alleguer encore une fois ce passage, auquel je vous ay desja monstré que vous ne pouviez souscrire, sans souscrire en mesme temps à vostre condamnation. Il n' est pas neantmoins raisonnable, que vostre erreur nous empesche de declarer sur cette matiere quel a esté le sentiment de ce pere, en qui la nature et la grace semblent avoir conspiré pour en faire la plus grande lumiere ----------------------------------------------------------------------p66 qui ait éclairé l' eglise depuis les apostres. Je pense que vous avez encore les yeux esbloüis de l' esclat de ces paroles puissantes, qu' il a prononcées contre vous dans le chapitre precedent : que si vous pensez luy repliquer, il vous fermera la bouche par celles qu' il a escrites en un autre endroit, qui outre leur propre autorité sont encore appuiées de celles de l' eglise, puis qu' elles ont esté jugées dignes de faire partie du divin office. Elles sont prises du sermon deux cent cinquante-deuxiéme ; et vous les trouverez aux leçons de la dedicace ; ce qui m' a donné sujet de les rapporter d' autant plus volontiers, qu' elles ne peuvent pas vous estre inconnuës : lisez-les, je vous prie, sans passion, et jugez si elles se rapportent à vostre doctrine. (...). ----------------------------------------------------------------------p67 Que l' eglise a perdu de ce que le pape ne vous a point appellé à la derniere reveuë du breviaire ! Vous l' eussiez sans doute adverti d' en retrancher des leçons, qui contiennent une si pernicieuse doctrine, et si contraire , selon vostre avis, à l' usage de l' eglise d' apresent. vous luy eussiez remonstré, qu' elles pouvoient donner occasion à quelque temeraire de se retirer de vostre pratique, c' est à dire, de la pratique universelle de l' eglise ; parce que vous croyez que toute l' eglise depend de vous. Et enfin vous donnez sujet de croire, que s' il vous arrive quelque jour de reciter ces leçons, vous ne manquerez pas de faire quelque conjuration pour destourner ce stratageme du diable (comme vous appellez la doctrine qu' elles enseignent) ou que si le nom de Saint Augustin arreste un peu vostre zele, au moins vous formerez en vous-mesme quelque remarque pour servir de contrepoison, et pour empescher que cela ne fasse concevoir à quelque personne simple cette mauvaise pensée, qui ne peut venir du Saint Esprit , de se retirer humblement de l' autel divin, lors qu' elle trouve sa conscience blessée par quelque peché mortel ; ----------------------------------------------------------------------p68 et de ne s' en approcher point, avant que de s' estre purifié quelque temps par les prieres, par les jeusnes, et par les aumosnes. PARTIE 1 CHAPITRE 16 abus d' un passage de Gennadius qui est expliqué plus au long en un autre endroit. je ne dis rien de ce que vous doutez encore du veritable auteur du livre des dogmes ecclesiastiques, que le consentement universel de tous les sçavans a rendu à Gennadius il y a desja long-temps : ny de ce que vous le faites contemporain de Saint Augustin, qui estoit mort il y avoit plus de soixante ans, avant que Gennadius commençast à escrire. Pleust à Dieu, que vous n' eussiez point de fautes plus dangereuses. ----------------------------------------------------------------------p69 Mais l' absurdité de vostre glose n' est pas supportable : car vous dites que lors que Saint Augustin ou Gennadius, n' approuve ny ne desapprouve la coustume de communier tous les jours, cela ne se doit pas entendre de ceux qui veulent vivre vertueusement . Il faut donc que cela s' entende de ceux qui ne veulent pas vivre vertueusement : et ainsi selon cette estrange explication, Saint Augustin ou Gennadius aura laissé indecis, s' il est bon de communier tous les jours à ceux qui ne veulent pas vivre vertueusement. Et parce que le mesme auteur conseille la communion de tous les dimanches à ceux à qui il n' oseroit la conseiller tous les jours, ce sera à ces mesmes personnes, qui ne font point profession de vivre vertueusement, qu' il aura conseillé cette communion de tous les dimanches. Vous voyez bien que toutes ces propositions ne sont qu' une suitte necessaire de vos paroles : et cependant je ne puis croire, que vous mesme n' en soyez surpris, puis qu' elles blessent si fort la pieté chrestienne. Je ne dis rien davantage de ce passage de Gennadius, parce que je me reserve d' en parler plus au long en un autre endroit, où vous l' alleguez encore pour appuyer vostre mauvaise doctrine. PARTIE 1 CHAPITRE 17 ----------------------------------------------------------------------p70 Saint Hierosme allegué mal à propos. vous vous fussiez bien passé de rapporter cet endroit de Saint Hierosme, puis que d' une part il touche un point qui ne se doit jamais traitter qu' avec une extréme discretion : et que de l' autre il ne contient rien qui ne vous soit tout à fait contraire. Car si ce pere est d' avis qu' une action de soy innocente, pour tenir quelque chose de la corruption generale, fasse differer la communion ; quel doit estre son sentiment touchant les actions criminelles de cette nature ? Traiteroit-il moins severement l' impudicité, que le mariage ? Et celuy qui desire que les personnes qui sont jointes de ce noeud sacré suivent le conseil de Saint Paul, ----------------------------------------------------------------------p71 avant que de se presenter à l' eucharistie ; envoiroit-il à l' autel aussi-tost apres s' estre confessez, comme vous voulez que l' on fasse, ceux dont l' esprit est encore rempli des images impures de leurs debauches ? Je ne vous en dis pas davantage pour cette heure ; nous trouverons peut-estre quelque occasion de vous declarer le sentiment de Saint Hierosme, touchant les preparations necessaires pour approcher dignement de cette table divine. PARTIE 1 CHAPITRE 18 sentimens de Saint Jean Chrysostome touchant les dispositions, qu' on doit apporter à la sainte communion. il faudroit que vous eussiez une merveilleuse opinion de la credulité du monde, si vous vous pouviez encore persuader que l' on vous deust croire sur vostre parole, en ----------------------------------------------------------------------p72 citant onze volumes d' un trait de plume, apres avoir esté si clairement convaincu de tant de fausses citations ; mais la grande multitude des ouvrages de S Chrysostome n' empeschera pas que je ne vous soustienne, que vous n' abusez pas moins de son authorité, que de celle des autres peres, et qu' il vous est impossible d' en rien rapporter, qui ne favorise la verité que je deffens, et qui ne destruise les fausses regles dont vous vous estes declaré le protecteur. Vous nous rapporterez peut-estre ce qu' il dit dans une homelie. (...). Nous vous advouërons tout cela de tres-bon coeur, et s' il est besoin, nous le signerons de nostre sang : mais afin que vous n' en abusiez pas, nous y adjoutterons ce qu' il dit au mesme ----------------------------------------------------------------------p73 endroit, et ce que nous vous supplions d' ajuster à vos maximes. Vous enseignez, (...). ----------------------------------------------------------------------p75 Que si cette homelie ne vous semble pas assez favorable ; peut-estre aurez-vous recours à une autre, où se plaignant de la negligence de ceux qui n' approchoient point de l' eucharistie ; (...). Surquoy je vous prie de peser deux poincts, pour recompense de ce que je vous promets d' examiner bien-tost les deux vostres. Le premier est, que cette voix que vous venez d' entendre ; que tous ceux qui sont en penitence sortent ; qui n' est pas la voix de Saint Chrysostome, mais de l' eglise par ses ministres en la celebration des mysteres, ne chasse pas seulement du temple ceux qui sont encore plongez dans leurs pechez ; mais ceux-mesmes qui en font penitence : et qu' ainsi, tant que cette voix conservée dans ses saintes archives retentira à nos oreilles, il nous sera fort difficile d' escouter la vostre, par laquelle vous osez la contredire en asseurant, que ce n' a jamais esté la prattique de l' eglise, que l' on fust plusieurs jours à faire penitence de ses pechez, avant que de se presenter à l' eucharistie. Le second poinct est, qu' encore que Saint Jean Chrysostome eust entrepris de combattre la negligence criminelle de ceux qui par mespris, ou peu d' attention aux choses de leur salut, ne se presentoient que tres-rarement à la sainte communion ; il n' a eu garde neantmoins de passer les bornes, que la conduite du Saint Esprit a establies dans l' administration de cét auguste sacrement ; ny de donner lieu, mesme en apparence, à aucun de vos excez. Il ne pousse pas indifferemment tous les fidelles à ----------------------------------------------------------------------p76 communier souvent, comme vous luy attribuez faussement : il les exhorte avant toutes choses à se rendre dignes d' y participer souvent : il les conjure de n' assister point aux mysteres, s' ils ne sont pas dignes d' y participer : il declare que ceux qui sont en penitence n' en sont pas dignes : et enfin il parle avec vigueur contre ceux qui reglent leurs communions selon l' occurrence des grandes festes, et non pas selon la pureté de leur ame. Escoutons ses divines paroles dans cette mesme homelie. (...). ----------------------------------------------------------------------p77 Mais pour monstrer aux plus aveugles, que ce grand evesque travaille bien plus puissamment à faire entrer les fidelles dans la sainteté necessaire pour la participation de ces mysteres adorables, que non pas à porter indifferemment toutes sortes de personnes à y participer souvent, comme vous le voulez persuader, je vous supplie de trouver bon que je rapporte encore quelques-unes de ses paroles dignes de son eloquence et de l' esprit qui l' animoit : c' est en l' une de ses homelies sur l' epistre aux hebreux, où apres avoir expliqué divinement le sacrifice de l' eucharistie, et estouffé par avance l' impieté de nos heretiques, il adjouste ; (...). ----------------------------------------------------------------------p79 à vostre advis est-ce pousser indifferemment tous les fidelles à communier souvent, que de rejetter de l' autel (...), est-il conforme à vostre doctrine, qui par la mesme indiscretion dont vous loüez generallement tous ceux qui s' approchent souvent de l' eucharistie, condamnez sans exception tous les autres qui par quelque motif que ce soit s' en approchent plus rarement ? Et enfin ces redoutables paroles qui font trembler les plus justes, vous passeront-elles pour un stratageme du diable , qui veut destourner les ames de frequenter les sacremens, lors mesme que ce saint evesque asseure son peuple, de ne luy vouloir proposer, que les pensées du Saint Esprit ? PARTIE 1 CHAPITRE 19 des deux maximes que cet auteur attribue faussement à Saint Chrysostome, l' une qu' en s' abstenant de communier, on ne doit pas penser porter plus de respect au saint sacrement. L' autre, que le delay ne nous rend pas plus dignes de le recevoir. mais c' est trop nous arrester à une chose si claire. Il est temps de passer à ces deux points, que vous jugez dignes d' estre remarquez, et qui le sont veritablement ; mais ----------------------------------------------------------------------p80 en une maniere bien contraire à l' opinion que vous en avez. Car lors que vous faites dire à Saint Jean Chrysostome : (...) ; ou vous l' entendez simplement de ceux qui s' abstiennent de communier par negligence, et par le peu de soin qu' ils ont des choses divines ; et qui aussi durant le temps qu' ils different leur communion, ne travaillent point à s' y preparer : et alors, cette remarque est tres-vaine, et tres-inutile ; parce que personne ne doute, qu' un homme qui s' esloigne de l' eucharistie par cet esprit de negligence, ou de peu d' estime, ou de vanité, ou de pure crainte, sans humilité, ny aucun amour, ne soit tres-digne de blasme ; puis que c' est en cela, que consiste ce degoust, dont parle Saint Augustin, que cette manne sainte ne peut souffrir : et ainsi tout ce que les peres disent contre cette sorte de personnes est plein de justice, et de verité. Mais si vous l' entendez generallement, (comme la suitte de vostre escrit monstre assez, que vous faites) de tous ceux, qui par quelque motif que ce soit, se separent de l' eucharistie, et quoy qu' ils fassent durant ce temps, pour se preparer à la recevoir avec plus de pureté ; je reserve à vous faire voir en un autre endroict, par le sentiment de l' escriture, des peres, et de ----------------------------------------------------------------------p81 l' eglise, la fausseté de cette estrange maxime, dont vous composez l' une de vos regles : et je me contenteray icy de justifier S Jean Chrysostome, et de monstrer, que ces deux points generaux, dont vous le voulez faire auteur, sont contraires à ses sentimens, comme les tenebres le sont à la lumiere. Ce grand saint est si esloigné de condamner une personne, laquelle se sentant coupable d' avoir foulé tant de fois aux pieds le sang du fils de Dieu par des offenses mortelles, prononce contre elle-mesme l' arrest de sa condamnation, en se jugeant indigne de participer à ses mysteres, et s' en retire pour un temps dans la reconnoissance de cette indignité, afin de se purifier auparavant par l' exercice de cette penitence : il est dis-je si esloigné de trouver cet esloignement mauvais, et ce delay inutile, qui sont les deux points que vous luy attribuez : que suivant la doctrine generalle des autres peres, il juge, que les veritables penitens doivent pratiquer cette humilité, pour r' entrer peu à peu dans la sainteté qu' ils ont perduë, et se nourrir long-temps de la parole de Dieu, avant que se nourrir de son corps. Pour preuve de ce que je dis, vous n' avez qu' à lire l' homelie de l' enfant prodigue, qu' il propose comme le plus rare exemple de la misericorde de Dieu, et la plus excellente figure de tous les vrays penitens : où, entr' autres choses, ----------------------------------------------------------------------p82 pour l' explication de ces paroles ; (...). C' est ainsi que ce grand personnage, explique la conduite admirable de l' eglise envers tous ceux qui desiroient de se jetter entre les bras du pere celeste, apres avoir prodigué ses thresors divins, en violant par des pechez mortels la saincteté de leur baptesme. C' est l' arrest, que l' eglise leur prononçoit par la voix du diacre, en commandant à tous ceux qui estoient en penitence de sortir dehors . C' est ainsi qu' elle ----------------------------------------------------------------------p83 entendoit que l' on s' esprouvast, et que l' on se jugeast soy-mesme, selon le commandement de Saint Paul, pour ne manger point le corps de Jesus-Christ à sa condamnation. C' est cet esloignement de l' eucharistie, en quoy consiste la plus grande humiliation du pecheur, et par consequent le plus grand honneur qu' il soit capable de rendre à Dieu, puis que Dieu n' est honnoré que par les humbles ; et la plus grande esperance de son restablissement, puis que l' élevation est promise à celuy qui s' humilie. C' est ce delay procedant d' humilité, et non de deffaut d' amour, qui l' excite davantage par la consideration du bien dont il est privé, à se purifier de toutes ses taches par l' exercice des bonnes oeuvres, pour estre digne de r' entrer dans cette adorable participation. Apres cela, continurez-vous d' imposer à Saint Chrysostome ces deux maximes generalles : (...). PARTIE 1 CHAPITRE 20 ----------------------------------------------------------------------p84 excellent passage de Gennadius touchant les dispositions requises à la frequente communion, tant au regard des innocens, et qui n' ont commis que des pechez veniels, qu' au regard de ceux qui ont commis des pechez mortels apres le baptesme. apres avoir épuisé tous vos memoires, vous voulez achever de tromper les ignorans par cette figure de rhetorique. Mais ayant fait voir jusques icy, que tout ce que vous avez rapporté des peres, n' est qu' un ramas de citations fausses, ou prises à contre-sens ; il ne reste plus qu' à monstrer, que l' addition que vous faites en cet endroit, en est le couronnement, et le comble. Vous abusez si souvent de ce passage, tantost l' attribuant à Saint Augustin, tantost à Gennadius qui en est le veritable auteur ; qu' il ----------------------------------------------------------------------p85 est necessaire de le produire tout entier, comme il est dans l' original, sçavoir dans le ch. 53 du livre des dogmes ecclesiastiques. Escoutez-le donc une fois pour toutes, c' est à dire, escoutez l' arrest de vostre condamnation. (...). ----------------------------------------------------------------------p86 J' aurois trop mauvaise opinion de vostre esprit, et de vostre jugement, si je ne croyois, qu' apres la lecture de ces paroles, vous reconnoistrez de vous-mesme, que ce seul endroict est plus que suffisant pour renverser vostre mauvaise doctrine en tous ses chefs, et pour faire voir à tout le monde, que par un estrange aveuglement, au lieu que les payens prenoient les operations des demons agissans dans les idoles comme dans des corps empruntez, pour les operations de Dieu ; vous au contraire, prenez la conduite de Jesus-Christ agissant dans l' eglise, comme dans son veritable corps, pour une conduitte de l' esprit d' erreur, pour un stratageme du diable , et pour le plus grand malheur qui puisse arriver à l' eglise . ----------------------------------------------------------------------p87 Car vous voyez, combien il est necessaire en cette matiere de ne confondre point, comme vous faites tousjours, les innocens, et les pecheurs ; les justes, et les penitens ; ceux qui sont demeurez fermes dans l' alliance contractée avec Jesus-Christ par le baptesme, et ceux qui l' ont violée par des offences mortelles. Il ne faut pas s' estonner, si apres que vous avez renversé ce fondement, vous avez ruïné en suitte les plus saintes maximes de la religion chrestienne : puis que les philosophes sçavent, que d' une erreur dans les principes, il en naist une infinité dans les conclusions ; comme tous les ruisseaux se sentent de la corruption de leur source. Mais ce qu' il y a de plus estrange, c' est que Gennadius protestant en termes clairs, qu' en exhortant de communier tous les huict jours, il n' entend point parler de ceux qui ont commis des pechez mortels depuis le baptesme, vous dissimulez neanmoins une verité si importante, et en laquelle consiste principalement le sujet de nostre dispute. PARTIE 1 CHAPITRE 21 ----------------------------------------------------------------------p88 comment se doivent disposer à la saincte communion ceux qui ont commis des pechez mortels apres le baptesme. Où il est principalement parlé de l' utilité des religions pour faire penitence. ainsi pour commencer où Gennadius acheve, et declarer quel est l' esprit de l' eglise dans la conduite qu' elle tient touchant la dispensation de l' eucharistie envers ceux qui se sentent coupables de pechez mortels ; ne leur ordonne-t' il pas (ce que vostre zele ne peut endurer, parce qu' il n' est pas selon la science) d' estre plusieurs jours à faire penitence, avant que de communier ; de satisfaire à Dieu par les gemissemens, les soumissions, les pleurs, les jeusnes, les aumosnes, les prieres, que le nom seul de penitence publique emporte avec soy ; pour estre admis en suitte à la participation de l' eucharistie. Et enfin, ne juge-t' il pas ce delay si necessaire, qu' il croit, que faire autrement, c' est recevoir sa condamnation, en recevant le plus precieux gage de nostre salut, et convertir en poison cette nourriture divine. Il est vray, qu' il admet une exception pour se pouvoir exempter de se mettre au rang ordinaire des penitens, et pour changer ces soumissions ----------------------------------------------------------------------p89 publiques en des satisfactions particulieres : mais c' est une exception, qui confirme cette regle sainte. Car quelle penitence peut estre plus agreable à Dieu, et en un sens mesme, plus publique, que de rompre entierement, et à la veuë de tous, avec son ennemy, c' est à dire, avec le monde ; que de renoncer pour jamais à tous les plaisirs, ou plûtost à toutes les folies du siecle ; que de quitter toutes sortes de pretensions, pour embrasser une vie sainte et religieuse ; que de se retirer dans une solitude à l' exemple de tant de grands saints, ou choisir le fonds d' un monastere, pour y satisfaire à la justice de Dieu, par des larmes continuelles ; que de luy sacrifier sans cesse le sang du coeur blessé de regret et d' amour, pour l' expiation de ses offenses, comme parle Saint Augustin ; et enfin, que de passer tout le reste de sa vie dans l' exercice des actions contraires à celles pour lesquelles on gemit. Certes, je ne puis assez admirer cette parole de Gennadius, qui juge la penitence publique si salutaire, et si importante, pour obtenir le pardon des pechez mortels, qu' il n' en dispense que ceux qui en voudront faire une plus secrette, mais qui est plus penible, plus austere, et plus longue, que celle qu' on faisoit publiquement. Et cela me remet en l' esprit ce que j' ay oüy dire autresfois à un grand homme de Dieu, et fort esclairé dans la science de l' eglise ; que l' on ----------------------------------------------------------------------p90 ne pouvoit assez admirer la providence divine, qui veillant sans cesse pour le bien de son eglise, sembloit avoir suivy et autorisé par sa conduite la pureté de cette doctrine de Gennadius : comme si ç' avoit esté une prophetie de ce qui devoit arriver un jour, ayant suscité la plus grande partie des ordres religieux vers le douziesme et le treiziesme siecle, lors que l' exercice de la penitence ancienne a commencé à diminuer par la dureté des coeurs des laïques, et par l' ignorance des ecclesiastiques, ainsi que Saint Bernard le tesmoigne, et le déplore. Quand les chrestiens qui avoient perdu la grace du baptesme par des offenses mortelles, ont negligé de r' entrer dans l' eglise par la porte publique de la penitence : Dieu a ouvert des maisons publiques de penitence, afin que ceux à qui il inspireroit la volonté de la faire, et qui penseroient serieusement à se sauver, trouvassent comme des aziles sacrez contre l' impenitence des uns, et l' ignorance des autres ; et peussent prattiquer plus commodément tous les exercices de la penitence, les jeusnes, les prieres, les veilles, le retranchement des plaisirs, et les autres parties de la penitence publique ; non seulement pour quelques mois, ou quelques années ; mais pour tout le reste de leurs jours. C' a esté pour cela, que ces grandes lumieres des ordres religieux, Saint Bruno, S Bernard, ----------------------------------------------------------------------p91 Saint Estienne De Grammont, Saint Norbert, Saint Albert, Saint Dominique, et Saint François ont paru dans l' eglise quasi en mesme temps, ou l' un prés de l' autre ; qu' ils ont deployé l' estendart de la penitence dans toutes les provinces chrestiennes ; qu' ils sont venus au nom de Jesus-Christ, au nom du prince de la penitence, et du chef de tous ceux qui se sauvent par la penitence , comme l' appelle excellemment Saint Hierosme ; qu' ils ont confirmé leur mission par une infinité de miracles, et de prodiges, et par la conversion d' un nombre innombrable d' hommes et de femmes ; qu' ils ont esté comme des seconds apostres dans la vieillesse du christianisme, et ont renouvellé par le second baptesme, qui est celuy des larmes et de la penitence, des millions de chrestiens qui avoient violé l' innocence du premier. En quoy l' on peut remarquer, qu' ainsi que la persecution des empereurs payens ayant commencé à cesser dans l' eglise, et la guerre publique ne donnant plus de lieu au martyre public, lequel estoit honoré de la plus illustre des couronnes : Dieu suscita les anciens solitaires, et les premiers hermites des deserts de l' Asie, et de l' Afrique, qui firent fleurir un nouveau genre de martyre, dans la paix mesme de l' eglise, par leurs austeritez, et par leurs souffrances presque incroiables, et qui ont fait ----------------------------------------------------------------------p92 douter quelquefois s' ils estoient hommes : de mesme lors que l' usage ancien de la penitence a commencé à diminuer dans l' eglise, Dieu a suscité cette grande foule de religieux, ces troupes saintes de penitens, qui ont pris le sac et la cendre, dont les pecheurs du monde ne vouloient plus guere se couvrir ; qui ont promis solemnellement la conversion de leurs moeurs, comme tous les penitens doivent faire ; qui ont estably un certain temps pour esprouver ceux qui se presentent, ainsi qu' on ne recevoit pas les grands pecheurs à la penitence publique, qu' apres les avoir fort examinez, sur tout au siecle de Saint Augustin, et de Gennadius où l' on ne les y recevoit gueres qu' une fois ; et qui ont voüé pour toute leur vie les abstinences, et les mortifications, que les peres et les conciles n' ordonnent aux personnes seculieres, que durant quelques mois, ou quelques années. Et ç' a esté encore par une conduite particuliere de Dieu, et par une suitte du mesme dessein de conserver l' exercice de la penitence dans son eglise, que depuis la mort de Saint Bernard, et la naissance de Saint Dominique, et de Saint François, les religieux se sont plus meslez dans le monde, selon l' esprit de leurs regles toutes saintes, qu' ils n' avoient fait auparavant : afin qu' ils attirassent plus facilement à la penitence les hommes du monde qui en ----------------------------------------------------------------------p93 avoient besoin, pour se purifier de leurs pechez, comme dit Gennadius, et que la conversation, et le commerce qu' ils avoient avec eux, leur rendist la vie penitente plus agreable, qu' elle ne leur paroissoit dans les personnes, et dans les maisons des parfaits solitaires, tels qu' estoient les religieux des siecles precedens, la solitude effrayant d' ordinaire les pecheurs, et les seculiers. Mais comme la corruption des moeurs croistra tousjours dans l' eglise, selon l' evangile, à mesure que la naissance du soleil de justice s' éloignera de nous par le cours des siecles ; de mesme que le froid s' augmente dans la nature, à mesure que le soleil s' éloigne par le cours des mois : cette corruption s' est acreüe dans ces derniers temps, et apres avoir esté la mere de tant d' heresies, qui toutes ont rejetté les exercices laborieux de la penitence, aussi bien que la confession des pechez, et ont obligé l' eglise à les soustenir selon la doctrine de tous les peres : elle a encore reduit les theologiens catholiques à les deffendre seulement dans leurs escrits, et les predicateurs à les prescher dans les chaires ; sans pouvoir dans l' application des regles surmonter, que tres-rarement, le torrent du siecle, et l' enchantement de l' amour du monde, qui est la source de tous les vices, et l' ennemy de la penitence. Et Dieu n' a pas manqué en ce mesme temps, de susciter de nouvelles ----------------------------------------------------------------------p94 maisons de penitence, en suscitant de nouveaux ordres, et en reformant les anciens ; et de multiplier le remede, à mesure que le mal se multiplioit : afin que les pecheurs qui seroient dans une condition libre, et qui ne se trouveroient pas assez forts pour faire une pleine et entiere penitence en demeurant dans le monde, et qui se sentiroient poussez par le Saint Esprit à embrasser la vie religieuse, le peussent faire plus facilement. Et Monsieur De Geneve a tellement reconnu le besoin qu' avoient les femmes du monde, filles, ou veuves de se retirer dans les cloistres, pour se conserver dans un estat qui n' ait point besoin de penitence, ou pour aller pleurer leurs vanitez et leurs folies hors du monde, où l' on fait des choses deplorables, et où l' on ne les pleure quasi jamais ; qu' apres un si grand nombre de monasteres de filles, il s' est veu engagé par la conduite de Dieu à fonder encore un nouvel ordre, lequel paroist plus doux que tous les autres, afin que nulle fille, et nulle veuve ne pust estre retenuë par la delicatesse de son naturel, à demeurer dans les funestes engagemens de la vie mondaine et impenitente. Mais ce choix que donne Gennadius de sortir du siecle, ou de subir le joug de la penitence publique, me fait encore souvenir d' une semblable proposition que le Pape Estienne, qui vivoit au neuviesme siecle, fait à un grand ----------------------------------------------------------------------p95 seigneur nommé Astulphe, pour avoir tué sa femme dans un transport de jalousie. Car il ne luy propose que deux choses, en l' asseurant, que le conseil qu' il luy donne est le plus doux qu' il luy peut donner : ou de se retirer dans un cloistre pour y estre humilié sous la main d' un abbé, et y faire penitence toute sa vie : ou s' il desire la faire demeurant dans le monde ; voicy les regles qu' il luy donne en general. (...). ----------------------------------------------------------------------p96 Ne prendrez-vous pas les paroles de ce saint pape pour un stratagéme du diable , puis qu' il ne destourne pas seulement cét homme de communier souvent : mais luy deffend de le faire tout le temps de sa vie ; (ce que S Ambroise avoit ordonné avant luy à une fille consacrée à Dieu, qui s' estoit laissé corrompre.) et cependant ceux qui ont recueilly les regles divines, selon lesquelles le Saint Esprit a voulu que l' eglise se gouvernast, ont estimé ces sentimens si dignes du successeur de Saint Pierre, et si remplis de ce zele judicieux, qui pesant les crimes au poids du sanctuaire, veut guerir les pecheurs par une penitence égalle à leurs maux, avant que de leur permettre les viandes fortes ; qu' ils leur ont donné place dans le corps des saints canons, où ils les ont mis en depost comme dans des registres sacrez ; afin que cette ordonnance particuliere faite pour le salut d' un seul homme, servist d' instruction generalle ----------------------------------------------------------------------p97 à toute l' eglise, et en tous les siecles. Aussi Dieu a voulu que de nostre temps mesme le grand Saint Charles redonnast comme une nouvelle lumiere à la decision de ce pape, l' inserant dans les canons qu' il a proposez pour modelle à tous les ministres de Jesus-Christ, pour leur apprendre à guerir plustost les ames par une douce severité, qu' à les tuer par une cruelle flaterie, ainsi que le clergé de Rome parle escrivant à Saint Cyprien. PARTIE 1 CHAPITRE 22 en quelles dispositions doivent estre pour communier souvent, ceux qui ne commettent que des pechez veniels. Où est aussi expliqué l' avis que Monsieur De Geneve donne de communier tous les huit jours. mais pour revenir à Gennadius, nous avons veu, de quelle sorte ceux qui sont coupables de pechez mortels se doivent purifier, avant que de se presenter à l' eucharistie : et de là je laisse à juger ce que l' on doit croire d' un homme, qui ose asseurer, (...). Il reste maintenant à considerer de quelle sorte il se faut conduire pour ce qui regarde les pechez veniels en la reception de ----------------------------------------------------------------------p98 l' eucharistie, qui est l' autre chef de la proposition de Gennadius. La consideration de l' extréme pureté que la participation de ces saints mysteres desire, fait que cét auteur n' ose conseiller la communion de tous les jours aux ames qui vivent dans la pieté, et qui se trouvent entierement exemptes des playes mortelles ; quoy qu' elles ressentent quelques legeres blessures, et pour dire ainsi, des morsures de ces offenses, pour lesquelles les plus saints frappent tous les jours leurs poitrines, comme Saint Augustin parle ; il se contente de les exhorter à communier tous les dimanches ; et encore avec deux conditions extrémement considerables. L' une, qu' avant que de s' approcher de cette table sacrée, elles s' y purifient de leurs fautes, quoy que legeres, par les prieres et par les larmes. Et l' autre (qui est d' une extréme importance pour la conduite des ames, et qui ruine seule toutes vos maximes) de n' avoir point la volonté engagée dans ces pechez veniels. Car il y a grande difference, comme Monsieur De Geneve l' enseigne excellemment en sa Philothee, (...) : ----------------------------------------------------------------------p99 ce qu' il explique par une comparaison si excellente, que je ne puis m' empescher de rapporter ses propres paroles. (...). C' est pourquoy encore que les ressentimens de quelques atteintes du peché, n' empeschent pas que l' on ne communie tous les huit jours ; l' on ne le doit pas faire neantmoins, si l' on y a la volonté engagée : (...). Car alors on peut dire, qu' il y a dans l' estomach de l' ame, quoy que d' ailleurs saine, comme une mauvaise humeur qui l' empesche de digerer cette viande sainte. ---------------------------------------------------------------------p100 Ce que Monsieur De Geneve a aussi parfaitement bien compris, ayant estably sur ce passage de Gennadius, la regle qu' il donne de la communion ; et l' ayant exprimée en des termes, lesquels je me crois obligé de rapporter ; parce que beaucoup de personnes s' efforcent d' autoriser leurs déreglemens par sa doctrine ; et separant, à vostre exemple, le conseil qu' il donne de communier toutes les semaines, d' avec les dispositions qu' il y juge necessaires, s' imaginent par un aveuglement déplorable, suivre les maximes de ce saint evesque, en quelque estat qu' ils communient, pourveu qu' ils le fassent souvent : comme les juifs se croyoient tres-religieux observateurs de la loy de Dieu, en observant quelques-uns de ses preceptes, selon la lettre qui tuë, et non selon l' esprit qui donne la vie. Voicy comme ce saint homme parle ; (...), (c' est à dire, du livre des dogmes ecclesiastiques, qui est souvent cité sous le nom de Saint Augustin) (...). ---------------------------------------------------------------------p101 Ce n' est donc qu' à ceux, qui se trouvent dans cette disposition de coeur, et cette pureté de conscience, à qui Monsieur De Geneve conseille la communion de tous les huict jours ; et non pas indifferemment à toutes sortes de personnes, comme vous faites, ne laissant pas au jugement du confesseur d' en disposer autrement, selon l' estat de son malade. Et afin que vous ne croyez pas qu' il ait suivy ce sentiment sans l' avoir bien pesé, il le repete dans la conclusion de ce chapitre, et y establit comme une regle certaine et indubitable ; (...). Vous voyez que ce saint evesque ne se contente pas, qu' un homme soit exempt de peché mortel, pour le juger en estat de communier tous les dimanches ; au lieu que vous en jugez capables ceux qui commettent de ces pechez ---------------------------------------------------------------------p102 en toutes rencontres, pourveu qu' ils s' en confessent aussi souvent qu' ils les commettent : mais qu' il desire outre cela deux conditions comme absolument necessaires, qui ne se rencontrent pas en tant de personnes, qu' il y ait sujet de blasmer d' imprudence, comme vous faites, les confesseurs qui ne permettent pas à tout le monde une si frequente communion. La premiere est, de n' avoir aucune affection au peché veniel ; ce qui ne consiste pas à se tromper soy-mesme, comme beaucoup de personnes font ; et à rejetter sur nostre fragilité tous les effects de nostre peu de vertu, et de nostre negligence ; mais pour juger sincerement, si nostre coeur est veritablement desgagé de l' affection au peché veniel, il est necessaire que nos propres actions, qui sont les fruicts des affections secrettes que nous nourrissons dans l' ame, nous servent de tesmoignage, qu' autant que nous pouvons, nous évitons ces pechez : que nous fuïons avec soin toutes les occasions qui nous y peuvent porter ; et que nous embrassons toutes celles qui nous donnent moyen de les fuïr. Ce qui consiste principalement à aymer la solitude et la retraicte de sa maison, et peu la compagnie des gens du monde, qu' une telle personne ne doit voir que par necessité et par force, pour s' acquiter des vrays devoirs civils, et non de ceux qui sont superflus, estant impossible, comme Sainte Therese ---------------------------------------------------------------------p103 remarque fort bien, (...). Il faut donc ; pour se croire avec raison desgagé de l' affection du peché veniel, eviter l' occasion et la negligence : car enfin la parole de ce mesme saint dans cette mesme introduction, est esgallement vraye pour toutes sortes de pechez, et mortels, et veniels : (...). La seconde disposition que ce saint evesque demande, c' est d' avoir un grand desir de communier : par où il nous remarque deux choses extremément importantes : l' une que pour exhorter un homme à communier, mesme les dimanches, il faut avoir grand esgard au mouvement particulier qui le porte à desirer d' avoir part à ce saint banquet, parce que cette sorte de conduite et de grace particuliere est comme le temperament de chaque fidelle, qui doit regler sa nourriture ordinaire. L' autre que pour cette communion de tous les huict jours, il faut avoir l' ame en une grande santé : ---------------------------------------------------------------------p104 parce que ce grand desir de communier dont Monsieur De Geneve parle, et que Saint Bonaventure appelle (...) ; n' est autre chose, que l' effect de la santé de l' ame, comme l' appetit est l' effect de la bonne disposition du corps : ce qui fait dire à Saint Augustin, (...), dont la reception temporelle de l' eucharistie nous donne les arres et les premices, (...). Mais, parce qu' il y a deux sortes de faim , comme ce mesme bien-heureux remarque fort bien dans ses lettres, (...) ; il faut bien prendre garde que ce grand desir de communier, qu' il juge necessaire pour le faire toutes les semaines, soit une veritable faim de la nourriture spirituelle procedante de la chaleur de l' ame embrasée d' amour ; (d' où Saint Thomas nous apprend que ce desir doit naistre) et non pas une faim trompeuse, et apparente, née de quelque cause estrangere, ou de quelque qualité vicieuse : comme celle qu' un ancien docteur tesmoigne se rencontrer quelquefois dans des personnes ---------------------------------------------------------------------p105 mal-vivantes, qui n' ont aucun soin de garder les commandemens de Dieu ; qu' il attribuë avec raison à l' impression du diable, et à la chaleur du demon de midy, pour me servir de ses termes ; et non pas à celle du Saint Esprit. Or pour juger si nostre faim spirituelle est bonne, ou mauvaise, il ne faut que considerer, que comme la faim corporelle naist asseurêment de quelque indisposition, lors que le corps ne profite point de la nourriture qu' il prend : ainsi tous les desirs de communier les plus ardens sont suspects de fausseté, lors que l' ame ne s' engraisse point de ce pain du ciel, dont l' eglise chante, (...), c' est à dire, qui comble de ravissement les ames vrayement royales. Car alors c' est un signe manifeste, que l' ame n' ayant pas assez de chaleur divine pour digerer cette sainte viande, la trop grande nourriture estouffe plûtost le peu qu' elle en a, qu' elle ne l' accroist. Et de là l' on peut aisément comprendre, d' où vient, que tant de personnes, qui mesme ont quelque vertu, s' approchent si souvent de l' eucharistie, sans que l' on puisse reconnoistre aucun profit de tant de communions. Voila les regles de Monsieur De Geneve pour la communion de tous les dimanches, apres lesquelles il n' en faut point chercher de plus asseurées, ny de plus saintes, parce qu' elles ---------------------------------------------------------------------p106 ne sont point autres, que celles des peres de l' eglise. C' est par elles que je conjure toutes les personnes, que vous poussez indifferemment à cette communion, de se juger elles-mesmes. Qu' elles se donnent un peu la peine de considerer, si elles sont dans les dispositions que ce saint evesque demande. Je ne les renvoye point à d' autres juges, qu' à leur propre conscience : qu' elles escoutent cette voix, qui ne trompe gueres que ceux, qui se veulent tromper eux-mesmes : qu' elles s' examinent avec cét oeil, qui est plus clair-voiant, selon la parole de l' escriture, que sept sentinelles. Qu' elles sondent sincerement le fonds de leur coeur ; et si elles le trouvent mort à toutes les affections du peché, mesme veniel ; dans le détachement de toutes les choses, qui pourroient desplaire à Dieu ; dans la ferme volonté de se conduire en tout, selon ses divines loix ; dans l' ardeur du Saint Esprit, d' où doit naistre ce grand desir de communier ; à la bonne-heure, qu' elles approchent souvent de cette table sacrée ; qu' elles s' efforcent de s' y purifier de toutes les imperfections, qu' elles detestent dans leur coeur ; qu' elles y recherchent la guerison de toutes les maladies, qui nous affligent sans cesse durant cette vie mortelle : et enfin que la charité de Jesus-Christ qui les presse les fasse souvent recourir à luy, comme à l' unique consolateur dans toutes leurs afflictions, l' unique liberateur ---------------------------------------------------------------------p107 dans leurs miseres, l' unique soustien dans leurs foiblesses. C' est ainsi que ce saint auteur exhorte sa Philothée à communier souvent ; la presupposant, comme il dit, dans une disposition encore plus excellente, que celle que Gennadius demande, (l' ayant cité sous le nom de S Augustin) c' est à dire, dans un estat ferme, et permanent d' une vie veritablement chrestienne : dans une disposition de coeur, non seulement entierement esloigné de toute sorte de peché mortel ; mais destaché mesme de toute affection au peché veniel. De sorte que c' est abuser indignement de sa doctrine (je le repete encore, et le repeterois volontiers incessamment pour le faire mieux comprendre) que d' appliquer aux personnes les plus imparfaites et les plus foibles, pour ne dire pas vicieuses, les conseils, que cét homme de Dieu n' a donnez, qu' à celles, qui se trouvent avoir acquis une tres-grande pureté par la bonne vie, et avoir estably de tres-solides fondemens d' une vertu non commune. PARTIE 1 CHAPITRE 23 ---------------------------------------------------------------------p108 Saint Justin allegué mal à propos. mais pourquoy avez-vous oublié d' ajoûter ce que ce saint martyr declare en ce mesme lieu ; (...). Ceux à qui Dieu a ouvert les yeux pour leur faire reconnoistre à quoy nous sommes obligez par les promesses solemnelles de nostre baptesme, et quelle doit estre la perfection de la vie d' un chrestien, sçavent de quel poids sont ces paroles, et combien il y en auroit peu à qui l' on permist de communier, si l' on rejettoit de l' autel, selon ce saint, et selon l' esprit de l' eglise, qu' il ne fait que marquer en ---------------------------------------------------------------------p109 cét endroit, tous ceux qui ne vivent pas selon les obligations de l' evangile. PARTIE 1 CHAPITRE 24 concile de Basle touchant la frequente communion. et moy je vous respons en deux mots : puis que le concile parle ainsi, que pouvons-nous dire de vos calomnies, et de vos aveuglemens ? Car peut-on appeller autrement que calomnie cette imposture si odieuse, par laquelle vous taschez de persuader, qu' il y a des personnes ---------------------------------------------------------------------p110 de pieté, qui destournent generallement les ames de la frequente communion, qui retirent de l' usage des sacremens ceux-mesmes, qui se rencontrent dans les dispositions necessaires pour les recevoir ; qui portent les veritables israelites au mespris et au dégoust de cette manne divine ; et enfin qui de deux extremitez où l' on peut tomber touchant la reception de l' eucharistie ; sçavoir, en y poussant trop les ames, ou les en detournant trop, commettent dans l' une les mesmes excez, que vous commettez dans l' autre. C' est dequoy Dieu vous demandera compte un jour, si vous n' avez soin de prevenir sa justice par une satisfaction chrestienne. Mais vostre aveuglement n' est pas moindre, de ne vous appercevoir pas, que les paroles de ce concile sont esloignées de vos maximes, comme le ciel l' est de la terre. Il nous enseigne, (...). Qui est celuy qui n' embrasse cette doctrine de tout son coeur ? Mais l' importance est de s' en rendre digne , comme le concile le dit, avant que de s' en approcher. Et les peres nous apprennent, que le moyen de le devenir, lors qu' on s' en est rendu ---------------------------------------------------------------------p111 indigne par des pechez mortels, c' est de s' en tenir separé pour quelque temps, et durant ce temps se purifier par les retraittes, par les jeusnes, par les prieres, et par les aumosnes. L' importance est d' avoir la devotion que ces mysteres desirent : et cette devotion ne se trouve pas dans les ames remplies d' amour d' elles-mesmes, et si attachées au monde que de merveille . Et enfin il est necessaire de sonder, et d' examiner auparavant le fonds de sa conscience, cum discussione debita, et selon la doctrine de l' antiquité confirmée par l' un des plus saints evesques de nostre temps, il ne la faut pas seulement trouver exempte de tous les pechez mortels ; mais détachée de l' affection des offenses mesmes legeres. Aussi devez-vous remarquer que le concile ne dit pas, qu' il est necessaire de s' approcher souvent de l' autel, pour entrer dans le chemin de la vertu et de la perfection chrestienne : mais pour faire que l' on s' y avance, et que l' on ne recule pas ; supposant qu' on y est estably en quelque façon, et qu' il n' est besoin que de s' y conserver, et de s' y perfectionner de plus en plus, selon le sentiment de tous les peres, qui nous enseignent, qu' il n' y a que ceux, lesquels marchent dans cette voye estroite qui mene à la vie, et qui est la voye de perfection, et des parfaits, qui ayent droit de se nourrir de la chair de cette victime salutaire. Car c' est veritablement cét agneau paschal, ---------------------------------------------------------------------p112 qui ne se mange que par ceux qui sont dans l' estat et dans la disposition necessaire pour marcher : qui vivent sur la terre comme pelerins, ne s' attachans point aux choses qu' ils rencontrent en leur chemin, et ayans toute leur conversation, et toute leur affection au ciel, qui est leur patrie et le paradis dont ils ont esté bannis ; vers lequel ils marchent toute leur vie avec un regret continuel de s' en voir separez ; et avec un perpetuel gemissement, lequel n' est entendu que par l' esprit de Dieu, qui le forme dans l' esprit de l' homme, et le luy fait sentir dans le fonds de l' ame. C' est ce pain cuit sous la cendre, qui n' est donné qu' aux Elies, lors que fuyans Jezabel, c' est à dire, se retirans de la corruption du monde, ils ont desja fait le chemin d' une journée toute entiere dans le desert ; et qui leur est si advantageux, que fortifiés par cette nourriture ils parviennent en fin au bout de quarante jours à la montagne de Dieu, où ils jouïssent de sa compagnie : c' est à dire, qu' apres le temps de cette vie mortelle, que le nombre de quarante consacré à l' affliction, et à la penitence, marque tousjours dans l' escriture et dans les peres ; ils sont receus en la maison du seigneur et en sa montagne sainte, où ils ne mangent plus cette viande sous des voiles sensibles, et corporels : mais à découvert, et en la mesme maniere que les anges mesmes la mangent. PARTIE 1 CHAPITRE 25 ---------------------------------------------------------------------p113 la doctrine du concile de Trente touchant la frequente communion. vous nous avez renvoyez à deux conciles pour apprendre l' intention de l' eglise : mais si je vous ay monstré, que le premier ne contient rien qui vous favorise ; il est encore plus aisé de faire voir, que le dernier vous condemne manifestement. (...). C' est un souhait digne de cette sainte assemblée, animée par le Saint Esprit, que tous les gens de bien font avec elle ; et que vous seul par un aveuglement ---------------------------------------------------------------------p114 prodigieux ne faites point en tout vostre escrit, et que vous jugez mesme superflu de faire. Car ce souhait monstre, que la bonne vie est une preparation necessaire pour participer souvent à l' eucharistie, et qu' il faut estre dans la pieté pour aspirer legitimement à ce bon-heur. Mais pour vous, je vous supplie de me faire voir, qu' ayant entrepris de déduire les regles de la frequente communion, et en ayant proposé jusques à dix, vous ayez dit un seul mot de la bonne vie, et de la pieté chrestienne, comme d' une condition necessaire pour communier souvent : ce qui monstre que selon vos maximes, pour desirer que les chrestiens s' approchent souvent de l' autel, il n' est pas besoin de desirer qu' ils vivent en sorte qu' ils meritent cette faveur : mais seulement au plus, que quelque vie qu' ils menent, ils se confessent souvent. L' autre endroict, que vous rapportez du concile de Trente, ne contient qu' un desir semblable à celuy qu' il avoit fait auparavant ; et que la reconnoissance du peu de disposition de la plus-part des fidelles luy a fait laisser dans les termes d' un simple souhait ; sans passer mesmes jusques à conseiller ce qu' il sçavoit ne se pouvoir bien accomplir que par fort peu de personnes. Mais il est estrange, avec quelle hardiesse vous avez osé corrompre les paroles sacrées du concile : car il ne dit autre chose en cét endroit, ---------------------------------------------------------------------p115 sinon (...). Mais ce que le concile a desiré de restablir autant qu' il se pourroit, est qu' il y eust tousjours des communians à chaque messe, comme Monsieur De Geneve l' a parfaittement bien entendu, en ayant pris sujet de faire cette ordonnance sainte dans ses constitutions. (...). Et c' est ce que des personnes, qu' on accuse par une imposture noire, de condemner la frequente communion, observent religieusement, par un esprit aussi attaché à celuy de l' eglise catholique et universelle qui a parlé dans ce concile, qu' ennemy de division et de partialité. Adjoustons de plus, que les paroles que vous ---------------------------------------------------------------------p116 avez retranchées du passage du concile, si on les considere bien, donnent sujet d' en tirer tout le contraire de ce que vous luy faites dire. Car lors que le concile dit, (...) ; il tesmoigne clairement, qu' il ne porte à la communion sacramentale et reelle, que ceux qu' il suppose estre en estat de communier spirituellement : or ceux-là seuls sont en cét estat, selon le concile mesme, (...). Et en effet qu' est-ce autre chose communier en esprit, que d' attirer par l' esprit de Dieu residant en soy la vertu de ce corps divin ; et en un mot, s' unir à Jesus-Christ par l' esprit. Voyons maintenant si ceux que vous poussez à communier reellement, sont capables seulement de cette communion spirituelle. Demandons à S Paul, qui est celuy qui est uny avec Jesus-Christ et devenu un mesme esprit avec luy ? Et il nous respondra, (...), demeure-t' il attaché à Dieu ? C' est à dire, celuy qui est attaché par un amour extraordinaire au plus grand ennemy de Dieu, demeure-t' il attaché à Dieu par amour ? ---------------------------------------------------------------------p117 Ainsi nous voyons, que ceux que vous jugez dignes de participer au sacrifice, ne sont pas seulement dignes d' y assister, et d' ouïr la sainte messe, selon la doctrine du concile ; puis qu' ils ne sont pas en estat de communier spirituellement, et que le concile suppose, que les fidelles qui entendent la messe sont en cét estat. PARTIE 1 CHAPITRE 26 des paroles de l' escriture qui nous invitent à la sainte communion. ---------------------------------------------------------------------p118 comme toute erreur tient quelque chose de l' heresie ; et que pour l' ordinaire les heresies ne font qu' achever ce que les simples erreurs ont commencé avant elles ; il est bien difficile, que le procedé des enfans mesmes de l' eglise, lors qu' ils attaquent sa doctrine, ou en ce qui regarde la solidité de la foy, ou en ce qui concerne la pureté des moeurs, ne soit semblable en quelque sorte à celuy des heretiques. Vous nous en faites voir un parfait exemple en vostre maniere d' agir. Car tout de mesme que les heretiques nous accusent de condemner le mariage ; parce que l' eglise suivant la tradition des apostres, ne le permet pas aux prestres, ny à ceux que les liens indissolubles d' un voeu sacré ont attaché pour jamais à une vie plus pure et plus excellente : ainsi vous accusez des gens de bien de condemner la frequente communion, et d' en destourner les ames ; parce qu' ils ne peuvent souffrir, avec tous les peres, que l' on abuse indignement de la participation de ces saints mysteres : que l' on donne à tant de personnes la presomption de communier souvent, lors qu' on les devroit separer ---------------------------------------------------------------------p119 pour long-temps du s. Autel, selon l' esprit de l' eglise : que l' on fasse croistre la hardiesse, ou pour mieux dire l' impudence, à proportion que l' on se recognoist davantage dénué de graces : que l' on pousse à s' approcher souvent d' un mystere, où Dieu respand toutes les richesses de son amour envers les hommes, ceux qui sont remplis d' amour d' eux-mesmes, et horriblement attachez au monde : et enfin que l' on abandonne sans aucune discretion le pain des enfans à ces bestes horribles aux yeux de Dieu, qui retournent à toutes rencontres à leur premier vomissement . Et tout de mesme encore que les heretiques s' imaginent nous avoir convaincu d' erreur, en persuadant aux simples, que nous sommes ces faux prophetes, qui selon la prediction de Saint Paul, devoient empescher les hommes de se marier ; et en citant beaucoup de lieux de l' escriture à la recommandation du mariage. Ainsi vous pensez avoir suffisamment destruit l' impieté pretenduë de ceux qui n' approuvent pas toutes vos maximes, en rapportant d' une assez mauvaise maniere quelques lieux de l' evangile, où Jesus-Christ nous invite à demeurer en luy par le moyen de l' eucharistie. Mais comme vous imitez parfaitement les artifices des ennemis de l' eglise : nous n' avons qu' à emprunter les mesmes armes, dont elle se sert pour destruire tous ces phantosmes. Comme donc lors que les heretiques nous opposent ---------------------------------------------------------------------p121 ce que Saint Paul dit, (...). Ainsi nous n' avons besoin que de semblables responses à de semblables argumens. Et qu' à opposer les veritables interpretations des peres, aux fausses consequences que vous voulez tirer de quelques paroles de l' escriture que vous entendez fort mal. Vous voulez donner la hardiesse à toute sorte de personnes d' approcher souvent de l' eucharistie par les douces invitations du fils de Dieu : mais S Jean Chrysostome et S Ambroise vous respondront, (...). ---------------------------------------------------------------------p122 Elle l' est veritablement ; mais tous les saints interpretes de l' escriture vous apprendront, qu' elle ne contient autre chose, qu' une vocation generalle à la grace de l' evangile. Qu' elle s' addresse à tous ceux, qui sont accablez sous la pesanteur de leurs pechez, lesquels le prophete Zacharie (comme Saint Hierosme remarque sur cét endroit de l' evangile) appelle un talent de plomb : que le prophete roy dit, s' estre appesantis sur luy, comme un fardeau insupportable ; et qui rendent, selon Job, et selon David, l' homme pesant à soy mesme . Ce qui a fait que les peres ont remarqué que Jesus-Christ designe par ces paroles les deux peuples qu' il a reünis par son sang ; et dont il a basty les deux murailles qui composent l' edifice eternel de son eglise. (...). Vous voyez donc, que ces paroles regardent principalement les infidelles, les impies, et les pecheurs ; ---------------------------------------------------------------------p123 et qu' ainsi elles ne les peuvent inviter à la sainte communion, qu' ils n' ayent au moins auparavant accomply ce que Dieu leur prescrit en ce mesme endroit, de porter son joug ; qui n' est autre chose, selon Saint Augustin, (...). ---------------------------------------------------------------------p125 C' est veritablement une conjecture, dont toute la loüange vous est deuë, et qui n' estoit point encore entrée dans l' esprit d' aucun interprete de l' evangile. Car tous les peres ont bien reconnu dans ces paroles de Jesus-Christ les richesses inestimables de son amour envers les hommes ; cette ineffable invention de nous faire vivre de son esprit et de sa divinité, nous unissant à sa chair spirituelle et divine ; cette bonté infinie par laquelle il a voulu prevenir en quelque sorte nostre eternelle felicité, en nous nourrissant dés ce monde des mesmes viandes dont il nourrit les bien-heureux dans le ciel. Ils y ont bien aussi remarqué l' obligation que nous avions ---------------------------------------------------------------------p126 de participer à ces saints mysteres ; la necessité d' avoir recours à la source de la vie pour pouvoir vivre ; et en fin le besoin que nos corps mortels ont de cette immortelle semence, pour estre à jamais preservez de la mort et de la corruption. Mais ils sont si esloignez de s' imaginer que la grandeur et la vertu de ces mysteres nous deussent oster la crainte de nous en approcher sans une grande preparation ; que c' est de là mesme qu' ils ont conclu, qu' il ne falloit se presenter qu' avec horreur et avec tremblement, à une table, que les anges ne regardent qu' avec une frayeur respectueuse : qu' ils ont conceu une si grande reverence de ces mysteres, que l' eglise les a tousjours appellez les mysteres redoutables : qu' ils ont jugé, que la pureté de ceux qui participent à ce sacrifice devoit avoir quelque rapport à la pureté de la victime : que les choses saintes n' appartenoient qu' aux saints, selon cette parole de toutes leurs liturgies, sancta sanctis, les choses saintes sont pour les saints : que les lasches et les paresseux ne devoient point approcher de cette nourriture divine ; mais que tous ceux qui en approchent, devoient estre embrasez d' ardeur et de zele : et en fin que de tous ceux qui communient, soit souvent, soit rarement, ceux-là seuls estoient dignes de loüange, qui le faisoient avec une conscience sincere, un coeur pur, et une vie irreprochable. ---------------------------------------------------------------------p127 C' est ainsi que Saint Chrysostome, lequel on peut appeller avec raison le docteur de l' eucharistie, comme ayant esté destiné particulierement du ciel, pour expliquer autant que les paroles des hommes en sont capables, les ineffables grandeurs de cét auguste mystere, et confondre par mesme moyen les impietez que l' heresie pourroit enfanter, et tous les abus que l' ignorance, ou la malice voudroient introduire dans l' eglise ; c' est ainsi, dis-je, que ce grand saint, apres avoir admiré la bonté infinie de Jesus-Christ, (...). ---------------------------------------------------------------------p128 Et sur le mesme chapitre de l' evangile de S Jean, lequel vous croyez n' avoir esté fait que pour l' establissement de vostre mauvaise doctrine, apres avoir relevé en des termes magnifiques les effets admirables du saint sacrement, apres nous avoir asseurez, (...). Enfin apres avoir espuisé tout son esprit, et toute son eloquence à expliquer la grandeur et la vertu de ce mystere ; escoutez, je vous prie, ---------------------------------------------------------------------p129 si la conclusion qu' il en tire a quelque rapport à la vostre ; (...) ? Concluons donc avec tous les peres, que comme les paroles de Jesus-Christ nous obligent de rechercher dans la reception de son corps la nourriture de nos ames ; elles nous obligent aussi en mesme temps, à nous mettre dans les dispositions requises pour une action si sainte ; et qu' ainsi de la mesme sorte, qu' elles serviront d' arrest contre tous ceux, qui par negligence ne se seront point mis en peine de recevoir les effets de cette viande divine, elles condemneront encore davantage ceux, qui animez de la presomption que vous leur voulez inspirer, auront eu la hardiesse de se presenter à cette table sacrée, avant que de s' en rendre dignes par la bonne vie, et par les bonnes oeuvres. C' est pourquoy tout ce que je puis faire en ---------------------------------------------------------------------p130 cét endroit pour preserver les ames de l' un et de l' autre de ces dangers, c' est de prier Dieu qu' il luy plaise graver dans tous les coeurs ces paroles de Saint Bernard. (...). PARTIE 1 CHAPITRE 27 regles que cet auteur propose pour les communions des personnes laïques. ---------------------------------------------------------------------p131 ne faites point, je vous prie, ce tort à l' eglise, que d' attribuer generallement vos fausses maximes à tous ses docteurs. L' espouse de Jesus-Christ est trop jalouse de l' honneur de son espoux, pour autoriser des regles si contraires à la sainteté de la doctrine qu' il est venu annoncer aux hommes, et qu' il a confirmée par son propre sang. Elle est trop bien conduite par le Saint Esprit, pour se rendre jamais partisane de vos égaremens. Et enfin celle qui est establie sur l' immobilité de la pierre, n' est pas capable de cette legereté, d' obscurcir elle-mesme les lumieres qu' elles a receuës du Saint Esprit, pour la conduite de ses enfans, et de pervertir cette regle si fidelle de la tradition des saints , que vous-mesme confessez estre la meilleure que nous puissions suivre, pour ne nous point tromper en cecy, comme en toutes choses ; et que la force de la verité vous oblige de renouveller icy par ces paroles suivantes, qui serviront de precaution à vos propres regles. PARTIE 1 CHAPITRE 28 ---------------------------------------------------------------------p132 de la premiere regle que cét auteur propose, qui est de suivre l' advis d' un bon directeur. comme rien ne doit estre si inviolable que la verité ; nous devons avoir un extréme soin de la separer du mensonge, avec lequel elle se trouve quelquesfois meslée ; de peur qu' en pensant ne nous attaquer qu' à ce qui doit estre le premier objet de nostre haine, nous n' offensions celle qui doit estre le premier objet de nostre amour. C' est ce qui m' oblige de donner beaucoup d' éloges à la premiere regle que vous establissez icy, puis que je la trouve conforme à la verité que j' adore par tout où je la rencontre, et qu' elle me presente une lumiere capable de dissiper tous les nuages de vos faussetez. ---------------------------------------------------------------------p133 Vous avez grande raison de desirer, que l' on ne se conduise pas sans advis dans une affaire aussi importante, qu' est la frequente participation des mysteres. C' est un ordre estably de Dieu, et dans la nature, et dans la grace, que les choses qui sont moins parfaittes doivent estre sousmises à celles qui le sont plus. C' est cét admirable enchaisnement des causes inferieures avec les superieures, qui compose toute l' harmonie du monde. Et c' est aussi cette mutuelle dépendance des membres entr' eux, qui forme l' une des plus grandes beautez du corps de Jesus-Christ. Les pieds pour bien marcher se doivent laisser conduire par les yeux : et il est tres-important, principalement à ceux qui commencent, de se sousmettre à la direction de ceux que le Saint Esprit a plus esclairez. Ce que Saint Bernard explique divinement, lors qu' il nous enseigne, (...). C' est pourquoy tous ceux qui ont enseigné ---------------------------------------------------------------------p134 particulierement aux ames les moyens d' entrer dans les voyes de Dieu, ont tousjours estably comme l' une des regles les plus importantes, de choisir un homme de bien, dont la lumiere esclaire, nos pas en ce chemin si difficile à tenir à ceux qui n' en connoissent pas encore les divines routes. Monsieur De Geneve entre les nouveaux, appelle cét advis (...). Et entre les anciens le grand Saint Basile instruisant un jeune homme qui se vouloit donner à Dieu ; (...). ---------------------------------------------------------------------p135 Que si la direction est utile dans les moindres actions, elle ne peut estre que tres-importante dans la plus importante de toutes, qui est la communion. Aussi le sauveur du monde n' a rien mis davantage en la puissance de ses ministres, que la dispensation de ses mysteres : et il a voulu, que le discernement de tous ceux qui se doivent retirer, ou s' approcher de ce sacrement auguste, dépendist de leur autorité. Cette puissance est enfermée dans le pouvoir de lier et deslier : d' où vient que les peres prennent pour une mesme chose, lier les pecheurs, leur imposer penitence, et les retirer de l' autel : et se servent au contraire indifferemment des termes de deslier, accorder le pardon aux penitens, et les reconcilier à l' autel . Et pour marquer encore cette puissance, quoy que dans l' antiquité les fidelles receussent l' eucharistie dans leurs mains, et que mesme ils la portassent dans leurs maisons, et dans leurs voyages, ils ne l' alloient pas neantmoins prendre sur l' autel : mais il falloit qu' ils la receussent de la main des prestres, (...), ---------------------------------------------------------------------p136 dit Tertullien : ce qu' il rapporte pour un exemple d' une inviolable tradition, quoy qu' il ne s' en trouve rien dans l' escriture. Recevoir ce sacrement de la main des prestres, c' est ne le recevoir que par leur ordre : de sorte, que si celuy, qui se sent coupable de pechez mortels n' est dans la disposition de ne point approcher de l' eucharistie, que selon l' ordonnance de son confesseur, et s' il ne peut souffrir que l' on luy differe la participation de ces mysteres, comme estans encore trop disproportionnez à sa foiblesse, afin de luy procurer une plus parfaitte guerison par les actions de la penitence, il renverse la principale partie de la puissance sacerdotale ; il fait violence au corps et au sang de Jesus-Christ, pour me servir des paroles de Saint Cyprien ; il merite, si nous en croyons Saint Augustin, d' estre à jamais separé de l' autel du ciel, à cause de la desobeïssance, par laquelle il refuse d' estre separé de l' autel de la terre pour quelque temps : (...) ? Mais apres avoir estably la necessité d' un directeur, il reste à en establir les conditions : car quelque utilité qu' il y ait d' avoir un guide, il vaut mieux neantmoins n' en avoir point, que d' en avoir un qui ne sçache pas, ou qui ne vueille ---------------------------------------------------------------------p137 pas nous bien conduire. C' est ce qui a fait dire à Monsieur De Geneve, (...). Ce que ce saint evesque a tiré de l' evangile, et de ces paroles prophetiques du fils de Dieu, (...) ? Qui expriment égallement la difficulté qu' il y a de trouver un tel directeur, (selon ce que Saint Jean Chrysostome, Saint Gregoire, et Saint Bernard enseignent que ce terme quis , marque une grande rareté,) et enferment en substance les mesmes conditions que Monsieur De Geneve demande. Car personne ne peut estre excellemment fidelle, s' il n' est excellemment bon : ce qui fait que le fils de Dieu appelle bon en ce mesme lieu celuy qu' il appelle fidelle : (...). Et nul ne peut estre excellent en bonté, selon l' evangile, s' il n' est excellent en charité ; et il n' est pas moins clair, que la prudence, dont le fils de Dieu parle, enferme la science que Monsieur De Geneve a jointe, puis que le sens commun nous apprend, qu' il n' y a point de prudence sans science : et qu' ainsi qu' on ne peut estre prudent dans la guerre, si l' on n' y est intelligent : de mesme on ne le sçauroit ---------------------------------------------------------------------p138 estre en la conduite des ames, si l' on n' a beaucoup de science de cét art divin : de sorte, que l' une de ces conditions regle l' autre ; et par consequent, s' il doit avoir plenitude de charité, il doit aussi avoir plenitude de science et de prudence, comme ce saint prelat le desire. Ce qui est si veritable, qu' on peut dire que celuy qui est capable de bien conduire une ame, est capable d' en conduire plusieurs : comme celuy qui avoit paru bon conducteur d' une famille, estoit presumé par les apostres capable de conduire toute une eglise, où il y avoit quantité d' ames et de familles à gouverner. Et c' est pourquoy celuy qui a dit, qu' il est plus difficile de gouverner une ame qu' un monde, a rencontré une verité, que l' analogie de la raison et de la foy confirmée par l' autorité des anciens peres, fera confesser à tout homme, qui sçaura quelle difference il y a entre le corps et les ames ; et que l' excellence qu' a la grace de Jesus-Christ par dessus l' ame (qui ne vit que par elle) est incomparablement plus grande, que celle qu' a l' ame par dessus le corps. Ce qui a fait escrire aux deux grands Saints Gregoires avec beaucoup de raison, que la conduite des ames est le plus excellent et le plus difficile de tous les arts. PARTIE 1 CHAPITRE 29 ---------------------------------------------------------------------p139 conditions d' un bon directeur fort bien establies par l' auteur. premiere, qu' il soit docte. mais il est vray neanmoins que je suis encore obligé de vous donner cette loüange, que vous avez en ce point suivi tres-fidellement le sentiment de ces grands hommes, et que les conditions d' un bon directeur que vous avez marquées en peu de mots sont si justes et si raisonnables, que pourveu qu' elles soient bien entenduës, elles en peuvent former une idee tres-excellente, et on le pourra nommer hardiment, selon le langage de Platon, ipse director . Vous voulez premierement qu' il soit docte ; et en effet comment les tenebres esclaireroient-elles, et comment un aveugle pourroit-il servir de guide ? Il faut que celuy qui se mesle de gouverner les consciences soit rempli des veritez de nostre foy : qu' il ait travaillé long-temps pour s' instruire luy-mesme, avant que d' instruire les autres. Il faut que l' estude et la pieté soient jointes ensemble pour former cette doctrine, et qu' il ne possede pas seulement cette science qui s' apprend parmi les contentions ; mais une plus haute et plus eslevée, ---------------------------------------------------------------------p140 que l' escriture nomme la science des saints, que nous devons attendre du Saint Esprit, et qui ne s' obtient que par des gemissemens, et par des prieres. De sorte qu' on peut dire qu' il a besoin de trois sciences ; l' une est celle qu' on apprend dans les escholes : l' autre est celle qu' on apprend de la tradition de l' eglise catholique : la troisiesme est celle qu' on puise dans la source mesme par la communication familiere, et l' union intime, que la pieté et la devotion donne aux ames religieuses avec Jesus-Christ. La premiere le rend disciple de ceux qu' on appelle maintenant docteurs : la seconde le rend disciple de l' eglise catholique, selon le langage des peres : la troisiesme le rend disciple de Jesus-Christ, qui instruit et conduit les ames des pasteurs et des conducteurs de son eglise par les lumieres invisibles, qui les rendent docibiles dei , comme parle l' evangile ; et leur fait comprendre les veritez d' une maniere ineffable, que personne n' entend que celuy qui les reçoit. Ce qui fait dire si souvent à Saint Augustin, que le predicateur de la parole de Dieu, et le directeur des ames, ne leur doit rien dire que ce que Jesus-Christ mesme luy suggere au moment qu' il les exhorte, et qu' il ne doit pas moins avoir l' oreille du coeur attentive aux paroles interieures, et aux instructions secretes de Jesus-Christ, que celuy qu' il conduit ---------------------------------------------------------------------p141 doit avoir l' oreille de l' ame attentive à ses discours, et à ses entretiens exterieurs. PARTIE 1 CHAPITRE 30 seconde condition d' un bon directeur, qu' il soit spirituel. vous desirez outre cela que le directeur soit spirituel ; sans cette condition toute la sagesse du monde n' est que folie, et toute la lumiere de la doctrine n' est qu' un faux brillant qui conduit au precipice : mais aussi cette qualité en enferme tant d' autres ; qu' il n' est peut-estre pas si aisé de la posseder que vous vous l' imaginez : ce que je puis vous faire voir par un discours tiré des enseignemens des peres, si vous tesmoignez le desirer, ou en douter : mais je me contenteray pour cette heure de vous renvoyer au pastoral de S Gregoire Le Grand, et de vous dire qu' un directeur, pour estre spirituel, entre les autres conditions que vous verrez dans ce saint, en doit posseder deux en un degré eminent : la prudence de l' esprit, et cette liberté genereuse, que l' esprit du seigneur inspire à ceux qu' il remplit, ubi spiritus domini ibi libertas, où est l' esprit du seigneur là est la liberté. Ce sont les deux qualitez que Jesus-Christ a conferées à ses apostres, lors qu' il les a establis ---------------------------------------------------------------------p142 pour estre le sel et la lumiere du monde ; afin qu' ainsi que la qualité de lumiere leur donnoit la puissance desclairer les ames, la qualité de sel les rendist fermes et incorruptibles en eux-mesmes, pour empescher la corruption dans les autres. Par cette prudence de l' esprit, que Saint Paul oppose tousjours à la prudence de la chair, un directeur veritablement spirituel ne jugera point des choses par les jugemens corrompus des hommes ; mais selon l' advis de l' apostre, il jugera des choses spirituelles par des regles spirituelles, (...). Il ne pesera point la bonté ou la malice des actions dans la balance trompeuse de la coustume , comme Saint Augustin parle : mais dans la balance fidelle des enseignemens divins . Il aura tousjours dans l' esprit l' obligation et la necessité de satisfaire à la justice de Dieu, apres avoir violé l' alliance du baptesme. Il taschera, autant qu' il luy est possible, que l' appareil soit proportionné à la playe, et que la penitence esgalle le crime, selon la doctrine des peres et du concile de Trente. Il pensera souvent, qu' il luy a esté ordonné de ne point donner le saint aux chiens, et de ne jetter point les diamans aux pourceaux : c' est à dire, comme Saint Ambroise l' explique, (...), ---------------------------------------------------------------------p143 comme le clergé de Rome escrit à Saint Cyprien. Il jugera des arbres plûtost par les fruits, que par les feüilles, selon le precepte de l' evangile : c' est à dire, il examinera la disposition des ames plûtost par les actions que par les paroles. Et enfin, il fera bien entendre aux pecheurs qui se veulent convertir, que ce n' est pas assez de recourir aux prestres, et aux sacremens, comme les pharisiens et les saduceens, qui estoient les plus excellens, et les plus vertueux des juifs, recouroient au baptesme de Saint Jean : mais qu' il faut faire des fruits dignes de penitence , ainsi que le Saint Esprit a dit par la bouche de ce precurseur de Jesus-Christ : c' est à dire, comme l' expliquent les peres, protester par des actions visibles et publiques, qu' on se repent vrayement de sa vie passée : et qu' ainsi que ce n' est pas assez aux pecheurs, pour avoir la remission de leurs pechez, de faire des fruits dignes de penitence, s' ils ne recourent aux prestres pour estre absous de leurs pechez, apres s' y estre bien preparez : de mesme les prestres ne sont jamais bien asseurez, autant qu' on le peut estre en ce monde, de la bonne disposition, et de la penitence interieure de ceux qui viennent à eux, que lors qu' ils voyent les fruits, et les oeuvres de leur penitence. la liberté de l' esprit de Dieu qui accompagnera ---------------------------------------------------------------------p144 cette prudence, l' empeschera d' estre esclave d' aucune pretention du monde : elle l' élevera au dessus de toutes les choses de la terre, pour ne s' attacher qu' à celles du ciel. Elle l' exemptera de la servitude des creatures, pour ne servir que Dieu seul. Elle luy fera considerer ce que Saint Chrysostome dit, touchant les apostres, qu' ils ont esté les docteurs de toute la terre, (...). Elle luy representera dans les persecutions qui pourront s' élever contre luy, (...). PARTIE 1 CHAPITRE 31 ---------------------------------------------------------------------p145 troisiesme condition d' un directeur, qu' il soit experimenté, et quelle doit estre cette experience. Où il est aussi parlé de la necessité de la vocation. la troisiesme condition que vous demandez à vostre directeur, c' est qu' il soit experimenté . Mais ce qu' il y a de remarquable dans cette experience, et ce qui la rend bien differente de l' experience des autres arts, c' est, qu' elle se doit autant considerer par les habitudes que nous contractons au dedans, que par les exercices que nous faisons au dehors : parce qu' au lieu que la medecine corporelle ne fait gueres ses premiers essais que sur les autres, et le plus souvent aux despens de ceux qu' elle traitte ; la spirituelle au contraire doit commencer par nous-mesmes ; et ses premieres fonctions doivent estre la guerison de nos ames. Il faut avoir esté long-temps disciple du Saint Esprit, avant que prendre la charge de maistre des hommes ; il faut les avoir long-temps enseignez par les actions, avant que de les enseigner par les paroles ; il faut consulter Dieu long-temps dans la retraitte et dans la solitude, avant que de paroistre en public, et se ---------------------------------------------------------------------p146 mesler de prononcer des oracles. Enfin quelque science et quelque vertu qu' on ait acquis, il faut estre appellé de Dieu par une vocation, qui ne soit pas seulement exterieure, mais interieure, qui ne soit pas seulement fondée dans la bonne opinion que ceux qui nous appellent ont de nous, mais dans le tesmoignage que nostre propre conscience nous rend, qu' il n' y a dans nous aucune incapacité notable, et que Dieu se veut servir de nous en une telle occasion ; parce qu' il n' y a pas moins de faute, de refuser une charge d' ames, lors qu' on s' y sent appellé de Dieu, et que le jugement interieur qu' on porte sincerement de soy-mesme, ne repugne pas evidemment à la bonne opinion que ceux qui nous y appellent ont de nous ; que de l' usurper et de s' y ingerer de nous-mesmes sans y estre appellez, en prevenant la vocation divine par un desir presomptueux. Car cette sentence de l' apostre tirée de l' evangile qu' il retrace tousjours dans ses epistres ; (...), est aussi inesbranlable et aussi immobile que l' eglise mesme, comme en estant le fondement, sans qu' aucune interpretation humaine puisse jamais l' alterer et la corrompre. Saint Jean Baptiste, apres avoir esté designé à l' office de precurseur du messie par la bouche d' un prophete, long-temps avant que de naistre, ---------------------------------------------------------------------p147 apres qu' un ange eut asseuré qu' il ne naissoit que pour l' accomplissement de cét oracle, apres avoir deslié la langue de son pere pour en recevoir encore une nouvelle confirmation, passe neanmoins presque toute sa vie dans le silence, et dans la retraitte, et ne sort du desert pour faire sa charge à laquelle il sçavoit que Dieu l' avoit desja appellé tant de fois, et d' une maniere si extraordinaire, que par un nouvel ordre, et par une nouvelle mission du Saint Esprit : (...) ; le seigneur parla à Jean dans le desert. Et avant luy, Moyse, qui est le premier de tous les officiers de l' eglise figurée par la synagogue, se laisse appeller plus de trois ou quatre fois, resistant tousjours à la voix manifeste de Dieu, qui se descouvroit à luy, et luy parloit plus clairement qu' il n' avoit fait aux patriarches. Il se tenoit tres-content de servir Dieu dans le desert, où il estoit depuis quarante ans, et de n' avoir point d' autres occupations, que de paistre des brebis, quoy qu' il eust tousjours esté nourri dans la cour des roys, et dans les armées, et destiné à la succession d' un royaume, et qu' il fust remply non seulement de la science des egyptiens, mais aussi de celle des saints patriarches. Et ce qui estonne davantage dans cette opposition qu' il fait à Dieu, c' est qu' il sçavoit, qu' il avoit esté miraculeusement preservé de la mort, et adopté par la fille de ---------------------------------------------------------------------p148 Pharaon pour estre un jour le liberateur du peuple juif. Mais ce qui est bien plus merveilleux, Jesus-Christ mesme envoyé du ciel en terre pour estre la lumiere du monde, passe trente ans dans une vie de vertu, et de sainteté, toute cachée et toute inconnuë au commun des hommes, comme s' il eust eu besoin d' une si longue retraitte pour se perfectionner, et pour acquerir les vertus necessaires à la fonction pour laquelle il estoit venu. Et ce qui est extremément remarquable, et confirme la necessité de la vocation divine pour le gouvernement des consciences, quoy que le tesmoignage de Saint Jean et celuy de son pere prononcé en public avec cette voix de tonnerre, (...), etc. Qui le declara son fils et ses delices, fussent tres-suffisans avec la descente du Saint Esprit, pour faire connoistre sa vocation à tous les hommes, et les asseure qu' il venoit les instruire comme ambassadeur de Dieu son pere ; neanmoins il ne commence à prescher publiquement en son païs, et en sa ville, qu' apres avoir prouvé auparavant sa mission au peuple par les paroles du prophete Isaye, qu' il leut dans la sinagogue devant tout le monde ; quoy qu' il eust fait beaucoup de miracles auparavant parmi les capharnaïtes, qui estoient venus à la connoissance de ceux de sa ville, et qui leur devoient suffire pour s' asseurer que ---------------------------------------------------------------------p149 Dieu l' avoit envoyé parmy les hommes, afin de leur annoncer la verité de son royaume. Tous les saints ont esté dans les mesmes sentimens et dans les mesmes pensées ; et nous en voyons un exemple memorable dans Saint Gregoire De Nazianze. Il estoit d' une maison sainte, fils d' un grand evesque, et nourri dés son premier aage dans la science et dans la vertu : cependant il ne creut point, que tous ces advantages luy donnassent droict de se pousser de luy-mesme à la predication de l' evangile. Il voulut suivre exactement la voye que Jesus-Christ nous a tracée. Il demeura long-temps comme Jesus-Christ avant que de recevoir le baptesme pour s' y mieux disposer. Aussi-tost apres l' avoir receu il passa, comme Jesus-Christ, dans le desert. Il y vescut plusieurs années pour se confirmer dans la vertu, et y faire croistre la grace de son baptesme par un exercice continuel de prieres, de jeusne, et de meditation des escritures saintes, et de tous les livres de l' eglise : et apres cela il n' en sortit que par la necessité, et n' entra dans le clergé et dans le sacerdoce que par une contrainte et un commandement exprez, qui luy servit de tesmoignage et d' asseurance, que Dieu l' appelloit à la conduite des ames. Voila comme Dieu a conduit ses saints dans l' un et dans l' autre testament : et nous au contraire, apres avoir passé la plus grande ---------------------------------------------------------------------p150 partie de nostre vie dans des occupations toutes seculieres, et quelquefois mesme dans beaucoup de desreglemens, lors que nous ignorons encore la science de l' eglise, l' ordre de sa veritable discipline, la sainteté de ses sacremens, et la pureté avec laquelle les moindres chrestiens doivent faire des bonnes oeuvres pour les rendre agreables à Dieu, nous nous persuaderons, que le premier mouvement que Dieu nous donne de nous retourner vers luy, nous fasse prophetes, et nous rende dignes de porter aux peuples la lumiere de son evangile. Et si nous sommes grands pecheurs par le tesmoignage de nostre propre conscience, nous ne nous contenterons pas de la grace que Dieu nous fait de nous repentir, et de vouloir mener à l' advenir une vie plus chrestienne : mais nous croirons qu' il n' y a point de penitence plus agreable à Dieu, que de nous engager à la prestrise et aux fonctions qui l' accompagnent, dont les principales sont la predication et la conduite des ames. (...). ---------------------------------------------------------------------p152 Mais il y en a qui sçavent par coeur ce discours de Saint Bernard, et qui neanmoins ne l' appliquent ny à eux ny aux autres : ce qui ne peut arriver, que d' une tres-mauvaise indifference, ou d' une tres-grande presomption, ou d' une secrette preoccupation d' esprit, qui leur persuade qu' on est dispensé de suivre ces veritez en ce temps, et que ces discours n' estoient bons qu' en la bouche de Saint Bernard, ou peut-estre pour les prestres, et pour les directeurs de son siecle. PARTIE 1 CHAPITRE 32 quatriesme condition d' un directeur, qu' il ne doit point avoir de sentimens particuliers, et esloignez de ceux des saints peres. que l' auteur a grande raison de desirer cette condition dans un directeur. enfin la derniere qualité d' un directeur, c' est qu' il n' ait point de sentimens particuliers, et esloignez de ceux des saints peres . C' est le couronnement de toutes les autres, et peut-estre la plus importante. Car si tous les advis ---------------------------------------------------------------------p153 d' un directeur ne peuvent prendre leur origine que de ses sentimens, peut-on esperer d' estre bien conduit par un homme, qui s' attache à ses opinions particulieres, et qui rejette les maximes saintes, que l' esprit de Dieu a establies depuis tant de temps par l' organe des saints peres. C' est le premier principe de nostre religion, (...), comme Saint Augustin dit, et qu' ainsi elles ne doivent point recevoir d' instruction, que de cette source divine. (...). Le pere nous a commandé d' escouter son fils. C' est le premier, et l' unique directeur de nos consciences. Les hommes qui en font la charge n' en doivent estre que les instrumens. Ils ne nous doivent enseigner, que ce qu' ils apprennent de luy : ils ne nous doivent donner, que ce qu' ils reçoivent. Et par consequent, il leur est interdit par cette premiere loy du christianisme, de nous conduire selon leurs sentimens particuliers, et de nous presenter les tenebres de leur propre esprit, pour une lumiere que nous devions suivre. Que si ce premier fondement de nostre foy leur apprend ce qu' ils doivent fuïr, c' est à dire, de n' avoir point de sentimens particuliers : un autre qui est en la suitte leur apprendra ce qu' ils doivent ---------------------------------------------------------------------p154 embrasser parmy les fausses couleurs, et les divers déguisemens que l' esprit d' erreur donne aux paroles et aux veritez divines : c' est à dire en un mot, qu' il faut, comme vous dites fort bien, que leurs sentimens soient conformes à ceux des saints peres. car de mesme que cette premiere regle distingue la seule religion veritable de toutes les fausses, en y establissant pour principe de son instruction la parole eternelle de Dieu, que les autres ne veulent pas reconnoistre ; ainsi il a esté besoin d' une seconde regle pour discerner la veritable doctrine procedante de ce principe, d' avec toutes les erreurs et les faussetez, qui voudroient sous l' autorité de ce nom prendre creance dans l' esprit des hommes. Et cette regle n' est autre chose, que la tradition originelle, comme parle Saint Irenée ; que le canal sacré, par lequel les eaux salutaires de cette source celeste découlent sur nous ; cette chaisne indissoluble qui lie tous les aages de l' eglise dans l' unité d' une mesme foy, et d' une mesme pieté. C' est de cette sainte tradition, dont l' eglise s' est tousjours servie pour estouffer toutes les erreurs, et tous les abus, par lesquels la malice ou l' ignorance des hommes vouloit corrompre la doctrine de son espoux. C' est par elle que le concile oecumenique d' Ephese confond les nestoriens, en leur monstrant ---------------------------------------------------------------------p155 par la production de quelques peres des siecles precedents, que la doctrine qu' ils attaquoient, estoit celle que ces saints evesques avoient suivie, comme l' ayant receuë des apostres. C' est par elle que Saint Augustin renverse les pelagiens, lors qu' apres avoir cité quelques peres, qui condemnoient leurs erreurs ; (...). C' est par elle que Saint Epiphane confond les arriens avec presque les mesmes paroles ; (...). C' est par elle que S Athanase terrasse l' impieté des arriens ; (...) ? C' est par elle que S Cyprien a maintenu le meslange de l' eau avec le vin dans le calice, contre certains novateurs de son temps. C' est par elle que le mesme saint s' est opposé à deux sortes de personnes, qui ruïnoient la penitence par des voyes toutes contraires. ---------------------------------------------------------------------p156 Les uns perdans les pecheurs par une fausse douceur, en les admettant à la participation des mysteres avant l' accomplissement d' une longue et salutaire penitence. Et les autres les desesperans par une rigueur cruelle, en leur ostant tout espoir de rentrer jamais dans la communion de l' eglise. C' est par elle que le Pape S Estienne arresta l' erreur de S Cyprien mesme, et des evesques qui le suivoient, et qui croioient avec luy, qu' on devoit rebaptiser les heretiques, en ne leur opposant autre chose, sinon, qu' il falloit demeurer ferme dans l' ancienne tradition. C' est par elle que le Pape Saint Anicet, et apres luy Saint Victor, ont maintenu le vray temps de la celebration de la pasque contre les evesques de l' Asie mineure, qui s' appuyoient sur une coustume contraire, qui avoit mesme son origine dans une condescendance de l' apostre Saint Jean : ce qui n' empescha pas que ces saints papes ne les obligeassent de la quitter, ayant esgard à l' origine de la premiere verité, qui s' estoit tousjours maintenuë dans l' usage de toute l' eglise d' occident, où Saint Pierre l' avoit establie. C' est par elle enfin que Tertullien nous apprend, que l' on peut convaincre facilement toutes sortes d' heresies d' imposture et de mensonge, par le tesmoignage de l' antiquité victorieuse, et en ne leur opposant que ce prejugé ---------------------------------------------------------------------p157 (...). L' eglise n' a point encore aujourdhuy de plus fortes armes pour triompher de ses ennemis, que le consentement universel des peres, qui est tant de fois allegué dans le concile de Trente ; que les depositions incorruptibles de ces morts illustres qui vivent dans l' eternité ; que les arrests de ces juges sans reproche, qui n' ont peu estre touchez ny d' aversion, ny de faveur envers aucune des parties, comme S Augustin remarque si sagement. Et en effet lors que les heretiques nous accusent de superstition, et d' idolatrie, à cause que nous invoquons les saints, et que nous honorons leurs reliques, comment pouvons-nous mieux monstrer à tous les esprits équitables l' impertinence de ces calomnies, qu' en leur faisant voir que nous ne suivons en cela que la pieté de nos peres, et que cette mesme eglise, qui s' est renduë victorieuse de l' idolatrie, et de la superstition, nous a appris, que c' estoit rendre gloire à Jesus-Christ, que de l' honorer en ses serviteurs ? Et, pour nous esloigner moins de nostre sujet, ---------------------------------------------------------------------p158 lors que ces mesmes heretiques nous veulent persuader, que la penitence ne consiste qu' en une nouvelle vie ; qu' il n' est point necessaire de satisfaire pour ses pechez, par les jeusnes, par les prieres, et par les aumosnes ; que c' est faire tort à la bonté de Jesus-Christ, et traitter les ames avec une insupportable severité, que de les obliger à tant de peines et de travaux pour l' expiation de leurs offenses ; que Dieu n' ayme pas le sang en la loy nouvelle, comme en la vieille, ny celuy des hommes, comme celuy des bestes : nous n' avons qu' à leur respondre avec le concile de Trente, (...), ayant tousjours consideré ce sacrement comme un baptesme laborieux , et où l' eau des larmes devoit suppléer aux eaux du premier baptesme que l' on avoit violé. Nous n' avons qu' à leur respondre avec Saint Augustin, (...). ---------------------------------------------------------------------p159 Mais vouloir convaincre les heretiques par l' autorité de la tradition, et ne la vouloir pas suivre entre nous ; c' est faire deux regles differentes, dont l' une est severe pour les autres, et l' autre douce pour nous ; c' est faire deux mesures, dont l' une est juste, et l' autre fausse ; c' est faire deux poids, dont l' un est pesant, et l' autre leger : (...). De sorte, que c' est avec grand fondement que vous voulez qu' un bon directeur n' ait point de sentimens particuliers, et esloignez de ceux des saints peres, afin qu' il puisse dire avec Saint Augustin, (...). ---------------------------------------------------------------------p160 Et enfin, qu' il se puisse servir dans ses instructions des mesmes paroles, dont S Jean Chrysostome se servoit dans sa chaire ; (...). Mais c' est assez avoir estably les conditions d' un directeur. Il reste maintenant de voir dans la suitte, si vos regles leur sont conformes ; et principalement à la derniere, c' est à dire, si elles ne sont pas esloignées des sentimens des saints peres. PARTIE 1 CHAPITRE 33 que cet auteur n' ose pas conseiller indifferemment la communion de tous les jours, et que neantmoins ses maximes vont à y porter les personnes les moins vertueuses. ---------------------------------------------------------------------p161 quoy que cette regle ne semble contenir rien que de bon, puis qu' elle destourne les ames de communier tous les jours sans y avoir bien pensé ; toutefois pour monstrer combien elle est defectueuse, et mesme pleine de peril, lors qu' on la joinct avec vos autres maximes, il est aysé de faire voir, qu' en la suivant, une infinité de personnes, sans avoir fait aucune avance dans la vertu, et dans la pieté chrestienne, et pour user de vos propres termes, estans remplies d' amour d' elles-mesmes, et attachées merveilleusement au monde, et qui mesme tombent souvent dans des pechez mortels, feront fort bien de communier tous les jours. Ce qui feroit horreur à tous les catholiques, et à vous mesme. Supposons donc, je vous prie, qu' une de ces personnes se presente à vous, et vous declare, qu' elle desire de recevoir tous les jours l' eucharistie. Vous luy direz sans doute ce que vous dites icy, (...) : ---------------------------------------------------------------------p162 ne serez-vous pas obligé de seconder son dessein, et de l' envoyer tous les jours au saint autel, quoy que sa vie fust peu conforme au modelle de l' evangile. Et afin de vous oster tout sujet de m' accuser, que je n' agis pas sincerement avec vous ; et qu' encore que vous n' ayez exprimé que cette cause, vous en reconnoissez neanmoins beaucoup d' autres, qui peuvent empescher une communion si frequente, je vous veux monstrer en peu de paroles, que vous destruisez generallement dans cét escrit toutes les autres raisons, que l' on pourroit apporter pour détourner cette personne de communier tous les jours dans une disposition si peu sainte. Car que luy pouvez-vous dire de plus, qu' elle ne renverse aussi-tost par vos propres paroles ? Je ne pense pas, que vous vous arrestiez beaucoup sur ce que cela la destourneroit de ses occupations necessaires. Car vous voyez bien que cette raison n' est pas assez generalle, et qu' une infinité de personnes vous pourront ---------------------------------------------------------------------p163 dire avec tres-grande verité, qu' elles ne sont pas si occupées, qu' elles ne puissent donner tous les jours une heure aux affaires de leur salut, sans beaucoup incommoder leurs affaires temporelles ; et vous sçavez, que cette response n' est que trop vraye pour le regard des personnes, que vous avez eu principalement en veuë dans vostre escrit. Quoy donc ? Luy direz-vous qu' il faut estre dans la ferveur de la charité, comme dit Saint Jean Chrysostome, pour recevoir si souvent cette nourriture celeste, comme il faut avoir beaucoup de chaleur naturelle pour manger souvent ? Elle vous respondra selon vos propres paroles, (...). Luy direz-vous : que, comme la quantité des viandes extrémement nourrissantes ne peut qu' estre dangereuse aux corps malades ; ainsi une ame encore foible et imparfaite ne peut sans peril se nourrir si souvent de ce pain, que Saint Hierosme dit, (...). ---------------------------------------------------------------------p164 Luy direz-vous, que le respect, qu' elle doit à Jesus-Christ, ne luy permet pas d' abuser ainsi de sa bonté, en approchant si souvent de luy, sans s' estre renduë digne auparavant d' une si familiere communication par la sainteté de la vie ; que Saint Chrysostome dit, (...). Luy direz-vous, qu' il est à propos, que par la reverence, que l' on doit porter à la grandeur de ce mystere, elle s' abstienne quelquefois de communier, selon Saint Bonaventure, qui ne conseille pas mesme aux prestres de dire la messe tous les jours ; tesmoignant qu' il semble y avoir quelque irreverence à ne l' obmettre jamais ? Elle vous respondra, que selon vostre doctrine (laquelle vous attribuez faussement à ---------------------------------------------------------------------p165 Saint Chrysostome et à Saint Ambroise) (...). Luy direz-vous, que si elle prenoit quelque temps pour jeusner, pour prier, et pour faire les autres exercices de la penitence, ce delay luy pourroit servir à communier avec une meilleure disposition, selon cette excellente parole de Saint Hierosme, (...). Luy direz-vous que Saint Thomas dit, (...), et qu' ainsi elle a sujet de craindre, que la trop grande familiarité ne diminuë en elle le respect qu' elle doit à ces mysteres ? Elle vous respondra, (...). Luy direz-vous, qu' un si grand nombre ---------------------------------------------------------------------p166 de pechez qu' elle commet tous les jours, quand ils ne seroient tous que veniels, la devroient faire resoudre de s' en corriger, et d' en détacher pour le moins son coeur et son affection, en se retirant autant qu' elle peut de toutes les occasions dangereuses, avant que de prendre la hardiesse d' entrer si souvent dans le sanctuaire, ainsi que Monsieur De Geneve l' enseigne dans sa philothée ? Elle vous respondra, (...). Luy direz-vous, que commettant assez souvent des pechez mortels, si elle veut estre conduite selon l' esprit de tous les peres de l' eglise, elle se doit purifier par les exercices de la penitence avant que d' approcher de l' eucharistie ? Elle vous respondra, que comme elle desire communier tous les jours, elle est aussi resoluë de se confesser tous les jours, ou pour le moins toutes les fois qu' elle aura commis des pechez mortels ; (...), et qu' ainsi, quelque peché qu' elle ait commis, elle peut, en moins d' un quart d' heure, se rendre digne de recevoir l' eucharistie. ---------------------------------------------------------------------p167 Luy direz vous, qu' il faut estre dans une grande devotion pour communier si souvent, comme tous les docteurs catholiques l' enseignent generallement ? Elle vous respondra, (...). Et enfin, si lassé de toutes ces reparties, vous pensez l' arrester tout court, en luy disant avec quelque émotion, que toutes ces deffaites n' empeschent pas que ce ne soit une des premieres notions de la pieté chrestienne, que la communion de tous les jours doit estre reservée aux ames saintes, et qui sont remplies de grace, et de l' amour de Jesus-Christ ? Elle vous fermera la bouche en vous repliquant, que ce sentiment ne peut estre qu' une fausse persuasion des ignorans, s' il est vray ce que vous enseignez, (...). Voyez je vous prie, et considerez, en quels precipices l' on jette les ames, lors qu' on leur a fait franchir une fois les bornes de la verité. PARTIE 1 CHAPITRE 34 ---------------------------------------------------------------------p168 que la principale chose, à laquelle il faut avoir esgard pour regler les communions d' une personne, ne sont pas ses occupations. c' est la seconde raison que vous apportez, pour empescher de communier tous les jours. Mais outre qu' elle n' est pas generalle, et qu' elle n' a point de lieu envers un grand nombre de personnes, qui ont fort peu, ou point d' occupation, ainsi que j' ay desja ---------------------------------------------------------------------p169 dit, elle monstre clairement que vous ne possedez guere la seconde qualité que vous desirez en un directeur, qui est d' estre spirituel ; puis que vous jugez des choses divines plustost par le jugement des sens, et par la prudence de la chair, que par la lumiere de la foy, et par la prudence de l' esprit. Toutes sortes de pechez veniels ; les pechez méme mortels, aussi-tost que l' on s' en est confessé ; la froideur ; l' inapplication aux choses de Dieu ; le peu de devotion ; toutes les maladies de l' ame ; estre rempli de l' amour de soy mesme ; estre horriblement attaché au monde, tout cela, selon vostre sentiment, est tres-compatible avec la communion ; mais les fonctions d' un magistrat, et les occupations d' un mesnage ne le sont pas. Un juge, qui doit rendre la justice ne doit pas, dites-vous, penser à communier : mais une femme qui s' est persuadée n' avoir autre chose à faire toute sa vie, qu' à se coëffer, et à se faire un visage de comedienne, qu' à aller au cours, ou au bal, ou à une assemblée de jeu, n' a aucun empeschement pour pouvoir communier tant qu' elle voudra. Ces sentimens sont-ils conformes à l' esprit du christianisme ? Je ne dis pas, que pour regler les communions d' une personne, l' on ne doive avoir quelque esgard à ses occupations. Mais je soustiens, qu' il y a plusieurs choses à considerer, avant que d' en venir là ; que c' est estre pharisien que ---------------------------------------------------------------------p170 d' examiner le dehors, avant que d' avoir examiné le dedans ; et que toute la religion chrestienne, ayant son fondement dans le coeur, c' est par le coeur, et par les dispositions que l' esprit de Dieu y forme, qu' il faut regler la participation du plus auguste de ses mysteres. Et en second lieu, je vous responds, que s' il se trouvoit des ames dans la sainteté necessaire pour communier tous les jours, et à qui le Saint Esprit donnast ce desir, il arriveroit rarement que leurs occupations les en empeschassent, pourveu qu' elles ne fussent pas entierement soûmises à la volonté d' autruy ; parce que si Dieu les vouloit dans ces occupations, et qu' ils s' y conduisissent par son esprit, comme la foy nous y oblige, elles leur tiendroient lieu de prieres et de preparation pour approcher de l' eucharistie ; et quant au temps, que cette action demande, il faut estre bien occupé pour ne le pouvoir pas trouver, lors qu' on le cherche avec ardeur, et avec prudence pour le consacrer à la gloire de Nostre Seigneur Jesus-Christ. Ne voyons-nous pas des ecclesiastiques dire tous les jours la messe, bien qu' ils soient dans les mesmes fonctions, que vous jugez incompatibles avec la communion de tous les jours ? Et les premiers chrestiens, qui communioient si souvent, laissoient-ils pour cela d' estre engagez dans les occupations de leur mesnage, dans le soin de leur famille, dans ---------------------------------------------------------------------p171 le travail de leurs mains, selon le precepte de Saint Paul, et de mener une vie aussi semblable en apparence à celle des autres hommes, qu' elle en estoit differente aux yeux de Dieu et des anges ? PARTIE 1 CHAPITRE 35 si l' on doit porter indifferemment toutes sortes de personnes à communier tous les huict jours, et accuser generalement les confesseurs qui ne le font pas, de ne pas agir prudemment. l' ordre seul que vous gardez en donnant ces regles, ou plutost le desordre avec lequel vous les confondez, fait voir assez ---------------------------------------------------------------------p172 clairement, que vous n' avez pas eu dessein dans cet escrit d' instruire les ames selon les veritables maximes de la pieté chrestienne, mais seulement de les precipiter, sans aucune discretion dans une dangereuse frequentation des sacremens. Avant que d' avoir dit un seul mot de la preparation necessaire pour recevoir l' eucharistie, comme s' il n' en estoit besoin d' aucune : vous portez indifferemment toute sorte de personnes à communier tous les huict jours, et sans leur prescrire en façon quelconque, qu' elle doit estre la pureté de leur coeur, et la sainteté de leur vie, pour approcher si souvent d' un autel redoutable aux saints, et aux anges mesmes, selon la pensée de Saint Pacien, vous les y envoyez, ou plutost vous les y poussez avec moins de consideration, que s' il s' agissoit d' une action toute prophane. Est-il possible, que vous ayez une opinion si basse des dispositions, qu' une communication si ordinaire avec Jesus-Christ demande, que dans un siecle aussi corrompu que le nostre, vous croyez, qu' elles se rencontrent dans tous les hommes ? Mais vous faites bien voir, que vous estes dans ce sentiment, et que la grandeur de la preparation, que l' on doit apporter à ces saints mysteres, n' entra jamais dans vostre esprit ; car puis que vous dites, que vous ne croyez pas, qu' un confesseur fasse prudemment de ne vouloir pas permettre à ---------------------------------------------------------------------p173 toutes sortes de personnes la communion de tous les huict jours, il paroist, que vous ne jugez pas quasi possible, qu' une personne ne soit tousjours assez bien preparée pour une si frequente communion. Et en un temps, ou l' abus des sacremens est ordinaire ; où toutes les chaires ne retentissent que des plaintes contre ce desordre ; où tant de personnes veulent couvrir de ce voile tous leurs desreglemens ; où tant d' ames se nourrissent dans une fausse presomption de la misericorde de Dieu, en croyant trouver leur salut dans la participation des mysteres sans les bonnes oeuvres, et la bonne vie ; que faites-vous autre chose, que prester des armes à cét erreur, et les arracher des mains de ceux qui s' efforceroient de le combattre ; puis que vous donnez sujet à ces personnes de mespriser les advis de leurs confesseurs, comme remplis d' imprudence, et comme contraires à la plus sainte prattique, que les chrestiens puissent observer ? Mais pour leur donner un contrepoison qui ne leur soit pas suspect, en attendant que nous ayons estably par la tradition de l' eglise, quelles doivent estre les dispositions d' une ame pour approcher dignement de l' eucharistie ; (ce que nous reservons de faire dans l' article où vous en parlez.) je me contenteray d' un seul passage d' un grand saint et d' un grand docteur des derniers temps, qui fera juger au ---------------------------------------------------------------------p174 moins éclairées ; si le confesseur qui pousse generallement toutes sortes de personnes à communier tous les huict jours, agit avec plus de prudence, que celuy, qui desire une grande preparation pour une communion si frequente, et qui establit pour la meilleure regle en cette matiere, de suivre, autant que l' on pourra, les diverses dispositions, que le Saint Esprit met dans les ames. Escoutez donc de quelle sorte Saint Bonaventure parle sur ce sujet, et encore dans un ouvrage, où il n' a dessein que d' instruire les religieux, qui faisans profession d' une vie plus pure, et plus sainte que les gens du monde, sont d' ordinaire beaucoup mieux disposez qu' eux pour recevoir souvent cette sainte nourriture. (...) ; vous voyez, comme d' abord il condamne vostre temerité, par laquelle vous condamnez d' imprudence ceux qui ne veulent pas comme vous, prescrire une mesme regle à toutes sortes de personnes, en leur permettant de communier tous les huict jours. Mais entendez un peu ses raisons et ses pensées. (...). ---------------------------------------------------------------------p175 Vous n' estes pas si scrupuleux, que de prendre garde à tant de choses ; il vous suffit, qu' il n' y ait point de condition où l' on ne puisse prendre le temps necessaire pour se disposer à la communion des dimanches, et des festes, pour croire que tout le monde en soit digne. Les saints y considerent les merites, les actions, les affections, les mouvemens de la grace, les operations du Saint Esprit, parce qu' ils ne veulent pas prevenir Dieu, et envoyer au saint autel ceux qu' il n' y appelle pas ; mais pour vous, qui ne jugez que par l' exterieur, à la façon des pharisiens, vous ne vous embarassez pas l' esprit en tant de considerations. Et neantmoins il est certain que Saint Bonaventure en eust bien remarqué d' autres, s' il eust escrit pour les gens du monde, et qu' il n' eust pas manqué de considerer, qu' entre ceux, de qui on est en peine de regler les communions, les uns sont dans l' innocence de leur baptesme, et les autres en sont decheus : et qu' entre ces derniers, les uns en sont decheus par un seul peché mortel, et les autres par plusieurs pechez mortels ; les uns sont demeurez fort long-temps dans leurs pechez, et les autres s' en sont relevez incontinent. Il ne touche point ces divers estats des ames, ausquels on doit avoir beaucoup d' esgard dans le reglement ---------------------------------------------------------------------p176 des communions, parce que n' ayant composé cet escrit que pour des religieux, il suppose, que la profession religieuse est comme un second baptesme, qui a remis l' ame dans l' innocence, suivant le langage ordinaire de Saint Bernard, lequel parlant à ses religieux ne leur parle jamais des grands pechez qu' ils pouvoient avoir commis dans le monde, parce qu' il les considere tousjours comme renouvellez par leur entrée en religion, ainsi que par en espece de baptesme, et n' applique jamais ces paroles de l' evangile, (...), qu' aux religieux qui se sont relaschez, et qui sont tombez dans des pechez notables apres leur profession. Que si Saint Bonaventure eust eu le dessein particulier de traitter de la communion des laïques, il eust sans doute remarqué ces diverses indispositions, qui sont plus ou moins grandes, selon la qualité des pechez, et la durée du temps que l' on y est demeuré. Mais parce qu' il ne pensoit alors principalement qu' à instruire les religieux. Il adjouste, (...). Vous ne croyez pas qu' un confesseur fasse prudemment de n' oser permettre à toutes sortes de personnes seculieres, ce que ce grand docteur n' osoit permettre à toutes sortes de religieux. Ce saint n' ose establir la communion de toutes les semaines ---------------------------------------------------------------------p177 parmy tous ceux, qui ont tout quitté pour servir Dieu, et qui se sont consacrez à une profession plus particuliere de la pieté chrestienne par un voeu public et solemnel ; et vous avez la hardiesse de prononcer des arrests pour establir cette communion de tous les huict jours entre les laïques, quelques indevots, quelques froids , quelques denués de grace qu' ils puissent estre, quoy que remplis d' amour d' eux-mesmes, et si attachez au monde que de merveille , et vous jugez quasi, que c' est violer les loix de l' eglise, que de leur ordonner de communier moins souvent. (...). Il n' est point necessaire de rien adjouster à ces paroles pour en tracer une parfaite image de vostre mauvaise conduite, et vous y faire voir semblable à ces empiriques ignorans, qui sans considerer les divers temperamens, et les differentes dispositions de leurs malades, leur ordonnent à tous un mesme remede, et ainsi en tuënt beaucoup plus qu' ils n' en guerissent. ---------------------------------------------------------------------p178 (...). Et cependant c' est à ces personnes embarassées dans les soins du monde que vous ordonnez comme une regle inviolable la communion de tous les huict jours, laquelle Saint Bonaventure n' ose prescrire à tous ceux qui ont quitté le monde ; et ce qui est encore pis, vous l' ordonnez aux personnes, non seulement attachées aux occupations du monde, qui peuvent estre innocentes, mais aussi aux affections du monde, qui ne sçauroient estre que mauvaises : tant vos opinions sont conformes aux enseignemens des saints. (...). Il ne suffit donc pas selon ce grand saint et ce grand docteur, de se confesser souvent pour meriter de communier souvent ; de s' accuser tousjours des mesmes pechez sans s' en corriger jamais ; de ne faire autre chose, que tomber, se relever, et retomber, et enfin de se joüer honteusement de la misericorde de Dieu. Il faut veiller avec grande circonspection, premierement à la garde de son ame ; c' est à dire, à s' esloigner avec soin et avec prudence non seulement des occasions, ---------------------------------------------------------------------p179 qui la peuvent perdre entierement ; mais aussi de celles qui luy peuvent causer le moindre mal. En second lieu, au reglement de ses moeurs, c' est à dire, à les rendre conformes aux enseignemens immuables de l' evangile, et à marcher sur les pas que Jesus-Christ nous a tracez. Et enfin à la pureté de sa conscience, c' est à dire, à la conserver pure de toutes les affections du monde ; et à la purifier avec soin des moindres taches par l' eau des larmes, et par le feu de la charité. Mais apres avoir appris de Saint Bonaventure ce qu' un sage directeur doit considerer, pour juger, s' il est plus utile à une ame de communier souvent que rarement, qui est precisément la question que vous proposez en cét escrit, escoutez, je vous prie, sa decision et la conferez avec la vostre ; (...). Ces paroles ne vous frappent-elles point d' estonnement ? Vous avez la hardiesse d' establir, comme une regle generalle entre les docteurs catholiques, que la communion de tous les huict jours doit estre commune à toutes sortes de personnes ; et ce saint veut qu' elle soit le prix et la recompense de la plus parfaite vertu qui se puisse quasi rencontrer ; il croit qu' à peine se peut-il trouver quelqu' un si religieux ---------------------------------------------------------------------p180 et si saint, qui ne se doive contenter de cette frequentation de l' eucharistie ; et vous croyez au contraire qu' à peine se peut-il trouver une personne si imparfaite et si déreglée qui n' en soit digne. Enfin Saint Bonaventure pour demeurer tousjours ferme dans cette importante maxime, que la frequentation de cét auguste mystere ne se peut regler que par beaucoup de circonstances, et principalement par les diverses operations du Saint Esprit dans les ames, apres avoir declaré que son sentiment estoit qu' il n' y avoit gueres de personnes si vertueuses, qui ne deussent se contenter de communier une fois la semaine, il y adjouste pour exception ; (...). PARTIE 1 CHAPITRE 36 ---------------------------------------------------------------------p181 refutation des raisons que cét auteur apporte pour establir generallement que ceux qui communient tous les huict jours font tres-bien : dont la premiere est que les peres nous y exhortent. mais, si vostre autorité n' est pas tout à fait si grande, que celle de Saint Bonaventure, vos raisons possible sont plus fortes et plus puissantes. C' est ce qu' il faut examiner en peu de paroles. Vous en apportez trois, dont la premiere est que les peres nous exhortent à la communion de tous les huict jours. Vous n' avez allegué pour cela que l' auteur des dogmes ecclesiastiques que vous avez cité sous le nom de Saint Augustin : et c' est veritablement l' un des plus beaux passages de l' antiquité sur ce sujet, et que tous les auteurs suivans ont tousjours pris pour le principal fondement de toutes leurs decisions en cette matiere ; mais je pense avoir descouvert si clairement vostre peu de lumiere et de fidelité sur cét endroict, que ce seroit abuser de la patience des lecteurs, de leur monstrer encore une fois, comme Gennadius excepte formellement de cette exhortation à la communion de tous les huict jours, tous ceux qui se sentent ---------------------------------------------------------------------p182 coupables de pechez mortels commis depuis le baptesme, voulant que ceux-là se separent entierement de la sainte table jusques à ce qu' ils se soient purifiez par les exercices de la penitence. Et comme de plus il tesmoigne, (ce que Monsieur De Geneve fait aussi à son exemple) que ce conseil ne regarde que les bonnes ames, non seulement détachées de toutes les passions criminelles ; mais ce qui est un point de vertu plus eslevé que l' on ne croit, degagées mesme de toutes les affections aux offenses les plus legeres. C' est pourquoy le mesme Monsieur De Geneve qui conseille à sa Philothée de communier tous les huict jours, la supposant, comme il dit, dans les dispositions saintes, qu' il declare estre requises pour une si frequente communion, escrit à une dame ; qu' il n' est point d' advis qu' elle permette à sa fille de communier tous les quinze jours, si elle n' a, non seulement une grande ferveur pour la sainte communion ; mais aussi un grand soin de mortifier les petites imperfections de la jeunesse. Les paroles de ce saint prelat sont admirables sur ce sujet. (...). ---------------------------------------------------------------------p183 Si ce saint evesque croyoit que les petites imperfections de la jeunesse devoient empescher une jeune fille élevée dans la vertu et dans la pieté, sous la conduite d' une bonne mere, de communier plus souvent que tous les mois, si elle ne travailloit beaucoup à s' en corriger, se fust-il persuadé, comme vous faites, que des personnes engagées dans le monde, et sujettes à bien d' autres imperfections, se trouvassent si facilement dans les dispositions requises pour communier tous les huit jours, qu' il y eust sujet d' accuser d' imprudence tous ceux qui les en empescheroient ? Eust-il poussé à cette communion ---------------------------------------------------------------------p184 de toutes les semaines ces demy-chrestiens de nostre temps, qui pretendent se sanctifier en communiant souvent, et en menant une vie toute payenne ; qui s' imaginent avoir trouvé un nouveau chemin pour aller au ciel, qui est tout couvert de fleurs et bien different de la voye estroitte de l' evangile ; qui pensent payer Dieu d' un acte imaginaire de contrition, lors que leur coeur est tout bruslant d' ambition et d' avarice ; et qui voudroient bien trouver leur salut dans les souffrances du sauveur du monde, mais à la charge de n' y prendre point de part, et de passer toute leur vie dans les plaisirs et dans les delices ? Enfin cét homme de Dieu eust-il approuvé la fausse imagination que vous avez, qu' en quelque estat, et quelque imparfait que l' on soit, il ne faut que communier souvent pour acquerir beaucoup de graces, luy qui declare avec tant de jugement, qu' il est vray, (...), et qu' ainsi elle nuit plus qu' elle ne profite, à ceux qui ne s' en approchent pas avec ces dispositions, comme dit Gennadius. Je ne puis m' empescher de joindre aux advis de Monsieur De Geneve ceux d' un autre grand serviteur de Dieu du dernier siecle, qu' il a ---------------------------------------------------------------------p185 extrémement estimé ; c' est du Saint Prestre Avila, qui parle de cette sorte de la conduite qu' on doit tenir envers les ames, pour ce qui est de la communion, dans une lettre escrite à un directeur. (...). ---------------------------------------------------------------------p187 Vous voyez comme cét auteur si vertueux est esloigné de la fausse imagination que vous avez, que toutes sortes de personnes font tres-bien de communier toutes les semaines, et que ce n' est pas agir prudemment à un confesseur, que de ne leur pas permettre une si frequente communion. PARTIE 1 CHAPITRE 37 refutation de la seconde raison, que cette pratique generalle de communier toutes les semaines, approche plus de la communion de tous les jours observée en la primitive eglise. mais sans doute que vous mespriserez le conseil d' Avila, comme contraire à l' esprit de l' eglise dont vous pretendez appuyer vostre sentiment, en disant, que la pratique de communier tous les huict jours approche plus de la communion de tous les jours observée en la primitive eglise, et que le saint concile de Trente souhaitteroit de restablir. C' est la seconde raison, que vous apportez pour fortifier vostre opinion. Mais pour le concile de Trente, je m' inscris en faux encore une fois, et vous soustiens, que le concile tesmoigne bien desirer qu' il ne se dise point de messe sans communians ; mais qu' il ne parle en aucun endroict de restablir pour tous les fidelles la communion de tous les jours. Pour la pratique de la primitive eglise, je vous ay desja respondu, que vostre frequente communion en approche veritablement, si elle est animée du mesme esprit ; mais que si elle n' en a que le corps, et qu' elle soit destituée de la manducation spirituelle par la pureté de la ---------------------------------------------------------------------p188 foy, et par l' ardeur de la charité, qui doit estre l' ame de la manducation corporelle, comme disent les peres ; vostre comparaison est semblable à celle d' une personne qui diroit qu' un homme mort approche fort d' un homme vivant. Et je repeterois icy volontiers ces excellentes paroles de Saint Bonaventure que j' ay desja rapportées au commencement de ce discours ; que celuy qui se trouve dans l' estat des chrestiens de l' eglise primitive, c' est à dire dans la sainteté de son baptesme, dans l' innocence, dans la charité, et dans la ferveur du Saint Esprit, fait fort bien de les imiter dans leurs frequentes communions : mais que celuy qui se trouve dans l' estat de l' eglise finissante, c' est à dire, froid et lent aux choses de Dieu, fait beaucoup mieux de ne communier que rarement. Que si l' on se trouve dans un estat comme moyen entre ces deux, l' on doit aussi se gouverner d' une maniere temperée, se retirant quelquefois par reverence de cette table, et d' autresfois s' en approchant par amour, et prendre, ou quitter l' une ou l' autre de ces deux voyes, d' éloignement, ou de frequentation, selon que nous reconnoistrons en nous un plus grand advancement dans la pieté. PARTIE 1 CHAPITRE 38 ---------------------------------------------------------------------p189 refutation de la derniere raison : qu' il n' y a point de condition en laquelle on ne puisse prendre le temps necessaire, pour se disposer à la communion les dimanches et les festes. enfin, pour la derniere raison, et qui sans doute fait le plus d' impression sur vostre esprit ; c' est dites-vous, qu' il n' y a condition aucune en laquelle on ne puisse prendre le temps necessaire pour se disposer à la communion les dimanches et les autres festes. (...), vous ne connoissez pas l' esprit du christianisme. Vous traittez en pharisien les mysteres les plus augustes de nostre religion : vous prenez une chose exterieure pour regle de la plus importante des actions d' un chrestien. Quoy ? Vous vous imaginez que toute la preparation pour recevoir l' eucharistie, ne consiste qu' à dire quelques prieres avant que de communier, et que l' on merite de le faire toutes les fois que l' on peut prendre ce temps ? Et quelle asseurance avez-vous que le Saint Esprit s' assujettisse à vos heures, et qu' apres qu' un homme du monde aura passé toute la semaine à satisfaire à ses plaisirs, à son ambition, à son ---------------------------------------------------------------------p190 avarice, c' est à dire qu' il aura oublié Dieu toute la semaine ; Dieu s' oblige à luy donner chaque dimanche les graces necessaires pour n' approcher pas indignement de son autel ? Les saints veulent, que pour juger s' il est plus utile de communier souvent, que rarement, l' on regarde aux merites, aux affections, aux reglemens des moeurs, à la pureté de la vie, aux operations du Saint Esprit : et vous, (pour user des termes de Saint Chrysostome) vous croyez que c' est assez pour se preparer à une action si grande, et pour s' approcher d' une hostie, que les anges ne regardent qu' avec tremblement, de s' y regler par l' intervalle des festes et des dimanches, et par le loisir que nos autres affaires nous laissent. Si un roy avoit resolu de faire manger à sa table ses plus fidelles serviteurs pour recompense de leurs services, et pour gage de la grandeur de son affection ; pourroit-on, sans se rendre ridicule ; persuader à un homme, qu' il a droict de se presenter à cette table royalle par cette seule raison, qu' il ne manque pas de loisir pour aller au palais du prince, et pour se preparer à ce festin ? Vous faites icy la mesme chose. Le roy des roys par une bonté sans exemple, pour tesmoigner la grandeur de son amour à ceux qui le servent fidellement, ne les reçoit pas seulement à sa table ; mais les nourrit de son propre corps, estant tout ensemble, comme ---------------------------------------------------------------------p191 Saint Hierosme dit excellemment, (...) : c' est la plus grande recompense qu' il puisse donner en ce monde à ses plus grands amis, et à ses plus chers enfans ; et le gage plus amoureux des recompenses eternelles qu' il leur prepare dans l' autre : et vous entreprenez de nous faire croire, qu' il n' y a personne, quelque imparfait et quelque dénué de vertu et de sainteté qu' il puisse estre, qui ne doive tres-souvent pretendre à cette faveur, à cause seulement qu' il n' y a point de condition, où l' on ne puisse prendre le temps necessaire pour se disposer à communier souvent. Vous ressemblez en ce poinct à la plus grande partie des gens du monde, qui vivans dans toute sorte de déreglemens et de crimes, ne laissent pas de se flatter de l' esperance de leur salut, sur la confiance qu' ils ont, que Dieu leur donnera quelques heures avant que de mourir, pour se preparer à la mort, et qui se persuadent, que c' est assez pour bien mourir, d' avoir quelque temps pour y penser, comme vous croyez que c' est assez pour meriter de communier souvent, d' avoir le temps necessaire pour s' y disposer souvent. PARTIE 1 CHAPITRE 39 ---------------------------------------------------------------------p192 quel egard on doit avoir aux pechez veniels, pour regler les communions. Et ce que les peres nous enseignent sur ce sujet. Saint Augustin a raison de remarquer, que si S Paul eust aussi bien ordonné, que l' evesque soit sans peché, comme il ordonne, qu' il soit sans crime, il ne se fust trouvé personne capable de cette charge, parce que tous ceux qui vivent chrestiennement sous la conduite de l' esprit de Dieu, se doivent, et se peuvent bien exempter des crimes, c' est à dire, des pechez mortels, mais ils sont tousjours redevables à la justice divine d' une infinité d' autres pechez. Nous pouvons dire de mesme en cette rencontre, que si tous les pechez veniels nous devoient empescher de recevoir l' eucharistie, toute la terre souffriroit un interdit general, et ce ne seroit pas pour des hommes fragiles ---------------------------------------------------------------------p193 commes nous sommes, que Jesus-Christ auroit institué ces mysteres. Mais cela n' empesche pas, que vostre proposition generalle dans le dessein que vous semblez avoir pris d' oster aux ames toutes sortes de sujets de se retirer quelquesfois de la communion par reverence, n' ait besoin d' estre accompagnée de quelques considerations, pour empescher que les foibles n' en abusent à leur ruïne. J' en rapporteray quatre, dont je ne traitteray les trois premieres qu' en passant, pour m' arrester un peu davantage sur la derniere qui est plus de nostre sujet. La premiere est, que l' abus si dangereux de ne tenir conte des pechez veniels, et de les commettre avec la mesme hardiesse que l' on feroit les meilleures actions, est monté jusqu' à un tel poinct d' excez en ce siecle, qu' il est d' extréme importance de n' y pas donner de l' accroissement, en representant ces offenses, comme des choses de nulle consideration, et ausquelles il ne faut avoir aucun esgard, lors qu' il s' agit de se presenter au plus redoutable des mysteres. La seconde, qu' encore que ces pechez ne tuënt pas l' ame d' un seul coup, comme font les mortels, il est necessaire neanmoins d' avoir grand soin d' en effacer sans cesse les taches par les remedes de la penitence, par les prieres, par les aumosnes, par de fortes resolutions suivies de fidelles et de frequentes pratiques, par l' esloignement des mauvaises compagnies, par ---------------------------------------------------------------------p194 les retraittes dans son logis, par des oeuvres contraires à celles que l' on a faites ? Comme par l' occupation contre l' oisiveté ; par le silence contre la liberté des paroles ; par les loüanges et les tesmoignages d' estime contre les médisances ; par de favorables interpretations, contre les mauvais soupçons, par la liberalité contre la trop grande espargne, et la dureté vers les pauvres ; par des actions humbles contre des actions orgueilleuses ; par de bons accueils, et des marques d' amitié contre les aversions ; par la vigilance contre la paresse ; par la mortification contre l' attachement aux plaisirs des sens ; et enfin par des traittemens doux et favorables contre les aigreurs et les choleres domestiques qui troublent toute la maison interieure et exterieure. (...). D' où vient, que ce saint establit en deux choses le devoir d' un homme juste touchant les pechez ; la premiere, de n' en commettre jamais de mortels ; la seconde, d' expier sans cesse les veniels par les oeuvres de charité. Et c' est ce qui doit faire prendre garde, que vostre maxime si generalle ne donne sujet aux ames de negliger la satisfaction qu' ils doivent à Dieu pour ---------------------------------------------------------------------p195 leurs offenses venielles, lors principallement qu' ils desirent s' approcher du saint autel. Certes quand je considere ce que Saint Hierosme escrit de la penitence continuelle que Sainte Paule faisoit pour ces sortes de pechez, je ne puis m' empescher de la rapporter en cet endroit, pour monstrer l' extreme soin qu' ont les ames saintes de se purifier de leurs moindres fautes par de grandes satisfactions. Cette illustre romaine, qui n' avoit esté toute sa vie qu' un exemple rare de chasteté, ne laissoit pas de se traitter avec autant de rigueur, que si elle eust esté la plus criminelle du monde. (...). ---------------------------------------------------------------------p196 La troisiesme consideration est, que pour instruire fidellement ceux qui veulent vivre dans la pieté chrestienne, comme leur baptesme les y oblige ; il ne falloit pas oublier de distinguer avec soin l' affection aux pechez veniels, d' avec les pechez veniels, puis que cette affection, selon le sentiment de l' antiquité, que l' un des plus saints evesques de nostre temps, a estably de nouveau, comme une regle judubitable en matiere de devotion, est un juste empeschement de frequenter l' eucharistie ; ainsi que nous l' avons fait voir dans le chapitre 22 où nous supplions le lecteur d' avoir recours pour s' esclaircir de ce point si important. La quatriesme et derniere consideration qui nous descouvrira la fausseté de vostre regle prise en general, c' est, qu' encore que tous les pechez veniels ayent cela de commun, qu' ils ne separent pas eternellement de la possession du royaume, il y en a neanmoins de tant de sortes, qu' il est necessaire de ne les pas confondre, comme vous faites, pour juger s' il ne s' en trouve aucun qui nous doive porter à nous separer quelquefois de la sainte communion. Il y en a de volontaires, et d' involontaires selon le langage ---------------------------------------------------------------------p197 des anciens peres. Il y en a qui procedent de nostre mauvaise inclination, et d' autres qui sont causez par quelque tentation estrangere. Il y en a que nous commettons avec deliberation, et d' autres que nous ne faisons que par imprudence. Il y en a qui viennent d' une longue accoustumance, et d' autres qui naissent d' une occasion passagere. Il y en a de negligence, et de pure fragilité ; de malice, et d' ignorance ; d' exterieurs et d' interieurs. Les uns blessent davantage la pureté de nostre ame, et les autres moins. La charité du prochain semble plus interessée dans les uns que dans les autres. Il y en a qui causent quelque scandale, et d' autres qui n' en causent point. Les uns apportent plus de trouble à nostre esprit que les autres : et enfin ils sont quelquesfois en plus grande multitude, et d' autresfois en plus petit nombre. Si vostre proposition comprend tous les pechez veniels de toutes ces sortes, elle renverse de tres grands fondemens de la pieté chrestienne, et condamne une infinité de saints, qui nous ont appris, et par leurs escrits, et par leurs exemples, que les seuls pechez veniels nous doivent porter quelquefois à une abstinence respectueuse de cette nourriture celeste. Je ne vous en rapporteray que quelques-uns ; mais pris de divers aages de l' eglise, pour vous faire mieux comprendre sa perpetuelle conformité dans cette doctrine. ---------------------------------------------------------------------p198 Sainct Augustin vous apprendra que les pechez, mesme veniels, qui blessent un peu la chasteté, principalement lors qu' on y retombe souvent, doivent faire apprehender que l' on ne reçoive indignement l' eucharistie, si l' on n' a grand soin de les rachepter auparavant par les aumosnes. C' est dans son sermon 244 où parlant de ceux qui usent intemperamment du mariage, et hors la fin de la generation des enfans ; (...). ---------------------------------------------------------------------p199 Cecy vous servira de responce à l' authorité de Saint Augustin et de Saint Hilaire, que vous prenez tres-mal à propos pour le fondement de vostre regle. Car vous n' avez autre chose à nous rapporter de ces deux peres, que ce que vous en avez cité dans le chap. 14 où je vous ay desja monstré que la citation de Saint Hilaire, n' estoit qu' un effet de vostre peu d' intelligence en ces matieres. Et pour celle de Saint Augustin, qui est le seul veritable autheur de ce passage lequel vous attribuez à ces deux peres, je vous ay fait voir qu' il ne parle pas en sa ---------------------------------------------------------------------p200 personne ; mais qu' il rapporte seulement les raisons et les paroles d' un autre, et qu' ainsi les enseignemens qu' il donne à son peuple dans ce sermon nous doivent estre de plus grand poids pour nous asseurer de ses veritables sentimens : outre que ce qui est rapporté dans cette epistre 118 se doit entendre de ce qui arrive ordinairement et de ces pechez veniels, que la fragilité de nostre nature nous fait commettre sans cesse. Saint Gregoire qui peut rendre tesmoignage de la doctrine de l' eglise dans un âge plus avancé, nous enseigne, (...). Saint Bonaventure qui a vescu prés des derniers temps escrit ces paroles dans son traitté de la preparation de la messe ; (...). ---------------------------------------------------------------------p202 Advoüez que ces excellentes paroles de Saint Bonaventure destruisent absolument vostre decision, puis qu' il declare en termes clairs que non seulement les pechez mortels, mais aussi les veniels venans à se multiplier par nostre negligence et par nostre paresse, mettent l' ame hors de la disposition que ces sacrez mysteres demandent. Enfin pour descendre jusques à nostre siecle le bien-heureux François De Sales est si esloigné d' approuver vostre maxime, que nous ne devons point avoir esgard aux pechez veniels pour regler nos communions ; qu' escrivant à une dame de grande vertu, et à laquelle il rend ce tesmoignage si advantageux, que le sentiment qu' elle avoit d' estre toute à Dieu n' estoit point trompeur, il approuve extremément, que son confesseur luy eust retranché la consolation de communier souvent, à cause seulement de quelques paroles d' impatience ausquelles elle estoit sujette. (...). PARTIE 1 CHAPITRE 40 ---------------------------------------------------------------------p203 exemples de beaucoup de grands saints, qui se sont separez eux-mesmes de la sainte communion, ou en ont separé d' autres, pour des fautes venieles. mais pour monstrer encore mieux la fausseté de vostre maxime, (...) ; il ne sera pas inutile de la destruire par ---------------------------------------------------------------------p204 les actions de ces mesmes saints, apres l' avoir renversée par leurs paroles, et d' ajoûter la force de leur exemple à la puissance de leurs raisons. Palladius rapporte dans la vie de Saint Chrysostome lequel il connoissoit particulierement, que s' estant trouvé à une assemblée d' evesques qui se faisoit en la ville de Constantinople, un d' entr' eux nommé Eusebe, se declarant accusateur d' Antonin evesque d' Ephese, il le pria avant que d' avoir oüy les chefs de l' accusation, de ne point porter cette affaire plus avant, et l' asseura, que si on l' avoit mescontenté en quelque chose, il auroit soin de luy oster tout sujet de plainte. Et ayant exhorté Paul evesque d' Heraclée, qui sembloit estre pour Antonin, de les remettre bien ensemble, il entra dans l' eglise, parce que c' estoit l' heure du sacrifice, où ayant donné la benediction au peuple ; et s' estant assis avec les autres evesques, le mesme Eusebe estant entré secrettement, vint luy presenter devant tout le peuple un memoire des chefs de son accusation contre Antonin ; le conjurant avec des sermens estranges de luy rendre justice en cette affaire. Et alors Saint Chrysostome voyant les instances qu' il luy faisoit, receut ce memoire, de peur qu' il ne s' excitast quelque trouble parmy le peuple, et apres qu' on eust leu publiquement l' escriture sainte selon la coustume ; il pria un de ces evesques de dire la messe, et sortit de l' eglise, (...). ---------------------------------------------------------------------p205 Et cependant si on examine bien tout ce qu' il fit alors, on ne trouvera qu' un exercice continuel de charité, et une tranquillité d' esprit merveilleuse, qui ne conserve pas seulement la paix en soy, mais qui tasche encore de la rendre à ceux qui la veulent violer. Mais parce que la seule veuë du trouble des autres, avoit pû exciter quelque petit nuage dans son esprit, il creut que cela seul suffisoit pour le faire justement retirer de l' autel où il alloit monter, et pour priver tout ce grand peuple de la joye et du fruict qu' il recevoit d' estre nourri de la main de son pasteur. Certes cela nous monstre bien clairement, quelle injure on feroit à ce grand saint de croire que parlant de l' extréme pureté qu' il est besoin d' apporter à la participation de ce mystere, il ait parlé avec exageration, et se soit servy des hyperboles des orateurs, puis qu' en s' en retirant par reverence pour des causes tres-legeres, il luy a porté le mesme respect qu' il a tasché d' imprimer dans le coeur des autres, et qu' on ne sçauroit accuser ses discours d' une chaleur imprudente, et d' excez irreguliers sans condamner son action, comme l' effect d' un scrupule superstitieux, et reprocher au plus genereux et au plus ferme de tous les evesques d' Orient une humilité basse et indiscrette. Que si vous l' osez faire, eslevez encore vostre ---------------------------------------------------------------------p206 zele contre Saint Hierosme, qui escrivant contre Vigilance declare, (...). Et ainsi celuy qui avoit l' esprit et la lumiere des plus grands hommes du christianisme, pour deffendre la sainteté des reliques, avoit le coeur et la timidité des plus simples femmes pour en approcher, comme luy-mesme le declare au mesme endroit. Jugez maintenant par ces paroles de Saint Hierosme, s' il eust esté de l' opinion que vous attribués aux saints, que l' on ne se doit point abstenir de communier pour les pechez veniels, puis qu' apres un mouvement de cholere, ou une mauvaise pensée, ou une illusion de nuit, qui se peuvent assez souvent rencontrer sans aucun peché, il n' osoit pas entrer dans les basiliques des martyrs. Se fust-il presenté pour recevoir l' eucharistie, lors qu' il n' osoit se presenter devant les reliques des saints ? Eust-il plus reveré le serviteur, que le maistre ? La presence de celuy, dont la gloire et la majesté fait trembler les anges, luy eust-elle donné moins de crainte et de frayeur, que celle de ces corps sacrez, qui gemissent encore icy bas dans l' attente de leur ---------------------------------------------------------------------p207 gloire ? Et enfin eust-il porté plus de respect à des cendres mortes, qui tirent leur principale dignité de cette semence de vie, qui leur est restée de l' attouchement de la chair immortelle et vivifiante de Jesus-Christ, selon le langage et la doctrine de tous les peres, qu' à cette chair mesme qui les rend si venerables ? Je ne sçaurois croire que cette pensée puisse entrer jamais en l' esprit d' aucun homme de bon sens. Et certes elle se peut moins concevoir de ce saint, que de personne, puis que tout le monde sçait avec quelle vehemence il parle contre ceux, qui apres l' usage du mariage, n' osans entrer dans l' eglise, communioient chez eux en particulier, et ainsi par un jugement déreglé ne se croyans pas assez purs pour entrer dans les basiliques des martyrs, se persuadoient l' estre assez pour recevoir le roy des martyrs. Reconnoissez donc que Saint Hierosme trouvoit fort bon, que l' on s' abstinst quelquefois de communier pour des pechez veniels ; et par consequent, effacez-le du nombre des saints, afin de faire plus aisément passer vostre opinion pour l' opinion des saints. Mais faisons voir encore par d' autres exemples que cet humble respect, et cette sainte timidité se trouve dans les grandes ames, et dans les coeurs les plus magnanimes. Nous lisons du grand Theodose dans l' histoire ecclesiastique, qu' apres avoir deffait Eugene usurpateur ---------------------------------------------------------------------p208 de l' empire, apres avoir remporté une victoire toute remplie de miracles, de laquelle il avoit esté asseuré de la part de Dieu par la bouche d' un grand solitaire, dans laquelle les vents et les tempestes avoient combattu pour sa querelle, et par laquelle il asseura la paix de l' eglise, et la tranquillité de toute la terre ; il s' abstinst assez long-temps de la participation des mysteres, n' ayant pas voulu porter si tost à l' autel ses mains encore teintes du sang de ses ennemis, quoy qu' il eust esté si justement respandu. En quoy il se trouve que ce prince apres avoir imité par sa penitence publique l' exemple illustre de la penitence de David ; l' imita encore par cette action ; puis qu' il fit par le mouvement de sa pieté, ce que David fit par l' ordre de Dieu, lors qu' il receut le commandement de ne point bastir le temple où l' arche qui estoit figure de l' eucharistie devoit reposer, à cause seulement qu' il avoit respandu le sang des ennemis d' Israël, et de Dieu mesme. Que si vous pensez improuver cette humilité de Theodose, comme l' effet d' une devotion mal reglée ; apprenez, qu' elle estoit si conforme à l' esprit du christianisme, que l' eglise ordonnoit, (ainsi que Saint Basile tesmoigne) que ceux qui auroient tué des ennemis en guerre se separassent fort long-temps de l' eucharistie, marquant par là l' extréme pureté, ---------------------------------------------------------------------p209 qu' elle desiroit en tous ceux qui vouloient participer à ce mystere. Aussi Saint Ambroise dans l' oraison funebre de cét empereur, entre tant d' actions heroïques, qui ont rendu sa memoire si celebre dans l' eglise, releve celle-cy par un eloge particulier, et en fait le couronnement des loüanges qu' il donne à sa penitence. (...). Le tesmoignage si glorieux que S Ambroise rend à la pieté de ce prince, la doit rendre venerable à tout le monde, et la liaison qu' il met entre ces deux actions, l' une de penitence, ---------------------------------------------------------------------p210 et l' autre d' humilité, marque bien clairement quelles partent de la mesme source. Que le mesme mouvement de la grace, qui inspire de souffrir tres-volontiers la separation de l' eucharistie durant plusieurs mois (comme ce grand empereur la souffrit durant huict mois tous entiers) pour se purifier des pechez mortels par les exercices de la penitence, inspire aussi la devotion de s' en separer durant quelques jours pour des offenses venielles, et quelquefois mesme en des occasions, où il y a plus d' indecence que de peché. Que l' esprit de penitence fait embrasser l' un et l' autre, comme l' esprit d' impenitence les fait souvent rejetter tous deux ; et enfin que la mesme humilité chrestienne porte à ne pas recevoir quelquefois le saint des saints, comme le mesme orgueil humain peut porter à l' aller prendre sur les autels sans aucune crainte, en tout temps, en toute rencontre, et apres toutes sortes de crimes et de pechez. Voila quel estoit le respect et la reverence, qu' une personne reverée de toute la terre, rendoit à l' eucharistie. Voila quel estoit le sentiment si religieux d' un des plus grands empereurs en sagesse et en pieté qui ait gouverné l' empire romain, d' un empereur nourry dans la pureté de la doctrine de l' eglise, instruit dans l' eschole de Saint Ambroise, et publié pour saint apres sa mort, par celuy qui avoit tant servy à le rendre saint durant sa vie. ---------------------------------------------------------------------p211 Apres cela n' aurez vous pas quelque sujet de rougir d' avoir proposé comme une maxime de Saint Ambroise, qu' en s' abstenant de communier, on ne doit pas penser porter plus de respect et de reverence au tres-saint sacrement ? Et les lecteurs n' auront-ils pas quelque sujet de s' estonner, qu' on soit en peine aujourdhuy de justifier des actions, que les peres ont canonisées, et d' opposer à la censure et au blasme d' un nouveau directeur de consciences, l' approbation et les loüanges des anciens docteurs de l' eglise universelle ? Mais voyons agir Saint Ambroise apres l' avoir entendu parler. Nous lisons dans Sozomene, qu' un de ses diacres, nommé Geronce, s' estant vanté ridiculement d' avoir enchaisné un demon qu' il disoit luy estre apparu durant la nuit, il le separa de son ministere, et luy ordonna de demeurer dans sa maison durant quelque temps, et d' expier par la penitence l' indiscretion de ses paroles, comme les jugeans indignes d' un ministre de Jesus-Christ. C' est la seule cause et le seul motif que l' historien rapporte de cette separation, qui emportoit necessairement celle de l' eucharistie. Ainsi vous voyez, que Saint Ambroise ne parloit en cette matiere que selon l' esprit de l' eglise, puis qu' il le suivoit dans ses ordonnances, aussi bien que dans ses discours, et que non seulement il jugeoit que l' on pouvoit par reverence s' abstenir ---------------------------------------------------------------------p212 de communier pour des pechez veniels, et quelquefois mesme pour moins, mais qu' il obligeoit aussi de le faire pour une faute qui ne paroissoit point mortelle, pour une simple intemperance de langue. Voulez-vous encore l' exemple d' une personne plus relevée et de plus grande autorité dans l' eglise ? Nous lisons dans la vie du grand S Gregoire, qu' il fut quelques jours à faire penitence et à s' abstenir de dire la messe, pour avoir ouy dire, qu' on avoit trouvé un pauvre mort en un village prés de Rome, craignant qu' il ne fust mort de faim ou de misere faute de l' avoir secouru. Un homme autant eslevé au dessus des autres fidelles par l' eminence de sa vertu, que par celle de sa charge, dont l' ardente charité sembloit tousjours le rendre assez disposé pour offrir à Dieu ce sacrifice d' amour, et qui pouvoit y estre d' autant plus porté, que comme pasteur universel de toute l' eglise, il sembloit estre plus obligé d' offrir continuellement cette victime adorable pour le salut et le bien de tous les fidelles sousmis à son ministere, abandonne les autels, et se retranche humblement de la celebration des mysteres, sur le simple soupçon d' avoir manqué en quelque chose à la charité du prochain : et on se laissera persuader par vostre regle, que les pechez veniels ne doivent jamais porter un homme à se separer quelque temps de ---------------------------------------------------------------------p213 l' eucharistie par une humilité sainte. Nous lisons de Saint Romuald, qu' il privoit de dire la messe, les religieux qui s' estoient laissé aller un peu au sommeil durant l' oraison. Saint Bernard loüe Saint Malachie d' avoir repris un diacre pour avoir servi à l' autel apres avoir eu une illusion la nuit precedente. Il rapporte que ce saint evesque luy imposant penitence pour cette faute, luy dit ; (...). Mais pour descendre encore plus bas dans la suitte des aages de l' eglise, et vous faire voir, que le Saint Esprit a tousjours conservé ce sentiment dans le coeur des saints : n' a-t' on pas remarqué de cét illustre martyr, et de ce grand prelat d' Angleterre Saint Thomas De Cantorbie, que pour s' estre un peu relasché de sa fermeté à soustenir la puissance ecclesiastique, sous l' esperance d' adoucir le roy, et de guarentir le clergé de la persecution qui le menaçoit, il se retrancha luy-mesme du sacrifice de la messe, et ne retourna point à l' autel, qu' apres avoir receu l' absolution du pape ? Et de nostre temps ne lisons nous pas du grand Saint Charles, que pour avoir fait quelque ---------------------------------------------------------------------p214 faute dans la celebration du sacrifice de la messe, il voulut par penitence demeurer plusieurs jours sans la dire ; et qu' il fust encore demeuré plus long-temps dans cette humble separation, s' il ne se fust laissé aller aux desirs ardens de son peuple, qui souhaittoit avec passion de le revoir à l' autel pour participer à ses sacrifices. Ces grands evesques n' ignoroient pas cette parole si commune de Bede, dont tant de personnes ignorantes ont abusé, (...) : mais ils sçavoient aussi, que c' estoit un legitime sujet d' obmettre le sacrifice de l' eucharistie, que de le faire par esprit de penitence, mesme pour des fautes legeres : que Dieu, qui n' est honoré que par les humbles, reçoit le sacrifice d' un coeur humilié devant luy, comme une offrande, qui luy est tres-agreable : que les anges, qui ont une si grande joye de la penitence des meschans, se réjoüissent aussi de celle des bons ; et que les larmes d' un evesque, qui estoient tousjours jointes autrefois à celles des penitens, sont tres-puissantes devant Dieu, pour attirer sa misericorde ---------------------------------------------------------------------p215 sur les pecheurs, ses dons sur les justes, son indulgence sur les morts, ses bien-faits sur l' eglise, et ses graces sur luy-mesme. Il est donc indubitable par le tesmoignage des peres, et par les exemples de tant de saints ; qu' encore que les pechez veniels ne soient pas tousjours des empeschemens pour approcher de l' eucharistie, lors principalement qu' ils procedent plus de fragilité, que de faute, ou de negligence ; il peut neanmoins arriver quelquefois, qu' il est tres-utile de s' en abstenir humblement et par reverence, pour avoir commis de ces pechez, lors que Dieu nous en inspire le mouvement, et que nous sentons avoir besoin de cette peine, tant pour nous purifier des taches que nous croyons avoir contractées, que pour nous accroistre le soin de les éviter à l' advenir. Et c' est le conseil que Monsieur De Geneve donne à une dame de vertu et de pieté, luy escrivant en ces termes sur ce sujet. (...). PARTIE 2 CHAPITRE 1 ---------------------------------------------------------------------p217 Où est traittée cette question, s' il est meilleur et plus utile aux ames, qui se sentent coupables de pechez mortels, de communier aussi-tost qu' elles se sont confessées ; ou de prendre quelque temps pour se purifier par les exercices de la penitence, avant que de se presenter au saint autel. la question est proposée, et divisée en trois poincts. ---------------------------------------------------------------------p218 je ne sçay quel esprit vous pousse à declarer si ouvertement une si grande aversion de la penitence. Mais j' ay bien de la peine à croire, que tous ceux, qui font sincerement profession de la pieté chrestienne, soient si peu zelez pour sa defense, que de ---------------------------------------------------------------------p219 souffrir sans emotion, que vous taschiez d' en renverser l' un des principaux fondemens, et que vous parliez avec autant de chaleur contre ceux, qui par une grace particuliere de Dieu, pensans serieusement à se relever de leurs cheutes, et à se guerir de leurs blessures, voudroient prendre quelques jours , et si ce n' est assez quelques mois, pour faire penitence avant que de communier, que s' il s' agissoit de deraciner l' un des plus grands abus de ce siecle. Que si je ne me sentois emeü à apporter plûtost quelque éclaircissement à la verité, qu' à parler contre vos excez, n' aurois-je pas raison de vous reprocher en cét endroit le tort extréme que vous faites à l' eglise, en voulant persuader, que ce que la foy nous propose comme l' unique ressource des pecheurs apres leur cheute, comme la seconde table apres le naufrage, comme le seul moyen d' appaiser la cholere d' un dieu irrité, comme la joye du ciel, et la consolation de la terre, est tellement aboli dans le coeur des chrestiens, que ses plus saints exercices peuvent passer aujourdhuy pour des actions criminelles ? Mais pour ne sortir point des bornes, que je me suis moy-mesme prescrittes, et demesler avec quelque ordre ce que vous proposez avec tant de confusion, s' agissant icy de sçavoir s' il est meilleur et plus profitable aux ames qui se sentent coupables des pechez mortels, de communier ---------------------------------------------------------------------p220 aussi-tost qu' elles se sont confessées, ou de choisir quelque temps pour se purifier par les exercices de la penitence avant que de s' approcher du saint autel, je diviseray toute ma response en trois parties. Dans la premiere desquelles j' examineray en peu de paroles toutes les authoritez de l' escriture, des peres, et des conciles, dont vous appuyez vostre sentiment. Dans la seconde je feray voir, si ce n' a jamais esté la pratique de l' eglise de faire penitence plusieurs jours avant que de communier, comme vous le pretendez. Dans la troisiesme je monstreray, quel jugement l' on doit faire de cette temeraire censure, par laquelle vous condemnez de temerité ceux qui en ce temps, selon le langage des canons, honorent la penitence, et s' efforcent de fléchir la misericorde de Dieu par la mortification de leur chair, et l' exercice des bonnes oeuvres, avant que de prendre la hardiesse d' approcher du sanctuaire. Et parce qu' il paroist manifestement par l' aigreur que vous tesmoignez en cét article, que ce qui doit plus edifier tous les fidelles est ce qui vous donne plus de scandale, et que vous n' avez pas moins entrepris de détourner les hommes de la penitence, que de les pousser indiscrettement à la sainte communion : je supplie tres-humblement les lecteurs de trouver ---------------------------------------------------------------------p221 bon, que je m' arreste icy un peu davantage que je n' ay fait jusques à cette heure, pour maintenir dans une matiere si importante les veritables sentimens de la pieté chrestienne, contre vos fausses opinions. PARTIE 2 CHAPITRE 2 premier point de la question proposée, contenant la response à toutes les autoritez alleguées par l' auteur contre ceux, qui demeurent quelque temps à faire penitence des pechez mortels, avant que de communier. vous prononcez comme une decision indubitable, et comme le sentiment de tous les saints, que les pechez mortels ne doivent pas empescher de communier aussi-tost que l' on s' en est confessé : et pour esblouïr les ignorans, vous vous contentez de nommer beaucoup de peres, sans neantmoins alleguer aucunes de leurs paroles, pour appuyer vos fausses maximes de l' autorité de ces grands noms, et les rendre en mesme temps difficiles à refuter par la peine qu' il y auroit de verifier ces citations en l' air de tant de volumes. J' espere neantmoins empescher facilement que cét artifice ne vous reüssisse. Et pour ne point perdre de temps, j' avoüe d' abord, que je ne comprends pas ce que vous ---------------------------------------------------------------------p222 pretendez prouver par vostre allegation de Saint Paul I corinth. Ii. comme si toute la preparation, que cét apostre demande pour manger le corps du seigneur, estoit renfermée dans la seule confession : ce qui seroit une manifeste depravation du sens de l' escriture sainte. Car nous apprenons bien de Saint Paul, qu' il faut prendre une extréme soin pour se disposer à la participation de ces saints mysteres, de peur d' y participer à nostre condemnation, et de là nous avons raison d' inferer contre les heretiques de nostre temps, que puis qu' il faut apporter à cette table une conscience pure ; ceux à qui des pechez mortels ont fait perdre la pureté de leur ame, la doivent premierement recouvrer par les moyens instituez par Jesus-Christ, c' est à dire, en s' adressant au tribunal qu' il a establi dans son eglise, pour recevoir par l' entremise des prestres la remission de leurs pechez. Voila de quelle sorte la confession est enfermée dans le commandement que S Paul fait de s' esprouver soy-mesme, avant que de manger ce pain du ciel : mais que ce commandement ne contienne autre chose, c' est ce qui ne se peut soustenir sans ravaller indignement la reverence que l' on doit à ce sacrement auguste, et ce qu' il est aisé de refuter par l' apostre mesme, pour ne rien dire maintenant de tous les peres. Car comme l' auteur du commentaire attribué à Saint Anselme, et ---------------------------------------------------------------------p223 avant luy Saint Augustin ont remarqué excellemment, S Paul ne reprend pas les corinthiens de s' estre approchez indignement de l' eucharistie, pour y avoir apporté une conscience chargée de crimes, sans s' estre confessez auparavant ; mais pour n' avoir pas assez bien distingué cette viande sainte des viandes communes, par la reverence particuliere qui luy est deuë. Ce que nous voyons, disent-ils, en ce qu' ayant dit qu' un tel homme mange et boit sa condemnation, il adjouste aussi-tost ces paroles, ne discernans pas le corps du seigneur ; de sorte qu' il est manifeste, que le principal dessein de l' apostre n' est pas, que l' on soit hors de l' estat du peché mortel lors que l' on communie, comme la pluspart des corinthiens estoient sans doute : mais qu' il demande beaucoup davantage ; et qu' outre une plus grande pureté de l' ame, que celle d' estre delivré simplement des pechez mortels, il veut que l' on y apporte une circonspection merveilleuse, et un respect extraordinaire. Et c' est ce qui fait que Saint Bonaventure ne craint point de dire, (...). ---------------------------------------------------------------------p224 Et pour ramener les choses à leur source, comme Saint Paul nous asseure, qu' il a appris de la bouche du seigneur ce qu' il nous enseigne ; toutes ces preparations de l' eucharistie sont renfermées en ce precepte de Jesus-Christ, de celebrer ce mystere en memoire de sa mort. (...). Est-ce là n' obliger les hommes qu' à se confesser pour manger ce corps, et boire ce sang, selon les enseignemens de Jesus-Christ et de Saint Paul, apres avoir tant de fois foulé aux pieds ce mesme sang, par des offenses mortelles ? Mais pour cette heure, c' est assez sur ce sujet. Nous le traitterons plus bas. Passons à vos autres autoritez. (...). ---------------------------------------------------------------------p225 Que n' adjoutez-vous encore Saint Cyprien, Saint Basile, Saint Hierosme, Saint Ambroise, Theodoret, et autant d' autres peres que vous eussiez voulu ? Il vous eust esté aussi aisé d' asseurer, qu' ils sembloient estre de vostre sentiment, comme ceux que vous citez, et les ignorans vous en eussent aussi facilement creu à vostre parole. Est-il possible qu' en des matieres où il s' agit du salut des hommes, l' on se joüe de telle sorte de la simplicité des vivans, et de l' authorité des morts, et que l' on fasse dire aux peres tout ce que l' on veut qu' ils disent, quoy qu' ils n' y ayent jamais pensé, et que mesme ils ayent creu tout le contraire ? Car est-ce dire, qu' apres avoir commis des pechez mortels, il ne faut que se confesser, sans estre plusieurs jours à faire penitence avant la communion, que d' enseigner comme Saint Jean Chrysostome fait par tout, (...). ---------------------------------------------------------------------p226 Est-ce estre de vostre advis, que d' asseurer, comme Saint Augustin fait en cent endroicts, (...) ? Que si ces deux peres ne disent rien qui ne vous condamne, les deux autres n' ont garde d' estre pour vous, puis que S Anselme, ou plustost Herveus que vous avez pris pour S Anselme, n' est que le perpetuel disciple de S Augustin ; comme Theophylacte de S Chrysostome. ---------------------------------------------------------------------p227 Et en effect il me seroit aisé de faire voir, si je l' avois entrepris, que tout ce que l' autheur des commentaires attribuez à Saint Anselme escrit sur le chap. Ii de la premiere aux corinth. Qui est le seul lieu que vous pouvez avoir eu en veuë, n' est presque autre chose, qu' un recueil de divers lieux de Saint Augustin. Mais je me contente de vous remarquer entr' autres choses ; que parlant de ceux qui mangent et qui boivent indignement le corps et le sang de Jesus-Christ, il definit apres Saint Augustin que (...) ; il rapporte mot à mot les excellentes paroles de l' homelie cinquantiesme de Saint Augustin, où parlant de tous ceux qui se sentent coupables de pechez mortels, il veut qu' ils previennent l' arrest de leur juge, selon cét advertissement de Saint Paul, (...). Si vous aviez leu ces peres et ces docteurs de vos propres yeux, (comme la profession que vous faites d' instruire les ames, ---------------------------------------------------------------------p228 vous y obligeoit) à moins que d' estre frappé de la malediction dont Isaie parle, qui fait qu' en voyant on ne voit pas, oseriez-vous asseurer qu' ils semblent dire des choses, dont ils disent tout le contraire ? Et quand à Theophylacte, je n' y trouve autre chose qui fasse à nostre sujet, sinon qu' ayant dit apres Saint Jean Chrysostome son maistre, que celuy qui reçoit indignement le corps et le sang de Jesus-Christ, se rend aussi coupable que les bourreaux qui respandirent ce mesme sang ; il conclud, qu' il n' en faut approcher qu' avec une conscience nette : qui est le mesme passage que vous avez cité auparavant sous le nom de S Athanase. Nous avons veu la foiblesse de vos conjectures, voyons si vos preuves seront plus fortes. Vous adjoustez pour confirmer vostre opinion, que Nicolas I, Gregoire Vii, le concile de Cologne, et S Isidore l' enseignent formellement. il faut estre bien hardy pour dire des faussetez du mesme ton que l' on prononceroit des oracles. Nicolas I dans le chap. 9 de la responce aux bulgares, qui est le seul endroit que vous pouvez apporter sur ce sujet, ne dit autre chose, sinon qu' il est bon de communier tous les jours, durant le caresme, pourveu que l' ame soit dégagee de toute affection de peché : qui est un degré de vertu plus rare que vous ne pensez, ainsi que je vous l' ay fait voir, en expliquant l' endroit de Gennadius dont cette parole a esté tirée. Mais de plus ---------------------------------------------------------------------p229 le pape excepte de cette communion, outre ceux qui par leur faute sont en quelque dissension avec leur prochain, tous ceux qui ayans commis des pechez mortels, ou ne s' en repentent pas, ou ne sont pas encore reconciliés. ce qui fait voir qu' encore qu' un homme ne fust plus dans l' impenitence, et qu' il se fust venu confesser de ses pechez, il se passoit neanmoins du temps avant qu' il fust reconcilié, et admis à la participation de l' eucharistie ; durant lequel il accomplissoit la penitence que le prestre luy avoit enjointe ; comme je vous feray voir plus bas par des preuves indubitables qu' il se pratiquoit du temps de Nicolas I qui vivoit au 9 siecle, et encore long-temps depuis : et que personne en ce temps là, ne pouvoit estre receu à la communion apres des offenses mortelles, qu' il n' eust passé plusieurs jours en penitence pour l' expiation de ses pechez. Trouverez-vous apres cela que le Pape Nicolas I soit formellement de vostre advis. Pour Gregoire Vii, je ne pense pas que vous ayez autre chose à en citer, qu' une lettre à une princesse nommée Mathilde, laquelle il exhorte à communier souvent, où il ne parle en aucune sorte, ny de pechez mortels, ny de confession, ny de contrition. Est-ce enseigner formellement une opinion que de n' en dire pas un seul mot ? Mais de plus, si nous prenons la peine de considerer quelle a esté la vertu de cette excellente princesse, et quelles marques elle a donnees d' une pieté extraordinaire, ---------------------------------------------------------------------p230 par les services importans qu' elle a rendus au saint siege dans les troubles de l' eglise ; nous n' aurons pas sujet de trouver estrange, que ce pape luy conseille la frequente communion ; mais seulement de nous estonner, que vous ayez osé vous servir de l' exemple d' une personne si vertueuse, pour prouver que les pechez mortels, dont toutes les personnes de pieté doivent estre exemptes, ne peuvent pas empecher de communier aussi-tost que l' on s' en est confessé. Elle estoit fille de Beatrix, laquelle estoit tante de l' empereur Henry Iv. Les lettres de Gregoire Vii sont pleines des eloges de la mere et de la fille, et il ne se peut lasser de loüer leur zele pour la deffense de l' eglise. Il leur tend ce tesmoignage si advantageux, (...). Voilà quelle estoit la vertu et la pieté de celle que ce pape exhorte de communier souvent dans l' epistre 47 qui est le ---------------------------------------------------------------------p231 seul endroict auquel vous puissiez avoir recours pour prouver ce que vous pretendez. Il remarque qu' elle estoit retenuë par humilité de communier souvent ; ce qui estoit une marque de sa vertu. Il allegue, pour l' y porter, cette parole de Saint Ambroise, (...). Il la croyoit donc dans un estat tres-pur et digne d' une si frequente communion. Il cite Saint Gregoire Iv (...). Ce qui nous monstre, que la preparation necessaire pour communier souvent, est de mespriser de tout son coeur le siecle et le monde, et d' offrir à Dieu tous les jours des sacrifices de larmes avant que de luy offrir celuy de son corps et de son sang. Comment est-ce apres cela que vous pretendez vous servir de cette epistre pour porter à la frequente communion ceux dont la vie est toute payenne ; qui sont attachez prodigieusement au monde, et qui ne respirent que les delices ? Et comment en pouvez-vous inferer que Gregoire Vii enseigne formellement, que les pechez mortels n' empeschent ---------------------------------------------------------------------p232 point de communier, aussi-tost que l' on s' en est confessé ? Comme si cette lettre portoit à communier ceux qui commettent des pechez mortels, au lieu qu' elle n' y porte qu' une personne qui menoit une vie tres-chrestienne ; et qui par consequent ne commettoit point de pechez mortels, puis qu' ils ne se commettent point, dit Saint Augustin, par tous les bons chrestiens, (...). Mais pour vous monstrer encore clairement dans l' exemple de la mesme Mathilde, combien Gregoire Vii estoit éloigné du sentiment que vous luy attribuez ; cette princesse estant tombee dans une faute, et s' estant laissee aller à espouser un marquis, nommé Azon, qui estoit son parent au quatriesme degré ; le pape ne luy parle plus de communier, mais seulement de satisfaire à la justice de Dieu, et de travailler au recouvrement de la grace qu' elle avoit perduë, par une penitence qui fust proportionnee à la grandeur de son peché. Tant il est vray, que selon l' esprit de l' eglise, ce n' est point aux pecheurs à penser à la sainte communion, s' ils ne pensent auparavant à expier leurs crimes par des fruits dignes de penitence. Pour revenir à vos autres authoritez. Le concile de Cologne n' est guere cité moins mal à propos. Il enseigne contre les heretiques de ce temps (comme nous dirons du ---------------------------------------------------------------------p233 concile de Trente) qu' il ne faut point approcher de l' eucharistie, sans avoir descouvert le fonds de sa conscience au prestre, et sans avoir contrition de son peché : mais je ne trouve point qu' il abolisse la penitence, et qu' il ne veüille pas qu' on prenne quelques jours, pour se purifier par les bonnes oeuvres, par les aumosnes, et par les prieres avant que de communier. Et ce qu' il y a de remarquable, c' est que ce concile rapporte en termes exprez, une grande partie de cét excellent passage de Gennadius, touchant les dispositions où il faut estre pour communier souvent. Mais pour ce qui regarde Saint Isidore, il est veritablement difficile de voir, sans estre émeu de douleur et de zele pour la verité, avec quelle hardiesse vous asseurez, qu' il enseigne formellement une chose, dont il enseigne formellement le contraire, et cela dans le seul et unique endroit que vous pouvez alleguer sur cette matiere. Le simple recit de ses paroles fera juger aux moins intelligens, qui de nous deux a raison, et monstrera clairement, que Saint Isidore n' a fait qu' emprunter en ce lieu, les paroles de Saint Augustin de l' epistre 118 que nous avons rapportées dans le chap. 14 de la premiere partie. (...). ---------------------------------------------------------------------p234 Est-ce enseigner formellement, que se reconnoissant coupable de pechez mortels, il ne faut point estre plusieurs jours à faire penitence avant que de communier, que d' enseigner comme fait ce saint ; que l' on ne peut communier, que lors qu' il n' intervient aucun peché mortel ; que tous les pechez qui tuent l' ame, portent avec eux la separation de l' autel ; qu' il faut faire penitence (il ne dit pas seulement qu' il faut confesser son peché, mais qu' il en faut faire penitence) avant que de recevoir ce remede salutaire : et enfin que c' est recevoir indignement le corps de Jesus-Christ, que de le recevoir durant le temps où l' on doit faire penitence ? Ce qui marque ---------------------------------------------------------------------p235 clairement qu' apres les offenses mortelles, on doit estre un espace de temps raisonnable, comme Saint Cyprien parle, à se purifier par les bonnes oeuvres, avant que d' approcher de l' eucharistie. Pour ce qui regarde les theologiens scholastiques, quand vous les citerez un peu plus distinctement, on taschera de vous respondre ; mais je ne pense pas que vous nous voulussiez obliger de rechercher sur cette matiere, tout ce que les docteurs en ont peu escrire. Je diray seulement, qu' ils demeurent tous d' accord, qu' un confesseur peut obliger son penitent, d' accomplir la penitence qu' il luy aura imposée, avant que de luy donner l' absolution, et par consequent avant que de luy permettre de recevoir l' eucharistie. La derniere de vos autoritez est le concile de Trente, lequel vous entendez aussi peu que les peres que vous alleguez. Cette sainte assemblée destinée particulierement de Dieu, pour estouffer les heresies qui se sont eslevées dans ces derniers siecles ; dans la session 13 de l' eucharistie, pour ruïner l' impieté de Luther, qui enseignoit par des argumens semblables aux vostres, comme je monstreray plus bas, qu' il se falloit d' autant plûtost approcher de l' eucharistie, qu' on sentoit davantage sa conscience chargée de crimes ; monstre premierement, qu' il ne faut recevoir ce sacrement ---------------------------------------------------------------------p236 qu' avec une grande reverence, et sainteté ; suivant le precepte de Saint Paul de s' esprouver soy-mesme, avant que de manger ce pain, et boire ce sang. Et en suite, pour renverser une autre erreur de tous les heretiques de ce temps, qui ont voulu abolir la confession, il adjouste que la coustume ecclesiastique declare, que ceux qui se trouveront coupables de pechez mortels ne doivent approcher de l' autel, qu' apres la confession sacramentale. Que fait cela je vous prie à la question dont il s' agit, et par quelle dialectique peut-on conclure ? Le concile veut, que l' on se confesse des pechez mortels avant que de communier ; il ne veut donc pas que l' on prenne quelques jours pour satisfaire à Dieu pour ses crimes par les exercices de la penitence avant que de communier. Qui pourroit comprendre ce raisonnement ? Mais le concile ne le renverse-t' il pas luy-mesme par tous les principes de sa doctrine ? Car demandez à ce concile qu' est-ce que le sacrement de penitence, par lequel il veut que tous les pecheurs passent avant que de se presenter à la sainte communion ? Et il vous dira, que ce n' est pas sans raison, que les peres l' ont appellé un baptesme laborieux , parce que la justice divine ne peut souffrir, que nous y soyons renouvellez que par beaucoup de larmes, et de grandes peines. Il vous dira, que ce sacrement est composé de trois parties, dont la derniere, ---------------------------------------------------------------------p237 qui est la satisfaction, qui se fait (comme il enseigne en un autre endroit) par les jeusnes, par les aumosnes, par les prieres, et par les autres exercices de la vie spirituelle, a tousjours esté principalement recommandée par l' eglise au peuple fidelle. Il vous dira, que la principale raison pourquoy la confession particuliere de tous les pechez mortels est necessaire de droit divin ; c' est qu' il n' est pas possible que les prestres gardent la justice, et principalement la proportion dans l' imposition des peines pour le chastiment des offenses, s' ils ne les cognoissent en particulier : et de là vous jugerez facilement, si commander qu' apres des pechez mortels, l' on ne passe point au sacrement de l' eucharistie, sans passer par celuy de penitence, c' est ne vouloir pas que l' on accomplisse l' une des principales parties, qui consiste à satisfaire à Dieu par les bonnes oeuvres, et pour laquelle la confession mesme a esté instituée par Jesus-Christ, selon la doctrine du mesme concile. Mais nous traitterons en un autre endroit des sentimens de ce concile, touchant la penitence et j' espere vous y faire voir, combien il est esloigné de vostre mauvaise conduite. Cependant nous pouvons remarquer icy, qu' il declare expressément ne vouloir faire autre chose sur ce sujet, que de conserver inviolablement la coustume de l' eglise, de sorte qu' il ne ---------------------------------------------------------------------p238 nous reste pour decider cette question, que de rechercher la coustume de l' eglise en ces occasions ; et c' est ce que vous nous donnez sujet de faire dans le second des trois points, que nous avons proposé de traitter. PARTIE 2 CHAPITRE 3 proposition du second point de la question principale ; sçavoir, si ce n' a jamais esté la pratique de l' eglise, comme cét auteur le pretend, que ceux qui se sentent coupables de pechez mortels, fussent plusieurs jours à faire penitence avant que de communier. que dans les premiers siecles de l' eglise, la penitence publique n' estoit pas seulement pour les crimes enormes et publics. c' est une ignorance si prodigieuse de soustenir comme vous faites, (...) ; qu' il ne faut que sçavoir lire pour vous confondre, et pour trouver, dans tous les conciles, et dans tous les peres, une infinité de preuves plus claires que le soleil, de ce que vous osez nier avec autant de hardiesse, que d' aveuglement. Mais parce que vous croyez avoir dissipé ---------------------------------------------------------------------p239 cette divine nuée de tesmoins sacrez et irreprochables, qui déposent contre vous, dans tous les siecles de l' eglise, et en toutes les regions de la terre ; et avoir rendu leurs depositions inutiles, par ce seul mot : (...) : il vaut mieux pour retrancher les discours superflus, que nous nous resolvions tout d' un coup, de vous aller attaquer jusques dans vos retranchemens, et que la verité qui est plus forte et plus invincible que l' Hercule des poëtes, aille estouffer ce mensonge grossier, comme le monstre de la fable au milieu de cét antre obscur d' une fausse distinction, où il se retire et se renferme. Et premierement le mot de crimes enormes , dont vous vous servez, n' est propre qu' à tromper les simples, lesquels peuvent s' imaginer aisément, que l' on ne doit entendre par ces paroles, que des crimes extraordinaires, comme seroient les parricides, et ceux que Tertullien appelle des monstres ; et prendre ainsi occasion de se flatter dans leurs pechez, quoy que tres-grands, pour ne les croire pas du nombre de ceux que l' on doit chastier par une penitence publique. Je ne puis toutesfois vous croire si ignorant, ou si hardy, que d' oser nier, que pour le moins les homicides, les adulteres, les fornications, les ---------------------------------------------------------------------p240 sacrileges, les parjures, les blasphemes, ne fussent sujets à la penitence publique, et qu' ainsi ceux qui se trouvent coupables de ces crimes, qui ne sont qu' en trop grand nombre à la honte de nostre siecle, ne fissent fort bien, selon l' esprit de l' eglise, et le sentiment des peres, de se retrancher durant plusieurs jours, voire plusieurs mois, de la sainte communion, pour faire durant ce temps penitence de leurs pechez. Le seul exemple de Fabiole est capable de vous convaincre, et de monstrer à tout le monde, combien il est esloigné de la verité, que l' on ne fist penitence publique que pour des crimes enormes. Car Saint Hierosme, qui a fait un eloge de cette dame romaine, comme d' une sainte, rapporte qu' ayant quitté son mary pour cause d' adultere, et s' estant remariée à un autre, dans la creance qu' elle avoit que son premier mariage fust rompu, elle se soumit à la penitence publique pour cette faute, qui venoit plûtost d' erreur et d' imprudence, que de malice, selon le tesmoignage de Saint Hierosme. (...). ---------------------------------------------------------------------p241 Considerez cét exemple, et jugez s' il donne sujet de persuader à tant de fornicateurs, et d' adulteres, qui se rencontrent en ce siecle corrompu, qu' ils n' ont pas besoin de faire penitence avant que de communier. En second lieu, il ne faut pas icy confondre, comme plusieurs font, la penitence publique avec la confession publique. Il n' est point necessaire pour faire penitence publique, de faire devant tout le monde une confession de ses ---------------------------------------------------------------------p242 pechez. Jamais la discipline de l' eglise n' a imposé ce joug au commun des penitens, comme elle leur a imposé celuy de la penitence. (...), et c' estoit au prestre en suitte de reduire le pecheur au nombre des penitens, de le separer de la communion des justes, comme on fait les malades, de ceux qui se portent bien, de luy prescrire les remedes convenables à ses playes, et principalement le temps qu' il devoit demeurer dans l' affliction de la penitence, avant que de pretendre à la joye de la participation des mysteres. Et cependant, faute d' avoir discerné la confession publique, d' avec la penitence publique, et parce qu' encore qu' il soit tres-certain que la confession publique n' a jamais esté dans l' usage ordinaire de l' eglise, il est arrivé neantmoins en quelques rencontres fort rares, qu' elle l' a peu ordonner, ou permettre à quelques grands pecheurs qui avoient peché publiquement, et qui se trouvoient disposez à faire cette sorte de confession ; cela a donné lieu à quelques autheurs, de se persuader que la penitence publique n' estoit que pour les pechez publics. Et quoy que ceux qui depuis peu ont traité plus particulierement ces matieres, comme feu monsieur l' evesque d' Orleans et autres, ---------------------------------------------------------------------p243 ayent refuté cette opinion, reconnoissans, que dans les premiers siecles de l' eglise, la penitence publique regardoit les pechez mortels secrets et cachez, aussi bien que les publics : (comme le seul passage de S Ambroise que nous avons rapporté dans la I partie le fait voir clairement) neantmoins le sentiment, contraire est demeuré dans l' esprit de plusieurs, qui se sont accoustumez par un long usage à rejetter les veritez les plus claires, aussi-tost qu' elles ne se trouvent pas conformes à leurs vieilles imaginations. Et comme une erreur est d' ordinaire feconde ; d' autres ne trouvans dans les peres anciens, et principalement dans Tertullien, que la penitence publique en laquelle l' eglise exerceast la puissance de ses clefs ; joignants cette verité à ce faux principe, que la penitence publique n' est que pour les pechez publics, en ont tiré cette fausse conclusion, et qui porte grand prejudice à la doctrine catholique touchant la necessité de l' absolution des prestres pour tous les pechez mortels, qu' en ce temps-là on n' avoit recours à l' eglise que pour des pechez publics. Mais comme il est clair par la lecture de Tertullien (pour ne point parler à cette heure des autres peres) qu' il ne reconnoist point d' autre penitence, que la publique, pour relever les pecheurs de leurs cheutes, ce que monsieur l' evesque d' Orleans a fort bien monstré : il n' est pas moins evident, à qui le lit sans preoccupation ---------------------------------------------------------------------p244 d' esprit, qu' il y sousmet toutes sortes de pechez, qui font perdre la grace du baptesme, soit publics, soit particuliers et secrets. Car outre ce qu' il dit contre ceux, que la honte empeschoit de se resoudre à ces exercices de penitence, et la comparaison qu' il apporte de ceux, (...) ; outre disje que cela monstre assez qu' il n' a pas dessein de parler seulement des pechez publics, qui ne sont pas cachez aux hommes, la seule suitte de son discours fait voir clairement, qu' il propose la penitence, dont il parle, pour remede necessaire à tous les pechez mortels. Apres avoir expliqué dans les six premiers chapitres la penitence des catechumenes ; dans le septiesme, pour passer à celle des baptisez, (...). ---------------------------------------------------------------------p245 Il est certain que cette rage du diable, dont Tertullien parle, contre un homme que le baptesme a arraché de ses mains, est pleinement satisfaite, lors qu' il le peut faire tomber dans quelque peché mortel, puis qu' il retombe par ce moyen sous sa tyrannie, et qu' il luy importe fort peu que ce peché soit public ou secret, ---------------------------------------------------------------------p246 spirituel ou corporel, pourveu qu' il le fasse sortir de la liberté des enfans de Dieu, et qu' il le rende son esclave, y ayant mesme raison de croire, que les pechez purement spirituels, et qui se passent dans le secret du coeur, comme l' orgueil, l' envie, l' hypocrisie, et les heresies contre la foy dont cét auteur parle, le contentent en quelque sorte davantage, comme ayant plus de rapport à sa nature et à ses crimes. (...). Puis que les remedes doivent estre d' aussi grande estenduë que les maux, les artifices par lesquels le diable tasche de nous faire perdre la sainteté de nostre baptesme comprenant toutes sortes de pechez mortels ; il faut que la penitence que Tertullien propose pour remede à ces artifices comprenne aussi toutes sortes de pechez mortels. Outre cela, Tertullien nous enseigne que la premiere porte, qui est celle du baptesme, estant fermée, l' on ne peut plus retourner à Dieu que par la seconde porte, qui est celle de la penitence. Or tous les pechez mortels, mesme secrets, ferment la porte du baptesme, puis ---------------------------------------------------------------------p247 qu' ils en font perdre la grace, et par consequent apres avoir commis des pechez mortels, soit publics, soit secrets, on ne pouvoit plus retourner à Dieu que par cette porte de la penitence dont il parle. (...). Puis que tous les pechez mortels, soit publics, soit cachez, nous font perdre le bien, dont le baptesme nous a donné la possession, n' est-il pas manifeste, que cette penitence qu' il dit en suitte se devoir faire dans le sac, et dans la cendre, dans les larmes, et dans les souspirs, dans les veilles, et dans les jeusnes, avec toutes sortes de sousmissions, et de prosternemens à la face de l' eglise, regarde tous ces pechez ; et qu' ainsi c' est une chose entierement éloignée de la verité, que la penitence publique ne fust que pour les crimes publics ? Mais pour en convaincre tous les esprits ---------------------------------------------------------------------p248 équitables ; je les supplie seulement de considerer, que d' une infinité de canons qui condamnent les adulteres ou les fornicateurs à plusieurs années de penitence publique, il ne s' en trouvera pas un, qui ne les y condamne generalement, sans aucune distinction de public, et de secret ; quoy que ces sages legislateurs ne peussent pas ignorer que pour un adultere, ou une fornication dont le public a connoissance, il s' en commet cent, qui demeurent ensevelis dans les tenebres honteuses, que ces crimes recherchent avec tant de soin, pour couvrir leur infamie. Et en effet ; ne voyons-nous pas aujourd' huy que les evesques, n' ayans pas dessein de comprendre les adulteres cachez dans leur cas reservez, ne sont pas si peu judicieux, que de mettre l' adultere en general, comme un crime qu' ils se reservent, mais ils nomment expressément l' adultere public ; c' est à dire (comme ils l' expliquent) celuy qui est prouvé en jugement, ou qui est si connu dans tout le voisinage, qu' il ne se peut couvrir par aucune excuse ? Ce qui nous fait voir que si les anciens evesques eussent esté dans cette mesme prattique, que le relaschement a introduite dans les siecles posterieurs, de ne soûmettre à la penitence publique que les pechez publics, ils se seroient bien gardez d' y soûmettre generalement dans leurs canons, la fornication et l' adultere, qui sont si souvent cachez : mais ils y eussent adjoûté cette ---------------------------------------------------------------------p249 clause ; lors qu' ils seroient connus et publics ; ainsi que l' on fait maintenant. Mais en dernier lieu, pour ne point entrer en cette question, que je reserve à un autre temps, et pour m' arrester simplement à ce qui est necessaire à la defence de la verité, que vous voulez obscurcir, par cette distinction de crimes enormes et de penitence publique, dont vous esbloüissez les ignorans ; je vous soustiens formellement, que tous les peres ont creu, que generalement pour tous les pechez mortels, il falloit estre plusieurs jours à faire penitence avant que de communier, qui est ce que vous ne pouvez souffrir. Appellez, ou n' appellez pas cette penitence, publique, ce n' est pas à cette heure dequoy il s' agit : il me suffit de vous convaincre par le tesmoignage des peres, de ce que vous niez si hardiment ; et pour rendre les preuves plus claires, je les reduiray toutes à six ou sept chefs. PARTIE 2 CHAPITRE 4 que selon le sentiment de tous les peres, toutes sortes de pechez mortels nous obligent de demeurer quelque temps en penitence avant que communier. premiere preuve de cette verité, fondée sur la distinction des pechez mortels et veniels. la premiere de ces preuves servira de fondement à toutes les autres, expliquant la ---------------------------------------------------------------------p250 distinction, que les peres mettent entre les pechez. Il n' y a rien de plus constant dans toute l' antiquité, que ce que l' heresie nous conteste, touchant la distinction des pechez mortels, et veniels ; (...). Saint Augustin establit cette distinction en cent endroits, et sur tout ce qu' il en dit au sermon vingt-neufviesme des paroles de l' apostre merite d' estre remarqué ; (...). Ce qui nous apprend deux veritez importantes. Premierement, que puisque S Augustin definit ---------------------------------------------------------------------p251 un peché mortel celuy qui tue l' ame d' un seul coup ; il n' y peut avoir lieu de douter, que ce pere n' ait mis de ce nombre tous ceux qui font perdre la grace de Dieu, soit publics, soit secrets, soit qu' ils soient nommez par les canons, soit qu' ils ne le soient pas. Et en second lieu, que ceux qui commettent des pechez mortels, quand ce ne seroit que rarement, ne sont point, selon ce saint, du nombre des bons chrestiens, qui vivent sous la conduitte de la foy, et dans la veritable esperance du christianisme. Mais la distinction la plus ordinaire entre les pechez veniels et les pechez mortels est, que ceux-cy sont appellez crimes, et les autres simplement pechez . Je sçay bien qu' en nostre langue le mot de crime signifie ordinairement quelque chose de plus qu' un simple peché mortel ; mais dans le langage de l' eglise principalement en latin, il s' estend generallement à tous les pechez, qui tuent l' ame, et qui esteignent le Saint Esprit. C' est ainsi que l' eglise a entendu le precepte de Saint Paul de ne faire point d' evesque qui ne fust sans crime . (...). Et dans le livre quatorziesme de la cité de ---------------------------------------------------------------------p252 Dieu chap. 9 (...). Si les crimes ne comprenoient pas toutes sortes de pechez mortels, seroit-ce assez bien vivre que d' en commettre, pourveu qu' ils ne fussent pas crimes ? (...). ---------------------------------------------------------------------p253 Ce qui paroist encore davantage en ce qu' il appelle un homme sans tache, qui est exempt de ces crimes : estant ridicule de s' imaginer, qu' une ame coupable d' un peché mortel, quel qu' il fust, pust estre estimée sans tache. Mais il passe encore plus avant dans l' homelie quaranteuniesme, puis qu' il asseure le salut eternel à tout homme baptisé, qui aura passé sa vie sans crime. (...). Saint Hierosme, ou l' auteur des commentaires sur les pseaumes, qui sont parmy ses ouvrages, ne verifie pas moins clairement que le mot de crime dans le langage de l' eglise, comprend toute sorte de pechez mortels : puis qu' il nous apprend aussi bien que Saint Augustin, (...), lesquels il oppose à ces pechez legers, sans lesquels nous ne sommes jamais en cette vie. Et cette façon de parler est perpetuellement ---------------------------------------------------------------------p254 demeurée dans le langage de l' eglise, comme il se void par Saint Eloy, qui escrivoit dans le septiesme siecle, lequel oppose les crimes capitaux aux pechez veniels, en disant dans l' homelie sixiesme, ce qu' il repete trois fois dans l' homelie huictiesme, (...). Et par Saint Fulbert qui escrivoit dans l' onziesme siecle ; lequel parlant des pechez qui font perdre la grace du baptesme, dit, (...). Et depuis luy, Pierre De Bloys oppose dans son sermon sixiesme et dixiesme les pechez criminels , criminalia, aux veniels ; et met du nombre des criminels ceux mesmes qui se consomment dans la pensée, comme la convoitise d' une femme. Gratien parle le mesme langage. Et de nostre temps le concile de Trente appelle crimes tous les pechez, qui obligent les baptisez qui les commettent, à recourir au tribunal de l' eglise, tels que sont sans aucune ---------------------------------------------------------------------p255 difficulté toutes sortes de pechez mortels. Mais l' on voudra possible esbranler une doctrine si constante par un passage d' Origene qui semble dire, qu' il y a des pechez mortels qui ne sont pas crimes, et pour lesquels on estoit tousjours receu à faire penitence. En voicy les paroles de la version latine, faute de l' original qui n' a point encore paru au jour. (...). Mais ce passage n' a pas besoin de longue response ; et pour peu qu' on y apporte d' attention, l' on reconnoistra, que tout ce qu' on en objecte n' est fondé que sur un erreur de copiste tres-visible. (...). Premierement la faute est facile par la seule addition d' une lettre. Secondement elle est evidente puis qu' il y a une manifeste contradiction en ces paroles, (...), estant impossible de monstrer dans aucun pere ---------------------------------------------------------------------p256 ancien qu' il y ait distinction entre (...). Quatriesmement, comment pouvoit-il mieux marquer, que par ces fautes, qu' il oppose aux crimes mortels, il n' entendoit que les pechez veniels, qu' en les exprimant par ces paroles sur la fin de ce passage ; (...), qui sont les mesmes termes dont tous les peres se servent pour exprimer cette sorte de pechez ; d' où vient qu' ils les appellent ordinairement, (...). Et qui se pourroit persuader qu' Origene ou aucun des peres, qui tous nous representent si puissament l' estat deplorable d' un homme qui perd la grace de son baptesme, et l' extréme difficulté de la recouvrer lors qu' elle est une fois perduë, ait parlé d' aucuns des pechez mortels, comme de fautes legeres, communes, ordinaires, dans lesquelles nous tombons souvent, et qui se racheptent sans cesse ? (...). Il ne se peut rien concevoir de plus contraire à la doctrine des peres. Car ils sont bien esloignez de croire, que la grace se perde et se recouvre avec la facilité, que quelques-uns s' imaginent ---------------------------------------------------------------------p257 en ce temps ; et que ce soit une chose ordinaire à des chrestiens, d' estre aujourdhuy enfant de Dieu, et demain enfant du diable ; de retourner quelques jours apres à Jesus-Christ, et à la premiere occasion de l' estouffer dans son coeur, de vivre, mourir, revivre, mourir encore une fois, tantost saint, tantost demon, tantost digne de l' eternelle jouïssance de Dieu, et aussi-tost apres digne d' une eternelle damnation, et cela par des revolutions continuelles, et qui durent toute la vie. Et ainsi tant s' en faut que ce passage d' origene prouve quelque chose contre la doctrine de tous les autres peres, qu' au contraire, estant bien leu et bien entendu, il la confirme entierement, et monstre quelle difference l' on doit mettre entre la remission des pechez mortels, et celle des pechez veniels. Cette distinction estant establie comme le fondement de tout ce discours, je me contenteray pour cette premiere preuve, d' un seul passage, mais formel, et d' un auteur irreprochable, puis qu' une rare doctrine jointe à une dignité illustre, ne luy permettoit pas d' ignorer, quelle estoit la pratique de l' eglise dans l' administration des sacremens. C' est de Saint Cesarius archevesque d' Arles, et l' une des plus grandes lumieres de nostre France, qui vivoit dans le sixiesme siecle. Ce grand saint dans son homelie 8 que ---------------------------------------------------------------------p258 quelques-uns, quoy que faussement, ont attribuée à Saint Augustin, expliquant ces paroles de l' apostre ; (...) ; ne fait autre chose qu' establir la distinction entre les pechez mortels, et les pechez veniels ; et des diverses peines qui leur sont deuës. Il appelle les pechez mortels , crimes capitaux, et les veniels , petits pechez. Il dit, que les uns tuënt l' ame, et que les autres ne la tuënt pas, quoy qu' ils la rendent fort difforme ; que les bons évitent les uns, mais que personne n' est exempt des autres ; que l' enfer est la peine des uns, et que le purgatoire l' est des autres ; que pour les premiers, si l' on ne s' en corrige, et que l' on ne les efface par les eaux de la penitence, l' on ne peut attendre avec raison qu' une damnation eternelle ; mais que les derniers se purifieront par le feu passager, dont l' apostre Saint Paul parle. Cette opposition qu' il fait dans toute cette homelie, monstre évidemment que par les crimes capitaux, il entend toutes sortes de pechez mortels . Et cependant escoutez comme il veut qu' on se conduise, lors qu' on s' en trouve coupable. Apres avoir fait un denombrement de ces pechez, et avoir mis de ce nombre le sacrilege, (...) . ---------------------------------------------------------------------p259 Si ces paroles estonnantes ne sont pas capables de vous convaincre, ce qu' il dit plus bas le pourra faire plus puissamment. (...). Apres avoir, dis-je, enseigné, que par ces sortes de bonnes oeuvres, et autres semblables, on rachete tous les jours les pechez veniels ; il adjouste, (...). ---------------------------------------------------------------------p260 Ces paroles n' ont pas besoin de commentaire pour persuader à l' opiniastreté mesme, que selon ce grand archevesque, l' esprit de l' eglise est, que tous ceux qui se sentent coupables de pechez mortels, soient plusieurs jours à faire penitence avant que de communier. Ce que neantmoins vous osez nier avoir jamais esté la prattique de l' eglise. Je pourrois alleguer icy le passage de Gennadius, du livre des dogmes ecclesiastiques ; et celuy de Saint Augustin dans son sermon 252 mais pour éviter la longueur, j' ayme mieux vous renvoyer à ce que j' en ay dit dans la premiere partie. J' adjoûteray seulement, que dans cette opposition des pechez mortels aux veniels, les peres ont creu si constamment, que tous les mortels doivent separer de l' eucharistie, jusques à tant que l' on en ait fait penitence ; qu' une de leurs manieres de parler pour expliquer les pechez veniels ; c' est de les appeller, (...). Ainsi le grand Saint Augustin, pour dire ---------------------------------------------------------------------p261 que nous avons besoin de pardon pour toutes nos offenses, encore qu' elles ne soient que venielles, et non mortelles : (...). Et en un autre endroit, pour dire qu' un homme ne doit pas se glorifier, encore qu' il ne commette pas des pechez mortels : (...). PARTIE 2 CHAPITRE 5 seconde preuve. Que toutes sortes de pechez mortels meritent l' excommunication, selon le langage des peres. C' est à dire, le retranchement de l' eucharistie. la seconde preuve se peut prendre de l' excommunication, que je soustiens estre la peine ordinaire qu' on imposoit à tous les laïques, qui se vouloient relever de quelque peché mortel. Je ne doute point que cette proposition ne vous semble d' abord un peu estrange ; mais j' espere neantmoins de la faire voir si clairement dans les peres, que pour peu que l' on veüille se despoüiller de preoccupation, et ouvrir les yeux à la verité, je ne puis croire que l' on n' en demeure entierement convaincu. ---------------------------------------------------------------------p262 Et pour la comprendre plus aisément, il faut remarquer avant toutes choses, que bien que l' excommunication fust generallement la peine de tous les pechez mortels, comme nous le monstrerons ; il y en avoit neantmoins de deux sortes, selon les deux differentes dispositions où se trouvent les pecheurs ; dont les uns demeurent endurcis dans leurs crimes ; et les autres en conçoivent de l' horreur, et gemissent devant Dieu pour en estre delivrez. La premiere sorte d' excommunication s' exerçoit par l' evesque envers ces pecheurs incurables, et qui defendoient leur erreur, ou leur peché, par une animosité opiniastre, comme Saint Augustin dit au livre de la veritable religion ; et elle s' exerçoit par le retranchement de l' eglise, comme de membres pourris, et de brebis infectées, qu' il falloit separer des saines, de peur que la contagion ne se respandist plus avant dans le troupeau de Jesus-Christ, comme le mesme saint dit dans le livre de la correction, et de la grace. La seconde se faisoit par le mesme evesque, separant un chrestien qui se repentoit de ses pechez de la communion des fidelles, pour le disposer par les exercices de la penitence, à se rendre digne d' y rentrer. La premiere est la plus grande peine de l' eglise, ainsi que Saint Augustin le tesmoigne au mesme endroit. ---------------------------------------------------------------------p263 Et la seconde, la plus grande apres celle-là, et pour laquelle principallement la penitence des pechez mortels (à laquelle elle estoit inseparablement jointe) estoit appellée une penitence rigoureuse, une penitence triste et lamentable ; comme il se voit en plusieurs endroits du mesme pere. La premiere se fait malgré l' excommunié, comme estant le dernier foudre de la cholere de l' eglise, irritée par son endurcissement dans les crimes. La seconde se fait avec son consentement, lors que le pecheur touché de Dieu, et reconnoissant la peine que ses ingratitudes meritent, se presente au prestre pour recevoir cette sentence, par laquelle il est esloigné de la presence de Dieu, et de la manducation de son corps, et qu' il doit avoir le premier prononcée contre soy-mesme, comme Saint Augustin nous enseigne dans son homelie cinquantiesme : et Saint Caesarius apres luy dans les paroles que nous venons de citer de sa huictiesme homelie, et encore plus expressément dans la treiziesme, où il asseure, (...). Et enfin, quoy que ces deux sortes d' excommunications, dont l' eglise se sert contre les pecheurs, soient l' image de l' excommunication funeste que Jesus-Christ prononcera ---------------------------------------------------------------------p264 contre les reprouvez au dernier jour : (parce qu' ainsi que la manducation du corps du fils de Dieu dans l' eucharistie, est l' image de celle du ciel ; l' exclusion de ce corps est une espece de damnation). Il y a neantmoins cette difference que la premiere est tellement l' image de ce dernier jugement, qu' elle en est le prejugé, comme Tertullien dit ; au lieu que la derniere n' en est l' image, que pour en estre le remede, et comme le prejugé de la sentence favorable de Jesus-Christ au dernier jour. afin (dit Saint Augustin dans son homelie cinquantiesme, digne d' estre gravée dans les coeurs de tous les veritables penitens) (...). Et c' est pour cette raison, comme Saint Eloy le remarque dans son homelie huictiesme, que l' on faisoit retirer les penitens au costé gauche de l' eglise, et qu' on les couvroit de cilices ---------------------------------------------------------------------p265 qui sont faits de poil de bouc et de chevre, afin qu' ils se considerassent, comme ayans merité par leurs pechez d' estre mis à la gauche du souverain juge, et au rang des boucs et des reprouvez : et que dans cette pensée ils s' estimassent trop heureux de pleurer et de gemir pour sortir de ce miserable estat, et de se retirer humblement de l' autel divin pour purifier leur vie, afin de n' estre point rejettez du banquet celeste et eternel. Saint Augustin marque assez ces deux sortes d' excommunication contre les impenitens et contre les penitens ; lors qu' il appelle l' une mortelle, et l' autre medecinal, pour me servir de ce mot. Mais pour signifier l' un et l' autre, les peres se servent indifferemment de ces termes, (...), et assez souvent de celuy d' abstinere , non seulement passivement pour signifier celuy qui s' abstient de l' eucharistie ; mais aussi activement, pour signifier l' action de celuy qui oblige à cette abstinence ; d' où vient qu' abstentus parmy eux ne veut dire autre chose qu' excommunié . C' est ce que nous voyons dans Saint Cyprien (et ce qui servira de commencement à nostre preuve touchant l' excommunication pour tous les pechez mortels) lors qu' expliquant la quatriesme demande de l' oraison dominicale ---------------------------------------------------------------------p266 dans le traitté qu' il en a fait ; il se sert de ces paroles, qu' ayant desja rapportees cy-dessus en nostre langue, l' on trouvera bon qu' icy je les rapporte en la sienne ; (...). Ce qui monstre clairement que pour toutes sortes de grands pechez, c' est à dire, de pechez mortels, comme nous avons prouvé cy-dessus, on encouroit l' excommunication, et la separation du pain celeste. Celuy qui ne se rendra pas à cette lumiere, qu' il se persuade pour le moins, que Saint Augustin ne manquoit pas d' intelligence, pour entendre la doctrine de ce saint martyr, qu' il avoit estudiee avec tant de soin : et qu' il reçoive de luy l' explication de ce passage. Voicy de quelle sorte il en parle, apres l' avoir cité tout au long, dans son livre du don de la perseverance ; (...). ---------------------------------------------------------------------p267 Car que ce mot de crime dans les peres, et en particulier dans Saint Augustin, ne veüille dire autre chose que peché mortel, je pense l' avoir assez prouvé cy-dessus, et outre ce que j' en ay dit, un seul passage, dont il me souvient presentement, de l' epistre 89 est capable de fermer la bouche aux plus obstinez. (...). Il est indubitable que les pechez sans lesquels on ne vit point en ce monde ; sont les pechez veniels, et par consequent ceux qu' il leur oppose, et qu' il tesmoigne s' appeller crimes , sont tous les pechez mortels. Mais pour continuer la preuve que nous avons entreprise : le troisiesme concile de Tours assemblé sous Charlemagne l' an 813 se sert du mesme mot d' abstinere , dont Saint Cyprien se sert, pour marquer la separation de la ---------------------------------------------------------------------p268 communion, dont l' eglise punissoit encore en ce temps là toutes sortes de pechez mortels. C' est dans le canon 22 où pour donner un advertissement general aux evesques et aux prestres de se conduire, selon le veritable esprit de l' eglise, dans l' exercice de leur ministere ; (...). Et long temps depuis ce concile Saint Fulbert evesque de Chartres nous enseigne clairement, que cette sainte discipline duroit encore dans son siecle, il n' y a guere que cinq cens ans ; (...). Ces paroles ne font elles pas voir clairement que jusques dans l' onziesme siecle tous les pechez qui font perdre la sainteté du ---------------------------------------------------------------------p269 baptesme, jusques à l' yvrognerie, la cholere, l' envie, l' avarice separoient le pecheur de l' eglise, qui est la plus forte expression, dont l' excommunication puisse estre marquee. Et ce que nous lisons dans l' epistre 230 d' Ives, l' un de ses successeurs en cet evesché, monstre bien la succession perpetuelle de cette doctrine : puis qu' il y tesmoigne que l' eglise suspendoit de la communion des sacremens ceux qui confessoient leurs crimes : c' est à dire, selon l' explication indubitable de ses predecesseurs, et de tous les peres, ceux qui confessoient des pechez mortels. Mais si l' on desire voir le mot propre d' excommunication (quoy qu' il ne faille jamais disputer des mots, lors qu' une chose est évidente) le seul Saint Augustin nous en fournira plus d' exemples qu' il n' est necessaire, pour persuader tous les esprits raisonnables. Dans le livre de la foy et des oeuvres , il divise tous les pechez en trois sortes, dont il dit, (...). Que les autres n' ont pas besoin de cette penitence que l' eglise ordonne, mais se guerissent par les remedes de la correction fraternelle, suivant cette parole de Jesus-Christ, (...). ---------------------------------------------------------------------p270 Et en fin que les derniers sont ceux sans lesquels cette vie ne se fasse point, dont le seigneur a constitué le remede dans la priere qu' il nous a luy-mesme apprise. Il est manifeste que ces deux dernieres sortes de pechez ne comprennent que les pechez qui se peuvent expier sans le ministere de l' eglise. Et qu' ainsi aucun des mortels n' estant de ce nombre, ils appartiennent à la premiere branche, et qu' ils doivent par consequent estre tous punis par l' excommunication. Et dans ce mesme livre, pour expliquer une fausse opinion de quelques personnes de son temps, qui s' estoient persuadez, qu' il n' y avoit que trois sortes de pechez mortels, l' impudicité, l' homicide, et l' idolatrie, et que tous les autres pechez se rachetoient facilement par les aumosnes, en sorte que sans les quitter l' on pouvoit estre admis au baptesme, il se sert de ces termes. (...). D' où l' on voit clairement deux choses la premiere que lors qu' il est question de la grandeur d' un peché ; ce n' est qu' un dans la doctrine des peres, d' estre mortel et de meriter l' excommunication . La seconde que non ---------------------------------------------------------------------p271 seulement les opiniastres, mais les penitens mesmes demeuroient excommuniez, c' est à dire, separez de la sainte communion, jusques à l' accomplissement de leur penitence ; ainsi qu' il tesmoigne encore en un autre endroit ; où il dit (...). Ce que nous avons desja rapporté beaucoup de fois de l' epist. 118 n' est pas moins clair : car que peut on dire à ces paroles ; (...). Si par les pechez qui meritent l' excommunication Saint Augustin n' entend pas toutes sortes de pechez mortels, il faudroit necessairement qu' il eût creu, qu' il y a des pechez mortels, qui n' empeschent pas qu' un homme en ayant la conscience chargée, ne puisse communier tous les jours. Ce qui est si absurde, que pour le croire, il faut estre capable de croire tout plustost que la verité. Et enfin dans l' epist. 108 S Augustin ne reconnoist que deux sortes de penitence apres celle du baptesme ; (...). ---------------------------------------------------------------------p272 Et pour monstrer que cette penitence jointe à l' excommunication est d' institution apostolique, et non seulement de l' ordonnance de l' eglise, il adjoûte : (...). Tout pecheur et tout peché a besoin de penitence. Or, selon S Augustin, il n' y a que deux sortes de penitence : apres le baptesme. La premiere n' est que pour les justes, et pour les offenses legeres qui ne ruinent pas la sainteté. (...). Il faut donc necessairement que la seconde soit pour tous ceux qui ne sont pas justes, et pour tous les pechez qui ruinent la sainteté, comme font tous les mortels : et par consequent puis que cette seconde penitence n' est que pour ceux qui meritent l' excommunication : il faut que tous les pechez mortels meritent l' excommunication, c' est à dire, le retranchement de l' eucharistie. Et de plus il parle de cette prattique comme d' une prattique generale de l' eglise, (...), etc. Et ainsi il falloit qu' elle fust descenduë de la tradition des apostres, ---------------------------------------------------------------------p273 selon cette regle de ce mesme saint que tous les catholiques reçoivent comme un oracle ; (...). PARTIE 2 CHAPITRE 6 troisiesme preuve. Que les peres n' ont reconnu que trois sortes de penitence ; l' une avant le baptesme ; et deux apres le baptesme, l' une pour les pechez veniels, et l' autre pour les mortels ; et qu' ils ont tousjours joint le retranchement de l' eucharistie à cette derniere. mais cét endroict nous donne sujet de passer à la troisiesme preuve qui se prendra des diverses sortes de penitence que l' antiquité à reconnuës. Saint Augustin enseigne en plusieurs endroits, et particulierement dans cette epistre 108 que nous venons de citer, dans l' homelie 27 et dans l' homelie 50. Que tous les pechez ayans besoin de penitence, il y a trois sortes de penitence pour trois sortes de pechez. La premiere est celle qui precede le baptesme, qui ne regarde que les pechez, qui se commettent avant qu' on soit regeneré. La seconde est celle qu' il appelle la penitence ---------------------------------------------------------------------p274 des justes, et la penitence journaliere pour les pechez veniels, dont l' infirmité humaine ne peut jamais estre entierement exempte durant cette vie. Et la derniere plus rigoureuse, et où la puissance des clefs est necessaire, pour tous les pechez, qui nous rendent dignes d' une eternelle damnation, et desquels Saint Paul a dit, que tous ceux qui les commettoient ne possederoient point le royaume. Et cette division de la penitence est si conforme aux premieres notions de nostre foy, que Saint Augustin dans son homelie 50 la voulant expliquer à son peuple commence de leur en parler en cette maniere ; (...). Aussi tous les anciens scholastiques l' ont enseignée apres le maistre des sentences, et les nouveaux apres Saint Thomas, dont le dernier article de sa somme (qui merite quelque respect particulier, comme nous representant les dernieres pensées de ce grand esprit, qui commençoit desja à se desgager de la terre) porte pour tiltre ; (...). ---------------------------------------------------------------------p275 De cette distinction de la penitence en ces trois especes, nous concluons demonstrativement, pour le dire ainsi, que pour toutes sortes de pechez mortels, selon la doctrine des peres, il falloit estre plusieurs jours à faire penitence avant que de communier. Cela se voit par les conditions necessaires, que Saint Augustin joint par tout à cette sorte de penitence, qui regarde les pechez mortels, et qu' il oppose tousjours à la penitence des veniels. ---------------------------------------------------------------------p276 Nous venons de voir comme dans le livre de la foy et des oeuvres, et plus clairement encore dans l' epistre 108 il joint à cette penitence, l' excommunication et la separation du corps de Jesus-Christ , je ne le repete point. Dans l' homelie 27 apres avoir estably cette division de la penitence en ces trois especes, et expliqué les deux premieres ; l' une de ceux qui se preparoient au baptesme, qu' ils appelloient competentes , et l' autre journaliere pour les pechez journaliers des justes, il explique en ces termes, la troisiesme qui regarde les pechez mortels : (...). Ce seroit vouloir esclairer le soleil, que d' adjoûter quelque chose à ces paroles. Dans l' homelie cinquantiesme, qui meriteroit le nom de la divine homelie, ce grand maistre de l' eglise enseigne entierement la mesme doctrine, et l' explique encore plus au long. ---------------------------------------------------------------------p277 Car apres avoir proposé la mesme division, et expliqué la premiere espece de penitence, qu' il dit estre comme le travail qui precede l' enfantement de l' homme nouveau, jusques à ce que tous les pechez passez soient lavez par les eaux salutaires du baptesme ; il passe à la seconde, que tous les baptisez, voire les plus saints, doivent faire durant toute cette vie que nous menons dans une chair mortelle, en nous humiliant continuellement devant Dieu pour implorer sa misericorde. Et apres en avoir monstré l' importance, quoy qu' elle ne serve à effacer que les pechez veniels, et dont un seul, comme il dit, ne nous porte pas un coup mortel, il commence par ces mots l' explication de la penitence pour tous les pechez mortels. (...). Pouvoit-il marquer plus expressément toutes sortes de pechez mortels ? Et le dénombrement qu' il en fait plus bas avec S Paul aux ephes. 5 et aux galates 5 n' en peut laisser aucun doute. (...). ---------------------------------------------------------------------p280 Pour moy je n' oserois rien dire apres ces dernieres paroles, et je me contenteray pour conclusion de cette troisiesme preuve, de rapporter l' une des principalles regles pour s' asseurer de la creance de l' eglise dont tous les catholiques se servent contre les heretiques, et que Monsieur Le Cardinal Du Perron propose en ces termes dans cette excellente lettre, qui a donné occasion au chef-d' oeuvre de ses ouvrages. (...). PARTIE 2 CHAPITRE 7 ---------------------------------------------------------------------p281 quatriesme preuve. Que les peres n' ont creu le ministere des clefs necessaire, que pour les pechez qui meritoient le retranchement de l' eucharistie, d' où il s' ensuit, ou qu' ils ne l' auroient pas creu necessaire pour toutes sortes de pechez mortels : ce qui est une heresie. Ou qu' ils ont retranché de l' eucharistie pour toutes sortes de pechez mortels : ce qui est tres-veritable. la quatriesme preuve se peut tirer de la necessité des clefs de l' eglise pour la remission de tous les pechez mortels. Car l' eglise a tousjours creu, que quand le pecheur se jugeroit cent fois digne de cette separation du corps du fils de Dieu, son jugement ne luy serviroit de rien, et ne seroit pas un veritable tesmoignage de sa docilité interieure, s' il n' alloit à l' instant au prestre pour se sousmettre à luy, et à sa puissance, et pour ne faire rien que par son jugement et par son ordre ; en quoy consiste toute la benediction et le fruict de la penitence, laquelle ne devient une partie du sacrement, que lors que le prestre l' ordonne, n' estant auparavant quelque grande qu' elle soit qu' un acte de la vertu de penitence, et qu' une action de la personne qui n' a que la qualité de partie dans ce jugement, et non pas un acte ---------------------------------------------------------------------p282 judiciaire du prestre qui fait l' office de juge. C' est pourquoy nous voyons que S Gregoire nous ayant recommandé de pleurer nos pechez avec douleur et compunction, et de punir par les mortifications, la chair qui s' est perduë dans les delices, il adjouste aussi-tost, (...). C' est en ce sens que Saint Anselme a dit, que la penitence est une sentence , l' entendant de celle qui est imposée par le prestre, par une vraye sentence et un vray jugement qu' il prononce apres avoir oüy les pechez en confession : et c' est encore ce qui fait dire à S Augustin, (...). Et cependant nous ne voyons point dans les peres qu' ils ayent creu le ministere de l' eglise necessaire, que dans cette penitence rigoureuse, à laquelle estoit jointe la separation de l' autel : d' où vient que S Augustin, parlant en cent endroits des remedes pour les pechez, qui ne meritent pas cette penitence, ne parle jamais que de prieres, d' aumosnes, de jeusnes, et des autres oeuvres de misericorde, et ---------------------------------------------------------------------p283 jamais un seul mot de la necessité de se presenter au prestre. Ce qu' il ne manque pas de faire, lors qu' il parle des penitens que l' on retranchoit de la communion. Dans l' homelie 50 apres les paroles que nous en avons rapportées, qui monstrent que le pecheur se doit juger luy-mesme indigne de la participation des mysteres ; (...). Et dans l' homelie 27 aussi-tost qu' il commence à expliquer la troisiesme sorte de penitence, qui est la penitence de ceux qui sont retranchez de l' eucharistie, de peur qu' ils ne boivent et ne mangent leur jugement, il parle du ministere de l' eglise, et de la puissance que le seigneur luy a donnée par ces paroles, (...). Et dans un autre sermon, parlant des mesmes pechez, qu' il dit aux autres endroits, avoir besoin pour remede de la separation de l' autel ; il adjouste, (...). ---------------------------------------------------------------------p284 Et dans les epistres 108 et 118 il oppose la reconciliation à l' excommunication , comme l' eglise n' ayant coustume de reconcilier que ceux qu' elle avoit auparavant excommuniez , c' est à dire, retranchez des sacremens. Ce qui se voit dans tous les autres peres, qui ne mettent point de distinction entre la reconciliation, et la restitution de la communion , d' où vient qu' ils disent le plus souvent reconcilier à l' autel , au lieu de dire, absoudre, ou remettre les pechez ; parce qu' ils estimoient que le parfait renouvellement du pecheur, et la parfaite reconciliation avec Dieu ne se faisoit, qu' en le remettant dans la participation de l' eucharistie, dont il avoit esté privé pour ses pechez durant le cours de sa penitence. Nous voyons encore dans Bede, qui escrivoit au huictiesme siecle, comme la necessité de recourir au prestre ne s' estendoit qu' aux pechez, qui obligent à estre quelque temps à s' en purifier par la penitence. Car expliquant ces paroles de Saint Jacques ; confessez vos pechez les uns aux autres ; (...). ---------------------------------------------------------------------p285 Puis donc qu' on ne peut dire sans crime, que l' eglise dans sa plus grande pureté ait violé durant tant de temps l' ordonnance de Jesus-Christ, qui oblige tous ceux qui sont coupables de pechez mortels de recourir à ses ministres, et que l' on ne voit point qu' en tant de siecles les prestres ayent exercé leur puissance, pour le moins ordinairement, sur d' autres que sur ceux qu' ils retranchoient de l' autel, il s' ensuit, qu' ils en retranchoient pour toutes sortes de pechez mortels. PARTIE 2 CHAPITRE 8 cinquiesme preuve. Que l' ordre de la penitence pour tous les pechez mortels selon les peres est. Premierement la confession, et la demande de la penitence. Secondement l' imposition de la penitence. Troisiesmement l' accomplissement de la penitence durant une espace de temps raisonnable. Quatriesmement l' absolution, qui estoit immediatement suivie de la communion. l' ordre qu' ils gardoient dans la penitence nous fournira de nouvelle preuve, et confirmera cette derniere. Il est certain que celuy que l' eglise a observé durant ---------------------------------------------------------------------p286 douze siecles a esté, que les pecheurs ayans découvert aux ministres de Jesus-Christ, toutes les playes de leur ame, ils receussent par leur ordonnance les moyens propres de les guerir, ce que Saint Augustin appelle recevoir l' ordre de la satisfaction . Ce mesme saint, et Saint Leon apres luy ; donner l' action de la penitence . Le troisiesme concile de Carthage, ordonner le temps que le pecheur doit faire penitence . Le troisiesme concile de Tours ; prescrire le temps que le penitent doit estre retranché de l' eucharistie. et avant tous ceux-là, le clergé de Rome ; attendre que les remedes necessaires qui ont besoin de temps, ayent refermé les playes. cela fait, c' estoit au penitent d' accomplir fidellement la satisfaction que l' on luy avoit enjointe, et de supporter avec courage toutes les austeritez de la penitence, se persuadant, comme tous les peres nous l' enseignent, que plus un pecheur usera de severité contre luy-mesme, plus Dieu luy tesmoignera sa misericorde ; (...). Et lors que le temps de larmes, de veilles, de jeusnes, et de toute sorte de peine, et d' humiliation ---------------------------------------------------------------------p287 estoit achevé, il recevoit l' absolution par l' imposition des mains, et en mesme temps l' eucharistie, pour gage et pour accomplissement de sa reconciliation avec Dieu. L' ordre donc de la penitence estoit. Premierement, la confession et la demande d' estre mis en penitence. Secondement, l' imposition de la penitence. En troisiesme lieu, l' accomplissement de la penitence. Et enfin, l' absolution avec la communion. Et pour prouver cét ordre, que l' eglise durant tant de siecles a jugé si excellent et si salutaire, je ne me veux servir icy que de l' autorité de trois grands papes, que l' on peut dire ne ceder en suffisance et en vertu à aucun de ceux, qui ayent jamais esté assis sur la chaire de Saint Pierre. C' est à sçavoir, de Saint Innocent I de Saint Leon, et de Saint Gregoire. Le dernier de ces trois, expliquant ces paroles de l' evangile ; les pechez seront remis à ceux à qui vous les aurez remis ; (...). Qui ne voit combien ce pape juge necessaire, que le pecheur fasse penitence de ses pechez, non seulement avant que de communier, ---------------------------------------------------------------------p288 mais mesme avant que de recevoir l' absolution. Ce qui se trouve si conforme aux paroles d' Innocent I et de Saint Leon, que cette seule conformité fait voir clairement, que cette doctrine de Saint Gregoire, n' est pas sa doctrine, mais la doctrine de sa chaire ; et qu' il ne l' avoit pas moins receuë de ses predecesseurs, que de sa dignité. Le Pape Innocent, dans sa premiere epistre decretale, qui fait partie du corps des canons, parle en ces termes ; (...). Ces paroles ne nous monstrent-elles pas clairement, que selon les regles saintes, que ce grand pape a données à toute l' eglise, apres les avoir apprises dans la perpetuelle tradition de la mesme eglise, l' ordre que les prestres doivent garder dans l' execution de la puissance, que le sauveur leur a donnée de lier et de délier les ames, c' est de n' absoudre les pecheurs, qu' apres les avoir laissez dans les gemissemens et dans les larmes, et leur avoit fait accomplir une penitence proportionnée à la qualité de leurs pechez ? Mais ce que Saint Leon dit est encore plus puissant, ---------------------------------------------------------------------p289 pour persuader cette verité, et pour apprendre aux prestres la maniere, dont ils se doivent servir du pouvoir de remettre les pechez, qu' ils ont receu de Jesus-Christ, pour en user selon ses intentions, et les loix de sa justice. Voicy comme parle ce grand pape dans son epistre 91 à l' Evesque Theodore ; (...). C' est un pape qui parle ; et celuy dont toute l' eglise a reveré les paroles, comme des oracles, dans le concile de Calcedoine ; et dont les vertus et la suffisance extraordinaire luy ont fait meriter le tiltre de grand. ---------------------------------------------------------------------p290 Il parle generalement du remede necessaire pour rentrer dans l' esperance de la vie eternelle, apres avoir violé le don de la regeneration ; afin que vous ne pensiez pas alleguer icy vostre distinction imaginaire, de penitens publics pour des crimes enormes. Il ne parle point d' une coustume de police, ou d' une ordonnance purement ecclesiastique ; mais de l' ordonnance de Jesus-Christ mesme, comme tous les catholiques le reconnoissent, qui se servent de ce passage, pour prouver contre les heretiques de nostre temps, que la confession de tous les pechez mortels est d' institution divine. Et cependant je doute fort que vous puissiez ajuster cette doctrine à vos principes. Vous voulez qu' apres avoir commis des pechez mortels, l' on communie aussi-tost que l' on s' en est confessé, et vous condamnez comme temeraires et éloignez de l' esprit et de la prattique de l' eglise, ceux qui veulent estre plusieurs jours à faire penitence, avant que de communier. Et ce grand saint nous enseigne, que l' ordre de Jesus-Christ, pour faire rentrer les pecheurs dans la participation des mysteres est ; premierement, qu' ils confessent leurs pechez ; secondement, qu' ils en reçoivent penitence ; troisiesmement, qu' ils accomplissent cette penitence, et qu' ils se purifient par les fruicts d' une satisfaction proportionnee ---------------------------------------------------------------------p291 à la grandeur de leurs offenses ; quatriesmement, qu' ils soient reconciliez par l' absolution du prestre, et en suitte admis à la table sainte, pour y recevoir l' eucharistie, comme le sceau de leur reconciliation, et l' accomplissement de la remission de leurs pechez. Il faut premierement, selon ce pape, que les pecheurs se confessent de leurs pechez aux ministres de l' eglise, parce que Jesus-Christ les ayant establis juges, ils ne sçauroient, selon le concile de Trente, garder la justice et l' equité dans l' imposition des peines que les offenses meritent, s' ils n' en ont la connoissance. Il faut secondement que les prestres suivant le pouvoir qu' ils ont receu de la bouche du sauveur de retenir les pechez, lient le pecheur par les liens de la penitence, avant que de le deslier par la reconciliation, selon ce que dit Saint Ambroise, (...). Il faut en suitte que les pecheurs se purifient ---------------------------------------------------------------------p292 par la satisfaction, que le prestre leur a imposee, avant que de pretendre à la reconciliation et à l' usage des sacremens ; (...). Et en dernier lieu, il faut, selon ce saint pape, qu' apres s' estre purifiez par la satisfaction salutaire de la penitence, ils soient admis à la participation des mysteres par la porte de la reconciliation, et qu' ainsi (contre ce que vous avez osé nier par une ignorance prodigieuse) ils ne communient, qu' apres avoir esté plusieurs jours, pour ne pas dire plusieurs mois et souvent plusieurs annees, à faire penitence de leurs pechez. Et ce qui nous monstre bien clairement, que ce grand pape n' a rien dit en tout cela, que selon le sentiment commun de toute l' eglise, c' est que nous voyons que Theodoret Evesque De Cyr, qui vivoit du mesme temps, marque expressément entre les erreurs de certains heretiques nommez audiens, qu' ils obligoient bien les pecheurs de confesser leurs offences ; mais que sans leur prescrire le temps de la penitence, ainsi que l' eglise l' ordonne, ils les absolvoient ---------------------------------------------------------------------p293 aussi-tost apres cette confession, comme ayans pleine puissance de pardonner les pechez. (...). Voila de quelle sorte, selon les peres, le sauveur du monde a voulu que l' on se relevast de sa cheute, apres le baptesme, et qu' apres s' estre nourry de la viande des pourceaux, l' on s' efforçast de se rendre digne de retourner à sa table, et de se nourrir de son corps et de son sang. Car il se voit clairement par les paroles de Saint Leon, que ces saints exercices de penitence, n' estoient pas seulement des preparations à l' absolution du prestre ; mais principalement à la saincte communion, comme à la consommation de la remission des pechez, suivant ce que Saint Ambroise dit, parlant du restablissement des penitens, au chap. 3 du second livre de la penitence. (...). Et c' est ce qui fait que le mesme Saint Ambroise accuse les novatiens d' estouffer la penitence, quoy qu' ils peussent dire qu' ils y exhortoient ---------------------------------------------------------------------p294 les hommes ; parce qu' ils en ostoient le fruict en ostant aux pecheurs l' esperance de rentrer dans la participation de l' eucharistie ; (...). Mais ne pourroit-on pas dire avec autant de raison ? En vain on presche la penitence, dont l' on accorde le fruict auparavant que l' on ait pensé serieusement à la faire. Quand un nautonnier est au port, il ne pense plus à la tempeste. Presentez la couronne à un athlete aussi-tost qu' il est entré dans la carriere, il perdra le soin de combattre. Quand un pescheur a pris ce qu' il pouvoit esperer de poissons, il cesse de jetter ses rets. Comment donc celuy, que vous poussez plustost que vous n' admettez à la participation des sacremens, par une facilité inconsideree, ne perdra-t' il pas l' ardeur, qu' il ---------------------------------------------------------------------p295 devroit avoir, pour meriter de recevoir ce qu' il a desja receu ? L' on voit encore plus clairement que ces exercices de penitence regardoient principalement la preparation à l' eucharistie, en ce que tous les canons, qui parlent des divers degrez de la penitence, les terminent par la reception du saint sacrement, comme par le but et la perfection de la penitence. (...). ---------------------------------------------------------------------p296 Mais nous trouvons encore dans l' histoire ecclesiastique un exemple celebre de cette ancienne discipline, et de cette verité constante, que l' eucharistie est le sceau de la remission des pechez, et son dernier accomplissement. Eusebe rapporte une lettre de Saint Denys D' Alexandrie dans laquelle ce saint patriarche raconte, qu' un nommé Serapion, qui avoit tousjours vescu dans une tres grande sainteté, estant tombé par foiblesse durant la persecution, et ayant esté separé pour cela de la communion des fideles, demeura en penitence tout le reste de sa vie ; et estant à l' article de la mort, Dieu luy rendit miraculeusement la parole qu' il avoit perduë il y avoit trois jours, afin qu' il peust demander à son petit fils, de faire venir un prestre, qui luy peust donner l' absolution de l' eucharistie, apres lequel commandement il perdit la parole de nouveau. Mais le prestre, n' ayant peû le venir trouver, parce qu' il estoit malade, donna à l' enfant une partie d' une hostie, laquelle aussi-tost qu' il eut apportee, Dieu rendit miraculeusement la voix à Serapion, et luy revela mesme que le prestre n' avoit peu venir ; mais qu' il luy avoit envoyé l' eucharistie, laquelle ayant receuë, il expira aussi-tost. Surquoy Saint Denys dist ces paroles ; (...). ---------------------------------------------------------------------p297 Ce qui nous apprend clairement, que les peres estoient si fort persuadez, que la parfaite remission des pechez s' accomplissoit par la reception de l' eucharistie, qu' ils croyoient mesme, qu' en cas de necessité elle pouvoit faire toute seule, ce qu' elle ne faisoit ordinairement, qu' estant accompagnée de l' absolution du prestre ; c' est à dire, reconcilier, et effacer les taches de l' ame. Il est donc indubitable par tous les tesmoignages de l' antiquité, que la participation de l' eucharistie, estoit le couronnement de la reconciliation du pecheur : et qu' ainsi personne n' estant receu à la reconciliation, qu' apres avoir fait une longue et laborieuse penitence de tous les pechez mortels, qu' il avoit commis apres le baptesme, comme je l' ay fait voir par l' ordre qu' ils observoient dans l' administration de ce sacrement, il s' ensuit qu' il falloit estre plusieurs jours à faire penitence avant que de communier. PARTIE 2 CHAPITRE 9 ---------------------------------------------------------------------p298 sixiesme preuve. Que le fondement des peres pour obliger les pecheurs à une longue et laborieuse penitence, a esté le violement du baptesme : ce qui est commun à tous les pechez mortels. la sixiesme preuve se peut tirer du fondement, que tous les peres ont eu pour obliger les pecheurs, à demeurer long-temps dans les soûpirs, et dans les larmes, dans la priere, les aumosnes, et les jeusnes, avant que d' oser approcher du saint des saints. Car s' il se trouve, qu' il soit commun à tous les pechez mortels, qui ne voit, que selon leur doctrine et leur esprit, apres toutes ces sortes de pechez, il faut estre plusieurs jours à faire penitence avant que de communier ; qui est le point dont il s' agit entre nous ? Or qui est celuy, qui ait la moindre lecture des ouvrages de ces grands saints, qui ne reconnoisse, qu' ils ont tousjours pris ; pour fondement de cette penitence rigoureuse, le violement du baptesme, qui se fait par toutes sortes de pechez mortels ? Saint Augustin marquant le bon-heur de ceux, qui sont baptisez à la mort, et le danger de ceux, qui ne font penitence qu' à la mort, ---------------------------------------------------------------------p299 dit ces paroles ; (...). Ces paroles ne monstrent-elles pas clairement, que tous les pechez qui violent la grace du baptesme, (c' est à dire, tous les pechez mortels, comme on n' en peut pas douter) obligeoient à faire penitence, en demeurant separé du corps de Jesus-Christ. Aussi tous les autres peres, lors qu' ils parlent le plus fortement de l' obligation, que les pecheurs, ont de faire une longue et laborieuse penitence, pour fleschir la misericorde de Jesus-Christ, et pour parvenir au bien supréme de la participation de son corps, dont leurs pechez les avoient exclus ; n' en apportent point de raison plus puissante, que ce violement du baptesme, dont parle Saint Augustin ; que cette grandeur des pechez qui en font perdre la sainteté ; (...). ---------------------------------------------------------------------p300 Et c' est la difference que le mesme concile reconnoist, apres tous les peres, entre le baptesme et le sacrement de penitence, (...). C' est pourquoy le Cardinal Bellarmin, defendant cette doctrine du concile contre les heretiques de nostre temps, reconnoist que (...). Et refute par là l' erreur de ces heretiques, qui se persuadent, que les pechez commis apres le baptesme se remettent aussi facilement, qu' avant le baptesme : et que la seconde reconciliation ne doit pas estre plus penible, ny plus laborieuse que la premiere. Ce qui est ruïner entierement toute la tradition divine, et toute l' escriture sainte. (...). ---------------------------------------------------------------------p302 Et Theodoret, avant tous les deux, parle en cette sorte de la reconciliation de tous ceux qui ont violé l' innocence de leur baptesme. (...). Apres cela, cherchez à qui vous pourrez persuader, que ce n' a jamais esté la prattique de l' eglise, qu' apres avoir violé par des pechez mortels la sainteté du baptesme, l' on fust plusieurs jours à faire penitence, avant que de communier. Mais sçachez qu' auparavant il est necessaire, que vous brusliez tous les livres, ou que vous démentiez tous les peres, et que vous les condemniez d' erreur et d' aveuglement, d' avoir proposé pour loix de l' eglise, ce que vous croyez estre entierement esloigné de son esprit. Que si vous n' estes pas content de ce tesmoignage si formel et si authentique, de l' un des plus sçavans evesques de l' antiquité, et des mieux instruits dans les loix sacrées de l' eglise, Saint Jean Chrysostome, qu' il suit presque en toutes choses comme son maistre, vous apprendra qu' il n' a fait cette comparaison de la penitence et du baptesme, qu' à son imitation, et qu' il avoit dit long-temps avant luy ; (...). ---------------------------------------------------------------------p303 Et avant Saint Jean Chrysostome, Saint Gregoire De Nazianze son predecesseur dans la chaire de Constantinople, nous enseigne, (...). Il est donc necessaire, selon ce pere, pour reparer par ce baptesme de larmes la perte du premier baptesme, d' imiter l' humilité du publicain ; de se tenir loin de l' autel, et de la compagnie des saints ; de se croire indigne de lever seulement les yeux au ciel, combien plus de recevoir le roy du ciel ; de ne faire autre chose que battre sa poitrine, et non pas la croire assez pure, pour estre la demeure de Jesus-Christ ; et enfin de se contenter de demander à Dieu ---------------------------------------------------------------------p304 misericorde, pour un miserable pecheur, au lieu de s' eslever jusqu' à pretendre aussi-tost à ses plus grandes faveurs. Il est encore besoin qu' il prenne la chananée pour son modelle, et que se considerant en qualité de chien et de chien horrible aux yeux de Dieu (comme parle Saint Augustin) pour estre retourné à son premier vomissement ; il se garde bien de pretendre si tost au pain des enfans ; qu' il se contente de quelques miettes de la table, en disant à Jesus-Christ, ce que cette femme luy dit dans Saint Augustin ; (...). Voila les pensées de ce grand saint, que l' antiquité par excellence a nommé le theologien : mais pour monstrer que cette doctrine n' est point une invention de son esprit, et pour en faire voir l' universalité dans l' eglise universelle ; passons à l' autre bout du monde, et nous trouverons, qu' en ce mesme temps Saint Pacien Evesque De Barcellone faisoit retentir les mesmes sentimens en Espagne ; et que respondant aux novatiens, qui par une rigueur inhumaine ne pouvoient souffrir que l' eglise remist les pechez apres le baptesme, il parle de cette sorte. (...). ---------------------------------------------------------------------p305 Et qu' on ne s' estonne point de ces paroles apres celles de Saint Ambroise, lesquelles tout le monde sçait, et que si peu considerent avec l' attention qu' elles meritent, qu' il trouvoit plus facilement des innocens, que des veritables penitens, c' est à dire, qu' il connoissoit plus de personnes (...). Et cela pour les mesmes raisons que Saint Pacien, (...). ---------------------------------------------------------------------p306 Que si nous remontons plus haut dans la source de l' eglise, nous trouverons que ces saints, et principalement Saint Pacien, n' ont esté en cela que les disciples de Saint Cyprien ; comme S Cyprien De Tertullien ; et tous ensemble de la tradition et de l' escriture sainte. Car pour comprendre l' obligation de satisfaire à la justice de Dieu, apres la perte de l' innocence du baptesme, il ne faut que considerer ces paroles de l' apocalypse, dont Saint Cyprien se sert souvent : souvenez-vous, d' où vous estes tombé, et faites penitence : puis qu' elles marquent clairement, que la grandeur de nostre penitence doit estre proportionnée à la grandeur de nostre cheute ; que nostre satisfaction doit estre plus grande, plus nostre peché est grand ; et qu' il est d' autant plus grand, ---------------------------------------------------------------------p307 qu' il ruïne de plus grands biens. De sorte qu' il ne faut que concevoir l' excellence du baptesme, (sur tout quand il est joint aux deux autres sacremens, qui nous font parfaits chrestiens, c' est à dire, à la confirmation, et à l' eucharistie) pour concevoir quel crime c' est que d' en ruïner la sainteté ; (...). Et c' est ce que le sauveur du monde nous a voulu apprendre avec tant de soin, qu' il en a fait quatre conclusions, en quatre occasions differentes, des plus importantes de l' evangile. La premiere est la conclusion du premier, et du plus grand sermon de Jesus-Christ, qui contient toute l' instruction de la religion chrestienne, qu' il a creu ne pouvoir mieux conclure, qu' en representant à tous les chrestiens, combien grande sera la ruïne de leur maison spirituelle, si elle tombe une fois par l' effort des tentations, pour n' avoir pas esté eslevée sur des fondemens assez solides. La seconde est la conclusion d' un discours de Jesus-Christ, qui contient la preparation à la religion chrestienne, où apres avoir ---------------------------------------------------------------------p308 monstré, que l' on ne peut estre son disciple sans renoncer à toutes choses, pour marquer en suitte l' importance qu' il y a de se tenir ferme en cét heureux estat de disciple du sauveur, apres y estre une fois entré, et la difficulté d' y retourner, si l' on en est une fois décheu : il adjoûte ces paroles mysterieuses, et qu' il accompagne pour cette raison de cette exclamation ordinaire dans la proposition des mysteres ; (...), le sel est bon, mais s' il s' afadit et pert sa force, qui luy pourra servir d' assaisonnement, comme il en sert aux autres choses ? (...). Comme s' il nous disoit, c' est une chose excellente d' estre mon disciple, et de pouvoir servir aux autres de sel par la vie, par les paroles, et par les actions. Mais si l' amour des choses ausquelles il faut renoncer, fait devenir ce sel fade et corrompu, qui le pourra restablir en sa premiere vigueur, lors qu' il n' est plus bon qu' à estre jetté dehors, c' est à dire, à estre jetté dans les tenebres exterieures ? La troisiesme, est la conclusion de ce miracle fait en la personne, et en la faveur d' un malade de trente-huit ans, qui est la figure du baptisé, comme la piscine, l' estoit du baptesme, et en qui Saint Augustin remarque, par ce nombre mysterieux, le manquement de la charité, qui fait le grand peché ; (...). ---------------------------------------------------------------------p309 De sorte, que selon ces paroles de la verité, l' ame qui retombe depuis le baptesme dans quelque peché mortel, se retrouve dans un estat plus déplorable, que n' est celle d' un juif ou d' un payen, et que n' estoit le corps de cét homme dans une maladie de trente-huict ans, qui ne pouvoit estre guerie que par un miracle. La quatriesme, est la conclusion de la condemnation des juifs, que les peres ont attribuée aux baptisez, qui sont décheus de la grace du baptesme ; où Jesus-Christ nous enseigne, que lors que le demon est sorty d' un homme (ce qui se fait dans nostre baptesme, où nous sommes delivrez de la puissance des tenebres) il n' y retourne qu' avec sept demons plus meschans que luy ; (...). Concluons donc, que puis que tous les peres fondent la necessité de satisfaire à la justice de Dieu, par de vrays fruits de penitence, et principallement par une humble et respectueuse separation de l' eucharistie, sur la grandeur des pechez, qui ruïnent la grace du baptesme ; il est necessaire d' enfermer dans cette obligation ---------------------------------------------------------------------p310 generalle à la penitence toutes sortes de pechez mortels, chacun selon son degré, puis qu' ils causent tous cette perte inestimable, et que pour cette raison, ils peuvent tous à bon droit estre appellez crimes enormes, puis que, selon vous, il faut en avoir commis pour estre obligé à la penitence. Car si le peché d' Adam, est appellé par les peres une grande prevarication, pour avoir ruïné l' alliance que Dieu avoit contractée avec luy : combien plus, selon cette consideration, le peché d' un chrestien doit-il estre estimé grand, puis qu' il ruïne une alliance beaucoup plus estroitte, et plus sainte, qu' il a contractée dans le baptesme avec Jesus-Christ, qui est celuy qui baptise ? De sorte, que si le premier homme, aussi-tost qu' il eut rompu cette premiere alliance, fut privé du fruit de vie, qui est l' image de l' eucharistie : combien plus les chrestiens, qui violent la seconde, se rendent-ils indignes de communier au corps de Jesus-Christ ? Et n' est-ce pas une des grandes graces, et pour parler avec l' escriture, la grande misericorde de la loy nouvelle, que Jesus-Christ redonne encore son corps, et son sang, à ceux, qui apres l' avoir offensé par des pechez mortels, reviennent à luy avec un coeur contrit et humilié, et se rendent dignes de rentrer dans cette jouïssance divine, par de vrais fruits de penitence ? ---------------------------------------------------------------------p311 Que s' il estoit permis d' imiter icy vos chaleurs, j' aurois bien plus de sujet que vous, de dire, que le plus grand mal-heur qui puisse arriver à l' eglise , c' est que les directeurs des consciences ne considerent pas assez l' estat deplorable, où nous reduit le moindre des pechez mortels ; les sentimens de douleur, que l' on doit avoir d' estre rentré sous la puissance du demon ; et de quelle sorte l' on doit pleurer la perte et la mort de son ame. (...). PARTIE 2 CHAPITRE 10 ---------------------------------------------------------------------p312 septiesme preuve. Que cette sainte discipline ne regardoit pas seulement l' edification du peuple (ainsi que nos heretiques le pretendent) mais le propre salut de celuy, que l' on retranchoit de la communion ; comme il se voit en ce que ce retranchement estoit quelquefois secret et caché. Conclusion de toutes ces preuves. mais il est temps de conclure ces preuves par la derniere qui servira d' appuy à toutes les autres en destruisant cette fausse creance que nos heretiques ont, que ces longues et penibles satisfactions, avant que de s' approcher de l' eucharistie, ne regardoient que la police exterieure de l' eglise, et l' edification du peuple. Pour renverser cette doctrine pernicieuse, et monstrer en suitte, que ce temps de penitence, et de separation de l' eucharistie ne s' ordonnoit pas seulement, pour reparer l' honneur de l' eglise interessé dans les crimes de ses enfans ; mais principallement pour le salut des pecheurs, et pour leur procurer une veritable guerison par cette abstinence religieuse, et ce retardement salutaire ; il ne faut que considerer, que lors que l' eglise jugeoit à propos, pour quelques raisons particulieres, de cacher aux yeux ---------------------------------------------------------------------p313 du peuple, la penitence de quelques personnes, qui n' avoient peché que secrettement, et d' oster ainsi absolument aux autres fidelles le moyen de profiter de leur exemple ; elle ne les dispensoit pas pour cela du retranchement de la communion (comme elle eust fait sans doute, si ce retranchement n' eust esté que pour l' edification publique) mais les obligeoit de gemir aux yeux de Dieu et des anges, autant de temps que les autres le faisoient aux yeux des hommes. Pour confirmer cette sainte discipline, je n' en veux rapporter que deux argumens, qui ne peuvent laisser de doute. Le premier est que quand une femme tombee secrettement en quelque adultere, et touchee depuis du repentir de son crime, se venoit elle mesme confesser au prestre, parce que l' on pouvoit craindre, qu' en la mettant publiquement au nombre des penitens, cela ne fist juger de sa faute, et donner en suitte occasion au mary de l' outrager, ou mesme de la faire mourir ; Saint Basile tesmoigne que les ordonnances de l' eglise, qui sont tousjours accompagnees de discretion, portoient, qu' elle accompliroit sa penitence en secret, et que durant le temps porté par les saints canons contre les adulteres (c' est à dire durant plusieurs annees) elle demeureroit separee de l' eucharistie ; d' où nous apprenons plusieurs choses de grande importance ---------------------------------------------------------------------p314 touchant la separation de l' eucharistie. Premierement, qu' elle ne s' ordonnoit pas seulement pour les pechez publics, mais aussi pour les secrets. Secondement, que sa fin n' estoit pas la seule edification du peuple, mais principalement le salut de celuy que l' on separoit. En troisiesme lieu, que quoy que pour l' ordinaire elle fust jointe à la penitence publique ; elle ne luy estoit pas neanmoins tellement attachee, que pour quelque occasion, elle ne se peust, et ne se deust pratiquer sans elle ; comme estant utile à la solide guerison des ames malades, lors qu' elle est separee de l' autre, aussi bien que lors qu' elle y est jointe. Quatriesmement, que la penitence publique ne se pratiquant pas ordinairement parmi nous, il ne s' ensuit pas, que pour des pechez mortels l' on ne puisse, et l' on ne doive souvent separer les penitens de la sainte communion, pour les preparer à la recevoir plus dignement, principalement lors que touchez puissamment de la main de Dieu, ils embrassent volontairement cette sainte et ancienne pratique, que l' on ne peut condamner, sans condamner tous les saints d' aveuglement dans la conduite des ames. Et enfin, nous apprenons (ce que je supplie tout le monde de remarquer) que pour ne pouvoir pas demeurer tout à fait dans la rigueur ---------------------------------------------------------------------p315 des premieres lois, et de la premiere discipline, sous laquelle l' eglise a fleuri durant tant de siecles, il ne faut pas neanmoins en effacer toutes les traces et tous les vestiges, et s' abandonner à un entier relaschement ; comme ces saints peres ne laissoient pas de soûmettre ces femmes à la penitence, et de les separer du saint autel, quoy qu' ils ne le peussent faire, selon toutes les lois, et toutes les conditions que l' eglise, avoit accoustumé d' observer en ces rencontres. Le second exemple est des personnes constituees dans les ordres ecclesiastiques, que tout le monde sçait n' avoir point esté sujets, pour le moins ordinairement, à la penitence publique, et neanmoins l' on ne laissoit pas, lors qu' ils tomboient en quelque peché mortel, de les separer de l' autel, et de les obliger de satisfaire à Dieu en secret, avant que de retourner à l' usage de leur ministere ; si toutefois l' on les y laissoit retourner, ce qui arrivoit tres rarement ; principalement dans les premiers siecles. Saint Leon nous apprend ces deux veritez dans son epistre 92 à Saint Rustique archevesque de Narbonne ; (...). ---------------------------------------------------------------------p316 Ce qui se peut encore justifier par l' exemple, que nous avons rapporté de Saint Ambroise, touchant ce diacre, nommé Geronce, auquel il ordonna de demeurer dans sa maison durant un certain espace de temps, et d' expier sa faute par la penitence ; (...), dit Sozomene. Ce que le grand Saint Charles son successeur a imité depuis, à l' esgard des ecclesiastiques, qui estoient tombez en quelque faute, les retirant dans un lieu secret de son palais, et les obligeant d' expier leurs pechez, en demeurant durant un certain temps, dans les jeusnes, dans les prieres, et dans les mortifications volontaires, jusques à ce qu' ils eussent satisfait à la justice de Dieu par les fruicts de leur penitence. Et depuis ces peres, le concile de Lerida en Espagne, tenu sous le pontificat de Jean I sur le commencement du sixiesme siecle, ordonne que les ecclesiastiques , (...). ---------------------------------------------------------------------p317 Un autre concile d' Hibernie rapporté par Gratien, prescrit dix ans de penitence à un prestre, qui aura commis une fornication, et qui s' en sera volontairement accusé : et entre autres choses qu' il luy ordonne de faire, il veut (...). Et Saint Fulbert evesque de Chartres dans les derniers temps, estant consulté de ce qu' il falloit faire à un prestre qui avoit dit la messe sans y communier, respond, qu' il estoit besoin de distinguer les causes qui l' avoient peu porter à cela ; (...). ---------------------------------------------------------------------p318 Tout cela s' accorde-t' il avec ce que vous asseurez avec tant de hardiesse ? Qu' il n' y avoit que les penitens publics pour des crimes enormes, qui fussent separez de l' eucharistie, pour faire penitence : mettrez vous l' yvrognerie au nombre des crimes enormes, si vous n' y mettez en mesme temps toutes sortes de pechez mortels, comme veritablement ils le meritent, selon le jugement de Dieu ? Et vous persuaderez vous encore, qu' à moins que d' imposer une penitence publique, l' on ne puisse separer un homme de l' eucharistie, vous ayant monstré si clairement que l' on en separoit les prestres, quoy qu' ils ne fussent point sujets à la penitence publique. Mais que respondrez vous à Saint Prosper, qui fut au Pape Saint Leon, ce que Saint Hierosme fut à Damase, lequel nous declare si fortement ---------------------------------------------------------------------p319 qu' un ecclesiastique, se sentant coupable de quelque peché mortel commis secrettement, doit porter contre luy mesme la sentence d' une excommunication volontaire, afin de pleurer son ame morte, et se reconcilier avec Dieu par les fruicts d' une solide et veritable penitence ? (...). ---------------------------------------------------------------------p320 Ce n' est donc pas seulement pour l' observation de quelque police exterieure, que ceux qui sont coupables de pechez mortels, se doivent retrancher de l' eucharistie ; c' est pour se reconcilier avec Dieu par les fruicts d' une solide et veritable penitence, pour estre faits ---------------------------------------------------------------------p321 citoyens de la cité celeste et divine, pour entrer dans la joye de l' eternelle felicité. Mais il est inutile de s' arrester à une chose si claire, et j' espere que ces six ou sept preuves suffiront, pour vous faire juger à vous-mesme avec combien d' ignorance vous asseurez ; (...). Car je vous ay monstré dans la premiere, que si nous considerons la distinction des pechez ; les peres ont jugez dignes du retranchement de l' autel, tous ceux qu' ils ont opposez aux veniels, et qu' ils ont appellez crimes. Dans la seconde ; que si l' on regarde la peine que meritent les pechez, ils ont puny de l' excommunication tous les mortels. Dans la troisiesme ; que si l' on recherche les diverses sortes de penitence propres pour les effacer, on n' en trouvera que de deux sortes depuis le baptesme, l' une pour les pechez veniels, et l' autre pour les mortels : et que cette derniere estoit tousjours accompagnée de la separation de l' eucharistie. Dans la quatriesme ; que si l' on prend garde à la puissance que Jesus-Christ a donnée aux prestres, de remettre en grace tous ceux qui en sont decheus ; ils ne l' ont gueres exercée, que sur ceux qu' ils avoient auparavant separez ---------------------------------------------------------------------p322 du pain celeste, et par consequent, qu' ils en separoient pour tous les pechez qui ruïnent la grace. Dans la cinquiesme ; que si nous examinons avec quel ordre ils se conduisoient dans l' administration du sacrement de penitence ; il est sans doute, que s' ils n' estoient forcez par quelque necessité, comme d' un urgent peril de mort, ils ne reconcilioient et n' admettoient jamais à la participation des mysteres ceux, qui avoient perdu la grace de leur baptesme, qu' apres l' accomplissement d' une longue et penible satisfaction. Dans la sixiesme ; que si nous recherchons le fondement de cette rigueur salutaire, nous n' en trouverons point d' autre que le violement du baptesme, et la rupture de l' alliance contractée avec Jesus-Christ, ce qui est inseparable de tous les pechez mortels. Et enfin dans la septiesme, et derniere, que si nous voulons sçavoir l' objet et le but de cette sainte discipline, ce n' estoit pas seulement l' edification des fidelles ; mais le salut propre de celuy que l' on disposoit par ces exercices de penitence, et ce respectueux esloignement des autels, à une vie vrayement chrestienne, et qui fût conforme à la sainteté des mysteres ausquels il aspiroit. Et toutes ces raisons s' entretiennent de telle sorte, que pourveu qu' on les prenne toutes ---------------------------------------------------------------------p323 ensemble, et selon l' éclaircissement qu' elles se donnent les unes aux autres ; je ne sçay qui sera celuy qui n' en sera point convaincu, si ce n' est que les nuages de la passion s' opposent à de si vives lumieres, ou que la preoccupation remplisse tellement l' esprit, que la verité n' y puisse plus trouver de place. (...). PARTIE 2 CHAPITRE 11 raisons de l' ordre que les peres ont gardé dans l' administration de la penitence. et premierement du retardement de l' absolution, dont ils ont usé pour donner moyen aux pecheurs, d' expier leurs crimes par une satisfaction salutaire, et de s' affermir dans la bonne vie. nous voyons donc quel est le sentiment des peres, des conciles, et des papes, touchant la prattique que vous osez condemner. Cela doit suffire à un enfant de l' eglise, pour en reconnoistre la sainteté : puis qu' à moins que de ruïner un des principaux fondemens de nostre religion, l' on ne peut douter, qu' une doctrine enseignée par tous les saints peres, autorisée par tant de conciles, et confirmée par tant de papes, ne soit sainte et catholique. Et pour vous, c' est assez de vous avoir declaré le jugement des saints docteurs, pour vous obliger à vous y rendre, puis que par ---------------------------------------------------------------------p324 vostre propre confession, un fidelle directeur des ames, ne doit point avoir de sentimens particuliers, et esloignez de ceux des saints peres. Neantmoins, comme l' intelligence est le fruit et la recompense de la foy, la soûmission que nous devons aux instructions de ces grands saints, pourra servir à nous rendre dignes d' entrer plus avant dans leur esprit, et de penetrer les raisons divines, qu' ils ont suivies dans l' ordre si salutaire de cette discipline celeste ; comme l' appelle Saint Augustin. Pour le faire avec plus de facilité, nous pouvons considerer la penitence, et comme disposition à l' absolution du prestre, et comme preparation à la reception de l' eucharistie. Car encore que dans leur conduite ces choses fussent inseparables, et que la mesme penitence qui preparoit à l' absolution, preparast aussi à la communion qui l' accompagnoit tousjours, ainsi que nous avons fait voir ; cela n' empesche pas neantmoins que nous n' y puissions distinguer comme deux divers rapports, et rechercher ; premierement, ce qui a porté ces hommes incomparables en science et en sainteté, de faire attendre les pecheurs un si grand espace de temps, avant que de leur accorder la remission de leurs crimes. Et en second lieu, ce qui les a obligez de ne les point admettre à la table de Jesus-Christ, qu' apres s' estre purifiez par les exercices d' une longue et laborieuse penitence. ---------------------------------------------------------------------p325 Quant au premier poinct, il paroist par toute la suite de leur doctrine, que la principale raison qu' ils ont euë, de differer si long-temps l' absolution des crimes qu' on leur avoit confessez, est, qu' ils ont creu, que tout homme, qui est descheu de la grace, et qui s' est rendu digne de l' enfer, doit premierement travailler, selon l' ordonnance du prestre, à fleschir la cholere de Dieu, par ses prieres, par ses larmes, et par toutes sortes de bonnes oeuvres ; à se purifier, selon les termes du grand Saint Leon, (...), selon le Pape Innocent ; et à obtenir de la misericorde divine, la grace d' une veritable et solide conversion, avant que d' estre reconcilié par la puissance de l' eglise. C' est ce qui fait dire à Saint Gregoire, dans les paroles que nous en avons rapportées ; (...). ---------------------------------------------------------------------p326 Comme ce grand pape avoit appris cette doctrine des peres qui l' avoient precedé, et particulierement de Saint Augustin, ceux aussi qui l' ont suivy l' ont receuë de luy comme un dépost sacré pour la transmettre à leurs successeurs. Le concile d' Aix-La-Chappelle, sous le pontificat d' Estienne V et l' empire de Loüys Le Debonnaire, entre les reglemens qu' il a dressez pour les ecclesiastiques, les ayant tirez des peres et des canons, pour advertir les evesques et les prestres, de la maniere dont ils doivent exercer la puissance de lier et de deslier, qu' ils ont receuë de Jesus-Christ, emprunte les paroles de Saint Gregoire, que nous avons rapportées, comme la plus excellente instruction, qu' on leur puisse donner sur ce sujet. ---------------------------------------------------------------------p327 Et Saint Eloy evesque de Noyon qui vivoit environ cent ans devant ce concile, et cent ans depuis Saint Gregoire, rapporte de luy ce lieu tout entier, pour exhorter ses penitens à ne point rechercher l' absolution du prestre, qu' apres avoir pleuré leurs pechez, estre morts à leurs vices, et ressuscitez à la grace. C' est dans son homelie Ii où il leur parle de cette sorte ; (...). Ce qu' ayant confirmé par le mesme exemple, et par les mesmes paroles de ce pape que nous venons de rapporter, il conclud avec luy, (...). Ce mesme evesque dans un autre sermon, apres avoir fait un dénombrement de ---------------------------------------------------------------------p328 toutes sortes de pechez mortels, sans y oublier ceux qui paroissent les plus legers, comme les querelles, l' yvrognerie, la bonne chere, les mauvais desirs , donne cét advertissement à son peuple ; (...). ---------------------------------------------------------------------p330 Enfin ce mesme saint, estant prest de donner l' absolution à ses penitens, les advertit de la disposition dans laquelle ils doivent estre pour la recevoir, par ces belles et excellentes paroles ; (...). ---------------------------------------------------------------------p331 Ainsi nous voyons que ces saints peres, par qui nous avons receu la doctrine de nostre foy, estoient bien esloignez de croire, (comme quelques-uns font aujourd' huy) qu' il n' y eust autre chose à faire, pour obtenir le pardon des plus grands crimes, que de se jetter aux pieds d' un prestre, et luy raconter ses desordres ; puis qu' ils enseignent si nettement, que pour avoir droit d' attendre des prestres la remission de nos pechez, il faut qu' auparavant nous en fassions une penitence convenable, et proportionnée à la grandeur de nos fautes ; que nous despoüillions le vieil homme avec toutes ses actions, et revestions le nouveau ; que nous nous rendions dignes par les fruicts d' une satisfaction salutaire d' estre absous par la sentence du juge invisible. Et ils parlent quelquefois si fortement contre ceux, qui negligeans de flechir Dieu par une longue perseverance dans les gemissemens et dans les soupirs, et de laver leurs crimes dans l' eau de leurs larmes, demandoient d' estre reconciliez par l' eglise ; qu' à n' entendre pas bien leur langage, il sembleroit, qu' ils eussent passé jusques à l' erreur des novatiens, et qu' ils eussent desadvoüé le pouvoir que l' eglise a de remettre les pechez. N' est-ce pas ce que Saint Cyprien semble ---------------------------------------------------------------------p332 dire, lors qu' il advertit les chrestiens, qui estoient tombez durant la persecution, de n' attendre que de Dieu seul la remission de leur crime. (...). N' est-ce pas ce qu' au mesme temps le clergé de Rome semble enseigner, lors que rendant raison de sa conduitte envers ceux qui avoient renié la foy, il dit simplement, (...). Et neanmoins il est certain que ces saints n' ont voulu dire autre chose par ces façons de parler, sinon que les pecheurs ne doivent point attendre que les prestres leur fissent grace, et leur accordassent la remission de leurs crimes, s' ils ne travailloient avant toutes choses, ---------------------------------------------------------------------p333 à fléchir la misericorde de Dieu par les fruicts d' une veritable et solide penitence. C' est ce que nous voyons clairement par Saint Cyprien ; puis que dans le mesme traicté, où il semble reserver le pardon des crimes à la seule misericorde de Dieu, il reconnoist en termes expres, que les prestres les pouvoient remettre, et exhorte pour cette raison ceux qui estoient tombez à confesser leur faute ; (...). De sorte qu' il est visible, que lors que ce saint les advertit de n' attendre le pardon de leurs offences que de Dieu seul, parce que luy seul leur peut faire grace, (...), ce n' est que pour leur apprendre, que leur principal soin devoit estre de flechir Dieu par leurs prieres, et d' appaiser sa cholere par une juste satisfaction, comme il tesmoigne par ces belles paroles qui font la conclusion de cet avertissement ; (...). Et quant à l' absolution des prestres qu' ils n' y devoient mettre leur confiance ; qu' en observant les conditions qu' il leur propose à la fin de ce traitté ; (...). ---------------------------------------------------------------------p335 Ce que nous avons rapporté du clergé de Rome doit estre pris dans le mesme sens. Et comme ces saints prestres qui gouvernoient l' eglise durant la vacance du saint siege, estoient bien esloignez de nier la puissance que l' eglise a de remettre toutes sortes de pechez ; ils ne croioient pas aussi, que l' indulgence de l' eglise deust estre employée qu' en faveur des veritables penitens, qui reconnoissent la grandeur de leur peché, et qui recherchent la guerison de leurs maux dans les remedes salutaires d' une juste satisfaction qui ne soient pas moindres que les playes. C' est ce qu' ils declarent expressement, en escrivant à Saint Cyprien, et se plaignant de certains prestres, qui, par une fausse douceur, et par une facilité indiscrette, portoient les pecheurs à desirer une reconciliation precipitée. (...). Ils apprennent aux penitens dans la mesme epistre, en quelle maniere ils se doivent conduire, pour meriter que l' eglise les absolve ; (...). ---------------------------------------------------------------------p336 Tous les saints docteurs de l' eglise conviennent dans ces sentimens ; et ils nous enseignent d' une commune voix, et par leurs escrits, et par leur pratique, qu' il n' est pas si aisé que l' on s' imagine, d' entrer dans les dispositions necessaires, pour recevoir le pardon de nos offenses mortelles qui nous reduisent en pire estat, que ne sont les juifs et les payens, suivant la doctrine de l' evangile. Ils ont trouvé tant de difficulté dans la guerison de ces playes, qu' ils n' ont pas creu que les larmes des penitens fussent suffisantes pour l' obtenir ---------------------------------------------------------------------p337 de la misericorde de Dieu, si elles n' estoient accompagnées de celles de toute l' eglise. C' est pourquoy ils leur ordonnoient (...). C' est ainsi qu' ils croyoient, que la resurrection des ames se devoit obtenir de la bonté de Jesus Christ, comme il ne ressuscita le fils de la veuve, qu' estant esmeu de pitié par les larmes de sa mere ; cette mere est l' eglise, dit Sainct Ambroise, (...). ---------------------------------------------------------------------p339 C' est l' advantage que les penitens, qui ne rougissoient point de tesmoigner publiquement le repentir de leurs crimes, avoient autrefois : parce qu' au mesme temps que l' eglise les voyoit dans cét estat de douleur et d' humiliation, elle s' unissoit avec eux pour purger leurs pechez, et prendre sur elle-mesme une partie de leur penitence. Ce qu' elle peut moins faire maintenant pour chaque pecheur en particulier, parce qu' elle ne les voit point paroistre en public, avec les marques de vrays penitens. Et la confession mesme qu' on fait au prestre, estant devenuë commune aux justes et aux pecheurs, et se faisant par tous les fidelles, aussi bien pour les pechez veniels que pour les mortels ; elle ne sçauroit deviner qui sont ceux, qui sont vrayement morts dans leur ame, et pour lesquels il faut principallement gemir, et faire une grande penitence pour appaiser Dieu, et le leur rendre propice. Ce n' est pas que les pecheurs deussent tellement mettre leur confiance dans ces pleurs de l' eglise, qu' ils negligeassent de pleurer eux-mesmes leurs propres pechez, imitant le Roy Saül, que l' escriture nous represente comme l' image de tous les pecheurs endurcis, qui vouloit obliger Samuel de porter son peché sans se mettre en peine de l' effacer luy mesme par l' affliction de la penitence. Car (comme Saint Ambroise remarque excellemment) Jesus-Christ, ---------------------------------------------------------------------p340 (...). Tout cela nous fait voir avec combien de raison toute l' eglise durant tant de siecles a observé cette sainte et salutaire pratique, de ne remettre les pechez mortels, qu' apres une longue et serieuse penitence, qu' apres une satisfaction proportionnée à la grandeur et à la qualité des offenses, comme les papes l' ordonnent. Mais nous y pouvons encore adjouster une autre cause de ce retardement salutaire, c' est que ces saints docteurs esclairez de Dieu, et instruits dans l' eschole du Saint Esprit, ne pensoient pas que l' on deust faire un jeu de la penitence, et que ce fust une chose supportable dans la vie des chrestiens, que de la voir composee d' un cercle perpetuel de confessions et de crimes. Ils ne vouloient point de conversions qui ne fussent fermes et stables. Et ils croyoient avec raison, que c' estoit faire une plus grande injure au fils de Dieu de se remettre au nombre de ses disciples pour l' abandonner ---------------------------------------------------------------------p341 et le trahir encore une fois, que de demeurer tousjours hors sa compagnie. C' est ce qui leur faisoit user de si grande circonspection, non seulement pour absoudre les pecheurs, mais mesme pour les admettre à la penitence, aymant beaucoup mieux, qu' ils ne l' entreprissent point, que de l' entreprendre imparfaitement, (...). Le concile d' Agde ne veut pas pour cette raison qu' on l' accorde facilement aux jeunes gens, à cause de la foiblesse de l' âge, qui est sujet à changer et à ne pas demeurer ferme dans les meilleures resolutions. Or il est visible à qui ne se veut point aveugler soy-mesme, que ce n' est pas le moyen d' establir la conversion d' un pecheur sur des fondemens solides, et de le faire penser serieusement à l' amendement de sa vie, que de le traitter avec une facilité indiscrette et une cruelle misericorde, qui ne sert qu' à effacer de son esprit le souvenir de son crime, qu' à appaiser ses soûpirs, qu' à seicher ses larmes, qu' à l' entretenir dans une fausse opinion de santé, lors qu' il est encore percé de mille blessures mortelles. Il faut que le malade sente son mal, afin qu' il craigne d' y retomber. Il faut que le pecheur porte la peine de son peché, pour en concevoir l' horreur qu' il en doit avoir, (...). ---------------------------------------------------------------------p342 Il faut que le temps qu' il demeure à pleurer et à gemir, luy remette devant les yeux le chastiment eternel que ses offenses meritent. Il faut en fin qu' il ait le loisir de considerer attentivement l' estat funeste où il se trouve reduit par sa desobeïssance, afin qu' il se fortifie dans la resolution constante de tout faire, de tout souffrir, et de tout quitter, plustost que de se reduire encore une fois à la condition miserable dont il s' efforce de sortir. Autrement, dit Saint Augustin, (...). Et le maistre de Saint Augustin expliquant ces parolles du pseaume 118 (...), remarque excellemment que la trop grande indulgence dont on use envers les pecheurs, ne sert qu' à les rendre pires, et à faire que Dieu les abandonne dans des passions encore plus infames et plus honteuses. (...). ---------------------------------------------------------------------p344 Voila le fruict qu' on recueille de la douceur indiscrette, dont on use envers les pecheurs. Voila le profit qu' ils en retirent, qui est de devenir plus meschans, et de meriter par un juste abandonnement de Dieu, que s' endormant dans une fausse confiance, que Dieu leur pardonne leurs crimes, sans qu' ils en fassent penitence, ils retombent dans de plus grands et de plus horribles excez. Et au contraire lors qu' on les traitte selon les regles de la justice divine, et avec une vigueur digne de la majesté de la foy et de la sainteté de l' evangile, la penitence qu' on leur fait faire de leur mauvaise vie passée, les affermit dans la bonne vie qu' ils doivent mener à l' advenir. La retraitte qu' on leur ordonne, et qui doit estre le premier appareil de toutes les playes qu' on a receuës dans le commerce des hommes, leur apprend à aymer la vie retirée, et à fuïr la compagnie de la plus-part des hommes comme un air corrompu et dangereux à leur foiblesse. Les aumosnes qu' on leur fait faire pour rachepter leurs pechez, leur enseignent la charité qu' ils doivent exercer envers les pauvres pour meriter le paradis. Les prieres qu' ils font à Dieu pour obtenir de sa misericorde le pardon de leurs offenses, les font entrer dans l' execution de cette importante verité de l' escriture, que la vie d' un chrestien doit estre une priere continuelle. Les exercices laborieux de la penitence leur font quitter cette vie oisive et feineante, que menent la plus-part des gens du monde, et qui est la mere de tous les vices. En se retranchant des choses legitimes, comme ---------------------------------------------------------------------p345 tous les veritables penitens doivent faire selon les peres, ils apprennent à plus forte raison à se retrancher des illegitimes. L' amertume des pleurs leur fait oublier la douceur des voluptez, et comme dit excellemment Saint Ambroise, (...). Reconnoissons donc l' utilité de cette sainte discipline, autorisée par tant de papes, par tant de conciles, et par tant de saints, et qui a son origine dans l' ordre mesme qui est dans l' esprit de Dieu, qui veut selon les loix de sa justice, que les pechez commis contre luy soient expiez par une satisfaction convenable ; et selon les regles de sa sagesse, que cette satisfaction soit interposée entre la reconnoissance du peché, et l' absolution du prestre ; comme la raison naturelle, et l' experience commune nous font voir, que pour des fautes civiles, et qui se commettent contre les hommes, on ne pretend point la reconciliation avec ceux qu' on a offensez, qu' en reparant par avance les injures reelles ou personnelles, qu' on a commises contr' eux. PARTIE 2 CHAPITRE 12 ---------------------------------------------------------------------p346 suitte de l' explication des causes qui ont porté les peres à differer l' absolution. Que selon leur doctrine il faut d' ordinaire plus que des momens, pour disposer des pecheurs à recevoir avec fruict l' absolution du prestre : et autre chose que des paroles, pour asseurer les prestres de la conversion des pecheurs. Où il est aussi parlé de la facilité que quelques-uns trouvent à faire faire des actes de contrition. que si l' on oppose à cette doctrine des peres que nous venons d' expliquer, que la grace de Dieu peut convertir en un moment le plus grand pecheur du monde, et le rendre capable de la reconciliation sans tous ces retardemens. Je reconnois que cela est vray, et qu' il arrive quelquefois, comme Saint Bernard dit : (...). ---------------------------------------------------------------------p347 Mais il faut respondre à tous ces exemples, avec le mesme Saint Bernard, (...), et des miracles dans l' ordre mesme de la grace, qui de soy est desja tout miraculeux. Que ce sont des changemens de la droite du tres-haut ; des coups extraordinaires d' une misericorde infinie, qui n' est sujette à aucunes loix ; et qui ne doivent point aussi porter de prejudice aux regles communes et generales, qui ne peuvent estre establies, que selon l' ordre commun de la grace, comme les preceptes de medecine ne peuvent estre fondez, que sur le cours ordinaire de la nature. Or il est certain, que la grace n' opere point ordinairement dans nos ames, avec des mouvemens ---------------------------------------------------------------------p348 si prompts. C' est un jour divin, comme remarque excellemment Sainct Gregoire, qui a son aurore aussi-bien que le jour naturel, et qui ne dissipe les tenebres de nos coeurs, qu' à mesure qu' il s' avance, et que ses rayons se fortifient. L' homme nouveau non plus que le vieil ne se forme pas tout d' un coup ; il commence par des conceptions imparfaites ; il ne s' engendre que peu à peu, et il luy faut souvent beaucoup de temps avant que de naistre. De sorte que les confesseurs doivent extremement apprehender, que leur precipitation ne serve à autre chose, qu' à procurer des avortemens, et que Dieu ne leur reproche un jour de s' estre conduits de la mesme sorte dans la naissance spirituelle des ames, que feroit une mere, qui se voudroit descharger de son fruict aussi-tost qu' elle se sentiroit grosse, pour luy donner plûtost l' usage de la vie, et la joüissance de la lumiere, et le dégager d' une prison où elle s' ennuiroit de le laisser enfermé. Car c' est ainsi que quelques prestres s' imaginent estre fort charitables envers les pecheurs en se hastant de les délier par une absolution precipitée, et de les enfanter par les sacremens, ne voyans pas que par ce moyen ils estouffent le plus souvent, comme cette mere, un peu de vie, qui commençoit à se former : au lieu, qu' en suivant le cours de la grace, et ---------------------------------------------------------------------p349 taschant de les faire avancer peu à peu dans de plus parfaites dispositions de penitence, par les moyens que l' evangile nous prescrit, c' est à dire, par les prieres, par les jeusnes, par les aumosnes, et autres semblables exercices de pieté, peut-estre qu' avec le temps ils les eussent amenez à une veritable et solide conversion. C' est comme les peres agissoient, et comme ils nous commandent d' agir, (...). C' est pourquoy l' un des plus sçavans prelats de ce siecle, et des mieux instruits dans la science de l' eglise, a eu raison de remarquer dans son commentaire sur l' evangile, que l' une ---------------------------------------------------------------------p350 des causes, qui doivent porter les prestres à se servir de la puissance que le sauveur leur a donnée de retenir les pechez, est, (...). Mais comment pouvons nous imiter aujourdhuy cette prudence des peres, si nous nous persuadons, que le plus grand pecheur du monde, en se servant d' une certaine formule qu' on appelle un acte de contrition , et disant à Dieu de bouche, ou tout au plus dans une pensée interieure de l' esprit, (...), est dans le moment tout changé et tout converti, et devient en un instant digne de la couronne eternelle, qui nous doit couster tant de peines et tant de travaux, selon les oracles du Saint Esprit ? Certes je ne craindray point de dire, que je ne croy pas, qu' il y ait rien de plus pernicieux aux ames, que la confiance qu' on leur donne dans ces actes imaginaires de contrition et d' amour de Dieu, qu' ils pensent asseurément avoir faits, quand ils ont recité certaines prieres que l' on dresse pour cét effet. La contrition et l' amour de Dieu sont des actions de la volonté, et les actions de la volonté ne sont pas des pensées, mais des mouvemens, des inclinations, et, pour dire ainsi, ---------------------------------------------------------------------p351 des pentes du coeur vers son objet. Or dire à Dieu soit exterieurement, soit interieurement que nous l' aymons, et dresser nostre esprit vers luy, n' est qu' une pensée, et une reflection d' esprit ; et par consequent, ce n' est point un acte d' amour de Dieu ; mais tout au plus un tesmoignage de celuy que nous luy portons, si nous luy en portons veritablement ; tout ainsi que les protestations d' amitié, qu' un homme nous fait ; ne sont que des demonstrations d' amour et d' affection, et non point l' affection mesme ; et l' experience ne nous apprend que trop, que toutes ces demonstrations peuvent estre sans aucune veritable affection dans le coeur. Qu' est-ce donc qu' aymer Dieu, ou avoir une veritable contrition de son peché ? Que chacun consulte son coeur, et s' il y trouve quelque affection un peu violente, ou de mary envers sa femme, ou de pere envers ses enfans, ou d' amy envers son amy, qu' il en examine les mouvemens ; et il luy sera facile d' apprendre ce que c' est qu' aymer Dieu ; et de reconnoistre, qu' il y a beaucoup de personnes qui se persuadent de faire souvent des actes d' amour de Dieu, qui n' ont pas seulement les ombres de cét amour. Qu' est-ce que tous les hommes entendent quand ils disent, qu' une honeste femme ayme son mary ? Ne veulent-ils marquer autre chose ---------------------------------------------------------------------p352 sinon, que cette femme pense souvent en elle-mesme, qu' elle l' ayme ; comme on pretend que former la mesme pensée au regard de Dieu, ce soit l' aymer ? Jamais personne n' eut ce sentiment, et il se trouvera beaucoup de femmes, qui ont eu des affections tres-ardentes pour leurs maris, et qui peut-estre jamais en leur vie n' ont fait de semblables reflections. Une femme aimer son mary, c' est avoir un certain poids, et une certaine inclination dans sa volonté, qui la porte avec une douce et secrette violence à le servir, à luy obeïr, à se conformer à ses volontez, à s' efforcer de luy plaire en toutes choses, à n' estre touchée que de ses interests, et n' avoir de joye que dans son contentement, à ressentir plus vivement ses afflictions que les siennes propres, à trouver des charmes dans sa presence, à languir dans son absence, à ne craindre rien tant que de blesser en la moindre chose la pureté de son amour, et enfin à estre preste de donner sa vie, si l' occasion s' en presentoit, pour conserver celle de son mary. Voila ce que les hommes appellent aimer, et non pas des paroles et des pensées, qui ne sont que des productions de l' esprit, et non point des effusions du coeur. C' est par cette image imparfaite que nous devons juger, si l' amour de Dieu regne dans nos ames : si nous sentons dans le fonds de nostre coeur un détachement des choses du monde, ---------------------------------------------------------------------p353 un attachement à celles de Dieu, un mespris des vanitez et des pompes de ce siecle, une joye dans l' attente des biens eternels, une crainte mortelle de tomber dans la disgrace de Dieu, un desir pressant de luy plaire en toutes choses, un ferme dessein de fuïr toutes les occasions qui nous pourroient engager dans le peché, et enfin une veritable disposition dans la volonté d' abandonner, pere, mere, freres, soeurs, parens, amis, biens, fortunes, grandeurs, honneur, estime, plûtost que d' abandonner le service de Jesus-Christ, et la voye estroitte de l' evangile : si, disje, sans nous flatter et sans nous seduire nous-mesmes, nous trouvons toutes ces dispositions dans nostre coeur, au moins en quelque degré (ce qui se connoist mieux par les actions, et par le reglement de nostre vie que par des sentimens purement interieurs, qui nous peuvent tromper facilement) nous avons quelque sujet de croire que nous aimons Dieu, et de rendre graces à sa misericorde infinie d' avoir respandu dans nos ames quelques flammes de ce feu celeste, que Jesus-Christ est venu apporter du ciel en terre. Mais s' il n' y a rien de tout cela, c' est en vain que nous nous persuadons, que pour avoir prononcé certaines paroles, ou formé certaines pensées nous avons produit des actes d' amour de Dieu. (...). ---------------------------------------------------------------------p354 C' est l' instruction que l' evangile nous donne en cent endroits, et neantmoins parce que, selon la pensée du mesme saint, (...) ; cette derniere voye de priere et de travail, que ce pere propose pour arriver à l' amour de Dieu, semble trop longue, et trop ennuyeuse aux penitens de ce siecle, et ils s' arrestent à la premiere, qu' il condemne. Tout pauvres, et tout miserables qu' ils sont, ils s' imaginent, qu' avec l' ayde de certains termes, toutes les fois qu' il leur plaira ils se donneront à eux-mesmes les thresors de la charité ; et leur coeur n' estant que glace, ils pretendent, qu' aussi-tost qu' ils se voudront exciter à contrition, cette glace se fondra, et s' embrasera d' elle-mesme, et produira les flammes de l' amour de Dieu. Que s' ils reconnoissent (comme ils y sont obligez, à moins que de se declarer ouvertement pelagiens) qu' il est absolument impossible d' aymer Dieu, ou de faire un acte de contrition, si Dieu mesme ne nous inspire cét amour et cette contrition par une singuliere misericorde, d' où ont-ils appris que le Saint Esprit qui souffle où il luy plaist, ait attaché à ---------------------------------------------------------------------p355 leurs formules la plus grande de ses graces, qui est la conversion du pecheur ; au lieu que c' est le sauveur mesme qui avoit appris à Saint Augustin, que le veritable moyen d' obtenir ses graces, estoit de les demander avec ardeur, de les rechercher avec soin, de frapper à la porte avec importunité, d' imiter cette veuve opiniastre qui force le juge de consentir à ses desirs, et cét amy qui arrache de son amy dequoy suppleer à son indigence, par sa perseverance dans la priere. C' est ainsi que les pecheurs qui travaillent serieusement à une veritable et solide conversion doivent faire. C' est le chemin qu' ils doivent tenir pour y arriver, en reconnoissant leur misere et l' impuissance où ils se trouvent, de se procurer à eux-mesmes cét inestimable bon-heur, en le demandant à Dieu par des gemissemens continuels, en le forçant par une sainte violence de les regarder en pitié, en attirant sur eux les graces du Saint Esprit par toutes sortes de bonnes oeuvres. Voila le vray moyen de faire de bons actes de contrition, puis que nous ne les devons attendre que de Dieu seul, comme l' un de ses plus grands dons, et qu' il a promis ses dons et ses graces à ceux qui les luy demanderont avec ardeur et perseverance. (...), dit Saint Augustin, (...). ---------------------------------------------------------------------p356 Je ne dis pas neantmoins, que ces petites prieres, qu' on appelle des actes de contrition, ou d' amour de Dieu, ne soient devotes et saintes. Il faudroit condemner l' escriture, qui est pleine de semblables expressions, et particulierement les pseaumes du prophete roy, qui ne contiennent presque autre chose, que des paroles de feu, pour tesmoigner à Dieu les transports de son amour, et la violence de sa douleur dans le repentir de ses pechez. Je reconnois encore que ces actes peuvent estre tres-utiles aux bonnes ames, parce qu' ayans desja dans le fonds du coeur les semences de tous ces bons mouvemens, et le Saint Esprit qui y reside, comme dans son temple, les esclairant, et les eschauffant sans cesse, il ne faut pas s' estonner, si les tesmoignages qu' elles rendent à Dieu, de l' affection qu' elles luy portent, servent à augmenter leur feu, et à luy faire concevoir de nouvelles flammes. Ces actes sont encore utiles aux pecheurs, pour leur apprendre à quoy ils doivent aspirer, et ce que Dieu demande d' eux, et en quelle disposition doit estre leur coeur, pour satisfaire au commandement de son amour, ce que ces actes leur enseignent fort bien. Ils peuvent aussi entrer dans les prieres que les penitents ---------------------------------------------------------------------p357 font pour obtenir la contrition, et il est tres-bon de les obliger, de faire souvent à Dieu de ces protestations saintes, de le vouloir desormais aymer et servir, avec une inviolable fidelité. C' est pourquoy, afin que la calomnie ne dresse point de pieges à mes paroles, je proteste encore une fois que je suis tres-éloigné de vouloir blasmer ces actes de contrition, d' amour de Dieu, et de toutes les autres vertus qui se trouvent dans les livres de devotion. J' en loüe et approuve extrémement le bon usage. Je n' en reprens que l' abus, et je pretens seulement, que lors qu' il s' agit de ramener une ame à Dieu, et de l' arracher au demon et au peché, ce n' est pas une chose si facile, que l' on puisse croire raisonnablement, qu' aussi-tost qu' on luy aura demandé, si elle ne deteste pas son peché de tout son coeur, et si elle n' est pas resoluë de servir Dieu à l' advenir, et qu' elle aura respondu que Ovy, l' effet suive la parole, et qu' à l' instant mesme elle brise toutes ses chaisnes, pour s' eslever jusques dans le sein de Dieu ; que son coeur qui estoit de pierre se change tout d' un coup en un coeur de chair ; et au lieu qu' auparavant tous ses desirs se terminoient à la creature, elle entre en un moment dans une volonté pleine, de ne servir plus que Jesus-Christ. S' y attende qui voudra ; mais pour moy je pense que ce seroit ---------------------------------------------------------------------p358 le plus seur de suivre l' avis de Saint Augustin, et de tous les autres peres, de fuïr les remedes precipitez, d' aspirer à l' une des plus grandes graces de Jesus-Christ, par la voye qu' il nous a luy-mesme enseignée, (...) : et enfin d' establir sa conversion sur les fondemens solides d' une longue et serieuse penitence, se remettant tousjours devant les yeux cét avertissement du sage, (...). Les biens que l' on se haste d' acquerir au commencement, ne sont point benis de Dieu à la fin. Mais pour passer encore plus avant, je dis, selon le sentiment des peres, que quoy que Dieu fasse dans le fonds de l' ame d' un pecheur, et quoy que la grace y opere interieurement, le prestre qui n' est pas simple ministre, pour declarer que les pechez sont remis à ceux qui ont la foy, et qui s' en repentent, comme nos heretiques le pretendent, mais qui est estably juge par Jesus-Christ, pour lier et délier, retenir et remettre les pechez, avec connoissance de cause, comme le dernier concile l' a définy ; ne peut et ne doit rien prononcer dans ce tribunal, que selon la connoissance qu' il peut raisonnablement avoir de l' estat, et des dispositions de son penitent. Or d' où peut-il prendre cette connoissance, s' il l' absout à l' heure ---------------------------------------------------------------------p359 mesme qu' il luy vient de descouvrir une infinité de crimes ? Quand Dieu, par un miracle l' auroit veritablement converty, quelles preuves peut-il avoir de cette conversion ? Dieu s' est reservé le secret des coeurs, les hommes ne peuvent porter jugement que de ce qu' ils voyent, et c' est par les fruits que Jesus-Christ mesme nous oblige de juger de l' arbre et de la racine. Les paroles quelques belles qu' elles soient, ne sont que de belles feüilles, et non pas des fruits. Et c' est pourquoy les juifs qui avoient les paroles de la loy, et n' en avoient pas les actions, sont marquez dans l' evangile (comme Saint Augustin l' enseigne) par ce figuier, où Jesus-Christ ne trouva point de fruit, mais seulement des feüilles ; parce que ce n' estoit pas encore le temps des figues, c' est à dire, de la grace. Ce n' est donc pas par de simples discours, et des protestations sans effet, que le prestre se peut asseurer (comme il le doit faire, autant qu' on le peut moralement) des dispositions interieures de ceux qui s' addressent à luy, et des mouvemens secrets, que la grace doit former dans le fonds de leur coeur, pour les rendre dignes d' estre absous ; c' est par des actions visibles, c' est par les fruits de penitence, c' est par des preuves effectives d' un veritable amendement. Ce ne sont point icy mes pensées. à Dieu ---------------------------------------------------------------------p360 ne plaise que je me rende coupable d' une si grande temerité, que d' oser rien dire de moy-mesme en des matieres si importantes. Je ne parle qu' en disciple, et non point en maistre, et ne pretends qu' exposer les sentimens des saints docteurs, que toute l' eglise revere, et dont le Cardinal Bellarmin a dit avec grande raison, sur ce sujet mesme de la penitence ; (...). Escoutons donc ce que l' un des plus grands papes qui ayent jamais gouverné le vaisseau de S Pierre, nous enseigne sur ce sujet, et en quelle maniere il explique les trois parties de la penitence, contrition, confession, et satisfaction, et quel jugement il porte de la necessité de chacune, (...). ---------------------------------------------------------------------p362 Que peut-on desirer davantage apres ces excellentes paroles, pour estre pleinement instruict, et de toutes les conditions qui doivent accompagner une veritable penitence, selon l' esprit de Jesus-Christ, et de l' eglise : et de la regle que les pecheurs doivent suivre, pour faire une confession de leurs pechez, qui soit agreable à Dieu, et recevable de ses ministres : et de la conduite que les prestres doivent tenir sur eux, pour ne se rendre pas coupables d' une facilité inconsiderée. Ce grand pape estoit bien esloigné de mettre tout dans une simple confession : puis qu' il n' en reconnoist point de vraye, que celle qui naist de la conversion du coeur, aspirant à la justice par un mouvement d' amour ; et qui est suivie des exercices laborieux d' une penitence austere. Il estoit bien esloigné de souffrir l' insolence de ces pecheurs, qui s' imaginent ridiculement, qu' aussi tost qu' ils ont vomi une infinité de crimes, on leur feroit un insigne tort, de leur ---------------------------------------------------------------------p363 differer l' absolution, puis qu' il enseigne en termes clairs ; qu' une confession faite de bouche n' est point capable de nous faire juger, si un pecheur merite d' estre absous, et que nous ne le devons tenir pour veritablement converty, que lors qu' avoüant ses fautes par ses paroles, il s' efforce de les effacer par l' austerité, et l' affliction d' une penitence qui leur soit proportionnée. Enfin il estoit bien esloigné de croire, que les prestres fussent obligez d' ajoûter foy à toutes les vaines protestations qu' on leur fait, et d' absoudre en valets , plutost qu' en juges, tous ceux qui se presentent à eux : puis qu' il declare si fortement, que c' est par les fruicts, et non par les fueilles et par les rameaux, que la veritable penitence se doit reconnoistre ; que les paroles de la confession ne sont que des fueilles, et par consequent qu' elles ne sont point recevables, que lors qu' elles sont accompagnées des fruicts de la penitence ; et que les prestres n' ont point de meilleur moyen de guarentir les pecheurs de la malediction qui les attend, si, confessans leurs fautes, et negligeans de les effacer par une satisfaction salutaire, ils se rendent semblables à cet arbre maudit par le sauveur, qui avoit de belles fueilles, et qui ne portoit point de fruict ; qu' en les traittant, comme Saint Jean Baptiste traitta les juifs qui venoient à son baptesme ; et leur adressant ---------------------------------------------------------------------p364 ces paroles pleines d' une sainte severité ; (...). Il est donc vray, que quelques dispositions que Dieu ait mises dans l' ame d' un penitent, il faut ordinairement autre chose que des paroles, pour en asseurer le prestre, et pour luy donner sujet d' agir en qualité de juge, et d' exercer sa puissance avec connoissance de cause, comme le concile l' ordonne. Les paroles sont le langage de l' esprit ; les oeuvres celuy du coeur. La langue sert à l' un pour descouvrir ses pensées ; les mains, c' est à dire les actions, servent à l' autre, pour descouvrir ses mouvemens. Il faut voir agir un homme, et non seulement l' entendre parler, pour reconnoistre ce qu' il a dans le fond de l' ame. Ce qui n' est pas seulement vray à cause de l' hypocrisie, et de la dissimulation qui se mesle facilement dans nos discours ; mais aussi parce qu' il y a tant de destours, et tant de replis dans le coeur de l' homme, qu' il est le plus souvent inconnu à l' homme mesme ; et que l' experience confirme tous les jours ce que Saint Gregoire dit excellemment ; (...). ---------------------------------------------------------------------p365 De sorte qu' il arrive tres-souvent, qu' une personne croira dire sincerement à son confesseur, qu' elle a dessein de quitter le vice, et que cependant elle n' en aura point de veritable resolution pour le moins qui soit assez forte, et assez puissante pour l' en retirer, et luy faire changer de vie. Qui vit jamais de plus parfaitte, et de plus exemplaire penitence, que celle qu' Antiochus propose de faire dans le second livre des machabées ? Il reconnoist son peché, il tesmoigne un vif regret de son orgueïl ; il promet de restablir la ville saincte dans son ancienne liberté, de rendre les juifs fleurissans, d' enrichir le temple de dons magnifiques, d' entretenir à ses despens les sacrifices du vray Dieu, et de publier sa gloire par toute la terre. Qui est le confesseur en ce temps, qui ayant oüy toutes ces protestations de la bouche d' un prince, ne les eust prises pour veritables, et ne se fust tenu asseuré de son salut apres sa mort ? Et cependant l' escriture nous asseure, que ce n' estoit qu' un méchant, et que tous ces tesmoignages de repentir, toutes ces prieres, et toutes ces belles promesses ne furent point capables d' attirer sur luy la misericorde de Dieu, quoy qu' on ne puisse pas dire, qu' en parlant ainsi, il ait usé de fainte et d' hypocrisie, puis que sans doute il ---------------------------------------------------------------------p366 croioit parler sincerement, et du fond du coeur, comme tant de personnes font aujourd' huy, qui se trompent eux-mesmes les premiers, et en suitte trompent les autres. Cet oracle du Saint Esprit ne nous monstre-t' il pas clairement, qu' il faut autre chose que des paroles, pour s' asseurer de la conversion d' un pecheur. Il se rencontrera mesme des personnes qui seront baignées de larmes, et si vous en recherchez la source, vous ne trouverez peut-estre qu' un mouvement tout humain, ou une imagination frappée de quelque objet extraordinaire. Comme il me souvient d' avoir leu dans la vie de la bien-heureuse Marie De L' Incarnation escrite par Monsieur Du Val, qu' une fille fondoit en pleurs en confessant une faute, qu' elle estoit preste de commettre à quatre heures de là ; et il s' en est trouvé d' autres, qui apres avoir passé la nuit à se donner la discipline, et à coucher sur la dure, sont retombez le jour suivant dans le peché, pour lequel ils s' estoient chastiez si rudement. C' est pourquoy je ne voy pas que le prestre puisse mieux faire, pour ne point blesser la prudence de l' esprit de Dieu dans une chose si importante, que de prendre un espace de temps raisonnable, pour examiner la suite des actions et de la vie de son penitent, et prendre garde de quelle sorte il pratiquera les conseils qu' il luy doit donner pour se detacher de ses vieilles ---------------------------------------------------------------------p367 habitudes, et entrer peu à peu dans la voye estroitte du paradis. Tel se deguise un jour, qui ne se peut pas deguiser un mois ny deux : tel paroist converti selon l' apparence de quelques bonnes actions exterieures, qui donne des marques evidentes du contraire dans toutes les autres. Pour juger si un homme est dans le dessein veritable de retourner à Dieu, il le faut plus considerer dans sa maison, et dans ses affaires, que dans l' eglise, et dans ses devotions. Il faut plus avoir esgard à l' uniformité de la vie, et à une certaine constance et fermeté dans le bien, quoy que mediocre, qu' à de certaines oeuvres esclatantes, qui n' ont pas de suitte dans le reste de la vie. Il faut plus estimer l' ardeur de mortifier ses vices, et de combattre ses passions dereglées, qu' un zele souvent indiscret d' entreprendre de grandes choses au dehors, avant que d' avoir bien fondé et bien establi le dedans. Enfin c' est en ces occasions qu' il est necessaire de bien observer ces trois paroles de l' evangile, videte, vigilate, orate, voyez, veillez, priez. voir et considerer avec soin tout ce que fait le penitent dans le cours de sa penitence, et tout ce que Dieu opere dans luy. Veiller sans cesse pour le preserver des ambuches de ses ennemis. Prier assiduëment pour attirer sur luy les graces du ciel, et sur nous les lumieres necessaires dans une entreprise aussi difficile, qu' est le retour à Dieu d' une seule ame pecheresse. ---------------------------------------------------------------------p368 Je ne me puis empescher d' adjouster pour couronnement à cette explication de la doctrine des peres, une excellente epistre d' Ives evesque de Chartres, qui confirmera ce que nous venons de dire, que quoy que Jesus-Christ opere dans le coeur d' un penitent, le prestre, qui ne peut juger que de ce qu' il voit, et qui ne voit que le dehors, a raison de suspendre quelque temps la sentence d' absolution, pour reconnoistre les mouvemens interieurs et invisibles, par des fruicts visibles de penitence : et qui nous monstrera par mesme moyen, qu' au temps de ce saint evesque, qui estoit le douziesme siecle, cette sainte discipline, que vous niez avoir jamais esté en pratique, estoit encore en vigueur ; l' eglise retranchant de la saincte communion, tous ceux qui commettoient des crimes, c' est à dire, des pechez mortels, comme nous l' avons amplement prouvé en un autre endroict. Voila donc comme Ives De Chartres respond à un prestre qui luy avoit demandé, pourquoy l' eglise estoit plus lente à remettre les pechez, que Jesus-Christ ? (...). PARTIE 2 CHAPITRE 13 ---------------------------------------------------------------------p370 que la grandeur de la disposition qu' on doit apporter à la saincte communion, à obligé les peres de ne la point accorder aux pecheurs, qu' apres qu' ils se seroient long-temps purifiez par les exercices de la penitence. nous avons veu ce qui a porté les peres à obliger les pecheurs, de pleurer leurs crimes un espace de temps raisonnable, autant que de leur en faire esperer la remission, par le ministere des prestres. ---------------------------------------------------------------------p371 Voyons maintenant ce qui leur a fait juger si necessaire, de ne se point approcher de l' eucharistie, lors qu' on trouve sa conscience blessée par quelque crime, par quelque peché mortel, sans s' estre auparavant purifié par les exercices de la penitence. Il n' en faut point chercher d' autre cause, que l' extréme pureté de cette victime sainte, qui s' immole sur nos autels, et qui demande en tous ceux qui y participent, une pureté qui soit en quelque sorte proportionnée à la sienne. C' est le fondement, et l' abregé de toutes les dispositions, que ce mystere adorable demande de nous. Le sauveur dit dans l' evangile, que par tout où sera le corps, les aigles s' y assembleront. Les peres ont entendu cette parole, non seulement de cette derniere assemblée, qui rejoindra tous les membres à leur teste, lors que les saints sortans de leurs tombeaux, comme des aigles renaissantes s' esleveront vers Jesus-Christ au milieu de l' air, ainsi que Saint Paul tesmoigne ; mais aussi de cette assemblée des fidelles, qui se fait tous les jours en l' eglise autour de ce corps immortel et glorieux ; parce que celle-cy est la figure de l' autre ; à laquelle elle nous prepare, en nous en donnant dés icy-bas les arrhes et les premices. Et c' est ce que l' eglise a eu dessein de nous faire remarquer, par cette sainte et ancienne ceremonie de suspendre ---------------------------------------------------------------------p372 le corps de Jesus-Christ au plus haut de nos autels pour nous le representer, comme il paroistra au dernier jour, eslevé sur une nuée, jugeant tous les hommes. C' est pourquoy ces mesmes peres nous enseignent, que le fils de Dieu par ces paroles veut, que nous soyons des aigles, pour avoir droit de nous assembler autour de son corps ; et qu' ainsi cette faveur n' appartient, qu' aux ames, qui ne rampent point sur la terre, qui ne sont point attachées aux choses basses, qui prennent leur vol vers le ciel, qui ont une veuë assez penetrante, et des yeux assez perçans, pour contempler fixement le soleil de justice, et qui font paroistre par leurs actions, qu' elles ont receu de l' esprit saint le renouvellement de l' aigle. Que si en ce dernier jour les corps des bien-heureux ne se doivent eslever vers le ciel, pour s' unir au corps glorieux du fils de Dieu qui paroistra au milieu de l' air, qu' apres avoir esté remplis de la gloire de leurs ames, qui se reüniront avec eux : il est bien raisonnable (selon les regles saintes de ces grands saints) que les ames ne s' eslevent à cette haute communication qui se fait avec Jesus-Christ, par la communion de son corps glorieux, qu' estans remplies du Saint Esprit, et d' une grande abondance de grace ; ainsi qu' il a paru dans la premiere communion, qui a suivy la descente du ---------------------------------------------------------------------p373 Saint Esprit, laquelle avoit osté aux apostres le reste de leurs foiblesses, et leurs dernieres imperfections. C' est ce que l' eglise ancienne a tousjours observé, n' ayant jamais donné l' eucharistie aux baptisez, quoy qu' incorporez à Jesus-Christ par le baptesme, qu' apres les avoir establis dans la plenitude de la grace, par le sacrement de confirmation. Et de là nous pouvons comprendre la raison de ce que nous cherchons, et entrer dans la cause de ce retardement salutaire, dont tous les peres ont usé envers ceux, qui avoient perdu cette plenitude de grace, et qui estoient tombez dans de plus grandes foiblesses, et de plus grandes langueurs, que ne sont celles des payens et des infidelles. Ils ont voulu leur donner moyen de se reparer, et de se remettre, s' il estoit possible, dans le premier estat par une veritable penitence, et qui fust proportionnée à la grandeur de leurs pechez. C' est pourquoy ils leur remettent souvent devant les yeux ces paroles divines de l' apocalypse ; souvenez-vous d' où vous estes tombé, et faites penitence : et lors qu' ils leur commandent avec Saint Paul, de s' esprouver eux-mesmes avant que de manger ce pain celeste, de peur de le manger à leur condemnation, quoy qu' ils les obligent de se presenter aux prestres, pour obtenir de leur puissance la remission de leurs crimes, ils ---------------------------------------------------------------------p374 ne renferment pas neantmoins cette espreuve de soy-mesme necessaire, pour s' approcher dignement de l' eucharistie, dans les bornes d' une simple confession ; mais ils l' establissent principallement, dans l' obligation de se purifier par des fruits dignes de penitence, avant que de communier. Jamais l' eglise n' a esté plus obligée de s' expliquer sur cette matiere, que du temps de Saint Cyprien. Un grand nombre de chrestiens, que la fureur de la persecution avoit abbatus, desiroient se relever de leur cheute, et demandoient avec instance, d' estre receus par l' indulgence de l' eglise à la participation des mysteres. S' il n' y eust eu autre chose à faire, pour se rendre digne de recevoir le corps et le sang de Jesus-Christ, que de confesser leur crime, et en recevoir aussi-tost l' absolution, il leur eust esté bien aisé d' obtenir cette faveur. Car on ne peut pas dire, que c' estoit la simple apprehension de descouvrir leurs fautes, et de se reconnoistre criminels, qui les portoit à se precipiter dans des communions sacrileges, et à s' asseoir impudemment à la table de Jesus-Christ, avant que d' en avoir receu le pouvoir de ses ministres, puis qu' ils employoient publiquement l' intercession des martyrs, pour obliger les evesques à leur faire grace, et qu' ainsi ne faisant point de difficulté de se reconnoistre coupables, ils demandoient simplement, ---------------------------------------------------------------------p375 qu' on les traittast avec indulgence. Mais parce qu' ils connoissoient la fermeté de l' eglise, à garder inviolablement les regles, qu' elle avoit receuës des apostres pour la guerison des ames ; parce qu' ils sçavoient qu' on ne se contenteroit pas d' une simple confession de leurs crimes, mais qu' on les obligeroit de les expier par les exercices laborieux d' une longue penitence, et que ce seroit leur faire beaucoup de grace, que de les admettre à la mort, ou tout au plus, apres un long espace de temps, à la participation de l' eucharistie ; l' apprehension de ce retardement ennuyeux, et des peines qu' il falloit souffrir, pour meriter d' estre receus à la saincte communion, les porta à se servir de toutes sortes de moyens, pour se dispenser de cette penitence austere, qui leur paroissoit insupportable, et à exciter pour cela tant de trouble et tant de tumulte. Qu' est-ce que l' eglise pouvoit faire en cette rencontre ? Si c' estoit le moyen de guerir les ames, que de les traitter avec une douceur facile, et une indulgence molle, y eut-il jamais de plus juste sujet de le faire ? Ces saints evesques qui brusloient d' ardeur et de zele pour le salut de leur peuple, qui estoient prests tous les jours à donner leur sang et leur vie pour la conservation de la moindre ame de leur troupeau, eussent-ils fait difficulté de se relascher dans une chose qu' ils eussent creuë indifferente, ---------------------------------------------------------------------p376 ou peu necessaire, pour empescher la perte d' un grand nombre d' ames, qui ne pouvoient souffrir ce retardement de la saincte communion, et qui menaçoient l' eglise de schisme, si elle ne se rendoit plus facile à les recevoir dans son sein, sans les obliger à de si longues, et de si laborieuses penitences ? Mais c' estoit cette mesme charité, que ces grands saints avoient pour les ames, qui les empeschoit d' estre indulgens à leur perte et à leur ruïne, et de leur accorder le poison pernicieux d' une communion precipitée. Ils avoient infiniment plus de veritable pitié des pecheurs, que nous n' en avons, mais ils ne se laissoient pas emporter aux apparences vaines d' une misericorde cruelle, qui les tuë au lieu de les guerir. Et ils sçavoient avant que Saint Ambroise l' eust escrit, (...). Autant que leur coeur estoit tendre, pour compatir aux veritables penitens : autant leur esprit estoit ferme, pour maintenir les regles ---------------------------------------------------------------------p377 de l' evangile, contre ceux, qui refusoient d' entrer dans les exercices de la penitence. Ils avoient pour les premiers des entrailles de compassion ; et un front d' airin, semblable à celuy du prophete, contre les derniers. Et comme ils traittoient les uns en peres tres-charitables, qui ne tesmoignent jamais plus d' amour pour leurs enfans, qu' en les chastiant pour les corriger de leurs vices ; ils se croioient obligez de traitter les autres en juges severes, et de demeurer inflexibles à leurs injustes demandes. C' est de ces mamelles d' amour, et de charité , que Saint Augustin a admirées dans Saint Cyprien, et c' est en mesme temps de cette vigueur toute celeste et toute divine, que partoient ces belles paroles, que ce grand primat d' Afrique escrit au Pape Corneille sur ce sujet. Elles sont esgalement pleines d' une tendresse vrayement amoureuse, et d' une force plus qu' heroïque ; et elles ne ressentent pas moins la douceur paternelle d' un saint evesque, que le courage invincible d' un grand martyr. (...). ---------------------------------------------------------------------p378 Toute l' eglise romaine en corps ne parle pas moins fortement dans une lettre, qu' elle escrit à ce saint, sur le mesme sujet de ces pecheurs, qui demandoient à estre receus à la participation ---------------------------------------------------------------------p379 de l' eucharistie, avant que d' avoir passé par une longue et austere penitence ; (...). Ainsi quelque instance que fissent ceux, qui estoient tombez, pour estre receus à la communion, sans estre obligez de faire auparavant une longue penitence ; l' arrest, que l' eglise prononça en cette rencontre, fut (...). Saint Cyprien explique encore plus au long cette ordonnance de l' eglise dans l' epistre à Antonien ; (...). ---------------------------------------------------------------------p380 C' est en cette sorte que ces saints evesques, ces dignes successeurs des apostres si bien instruits de leurs maximes, et de leurs regles, ont creu que tous ceux qui avoient commis des crimes se devoient preparer à l' eucharistie, en s' efforçant de les expier auparavant par une satisfaction raisonnable. C' est l' espreuve qu' ils ont estimé que l' apostre demandoit d' eux pour ne point manger ce pain celeste à leur condemnation. Qu' on lise ce que le clergé de Rome et Saint Cyprien en escrivent, et l' on trouvera que soit qu' ils deplorent les sacrileges que les pecheurs commettoient par cette aveugle passion de retourner aussi-tost à la participation ---------------------------------------------------------------------p381 de l' eucharistie ; soit qu' ils se plaignent de la temerité de quelques prestres, qui par une fausse indulgence les poussoient dans ces communions precipitées ; soit qu' ils avertissent les martyrs de ne pas authoriser ces desordres par leurs intercessions ; soit qu' ils determinent de quelle sorte on se doit conduire en ces rencontres, selon la pureté de l' evangile ; tout ce qu' ils disent ne tend qu' à establir cét article de leur doctrine, que ceux qui sont décheus de la grace du baptesme ne doivent point pretendre à l' eucharistie, qu' apres s' estre purifiez par les exercices laborieux d' une longue penitence. Ils reprochent à ces pecheurs de (...). Ils declament fortement contre la hardiesse de quelques prestres, qui par une facilité inconsiderée ---------------------------------------------------------------------p382 vouloient dispenser ces pecheurs des exercices de la penitence, et les remettre aussi-tost dans la participation de l' eucharistie. Ils les accusent (...). Le clergé de Rome se plaint de la mesme sorte de ces prestres indulgens, et ne represente pas avec moins de force le tort extréme que les ---------------------------------------------------------------------p383 pecheurs reçoivent de leur malheureuse complaisance. C' est dans une lettre qu' il escrit à Saint Cyprien, où il parle en cette maniere de ceux qui estoient tombez durant la persecution ; (...). Nous voyons encore par les remonstrances que ces mesmes saints font aux martyrs, combien ils jugeoient necessaire d' expier les crimes par la penitence, avant que de se presenter à l' eucharistie. Comme ceux qui estoient demeurez victorieux dans la persecution emploioient leur intercession et leurs prieres pour le restablissement des vaincus ; l' eglise romaine, et Saint Cyprien respondent à ces requestes ; qu' il est raisonnable d' avoir esgard aux requestes des martyrs ; (...). ---------------------------------------------------------------------p384 Or quelles estoient ces demandes des martyrs, que ces saints pasteurs s' excusent de ne pouvoir accomplir, pour ne les pas juger conformes aux maximes de l' evangile, et aux enseignemens de Jesus-Christ ? Est-ce qu' ils desiroient qu' on donnast la communion à ceux qui avoient renoncé à la foy, sans avoir esté auparavant reconciliez par l' absolution du prestre ? Le contraire se voit manifestement par une lettre de l' un de ces confesseurs qui se trouve entre celles de Saint Cyprien, lequel declare, que leur intention estoit que l' on accordast la paix et la communion à ceux qu' ils auroient recommandez apres que les evesques les auroient oüis, et qu' ils auroient accomply cette ceremonie de l' eglise qu' ils appelloient exomologese, et qui comprenoit toutes les protestations et soumissions publiques, dont les pecheurs se servoient pour tesmoigner à la face de l' eglise le resentiment de leur crime, et se disposer à en recevoir le pardon par l' imposition des mains des prestres. Et en effet, cette pensée eust elle pû venir dans l' esprit de ces martyrs, de vouloir qu' on ---------------------------------------------------------------------p385 donnast l' eucharistie aux pecheurs sans les absoudre auparavant comme si c' estoit une grande peine que de recevoir l' absolution ? Mais tout ce qu' ils demandoient, c' est que les evesques en consideration de leurs merites, dispensassent ceux pour lesquels ils intercedoient des exercices penibles d' une longue et austere penitence, et les admissent aussi-tost à la communion. Et c' est ce que S Cyprien et toute l' eglise de Rome declarent ne se pouvoir faire (...). Enfin si nous considerons les instructions que ces grands saints donnent aux fidelles sur ce sujet, et le soin qu' ils prennent d' apprendre aux pecheurs (...) : je ne sçay quel sera le coeur si endurcy ; quelle sera l' ame si ennemie de la penitence, qui pourra s' opposer à des conseils si utiles qu' ils tesmoignent (...). ---------------------------------------------------------------------p387 Que si on respond qu' il s' agit dans ces lieux de Saint Cyprien, et du clergé de Rome, de ceux qui estoient tombez dans l' infidelité durant la persecution, et qu' il n' y a point de ces crimes en ce temps. Il est aisé de faire voir la foiblesse de cette response, comme nous en avons desja touché quelque chose en un autre endroit. Car il est indubitable par le tesmoignage du clergé de Rome et de Saint Cyprien, que non seulement ceux qui avoient renoncé publiquement Jesus-Christ, ou qui avoient sacrifié, ou mangé des viandes immolées aux idoles, mais ceux mesmes qui s' estoient contentez de donner de l' argent aux magistrats ; pour tirer de certains billets qui faisoient croire qu' ils avoient obey aux edits des empereurs, et qui empeschoient qu' on ne les persecutast, estoient mis au rang de ceux qui estoient tombez dans l' infidelité, et que l' eglise les obligeoit à faire penitence, comme les autres qui avoient renoncé publiquement Jesus-Christ, quoy qu' avec moins de rigueur. Or Saint Cyprien dit dans l' epistre 52 à Antonien, que les fornicateurs, et les adulteres sont plus coupables, et obligez à une plus grande penitence que ces personnes qui avoient pris de ces billets, et qui pour cette raison estoient appellez Libellatici ; et il conclud, que puis que l' eglise reçoit les adulteres à la ---------------------------------------------------------------------p389 penitence, elle devoit à plus forte raison recevoir ceux qui avoient pris des billets, n' ayant pas eu assez de foy pour confesser publiquement Jesus-Christ. (...). Puis donc qu' il y a des crimes tres-ordinaires en ce temps, comme la fornication et l' adultere, pour lesquels l' eglise obligeoit à une plus grande penitence, que pour l' infidelité, lors qu' elle n' avoit esté que secrette, il s' ensuit que l' eglise obligeoit à la mesme sorte de penitence pour toutes sortes de pechez mortels, soit qu' ils regardassent la foy, soit qu' ils regardassent les moeurs ; et qu' ainsi il n' y a nulle raison de pretendre, que ce que ces saints nous enseignent de la necessité de la penitence, ne regarde pas les pecheurs de ce temps, qui sont couverts pour l' ordinaire d' un grand nombre de crimes plus abominables devant Dieu, que ne seroit le renoncement de la foy par la violence des tourmens. Dans ce mesme passage, il paroist par les ---------------------------------------------------------------------p390 mesmes lieux de Saint Paul qui y sont rapportez, que la penitence est necessaire, non seulement pour tous les pechez d' impudicité, comme la fornication et l' adultere ; mais aussi pour tous les pechez mortels, qui sont une espece d' idolatrie selon l' apostre, parce que l' on y suit le diable qui est le prince des pechez, et qui les inspire. Et il est clair que Saint Cyprien l' entend ainsi, et c' est le sentiment commun des peres. Ce qui a fait dire à Saint Augustin cette belle parole, (...). De plus Saint Cyprien, dans cette mesme epistre, dit en termes generaux que la penitence est ordonnée de Dieu pour les pechez mortels que l' on commet depuis le baptesme : (...). ---------------------------------------------------------------------p391 Le mesme saint dans l' epistre 14 aux prestres et aux diacres de Carthage, parle de la penitence laborieuse, et qui oblige aux larmes et aux bonnes oeuvres, comme du remede general qui reste aux pecheurs depuis le baptesme ; (...). Et dans l' epistre 55 au Pape Corneille, il ne reconnoist que deux voyes pour arriver au ciel, l' innocence et la penitence. D' où il conclud que ceux qui ont perdu la sanctification du baptesme, n' ont aucun moyen de se sauver, s' ils ne s' efforcent de guerir leurs playes par une satisfaction salutaire. (...). ---------------------------------------------------------------------p392 Enfin pour oster tout sujet de dispute ; ce mesme saint declare en deux differens endroits, que non seulement pour l' infidelité, mais pour des pechez beaucoup moindres, et qui n' estoient pas commis contre Dieu (c' est à dire qui ne regardoient point en particulier l' honneur et la gloire de Dieu, mais les moeurs ou le prochain) l' on estoit obligé de faire penitence durant un intervalle de temps raisonnable, et qu' on n' estoit receu à se presenter à la face de l' eglise, pour y donner des preuves publiques de son repentir (ce qu' ils appelloient exomologese) que selon le changement de vie qu' on avoit fait paroistre durant le cours de sa penitence, et qu' il falloit que toutes ces choses eussent precedé avec l' imposition des mains de l' evesque et de son clergé, avant que d' avoir droict de communier. Il doit donc demeurer pour indubitable, qu' au temps de Saint Cyprien, selon le sentiment et l' esprit de toute l' eglise (qui ne peut estre divisée de l' eglise de ce temps que par les seuls heretiques, et ne le peut estre sans sacrilege et sans violer son unité) il faut estre plusieurs jours en penitence avant que de communier, lors qu' on a perdu par les pechez mortels le droict qu' on avoit acquis par le baptesme au corps au sang de Jesus-Christ. Et comme ---------------------------------------------------------------------p393 le clergé de Rome tesmoigne, qu' ils avoient receu cette sainte discipline de la doctrine des apostres, l' esprit de Dieu l' a fait passer dans leurs successeurs ; estant tres-vray, que si nous descendons plus bas dans la suitte de la tradition ecclesiastique, nous ne trouverons que le mesme esprit et les mesmes sentimens. Pour le faire voir en peu de paroles, et sans nous engager dans un grand discours, nous n' avons qu' à produire pour toute l' eglise d' orient cette voix publique et universelle qui retentissoit dans toutes les liturgies au rapport de Saint Jean Chrysostome, que ceux qui sont en penitence sortent. Et pour celle d' occident, cette doctrine si celebre du plus grand de ses docteurs dans son epistre à janvier, qui a esté tousjours suivie par ceux qui sont venus depuis, comme une maxime indubitable ; que lors que nous avons commis des pechez mortels, nous devons estre separez du saint autel par l' autorité de l' evesque ou du prestre, et n' y retourner que par la mesme autorité de l' evesque ou du prestre, parce que c' est recevoir indignement l' eucharistie, que la recevoir au temps où l' on doit faire penitence. Il est clair, par ces deux tesmoignages si certains et si authentiques, que selon la doctrine de l' eglise, que les peres nous enseignent, lors qu' un homme s' est rendu indigne de l' eucharistie, ---------------------------------------------------------------------p394 en commettant quelque crime, comme une fornication, un adultere, un larcin, un blaspheme, ou quelque autre de ces pechez que l' apostre nous asseure meriter l' exclusion du royaume de Dieu ; il doit y avoir un espace de temps raisonnable, durant lequel il fasse penitence, et durant lequel il communieroit indignement, s' il communioit. Or cét espace de temps ne se doit point prendre avant la confession, puis que selon la doctrine constante et indubitable de l' eglise, le pecheur est obligé de confesser ses pechez au prestre pour en faire penitence par son ordonnance ; et pour recevoir de luy l' ordre de la satisfaction, comme Saint Augustin parle : les exercices de la penitence n' ayans proprement le pouvoir d' effacer les pechez, selon l' excellente parole de S Gregoire ; que lors que nous nous y sommes soûmis par le jugement du prestre, lequel apres avoir examiné les actions du pecheur qui confesse ses offenses, luy impose la peine et l' affliction de la penitence, selon la qualité de ses crimes : et par consequent il est clair que pour suivre l' esprit des peres, un homme qui a commis des pechez mortels, doit premierement s' en confesser, et puis en faire une bonne et solide penitence avant que de se presenter à l' eucharistie. PARTIE 2 CHAPITRE 14 ---------------------------------------------------------------------p395 ce que c' est que faire penitence selon les peres : où l' erreur des heretiques de nostre temps, touchant l' explication du mot de penitence est refutée. mais pour bien comprendre cette doctrine des peres, que nous venons d' expliquer, touchant l' obligation qu' ils ont imposée aux pecheurs, de faire penitence avant que de communier ; il est besoin de sçavoir ce qu' ils ont entendu par le mot de penitence. Car il ne se faut pas tromper dans l' explication de ce mot, et s' imaginer, comme les heretiques font, qu' il n' enferme qu' un simple repentir, et un simple dessein de quitter son peché, et de mieux vivre à l' advenir. Tous nos controversistes leur monstrent fort bien, que dans l' usage perpetuel de l' escriture et des peres, le mot de penitence marque la peine dont nous devons chastier nos propres pechez, et comprend en mesme temps le regret et la douleur interieure du coeur, et les mortifications exterieures, qui en doivent naistre, comme des branches de leur racine ; et que l' escriture sainte exprime d' ordinaire par le sac et par la cendre, par les jeusnes, par les larmes, et par les gemissemens, dont elle parle si souvent, lors qu' elle parle de la penitence. C' est pourquoy il ne faut point que les pecheurs se flattent, en disant, qu' ils ont dans le ---------------------------------------------------------------------p396 coeur la penitence interieure, s' ils ne la tesmoignent par des actions exterieures, à moins qu' elles leur fussent impossibles, et que quelque chose, qui ne dependist pas d' eux, les en empeschast. Une source ne peut estre vive, qu' elle ne respande ses eaux au dehors ; et il n' y a point de bons arbres, selon l' evangile, que ceux qui portent de bon fruict. Comme il n' est point de vraye foy sans confession, ny de vraye charité sans oeuvres, il n' est point aussi de vraye penitence sans satisfaction. Et toute penitence estant un jugement, que l' homme exerce envers soy-mesme, pour prevenir celuy de Dieu (comme disent les peres) il est manifeste, que ce jugement ne peut estre veritable et juste, s' il ne produit punition contre le coupable, c' est à dire contre le pecheur, laquelle punition consiste dans les mortifications, et les afflictions volontaires des penitens. (...). ---------------------------------------------------------------------p398 Demandez à Saint Pacien, quelles sont à proprement parler, les actions d' un penitent ; et il vous respondra en peu de paroles, mais puissantes, et pleines d' un grand sens, (...). Demandez à Saint Hierosme quels doivent estre les sentimens d' un penitent ; et il vous respondra, (...). Demandez à Saint Augustin, ce que c' est que faire penitence ; et il vous respondra, (...). Demandez à Saint Caesarius archevesque d' Arles, ce que c' est que faire penitence ; et il vous respondra, (...). ---------------------------------------------------------------------p399 Demandez au grand Saint Gregoire, si c' est assez pour faire penitence de confesser ses pechez, et mesme de ne les plus commettre à l' avenir, sans se mettre en peine de les expier par une pleine satisfaction ; et il vous respondra, (...). ---------------------------------------------------------------------p400 Demandez à Saint Isidore evesque de Seville, ce que c' est que faire penitence ; et il vous respondra, (...). Enfin demandez au venerable Bede, ce que c' est que faire penitence ; et il vous respondra, (...). ---------------------------------------------------------------------p401 Ainsi nous voyons que tous les peres condemnent cette fausse persuasion de Luther, que la penitence ne consiste que dans le changement de la vie, et establissent tous ce point important de la doctrine catholique, que faire penitence, c' est expier ses pechez par une satisfaction salutaire ; c' est les laver dans l' eau de ses larmes ; c' est en arracher le pardon de Dieu par les gemissemens et par les soûpirs ; c' est les racheter par les aumosnes, c' est les couvrir par les bonnes oeuvres, afin qu' ils ne nous soient point imputez ; c' est les effacer par les jeusnes ; c' est les mortifier par la mortification de nostre chair. Et par consequent, puis que selon le sentiment universel des mesmes peres, tout homme qui a commis des pechez mortels ne se doit point approcher de l' eucharistie, qu' apres avoir passé par la penitence, et que c' est communier indignement, que de communier au temps où l' on doit faire penitence ; je laisse à penser quelle doit estre l' ignorance avec laquelle vous asseurez, que ce n' a jamais esté la pratique de l' eglise, que l' on fust plusieurs jours à faire penitence pour des pechez mortels avant que de communier : et quelle peut estre la hardiesse avec laquelle vous osez ---------------------------------------------------------------------p402 condemner de temerité, ceux qui touchez vivement du ressentiment de leurs fautes ; et à qui Dieu ayant inspiré un desir pressant de reparer la perte de leur baptesme, voudroient prendre quelque temps à se purifier par les exercices de la penitence, avant que de se presenter à des mysteres si saints et si redoutables. Je sçay bien que Calvin a eu l' effronterie d' accuser tous les peres en ce point, d' une humeur austere, et d' une insupportable rigueur. Mais ce seroit une chose bien estrange, qu' il se trouvast des catholiques, qui voulussent participer à l' insolence de cét heresiarche, ou plûtost à cette impieté, qui ne tend qu' à faire croire, que toute l' eglise, durant tant de siecles, et dans son âge le plus florissant, a ignoré la veritable maniere de ramener les ames à Dieu, et qu' elles les a traittées en marastre plûtost qu' en mere, en les obligeant à une infinité de peines, qui n' estoient en aucune sorte necessaires pour leur guerison, et les privant durant tant de temps des consolations, et des graces qu' elles auroient pû recevoir en recevant l' eucharistie. Cette pensée ne sçauroit tomber dans l' esprit d' un homme sage ; et ce seroit une vanité bien extravagante, que de se persuader, que ces grands docteurs de l' eglise si remplis de l' esprit de Dieu, et de la science des saints, auroient eu ou moins de connoissance que ---------------------------------------------------------------------p403 nous de la grandeur infinie de la misericorde divine ; ou moins de zele et de charité, pour avancer la guerison de leurs freres ; ou moins de lumiere pour regler ce zele. Mais parce qu' ils avoient tousjours devant les yeux ce commandement exprés de leur maistre ; de ne point donner le saint aux chiens, ils croyoient, que pour traitter les pecheurs avec une douceur legitime, et une misericorde raisonnable, il falloit qu' elle fust conforme à la parole de Dieu, suivant cette priere du prophete roy, (...). ---------------------------------------------------------------------p404 Ce n' est donc pas estre severe envers les pecheurs, c' est les traitter avec une misericorde salutaire, et une douceur conforme à la parole de Dieu, que de les faire soûpirer quelque temps dans l' attente de l' eucharistie, pour les y mieux disposer par les exercices de la penitence. C' est pourquoy pour achever ce discours, je n' ay qu' à rapporter encore une fois le jugement que Saint Ambroise fait de ces pecheurs precipitez, qui ne peuvent souffrir, que l' on les separe pour quelque temps de l' eucharistie, comme d' une viande trop forte pour leur ame encore foible et languissante. (...). PARTIE 2 CHAPITRE 15 ---------------------------------------------------------------------p405 response à une objection qu' on peut faire contre la doctrine des peres, touchant l' accomplissement de la penitence avant la communion : qu' ils donnoient l' eucharistie à ceux qui la demandoient à la mort, sans avoir fait aucune penitence de leurs pechez. Où il est aussi parlé du sentiment des peres, touchant la penitence à la mort. je ne voy rien qu' on puisse opposer avec quelque apparence de raison à cette doctrine constante et universelle des peres, touchant l' obligation de se purifier des pechez mortels, par la satisfaction de la penitence, avant que de se presenter à l' eucharistie ; si ce n' est peut-estre qu' ils la donnoient à ceux qui la demandoient à la mort, quoy qu' ils n' eussent fait durant leur vie aucune penitence ---------------------------------------------------------------------p406 de leurs pechez : d' où il semble qu' on pourroit conclure, qu' ils ne croyoient donc pas qu' il fust absolument necessaire de faire penitence avant que de communier. Mais tout ce que monstre cette objection, c' est qu' il n' y a point de regle si generalle qui ne soit sujette à quelques exceptions ; ny de loy si juste que l' equité ne tempere ; ny de prattique si sainte, dont la prudence chrestienne ne nous oblige quelquesfois de nous départir. Et c' est ce que nous avoüons tres-librement, reconnoissant qu' il peut y avoir des occasions, où selon l' esprit mesme des saints peres, on peut absoudre et communier un pecheur, sans l' avoir fait passer auparavant par les exercices de la penitence ; et que ce soit une grande erreur de soustenir le contraire, et de condemner generallement toutes les absolutions et communions, qui precedent l' accomplissement de la satisfaction. Et c' est qu' on a eu raison de censurer dans un certain petrus oxomensis , principalement estant joint avec beaucoup de grandes erreurs, que ce docteur espagnol avoit avancées dans le mesme livre, et qui alloient à un entier renversement du sacrement de penitence. Mais ne s' agissant presentement que de nous asseurer des veritables sentimens des peres, il est tres-important pour cela, de distinguer la regle generale, des exceptions particulieres ; la ---------------------------------------------------------------------p407 loy, de la condescendance ; la pratique commune et ordinaire, des dispenses extraordinaires et singulieres. Nous avons fait voir par un grand nombre de preuves indubitables, que tous les peres ont creu, que ceux qui avoient soüillé la robbe blanche de leur baptesme par le peché mortel, ne se devoient point approcher de la table du seigneur, pour se nourrir de la chair divine de l' agneau sans tache, qu' apres s' estre long-temps purifiez par les exercices de la penitence. Voila leur doctrine constante et universelle. Ce qu' on objecte au contraire, que dans l' impossibilité d' observer cette saincte discipline, et lors que les pecheurs se trouvoient en extremité de maladie, et n' estoient plus en estat de pouvoir faire penitence, l' eglise ne laissoit pas de leur donner la communion pour viatique, ne sert qu' à nous asseurer davantage du sentiment de ces grands saints, et à nous faire voir combien ils ont estimé cette pratique salutaire, puis qu' ils la gardoient inviolablement tant qu' ils pouvoient, et qu' ils ne s' en departoient jamais, que dans l' extréme necessité, et lors qu' il leur estoit impossible de l' observer. Mais pour faire encore mieux comprendre la foiblesse de cette objection ; il ne suffit pas de dire que les peres ont accordé la communion aux mourans qui n' avoient point fait ---------------------------------------------------------------------p408 penitence de leurs pechez durant leur vie ; il est necessaire de rechercher avec quel esprit ils l' ont fait, et quelle opinion ils ont euë de ces reconciliations precipitées, qui n' avoient point esté precedées par des fruits de penitence. L' eglise a tousjours fait si peu d' estat de ces conversions à la mort, que plus de trois cens ans durant, elle a refusé d' employer l' autorité de son ministere, et la puissance qu' elle a receuë de Jesus-Christ de reconcilier les pecheurs, envers ceux qui ne l' imploroient qu' à la derniere heure, apres avoir passé toute leur vie dans les desordres, et dans les vices. Lors mesme qu' elle s' opposoit avec plus de zele à la rigueur inhumaine des novatiens, qui par un excez de severetité (comme l' esprit de l' heresie porte tousjours aux extremitez) vouloient ravir aux pecheurs toute esperance d' estre remis dans la communion des fidelles, et que cette opposition la portoit à tesmoigner plus de tendresse et de compassion envers tous ceux qui s' efforçoient à se relever de leurs cheutes ; elle a neantmoins excepté de cette indulgence generalle, qu' elle promettoit aux plus criminels, ceux qui ne la demandoient qu' estans pressez par la maladie, lors qu' ils n' estoient plus en estat de satisfaire pour leurs pechez. C' est ce que Saint Cyprien nous apprend dans la lettre à Antonien : où, quoy qu' il combatte de toute ses forces la dureté impitoyable ---------------------------------------------------------------------p409 de ces heretiques envers les pecheurs, et qu' il employe toute son eloquence pour faire voir qu' on ne leur doit pas fermer tout à fait les entrailles de la misericorde de l' eglise, et leur oster toute esperance de pardon ; il declare toutesfois, que l' eglise avoit jugé que ceux-là s' estoient rendus indignes de cette grace, qui attendoient à la demander au dernier moment de leur vie, et qui desiroient recevoir en cette extremité, la remission de leurs crimes, qu' ils ne pouvoient plus expier par la penitence. (...). Le premier concile d' Arles, qui fut tenu au commancement du quatriesme siecle, par un grand nombre de grands evesques, de toutes les provinces de l' occident, que l' empereur Constantin avoit fait assembler, pour ---------------------------------------------------------------------p410 estouffer le schisme des donatistes ; ordonne la mesme chose contre les deserteurs de la foy, qui n' ayans point fait penitence de leurs crimes durant leur vie, demanderoient à la mort d' estre reconciliez par le ministere de l' eglise, et receus à la saincte communion. Il defend de leur accorder cette grace, si ce n' est qu' ils reviennent en santé, et qu' ils fassent des fruicts dignes de penitence. C' est l' ordonnance expresse du dernier canon de ce concile celebre. (...). Nous voyons encore, qu' environ cent ans depuis ce concile, Saint Exupere archevesque de Thoulouse, consulte le Pape Innocent I, comme d' une chose douteuse : de quelle maniere on doit traitter ceux, qui ayans passé toute leur vie dans l' incontinence, demandent à l' heure de la mort, la penitence, et la reconciliation en mesme temps. Et la responce que ce pape luy fait sur ce point, confirme ce que nous venons de dire, (...) ; c' est à dire, qu' on se contentoit de leur imposer la penitence qu' ils devoient ---------------------------------------------------------------------p411 faire pour expier leurs offenses, si Dieu leur faisoit la grace de retourner en santé. (...). Mais quoy que l' eglise se soit relaschee depuis, de cette premiere discipline, qu' elle avoit observee long temps envers ces pecheurs, et qu' elle leur ait fait cette grace de leur accorder à l' article de la mort l' absolution et l' eucharistie, dont ils s' estoient rendus indignes, pour ne s' y estre pas disposez durant la santé, par des fruicts de penitence ; elle est neanmoins tousjours demeuree dans ce sentiment, qu' il y avoit peu d' asseurance dans ces reconciliations precipitees, et que si elle se trouvoit forcee en cette extremité de leur accorder la communion, sans les y avoir preparez auparavant par une satisfaction salutaire, comme elle faisoit en toute autre rencontre ; ce n' estoit qu' en laissant à la misericorde de Dieu, d' en ordonner ce qu' il luy plairoit, et sans leur pouvoir donner aucune esperance certaine, que Jesus-Christ ratiffieroit dans le ciel, ce que ses ---------------------------------------------------------------------p412 ministres n' avoient fait dans la terre, que par necessité, et comme par force. C' est ainsi que les peres parlent de ces conversions à la mort, et c' est l' advis que le plus grand de tous les docteurs de l' eglise donne à son peuple, avec des paroles qui ne sont pas moins remplies de consolation pour les veritables penitens, que de frayeur et d' estonnement pour ceux qui abusans de la bonté de Dieu, different de jour en jour de faire penitence de leurs crimes. (...). ---------------------------------------------------------------------p414 Il est donc vray, que les pecheurs se trouvants en extremité de maladie, et dans l' impossibilité de satisfaire à la justice divine par des fruicts de penitence, l' eglise n' a pas laissé depuis le quatriesme siecle, de les admettre à la reconciliation, et à la participation des mysteres. Mais afin de pouvoir juger quelle consequence on doit tirer de cette pratique, ou plustost de cette dispense de la pratique generale, et universelle, qui defendoit de communier les pecheurs qu' aprés l' accomplissement de leur penitence ; il est necessaire d' adjouster, ce que les peres nous enseignent, qu' elle l' a fait dans cette pensee, qu' il estoit fort incertain, si cette reconciliation leur serviroit devant Dieu, et que c' estoit tromper les ames, que de les asseurer du pardon qu' elles auroient receu par cette voye : comme au contraire, elles avoient tout sujet de bien esperer de la bonté de Dieu, si elles ne recherchoient la reconciliation, qu' apres s' en estre renduës dignes par une veritable et solide penitence. Apres cela, se trouvera-t' il des personnes si ennemies de leur bien, qui dans une affaire de cette importance, et où il s' agit d' une eternité de bon-heur, ou de mal-heur, ne preferent pas le certain à l' incertain ? Qui n' ayment pas mieux souffrir quelque chose en ce monde, pour l' expiation de leurs offences, que de demeurer en danger de souffrir eternellement en l' autre ? Et qui ne choisissent pas plustost cette image de damnation, en se separant pour quelque ---------------------------------------------------------------------p415 temps du corps de Jesus-Christ, que d' estre au hazard, en s' en voulant approcher trop tost, et ne pouvant endurer cette humiliation, de s' en voir separez pour jamais par l' excommunication funeste du souverain juge ? Mais afin de mieux comprendre que la defiance que les peres avoient de ces conversions à la mort, procedoit principalement de ce qu' elles n' estoient pas accompagnees des fruits de penitence : nous n' avons qu' à ecouter ce que le mesme Saint Augustin dit en un autre sermon. (...). ---------------------------------------------------------------------p416 Fauste evesque de Riez, parle de la mesme sorte, et encore plus fortement, lors qu' estant interrogé, quel jugement on devoit porter de ces conversions à la mort ; il respond en cette maniere ; (ne considerant que ce qui arrive ordinairement, et non pas ce que la misericorde de Dieu peut faire extraordinairement en faveur de qui bon luy semble.) (...). ---------------------------------------------------------------------p418 Combien ces paroles, et celles de Saint Augustin seroient-elles plus puissantes contre ces pecheurs indiscrets, qui ayans offensé Dieu par de grands crimes, refusent de luy satisfaire par des actions de penitence, se persuadans qu' il ne faut que raconter à un prestre toutes leurs abominations, pour en estre quittes devant Dieu ? Si les peres ont creu, qu' un homme mourant qui se veut convertir à Dieu, est en danger de son salut, parce qu' il n' est guere capable de faire une veritable penitence de ses pechez, n' estant plus capable de faire les oeuvres de satisfaction qui servent à les effacer ; (...). Qu' eussent-ils dit de ceux, qui apres avoir violé la grace de leur baptesme par un grand nombre de crimes, pretendent se reconcilier avec Dieu, sans en faire penitence, la pouvans faire ; et ne refusans de la faire que par esprit d' impenitence ? Si l' impuissance, où un malade se trouve de satisfaire à la justice divine, n' empesche pas, selon la doctrine de l' antiquité, que ce defaut de satisfaction ne rende sa penitence suspecte, et son salut peu asseuré ; ceux qui tombent volontairement dans ce mesme defaut, et qui n' ont aucun soin de pleurer leurs pechez, de les expier par les mortifications et les retranchemens des plaisirs, et de les rachepter par les bonnes oeuvres, peuvent-ils prendre les peres ---------------------------------------------------------------------p419 pour garands d' une negligence si dangereuse, et s' appuier sur la discipline qu' ils observoient envers les mourans ? Car encore en un malade, il se peut faire que Dieu par une faveur singuliere, verse dans son ame une grace si abondante, que la plenitude de la volonté supplée à l' impuissance d' agir : ce qui fait dire à Saint Cesarius, (...). Mais si cela n' empesche pas que les peres n' ayent beaucoup douté du salut de ces personnes, qui ne retournoient à Dieu qu' à la mort, parce que la plenitude du coeur ne se reconnoist, que dans les occasions, et par les oeuvres ; et qu' ainsi pour s' asseurer de la conversion d' un homme, (...) : quelle excuse peut apporter de sa lascheté et de son impenitence, celuy qui se portant bien refuse de faire ce qu' il peut pour reparer ses desordres par les exercices de la penitence ? Et comment peut-t' il pretendre ---------------------------------------------------------------------p420 qu' il en a les mouvemens dans le coeur, puis que ses actions dementent ses paroles, et qu' il est impossible que la vraye penitence interieure ne porte le penitent à faire, lors qu' il le peut, des actions exterieures de penitence, comme il est impossible qu' une racine soit vivante, et qu' elle ne pousse dans le temps, et dans la saison des fruits et des feüilles ? Mais enfin pour faire encore mieux voir le peu d' estat que l' eglise faisoit de ces absolutions, et de ces communions qui n' avoient point esté precedées par des fruits de penitence ; lors qu' il arrivoit que ceux, qui les avoient receuës de cette sorte en extremité de maladie, revenoient en santé, elle n' avoit non plus d' esgard à tout ce qui s' estoit passé, que s' il n' eust jamais esté : elle ne les consideroit point comme des personnes reconciliées, ne contant pour rien une reconciliation qu' elle n' avoit accordée que par force, et contre l' ordre de ses saintes loix : elle ne les regardoit, que comme des pecheurs qui avoient besoin de flechir Dieu par les exercices de penitence : elle ne mettoit point de difference entr' elles, et le reste des penitens qui n' avoient point encore receu la remission de leurs pechez : elle les obligeoit comme les autres, d' effacer leurs crimes par l' abondance de leurs larmes, de demeurer long-temps separez du corps du fils de Dieu, comme indignes d' y participer, (...). ---------------------------------------------------------------------p421 Les conciles y sont formels : mais sur tout, ce que le premier d' Orange, et le quatriesme de Cartage en disent, merite une particuliere attention. (...). Ce qui nous monstre clairement, que selon les peres, la communion que les pecheurs reçoivent avant que d' avoir fait des fruicts dignes de penitence, n' est pas tant une communion legitime, c' est à dire conforme aux loix et au veritable esprit de l' eglise, qu' une communion forcee, une communion qu' elle ne donne que par condescendence, par necessité, et par contrainte, et qu' elle n' accorderoit point, si elle agissoit dans une pleine et entiere liberté. Le concile quatriesme de Carthage, apres avoir ordonné, qu' on donneroit l' absolution et la communion à celuy qui auroit demandé penitence en extremité de maladie, adjouste, (...). ---------------------------------------------------------------------p422 D' où nous apprenons la raison, pourquoy quelque malade que fust un homme, et dans quelque impuissance qu' il se trouvast de faire des actions de penitence, il ne laissoit pas de demander penitence, et on ne laissoit pas de la luy imposer, afin de luy remettre dans l' esprit la peine et le chastiment que ses pechez meritoient, et l' obligation qu' il avoit de les effacer par une satisfaction salutaire, s' il plaisoit à la bonté divine de luy faire tant de grace, que de luy en donner le temps, et le moyen, en luy prolongeant la vie. Car les peres n' avoient garde d' estre de l' opinion de ceux qui croyent aujourd' huy, que la plus grande faveur que Dieu puisse faire à une personne, c' est de la preserver de mort subite, et de luy laisser jusques à la fin, l' usage libre de la raison et du jugement ; se persuadans que tous ceux qui reçoivent l' absolution à la mort avec quelque reconnoissance de leurs pechez, et quelques protestations de vouloir estre à Dieu, sont asseurement sauvez, quelque mauvaise qu' ait esté leur vie. D' où vient qu' ils croient qu' il n' y a point de lieu, d' où l' on monte si facilement au ciel, que d' une potence, ou d' un echafaut. Ces grands saints estoient si eloignez de cette pensee, que Saint Augustin ---------------------------------------------------------------------p423 estant interrogé par un gouverneur d' Afrique nommé Macedonius, pourquoy les evesques qui devoient estre bien aises de la punition des crimes, avoient tant de soin d' interceder pour les criminels, et d' empescher qu' on ne les punist de mort ; la principale raison qu' il apporte de cette saincte coustume ; c' est que la charité les obligeoit d' avoir soin du salut de ces miserables, et de prolonger le temps de leur vie, afin qu' ils eussent le loisir de se corriger de leurs vices, et de satisfaire par la penitence à la justice divine, qu' ils avoient offensée par leurs crimes. (...). Si c' est un ouvrage si facile, et qui ait besoin de si peu de temps, que de ramener une ame à Dieu apres de grands, et de longs desordres ; ---------------------------------------------------------------------p424 et si l' une des voyes les plus asseurees pour aller en paradis, est de recevoir de la main d' un bourreau le chastiment de ses crimes ; tout ce que Saint Augustin apporte pour justifier l' eglise dans le soin qu' elle emploioit pour sauver la vie aux criminels, tombe par terre ; et ce gouverneur d' Afrique luy pouvoit respondre avec raison : que le zele des evesques pour le salut des ames estoit tres loüable, mais qu' il n' estoit point besoin pour cela de troubler l' ordre de la justice, et d' empescher que les princes à qui Dieu a mis l' espee entre les mains pour estre ministres de sa vangeance contre les meschans, ne fissent leur charge, puis qu' il ne falloit que trois ou quatre heures pour disposer les coupables à la mort, et les faire passer de la honte du supplice à une gloire eternelle. Certes cette responce eust esté sans repartie, si les maximes des peres sur ce poinct, eussent esté conformes aux nostres. Mais pour faire voir encore qu' elles estoient bien differentes, et qu' ils jugeoient que c' estoit une chose tres-rare et tres-difficile, qu' une personne revinst à Dieu apres de grands dereglemens, sans faire une bonne et solide penitence durant une espace de temps raisonnable, (...), comme Saint Cyprien dit si souvent ; je croy devoir rapporter icy une histoire que Ruffin raconte dans les vies des peres, qui me semble merveilleuse pour le sujet dont nous ---------------------------------------------------------------------p425 parlons. Un solitaire de la Thebaïde qui n' avoit pas vescu purement comme les autres, estant à l' article de la mort, fut agité violemment par les remords de sa conscience. Il supplia le S Abbé Mutius, de prier Dieu qu' il luy rendist la santé, afin qu' il eust un peu de temps pour corriger sa vie, et faire penitence de ses pechez. Mutius luy respondit, qu' il estoit bien tard, qu' il devoit l' avoir faite auparavant. Neantmoins il prie, et luy dit que Dieu luy donnoit encore un peu de temps pour vivre, et pour pleurer ses pechez, et que ce temps estoit de trois ans. Apres ces paroles, il luy prend la main, le fait sortir du lit, l' emmene dans le desert, et apres luy avoir fait passer ces trois ans dans un exercice continuel de penitence, il le ramene au mesme lieu d' où il l' avoit pris, où plusieurs solitaires s' estans assemblez, et ce s. Abbé ayant pris occasion de leur faire un discours des fruits et de l' utilité de la penitence, ce religieux entra comme dans un sommeil, et rendit ainsi l' esprit entre les bras de ses freres. C' est Dieu mesme qui parle dans cette histoire, et qui confirme par des miracles, qui sont le langage par lequel il se fait mieux entendre, ces deux grandes veritez que tous les peres nous apprennent ; l' une, qu' il est bien dangereux d' attendre à la mort à se convertir, et qu' il est bien tard de penser à satisfaire à sa justice, lors qu' il nous appelle pour luy rendre compte : et l' autre, qu' en mettant à part quelques rencontres ---------------------------------------------------------------------p426 singulieres, où il fait paroistre les effets d' une bonté infinie, il faut pour l' ordinaire plus que des momens, et des heures, pour payer les debtes de plusieurs années ; qu' il est besoin de gemir et de pleurer long-temps, pour de longs desordres, et de guerir par de longs remedes des playes profondes et enracinées. Ainsi nous voyons que l' objection que l' on tire de la reconciliation des mourans, pour affoiblir la doctrine des peres, touchant l' obligation de faire penitence des pechez mortels avant que de communier, est ce qui la confirme le plus. Premierement, parce que ce n' estoit qu' une exception de la regle generalle, et qui par consequent servoit à l' autoriser. Secondement, par le peu d' asseurance qu' ils trouvoient dans cette maniere de reconcilier les hommes, dont la necessité les obligeoit de se servir, contre leur premier dessein, et le veritable esprit de l' eglise. Et en dernier lieu, par l' obligation qu' ils imposoient à tous ceux qui ayans esté reconciliez de cette sorte, retournoient en santé, de renoncer, pour dire ainsi, à cette reconciliation, en se rangeant au nombre des penitens, et ne s' attendant à rentrer dans la participation legitime des mysteres, qu' apres avoir donné des preuves d' une veritable conversion par les fruits necessaires de la penitence, (...). PARTIE 2 CHAPITRE 16 ---------------------------------------------------------------------p427 response à une autre objection. que ceux qu' on laisseroit en penitence, selon les peres, seroient en danger de leur salut, s' ils mouroient en cét estat, avant que d' estre absous. avant que de conclure ce long discours de la doctrine des peres, touchant la penitence, il faut que je responde à une autre objection plus populaire, et qui tombe aysément dans l' esprit des gens du monde, parce qu' ils considerent fort peu la gloire de Dieu, et mesurent toutes choses par leurs propres interests. Si l' on me differoit (disent-t' ils) l' absolution pour me laisser en penitence, et que je mourusse en cét estat, je serois en danger de perir eternellement. Je pourrois mespriser cette objection, en respondant en un mot, que tous les peres qui avoient pour le moins autant de zele que nous, pour le salut des ames, l' ont mesprisée ; puis que nonobstant cette crainte, qu' ils pouvoient avoir, aussi bien que nous, de laisser mourir des hommes sans absolution, (...), comme le Cardinal Bellarmin le reconnoist. ---------------------------------------------------------------------p428 Que de nostre temps mesme le grand Saint Charles n' y a eu aucun esgard ; puis qu' il a ordonné aux prestres de differer l' absolution en une infinité de rencontres, ainsi que nous ferons voir en son lieu. Et qu' en fin les casuistes mesmes demeurans d' accord, que le confesseur peut toutes les fois qu' il le trouve à propos obliger son penitent d' accomplir sa penitence avant que d' estre absous, ils monstrent assez le peu d' estat qu' ils font de ce vain pretexte, dont tous les pecheurs se pourroient servir pour devenir juges de leurs juges, et les contraindre de ne pas differer d' un seul moment la sentence de leur reconciliation. Je ne veux pas neantmoins en demeurer là : mais pour découvrir pleinement combien cette pensée est déraisonnable en effet, quelque raisonnable qu' elle paroisse d' abord ; considerons premierement, qui sont ceux qui tesmoignent cette apprehension. En second lieu, qui sont ceux à qui ils la tesmoignent, et qu' ils veulent destourner par ce moyen de faire leur charge. Et en dernier lieu, le fondement et le sujet de cette apprehension, et le jugement que l' on doit faire, selon les peres, de ceux qui meurent en l' estat dans lequel ils craignent de mourir, c' est à dire, durant le cours de leur penitence, avant que d' avoir receu l' absolution par le ministere du prestre. Je dis donc en premier lieu, que si nous examinons, ---------------------------------------------------------------------p429 qui sont ceux qui ne peuvent souffrir qu' on les oblige de pleurer leurs pechez durant quelque temps avant que de leur en accorder le pardon, et qui opposent à cette sainte discipline, la crainte, qu' ils disent avoir, de mourir sans estre absous ; nous trouverons, que pour la plus grande partie, ce sont des personnes qui vivans dans le desordre, et dans le vice, ne pensent que trois ou quatre fois l' année qu' il y a un paradis et un enfer, lors que quelque grande feste les oblige par bien-seance à se confesser de leurs pechez ; ausquels ils retournent huict jours apres, et souvent encore plûtost. Et des gens de cette sorte seront receus à nous venir dire, lors qu' on les exhortera de fléchir la misericorde de Dieu par leurs prieres, et par leurs larmes, avant que de se croire dignes de rentrer en sa grace, qu' ils ne peuvent souffrir ce delay, parce qu' ils craignent de mourir en mauvais estat ? Miserables que vous estes ! Il y a dix ans, il y a vingt ans, plus ou moins, que vous menez une vie toute payenne, et pareille à celle de ce mauvais serviteur de l' evangile, qui ne pense point au retour de son maistre : vous vivez en asseurance au milieu des desordres, et des vices : la frayeur des jugemens de Dieu ne trouble point la jouïssance de vos passions criminelles : vous estes semblable à celuy, dont l' escriture dit, (...) : ---------------------------------------------------------------------p430 et aujourdhuy, parce qu' on vous parle de rentrer dans la reconnoissance de vos crimes ; de prendre du temps pour les pleurer, et pour attirer sur vous la misericorde de Dieu, par l' exercice des bonnes oeuvres ; vous ne pouvez endurer d' estre traitté de la sorte, parce que vous apprehendez de mourir sans estre absous ? Qui ne voit que cette crainte pretenduë ; n' est qu' une illusion et une chimere ? Que ce n' est qu' un artifice du diable, pour empescher les hommes de revenir veritablement à Dieu, par l' unique voye qui les y peut ramener, qui est celle de la penitence, et de sortir, non seulement en apparence, et aux yeux des hommes, mais veritablement, et aux yeux de Dieu, de l' estat funeste où il les tient engagez ? La crainte de la mort, et la terreur des épouventables jugemens de Dieu nous doivent empescher de tomber dans le peché, et nous porter à en faire penitence, si nous sommes si malheureux que d' y estre tombez : et icy, nous voyons au contraire, que le demon efface de nostre esprit toutes ces apprehensions pour nous precipiter dans les crimes, et nous les remet dans la pensée, lors qu' on nous parle de les expier par des fruits dignes de penitence, afin de nous faire rechercher de faux remedes à nos playes, dans une absolution precipitée. C' est ce qui arrive ordinairement dans la honte. Le ---------------------------------------------------------------------p431 diable nous l' oste, pour nous porter à faire des choses honteuses, et il nous la rend pour nous empescher de les confesser, et d' en faire penitence. Mais rien ne fait mieux paroistre la fausseté de ce pretexte, que la maniere dont vous pretendez sortir de cette apprehension, et mettre vostre salut en asseurance. Car si vous ne prenez plaisir à vous aveugler vous-mesmes, ne serez-vous pas contraint d' avoüer, ce qu' une longue experience vous a appris, que cette absolution precipitée que vous demandez avec tant d' instance, ne vous laissera que fort peu de jours dans l' estat de grace, dans lequel vous pretendez qu' elle vous doit mettre, et que vous rentrerez aussi-tost dans vos premiers déreglemens, qui dureront plusieurs mois, jusques à une autre confession. De sorte, que quand vous seriez aussi asseuré de la verité de vostre reconciliation, qu' elle vous doit estre suspecte, tout ce que vous gagneriez par ce moyen, seroit d' estre cinq ou six jours, plus ou moins, en estat de bien mourir, et des mois entiers en suitte, en estat de perir eternellement. Au lieu que le retardement salutaire que vous ne pouvez souffrir, ne tend à autre chose qu' à vous tirer une fois pour toutes, des engagemens funestes des pechez, et à vous faire rentrer dans la liberté des enfans de Dieu, dont le premier degré, selon Saint Augustin, est de ne commettre point de pechez mortels . Et ainsi n' est-ce pas une chose ridicule, ---------------------------------------------------------------------p432 de preferer une santé qui ne doit durer qu' un moment, à une santé ferme et permanente ; parce que vous vous imaginez acquerir l' une en un moment, et qu' on ne peut acquerir l' autre qu' avec plus de temps et plus de peine. Si vous aviez le moindre sentiment, ou d' horreur pour vos pechez, ou d' humilité dans vostre misere, ou de confiance en Dieu, qui sont trois choses entierement necessaires à un veritable penitent, vous n' auriez garde d' avoir ces pensées. L' horreur que vous devez avoir de vos crimes et de vos excez, vous les feroit concevoir si dignes de punition et de chastiment, qu' il n' y a point de peine et d' affliction, que vous n' embrassassiez de bon coeur, pour destourner la cholere de Dieu qu' ils ont attirée sur vous. Vous croiriez que ce ne seroit pas l' appaiser, mais l' irriter davantage, que de luy en demander aussi-tost pardon, avant que de vous estre mis en devoir de satisfaire à sa justice, par le travail de la penitence ; et vous entreriez sans doute dans le sentiment de Saint Pierre, qui se contente de pleurer son peché dans le silence, sans oser ouvrir la bouche pour prier Dieu de luy pardonner, (...). ---------------------------------------------------------------------p433 C' est dans cette sainte disposition d' esprit, que doit estre un veritable penitent, à qui Dieu a fait sentir le poids de ses pechez, et non pas dans une presomption temeraire, que sans s' estre mis en aucune peine d' appaiser Dieu par ses gemissemens, par ses prieres, et par ses oeuvres, il merite de rentrer aussi-tost en sa grace. Mais l' humilité où vous devez estre dans l' estat miserable, où vous vous estes reduit par vostre crime, ne vous oblige-t' elle pas encore davantage à ne pas rejetter insolemment l' humiliation de la penitence, de peur de vous rendre indigne de la misericorde de Dieu ? (...). Et c' est un si grand orgueil au jugement du mesme saint, de ne se vouloir pas soûmettre aux exercices de la penitence, apres avoir offensé Dieu par de grands crimes, que cét orgueil seul merite l' enfer, quand on n' auroit point commis d' autres crimes. Enfin la confiance que vous devez avoir en ---------------------------------------------------------------------p434 Dieu, ne doit-elle pas changer vostre crainte en esperance, en vous faisant considerer, que vostre ame est entre ses mains, que vostre vie et vostre mort ne dépendent pas de la fortune, et du hazard, mais de sa seule volonté, et des ordres eternels de sa providence. Que si sa bonté vous a laissé en ce monde, lors que vous ne vous serviez de la vie qu' il vous conservoit, que pour l' offenser ; il y a sujet de croire, qu' il ne vous en retirera pas au moment que vous proposerez par le mouvement de sa grace, de vouloir estre tout à luy ; et de ne plus employer le temps qu' il vous donnera, qu' à pleurer vos fautes, et à reparer vos déreglemens passez ; et que si sa patience ne vous a souffert durant vos desordres, que pour vous amener à la penitence, comme dit Saint Paul, il n' y a pas raison de craindre qu' il voulust vous abandonner, lors que vous entrerez dans la penitence à laquelle il vous appelle ; et que vous ayant tousjours traitté avec tant de misericorde, lors que vous ne travailliez par vostre impenitence qu' à amasser des tresors de cholere, il commençast à vous traitter avec cholere, lors que sa grace commence à vous faire travailler pour amasser des tresors de misericorde. Mais pour passer au second point, et considerer quel égard doit avoir le prestre à cette crainte pretenduë ; je veux que vous apprehendiez de mourir sans estre absous ; pensez-vous ---------------------------------------------------------------------p435 que cela me doive faire oublier le devoir de ma charge, et me mettre au hazard de me perdre avec vous, en me rendant participant de vos sacrileges, par une facilité indiscrette ? Vous avez peur de mourir sans absolution ; et moy j' ay peur que l' absolution que vous me demandez avec tant de haste, ne serve qu' à vous mettre en pire estat que vous n' estes. J' ay peur que Dieu ne vous condemne dans le ciel, lors que je vous absoudray sur la terre ; j' ay peur de vous donner une fausse paix, qui ne serve qu' à vous endormir dans vos vices ; j' ay peur de me rendre coupable de tous vos crimes en vous y entretenant par une lasche indulgence, et ne vous obligeant pas de les expier par des peines, et par des travaux qui soient proportionnez à leurs excez, comme le concile m' y oblige ; j' ay peur que vous admettant temerairement à la table du seigneur, vostre ame n' estant pas encore pure ne s' y empoisonne, au lieu de s' y nourrir ; et que Jesus-Christ ne me reproche un jour d' avoir autant de fois prophané ses divins mysteres, que j' auray souffert qu' on les profanast par une negligence criminelle. à qui doit-on avoir plus d' égard à vostre crainte, ou à la mienne ? Saint Cyprien dit excellemment sur ce sujet, que les pecheurs qui demandent d' estre aussi-tost reconciliez, sont en quelque sorte excusables. (...). ---------------------------------------------------------------------p436 De sorte que ce n' est pas seulement l' interest de la gloire Dieu, qui nous oblige, selon Saint Jean Chrysostome, à exposer nostre vie, pour empescher le violement de ses mysteres, et à donner nostre propre sang, plûtost que de souffrir que le sang de Jesus-Christ soit prophané : mais c' est encore l' interest des ames, qui nous force à les traitter de la sorte, et à user de ce retardement salutaire pour leur procurer une parfaite guerison. Il ne faut avoir esgard en cela, ny à leurs desirs precipitez, ny à leurs craintes inquietes : les medecins des ames non plus que ceux des corps, ne doivent point prendre l' ordre de leurs remedes, des passions déreglées de leurs malades, mais des regles toutes divines de la medecine celeste ; et ils respondront de leur perte devant le souverain ---------------------------------------------------------------------p437 juge, s' ils les trahissent par des complaisances pernicieuses. (...). Ainsi, lors qu' une personne chargée de crimes nous presse de luy donner l' absolution, nous ne devons pas tant considerer la puissance que nous avons receuë de Jesus-Christ, de remettre les pechez ; que nous ne considerions aussi le compte que nous luy devons rendre de l' usage de cette puissance. Nous sommes veritablement juges des pecheurs ; mais nous sommes responsables à un plus grand juge. Et quelque charité que nous ayons pour les ames, nous ne les pouvons servir utilement, que dans l' ordre de Dieu, et selon les regles qu' il nous a prescriptes. ---------------------------------------------------------------------p438 Car ce seroit une erreur que de se persuader, qu' ayant receu la puissance de remettre les pechez, nous le puissions faire sans aucune disposition de la part des ames. Et par consequent, ce n' est pas user de cette puissance en serviteurs prudens et fidelles, comme nous y sommes obligez, que d' en vouloir user indifferemment envers toutes sortes de personnes, sans prendre aucun soin, ny aucune peine de s' asseurer de leurs dispositions : et il n' est guere possible de s' en bien asseurer, principalement apres de grands crimes, et souvent reïterez, si elles n' en donnent d' autres preuves que des paroles, et si elles ne font voir des marques d' un coeur veritablement penitent, par des oeuvres de penitence. (...). ---------------------------------------------------------------------p439 Comment donc voulez-vous que je me charge de la pesanteur de vos crimes, si vous n' en voulez pas faire penitence, et si vous estes du nombre de ceux, dont parle le mesme pere au mesme endroit, (...). Mais enfin pour examiner le fondement de cette crainte, qui est nostre troisiesme point, je reconnois que c' est un mal-heur, lors qu' un penitent meurt sans estre reconcilié, comme lors qu' un catechumene meurt sans avoir receu le baptesme. Il n' y a rien, que selon Dieu, un pasteur evangelique ne doive faire pour empescher que cela n' arrive, et c' est particulierement sur cette obligation que Saint Augustin ---------------------------------------------------------------------p440 establit la necessité de la residence des evesques au peril mesme de leur vie, lors que leur diocese est menacé de quelque inondation de barbares, dont ils pourroient éviter la violence par leur fuïte. Mais premierement il est difficile que cela arrive, puis qu' outre le soin particulier que le confesseur doit avoir d' un penitent à qui il auroit differé l' absolution, il n' y a point de prestre qui ne le peust absoudre en danger de mort, quand mesme la surprise de la maladie luy osteroit le moyen de repeter sa confession. En second lieu, quand cela arriveroit, ce qui ne peut arriver que tres-rarement, cela ne feroit pas que l' on ne peust juger favorablement du salut d' un homme, qui estant touché vivement du repentir de ses crimes, et travaillant de tout son pouvoir à reparer les déreglemens de sa vie par des fruits de penitence, est surpris d' une mort inopinée, avant que d' avoir receu l' absolution de l' eglise, apres laquelle il soûpiroit, et que selon le conseil des peres, il ne se contentoit pas de demander par des paroles vaines et sans effet, mais par ses gemissemens, et par ses pleurs, par ses prieres, par ses aumosnes, et par toutes sortes de bonnes oeuvres. C' est le jugement que l' eglise en a tousjours fait, puis qu' elle a ordonné par ses canons, que ceux qui mourroient en cét estat, seroient traittez comme estans morts en la paix du seigneur, ---------------------------------------------------------------------p441 que les offrandes que l' on feroit en leur nom seroient receuës par les prestres, et que l' on offriroit le saint sacrifice pour leur repos. (...). Le second concile d' Arles ordonne la mesme chose en ces termes : (...). Ce qui nous apprend que lors qu' un homme mouroit dans le cours de sa penitence avant que d' estre reconcilié, et admis à l' usage des sacremens ; l' eglise faisoit tout son possible pour reparer ce manquement, et pour tesmoigner par toutes sortes de saints artifices, que ce mal-heur n' empeschoit pas qu' elle ne le tinst au nombre de ses enfans, et dans l' union de son corps, quoy qu' il ne parust pas aux yeux des hommes, y avoir esté reüny durant sa vie. C' est pourquoy ses parens, ou ses amis, se trouvoient au saint sacrifice, pour presenter leurs offrandes en sa memoire, qui consistoient principallement au pain, et au vin, dont on consacroit en suitte l' eucharistie ; et l' eglise les recevant ---------------------------------------------------------------------p442 declaroit par là, qu' elle le jugeoit digne de participer à ses mysteres ; parce qu' il avoit honoré la penitence, selon les termes du concile ; et parce qu' elle croyoit, qu' ayant embrassé de bon coeur les exercices penibles d' une satisfaction salutaire ; le juge invisible auroit suppleé par sa puissance au ministere visible des prestres, et absous dans le ciel celuy qui ne l' avoit peu estre sur la terre. Mais on ne peut rien adjouster à ce qu' un autre concile de nostre France dit sur ce sujet ; et la maniere dont il parle de ces morts subites des veritables penitens, est si advantageuse et si pleine de consolation, qu' elle est capable de r' asseurer les consciences les plus timides, et de faire voir aux plus endurcis, que l' apprehension qu' ils disent avoir de mourir sans estre reconciliez, n' est qu' un vain pretexte qu' ils prennent pour ne point faire penitence de leurs crimes. (...). ---------------------------------------------------------------------p443 C' est à dire, qu' ils estoient possible en tel estat, qu' avant mesme l' accomplissement entier de leur penitence, et hors le danger de mort, l' evesque les eust pû admettre à une pleine et parfaitte reconciliation, et les faire participans de l' eucharistie, selon le pouvoir que tous les canons luy donnent d' abreger, ou de prolonger le temps de la penitence, ayant esgard aux differentes dispositions des ames. L' eglise a donc jugé, qu' on ne perd rien à s' humilier devant Dieu ; qu' il est plus utile aux pecheurs de se retirer de l' usage des sacremens par une crainte respectueuse, que de s' en approcher par une presomption temeraire ; que c' est le moyen d' estre bien-tost absous de Dieu, que d' estre long-temps à se reconnoistre coupable, et à pleurer ses pechez ; et que si la mort nous surprenoit dans ce travail de la penitence, dans une volonté sincere de mortifier nos vices, pour ne vivre plus qu' en Jesus-Christ, ---------------------------------------------------------------------p444 dans une parfaite soûmission aux ordonnances de celuy que Dieu nous a donné pour juge et pour medecin, dans une profonde humiliation de nous voir separez pour nos crimes de la participation des divins mysteres, et dans un desir pressant d' y rentrer, qui nous porte à travailler serieusement à nous en rendre dignes : que si, dis-je, nous mourions en cét estat, le defaut de l' absolution du prestre, que nous aurions desirée, et que nous n' aurions pû recevoir, n' empescheroit pas que Dieu ne nous fist misericorde, et ne nous accordast le pardon de nos pechez avec d' autant plus d' indulgence, que nous le luy aurions demandé avec plus de modestie et de retenuë. Saint Augustin parlant de la necessité du baptesme dit excellemment, (...). ---------------------------------------------------------------------p445 Et c' est dans cette mesme pensée que Saint Ambroise le maistre de Saint Augustin, parle de l' Empereur Valentinien, comme d' un esleu qui estoit sorty des miseres de cette vie, pour aller joüir des delices eternelles du paradis, quoy qu' il fust mort par la trahison d' Argobaste, sans estre lavé dans les eaux du baptesme, qu' il avoit differé de recevoir, pour le recevoir par le ministere de ce grand saint, et pour avoir pour pere dans sa vie nouvelle, celuy qu' au temps de son erreur, et lors qu' il estoit prevenu de l' heresie des arriens, il avoit persecuté comme son plus grand ennemy. (...). ---------------------------------------------------------------------p446 Or personne ne peut douter que le sacrement de baptesme, qui est la premiere porte de benediction et de grace, et le premier de tous les mysteres du christianisme, qui nous donne entrée dans le corps de Jesus-Christ, hors lequel il n' y a point de salut, ne soit aussi necessaire à un cathecumene ; que l' absolution du prestre à un penitent : et par consequent, puis que toute l' eglise croit, suivant la doctrine de ces deux grands saints, que nonobstant cette parole expresse du sauveur : (...) ; qui ne voit que les conciles ont grande raison de bien esperer du salut de ceux qui selon les excellentes paroles de nos saints evesques de France, bruslans d' un veritable desir de participer aux mysteres du salut, s' en jugent eux-mesmes indignes dans la reconnoissance de leurs pechez, pour lesquels ils se croyent obligez de se tenir long-temps au rang des coupables, et travaillans à se purifier par les exercices de la penitence, et les fruits d' une bonne vie, ---------------------------------------------------------------------p447 pour estre remis dans la communion des fidelles avec plus de pureté, sont tellement surpris d' une mort subite qu' ils sortent de ce monde, sans pouvoir estre reconciliez par le ministere des prestres, et estre munis dans ce passage du viatique des sacremens, c' est à dire, de l' absolution et de l' eucharistie, que l' on joignoit autresfois tousjours ensemble, pour rendre pleine et parfaite la reconciliation des pecheurs. C' est pourquoy nous pouvons dire hardiment, que selon le sentiment de tous les peres, un pecheur qui dans la reconnoissance de ses crimes et de son indignité, se soûmet au travail de la penitence, pour fléchir la misericorde de Dieu, et se rendre digne d' approcher des saints mysteres avec davantage de pureté, pourvoit incomparablement mieux à la seureté de son salut, que celuy qui ne peut souffrir ce retardement salutaire ; qui ne demande que des remedes precipitez ; et qui pretend que sans avoir donné aucune preuve de la veritable conversion de son coeur, le prestre luy doit accorder aussi-tost la remission de ses pechez, et se mettre en danger de luy laisser prendre le corps du seigneur, avec une bouche corrompuë, et des mains toutes soüillées, pour me servir des termes de Saint Cyprien. Car ces grands hommes remplis de l' esprit saint, eussent sans doute dit du premier, que ---------------------------------------------------------------------p448 Dieu ne peut manquer de traitter avec douceur et avec misericorde, ceux qui selon l' avis de l' apostre previennent son jugement, et se traittent eux-mesmes avec justice et avec severité. Que c' est le moyen de n' estre point eternellement separé de l' autel du ciel, que de se separer pour un temps de celuy de la terre, dans la veuë de ses pechez : et que quand il arriveroit (ce qui ne peut arriver que tres-rarement) qu' un homme mourroit en cét estat, sans avoir pû estre reconcilié ; il y a tous les sujets du monde de croire, qu' il recevroit de la bonté divine le fruit de ses voeux, et de ses desirs ; et que le souverain prestre suppléeroit en cette rencontre par son absolution invisible au defaut involontaire de l' absolution visible de ses ministres. Mais quant au dernier ; je ne voy pas qu' ils en eussent pû dire autre chose, que ce qu' ils ont si hautement declaré en semblables sujets ; qu' il n' y a point d' asseurance dans les remedes precipitez, et qui ne durent qu' un moment : que c' est accorder une fausse paix, pernicieuse à ceux qui la donnent, et infructueuse à ceux qui la reçoivent, que de ne pas porter les hommes à la patience qui leur est necessaire pour guerir, et à rechercher le veritable remede de leurs maux, dans la satisfaction de la penitence : que les pecheurs qui se presentent aux prestres pour estre aussi-tost reconciliez ---------------------------------------------------------------------p449 et admis à l' usage des sacremens, ne veulent pas tant estre desliez, que lier le prestre : et enfin que celuy qui refuse d' estre separé pour un peu de temps du saint des saints visible, pretend en vain d' entrer au dedans du voile et dans le saint des saints invisible ; parce que celuy qui n' aura pas voulu estre humilié pour estre eslevé, lors qu' il voudra s' eslever, sera renversé : et celuy qui durant le temps de cette vie, n' aura pas eu soin de se procurer un lieu dans le corps de ce grand prestre, par les merites de l' obeïssance qu' il doit à l' eglise, et par la satisfaction de la penitence, sera separé eternellement des mysteres eternels. PARTIE 2 CHAPITRE 17 troisiesme point de la question proposée. Si cét auteur a raison de soustenir, qu' en ce temps un homme qui se sent coupable de pechez mortels, ne peut sans temerité estre plusieurs jours à faire penitence avant que de communier. je ne sçaurois m' imaginer, qu' apres ce que je viens de vous monstrer dans le second point de la question que nous avons prise pour sujet de la seconde partie de cét ouvrage, la seule proposition de celui-cy ne blesse les oreilles de tous les veritables chrestiens, et ne leur donne quelque indignation de voir mettre en doute, si ce ---------------------------------------------------------------------p450 que l' eglise a jugé durant tant de siecles, composer l' une des principales parties de la pieté chrestienne, ne se peut aujourdhuy prattiquer sans temerité. De sorte que je me sens obligé de me servir de la mesme excuse dont Tertullien se sert dans le livre du baptesme, (...). C' est vous qui me forcez à former un doute si peu digne d' un catholique ; puis qu' apres avoir nié par une ignorance prodigieuse, que la prattique de l' eglise ait jamais esté, qu' apres avoir commis des pechez mortels, l' on fust plusieurs jours à faire penitence avant que de communier ; vous adjoûtez pour plus grande precaution, et pour joindre à vostre ignorance le mespris de toute l' eglise ancienne, (...). Mais si la passion de deffendre vostre mauvaise conduite vous oste le jugement, vous deviez pour le moins conserver un peu de memoire, et vous souvenir, que vous avez establi pour fondement de tout vostre discours, (...). ---------------------------------------------------------------------p451 Jugez je vous prie, par cette maxime inviolable, que les premieres notions de la religion catholique ont arrachée de vostre bouche, combien vostre censure est judicieuse. (...). Et neantmoins l' on ne peut faire sans temerité ce que toute l' antiquité, toute la tradition des saints, et toute la coustume de l' eglise, ont non seulement approuvé durant tant de siecles, mais recommandé à tous les fidelles, et commandé aux penitens par les canons, comme la prattique et la doctrine des apostres, et de tous leurs successeurs, et comme le plus saint et le plus asseuré moyen pour la guerison des ames, et le salut des pecheurs. Qui peut comprendre ce desordre ? Vous nous obligez de suivre une regle, et vous condemnez de temerité, ceux qui la suivent. Vous reconnoissez que cette regle nous est prescrite par le Saint Esprit, et vous accusez ceux qui s' y conforment, d' estre les instrumens du diable, en décriant leur conduite, comme une conduite diabolique, et un stratageme du malin esprit . Mais, parce que vous taschez de diviser ---------------------------------------------------------------------p452 l' eglise d' elle-mesme, et de persuader aux simples, qu' elle juge aujourdhuy pernicieux, ce que durant tant de temps elle a jugé si salutaire ; je suis obligé de reprendre les choses un peu de plus haut, pour esclaircir une verité si importante, et lever les scrupules que vous vous efforcez de mettre dans les esprits, afin de les détourner des exercices de la penitence. PARTIE 2 CHAPITRE 18 que l' eglise retient tousjours dans le coeur, le desir que les pecheurs fassent penitence, selon les regles saintes de tous les peres ; et que c' est abuser de l' indulgence dont elle a usé dans les derniers temps, que de condamner de temerité ceux, qui, dans le dessein de satisfaire à Dieu, voudroient suivre l' ordre universel, qu' elle a observé durant tant de siecles, et lequel elle n' a jamais retracté par aucun decret, ou canon. il est certain que l' eglise peut bien quelquesfois changer d' usages et d' actions exterieures ; mais il est aussi peu possible qu' elle change de sentimens, qu' il est impossible, qu' elle cesse d' estre la colomne de la verité. Car qui ne voit qu' il faut estre capable de faillir, pour estre capable de se retracter, et que si l' eglise se pouvoit dédire de ses maximes, elle ne seroit pas seulement susceptible d' erreur, mais elle s' en condemneroit elle-mesme, et perdroit ---------------------------------------------------------------------p453 ainsi l' avantage qu' elle a, d' estre la maison du sage architecte, et la retraitte asseurée des ames fidelles, se trouvant bastie sur l' instabilité du sable, et non pas sur l' immobilité de la pierre ? D' ailleurs il est manifeste par les principes de nostre foy ; qu' une doctrine que tous les peres enseignent unanimement, et qu' ils ne proposent point comme une chose douteuse, mais comme certaine et indubitable parmy tous les catholiques, comme tenuë, creuë, et observée par toutes les regions de la terre, et qui ayant pris son origine des apostres, s' est respanduë par toute l' eglise ; ne sçauroit estre estimée une doctrine de l' invention des hommes, mais de l' inspiration de Dieu ; et par consequent aussi immüable que l' esprit qui l' a inspirée, et qui ne passera jamais, quoy que le ciel et la terre passent. Cela estant ainsi, comme aucun catholique n' en peut douter, et vous ayant fait voir que les sentimens que vous ne pouvez souffrir, touchant le delay de la communion pour ceux qui ont peché mortellement, sont les sentimens de tous les peres, non point parlans comme docteurs particuliers, mais comme tesmoins irreprochables de l' usage et de la doctrine de toute l' eglise, confirmée par cent conciles, observée par toutes les parties du monde, establie par les apostres, et fondée sur les enseignemens ---------------------------------------------------------------------p454 de Jesus-Christ ; il est impossible que l' eglise n' ait encore aujourdhuy ces mesmes sentimens, et qu' elle ne les conserve jusques à la fin des siecles. De sorte que mettant en question, comme vous faites, si lors que l' on a commis des pechez mortels, il est meilleur, absolument parlant, de communier aussi-tost que l' on s' en est confessé, ou bien de demeurer quelque temps à pleurer ses fautes avant que de se presenter à l' autel ; il est sans doute, que pour ce qui regarde la doctrine ; (car je n' entre point encore dans la prattique) il ne se peut faire, que l' eglise responde autre chose que ce qu' elle a tousjours respondu par la bouche de tant de peres, de tant de papes, et de tant de conciles, qu' il est beaucoup plus saint et plus digne, de la reverence que l' on doit aux sacrez mysteres, de s' y preparer par les fruits d' une bonne et solide penitence. Mais quoy que l' eglise ait tousjours retenu, et retienne encore ces sentimens, il est neantmoins arrivé depuis quelques siecles, que le relaschement des hommes l' a empeschée de les mettre en prattique aussi parfaittement qu' elle eust bien voulu ; et l' a obligée, comme une bonne mere, de condescendre à l' infirmité de ses enfans, en leur accordant un autre usage, qui en apparence est plus facile, et moins severe ; mais qui est aussi beaucoup moins utile, ---------------------------------------------------------------------p455 et moins parfait ; de la mesme sorte que les medecins cedans à l' opposition que les malades font aux remedes, ne leur ordonnant pas tousjours ceux qu' ils jugent les plus salutaires, mais ceux dont ils les jugent plus capables. Et de la mesme sorte encore (pour recourir à la source dont l' eglise prend sa conduite) que nous voyons Dieu mesme dans l' escriture avoir fait quantité de choses par indulgence, et contre ses premiers desseins, à cause du desordre des temps et de la dureté des coeurs, comme Jesus-Christ dit dans l' evangile. C' est cette mesme dureté des hommes, qui contraint souvent l' eglise, comme elle s' en plaint en son dernier concile plus d' une fois, de condescendre, et de s' accommoder à leurs relaschemens, avec un gemissement secret et inenarrable (comme dit l' apostre) que le Saint Esprit excite en elle, à cause du déreglement de la pieté ancienne, qu' elle remarque en ses enfans. Et c' est la seule raison, qui fait que l' eglise depuis quelques siecles souffre les changemens qui sont arrivez dans la prattique de la penitence, sans que neantmoins l' on puisse monstrer qu' elle les ait fait, ny par le chef, qui est le pape, dans son conseil particulier, ny par le mesme chef, dans le conseil et le senat general de l' eglise, qui sont les conciles. De sorte qu' il faut bien prendre garde, de ne confondre pas en cecy, comme en toutes ---------------------------------------------------------------------p456 choses semblables, les dispenses, et les loix ; les condescendances, et les premieres institutions ; ce que la necessité fait faire comme par force, et ce que l' on feroit par une volonté libre. (...). Et veritablement ce seroit bien abuser de l' indulgence de l' eglise, que de se persuader ; comme vous faites, que pour n' obliger pas les hommes à la penitence avec autant de severité qu' elle faisoit autresfois, elle en ait pour cela interdit les plus excellentes prattiques, et qu' elle ait rendu criminelle cette sainte humilité, qu' elle a tousjours eslevée jusques dans le ciel, qui porte un pecheur à se separer de l' eucharistie, comme indigne de se presenter devant la majesté de Jesus-Christ, auparavant que de s' estre purifié par l' exercice des bonnes oeuvres. Quoy ? Parce que l' eglise s' accommodant à vostre foiblesse, ne vous contraint pas de faire une chose, qu' elle sçait estre sainte, et tres-utile pour vostre salut, si vous aviez assez de force pour l' accomplir ; vous blasmerez ceux qui la font ? Vous ne pourrez souffrir, que personne serve Dieu plus fidellement que vous ? Que les pecheurs reviennent à luy par une ---------------------------------------------------------------------p457 voye plus parfaite que l' ordinaire, et qu' ils recherchent une guerison plus solide et plus asseurée, que celle que nous voyons se perdre si facilement ? Vous mettrez vostre refroidissement et vostre imperfection, pour borne de la vertu chrestienne, et on ne la pourra passer sans temerité ? Vous donnerez des loix au Saint Esprit dans la dispensation de ses graces, et vous m' empescherez de suivre dans l' ordre de ma conversion les saints mouvemens qu' il me donne ? Si Dieu par une singuliere misericorde me fait rentrer en moy-mesme, et m' ouvre les yeux pour me faire voir, à l' exemple de nos premiers peres, la nudité honteuse où je me trouve, apres m' estre despoüillé du vestement de Jesus-Christ : s' il me fait sentir le poids de mes pechez, que les autres possible ne sentent pas : s' il prononce dans mon coeur cette sentence, laquelle Saint Augustin dit que tous les veritables penitens doivent prononcer contre eux-mesmes, en me montrant combien je me suis rendu indigne de participer au corps et au sang de Jesus-Christ : si la confiance et la terreur que me donnent cette promesse, et cette menace du fils de Dieu dans son evangile ; celuy qui s' abbaisse sera eslevé ; et au contraire ; celuy qui s' esleve sera rabaissé, me portent à embrasser cette regle, au sens que tant de peres et de saints l' ont prise, en me separant ---------------------------------------------------------------------p458 avec tremblement et avec humilité de la participation du corps de Jesus-Christ : s' il plaist, dis-je, à la divine bonté de me donner ces pensées, lesquelles on ne doit attendre que d' elle seule ; qui estes-vous, qui vous opposez au seigneur ; qui entreprenez de seicher mes larmes, d' estouffer mes soûpirs, de m' arracher la penitence ; qui me voulez persuader que je suis sain, lors que la pourriture de mes playes me rend encore une odeur insupportable, comme parle le prophete roy ; et qui me poussez par force dans une communion precipitée, auparavant que je m' en sois rendu digne par un entier renouvellement de ma vie ? Pour le moins, apprenez-nous quel ordre de l' eglise, et quelles loix viole celuy, qui dans la reconnoissance de ses ingratitudes passées, veut demeurer quelques mois dans les gemissemens et dans les larmes, auparavant que de pretendre à la joye des saints mysteres, ainsi que les peres parlent ? Je sçay que l' eglise a fait une infinité de loix qui retranchent les pecheurs de la saincte communion, mais je ne sçay point qu' il y en ait maintenant aucune, qui condemne une personne pour avoir esté cinq ou six mois sans communier : si ce n' est peut-estre que vous vouliez dire, qu' il n' y a point veritablement de crime à passer ce temps, ou encore plus, sans recevoir l' eucharistie, lors que l' on le fait inconsiderement et par negligence ; ---------------------------------------------------------------------p459 mais que de le faire dans la reconnoissance de son indignité, dans le ressentiment de ses fautes, dans le dessein de les effacer durant ce temps par les exercices de la penitence, et de se preparer par ce moyen à s' approcher plus saintement de l' autel, que l' on n' avoit fait par le passé ; c' est un crime abominable devant Dieu, et devant les hommes ; c' est le plus grand mal-heur qui puisse arriver à l' eglise ; c' est un stratageme du malin esprit ? est-il possible que cette pensée tombe en l' esprit d' un chrestien ? Et cependant c' est la seule qui puisse estre le fondement de vostre censure, et vous donner sujet d' accuser de temerité, ceux qui se voudroient servir de la liberté que l' eglise laisse à ses enfans, d' estre plusieurs mois sans communier, à reparer par une longue et serieuse penitence, les déreglemens de leur vie passée, au lieu que tant d' autres s' en servent impunément à entretenir leur negligence dans les choses de leur salut. En quoy veritablement il est difficile d' exprimer, combien vous estes esloigné de l' esprit et des sentimens de l' eglise ; puis que le canon celebre du concile de Latran, qui est la seule loy qui regle aujourdhuy le temps de la communion, en y obligeant tous les fideles à pasques sous de grandes peines, en excepte particulierement ceux, qui par l' advis de leur confesseur, se croyent obligez pour quelque cause ---------------------------------------------------------------------p460 raisonnable ; de se retrancher pour un temps de la participation de l' eucharistie. Ce qui nous fait voir, qu' autant que le concile a eu soin de punir avec severité, ceux qui par negligence, ou par mespris, ne se disposeroient pas, pour le moins une fois l' année, et dans les jours où nostre redemption s' est accomplie, à s' unir avec Jesus-Christ par le lien de ce sacrement auguste ; autant en a-t' il eu de mettre à couvert de toute sorte de blasme (comme s' il eust voulu prevenir vostre temeraire censure) ceux qui suivant le conseil des prestres, se retireroient de cette table sacrée, non par esloignement d' esprit, mais par une veritable reconnoissance de leurs fautes, pour s' en approcher en suitte plus saintement, apres s' en estre rendus dignes par les oeuvres de la penitence. De sorte que si sans s' eslever au dessus d' un concile oecumenique, et condemner ce qu' il approuve, l' on ne peut reprendre une personne qui ne communie pas à pasques, qui est le temps seul auquel l' eglise y oblige, pourveu qu' elle le fasse avec advis, et pour quelque cause legitime (dont la principalle, et quasi l' unique, a tousjours esté le desir de faire penitence) qui pourra souffrir patiemment, qu' avec une hardiesse incroyable, vous traittiez comme temeraires et violateurs des loix de l' eglise, ceux qui par une humilité sainte voudroient ---------------------------------------------------------------------p461 demeurer quelque temps separez de l' eucharistie, lors que l' eglise laisse absolument à tous les fidelles la liberté d' en approcher, ou de n' en approcher pas, selon les divers mouvemens que le Saint Esprit leur donne ? Cela suffiroit pour rejetter sur vous-mesme l' accusation, dont vous voulez charger les autres. Mais pour establir plus puissamment la verité que vous attaquez ; je vous veux monstrer, que non seulement l' eglise ne condemne point cette prattique qu' elle a receuë des apostres, d' estre plusieurs jours à faire penitence avant que de communier, mais qu' au contraire, elle l' approuve, la louë, la recommande, y porte ses enfans autant qu' elle peut, les y oblige mesme en quantité de rencontres, et voudroit dans son coeur qu' on la prattiquast tousjours. PARTIE 2 CHAPITRE 19 ancienne prattique de la penitence conservée dans les eglises d' orient. et premierement, c' est une chose digne d' admiration, que cette ancienne discipline de la penitence, se soit tousjours conservée dans les eglises d' orient, tant schismatiques que catholiques ; car plusieurs ---------------------------------------------------------------------p462 tesmoins oculaires nous apprennent, que dans l' eglise du Mont-Liban (qui a cét honneur rare devant Dieu, d' estre demeurée ferme au milieu du schisme qui l' environne de toutes parts, dans l' ancienne union de la chaire de S Pierre) cette prattique de la penitence a esté communément en usage de nostre temps ; quoy qu' il soit vray, que quelques-uns de ceux qui y sont passez de l' occident, y ayent apporté, ou voulu apporter quelque alteration, sous des pretextes specieux, dont nous parlerons une autre fois, si vous m' y obligez par une replique. PARTIE 2 CHAPITRE 20 que le canon, omnis utrius que sexus, donne droit au prestre de disposer les pecheurs à la communion par les exercices de la penitence. mais de plus, il est aisé de remarquer l' esprit de toute l' eglise, touchant l' approbation de cette prattique, dans cette loy generale, que les enfans mesmes n' ignorent pas, publiée dans le concile de Latran, et renouvellée dans celuy de Trente. Car quelle raison y a-t' il, que l' eglise ayant fait deux commandemens, l' un de se confesser, et l' autre de communier une fois l' année, ait distingué l' un de l' autre, quant au temps de ---------------------------------------------------------------------p463 l' accomplir, marquant le jour de pasques pour l' un, et ne marquant point de jour pour l' autre, mais laissant à la liberté de tous les fidelles de choisir tel jour, et temps qu' il leur plaira ? Si son esprit et son sentiment estoit, comme vous le voulez persuader, que l' on receust l' eucharistie aussi-tost que l' on se seroit confessé, sans aucune intervalle temps entre deux, durant lequel on fist penitence de ses pechez ; pourquoy n' auroit-elle pas obligé les fidelles de se confesser à pasques, aussi bien que d' y communier ? Cette diversité ne force-t' elle pas tous les esprits equitables de reconnoistre, que l' eglise n' a fait cette separation de l' obligation de ces deux commandemens, que par une conduite particuliere du Saint Esprit, pour donner moyen aux fidelles de faire penitence autant qu' ils voudront le long de l' année, apres s' estre confessez, sans estre obligez de recevoir la communion, la reservant au jour de pasques, pour obeïr à l' autre commandement ? Que s' il arrive que quelqu' un ayant commis des pechez mortels, differe à se confesser jusques à pasques, le concile luy a donné un autre moyen de faire penitence, par la puissance qu' il donne au prestre de differer la communion : afin qu' en ce point mesme, la verité se rapportast à la figure, et que comme les juifs qui n' estoient pas purifiez au temps de pasques, ---------------------------------------------------------------------p464 ne devoient manger l' agneau paschal qu' un mois apres ; ainsi les chrestiens, qui se seroient privez eux-mesme par des offenses mortelles de cette pureté divine, dont toutes les purifications de la loy n' estoient que des ombres, remissent à un autre temps la celebration de la veritable pasque, pour se pouvoir preparer avec plus de soin à la participation de l' agneau immortel et vivant. Cette intention de l' eglise paroist clairement, en ce que le concile de Latran n' a fait autre chose par cette ordonnance celebre, que de reduire en loy ce que les fidelles observoient par coustume, comme nous l' apprenons par le tesmoignage de Pierre De Blois, qui peu de temps avant ce concile, écrivant de l' obligation que les fidelles ont de communier, remarque, (...). ---------------------------------------------------------------------p465 Comme donc il est clair par ces paroles, que le concile de Latran, en ordonnant à tous les fidelles de communier tous les ans à pasques, n' a fait que suivre l' usage, que la foiblesse des chrestiens avoit desja introduit : ainsi voulant faire la mesme chose pour ce qui regarde la confession, il n' avoit garde de la determiner au temps de pasques ; puis que du temps de ce concile, l' ordre de l' eglise estoit, que tous ceux qui se sentoient coupables de pechez mortels, se devoient confesser au commencement du caresme, afin d' avoir pour le moins ces quarante jours de pleurs, de jeusne, et de mortification pour se preparer à la communion de pasques. Ce que l' on peut dire avoir esté le dernier relaschement que l' eglise a fait, ayant à la fin trouvé cette invention pour obliger les pecheurs à n' aller pas à la communion ---------------------------------------------------------------------p466 sans avoir auparavant pratiqué quelques exercices de la penitence, et pour observer au moins en cette maniere le reglement de tous les canons, en tenant les pecheurs durant ce temps-là separez du saint autel. C' est ce que nous apprenons du mesme Pierre De Blois, qui declare manifestement dans un sermon du jour des cendres, que la confession doit commencer avec le jeusne, et qu' il ne faut pas attendre à la fin du caresme à se confesser, si ce n' est des pechez veniels. (...). Voila quel estoit l' usage de l' eglise du temps du concile de Latran, que cét auteur a precedé de peu d' années. Ce qui fait voir, que ce concile n' avoit garde d' abolir une si sainte pratique, en determinant au temps de pasques la seule confession à laquelle il obligeoit les fidelles. Et en effet il est certain que cette coustume si salutaire et si chrestienne, s' est conservée ---------------------------------------------------------------------p467 dans l' eglise long-temps depuis, comme entre autres tesmoignages, nous le pouvons apprendre de Saint Thomas, qui declare dans son opuscule du saint sacrement, (...). Saint Bonaventure dit presque la mesme chose sur le maistre des sentences. Et de plus, les ceremonies de l' eglise conservent encore les traces de cette sainte discipline. Car la benediction des cendres, et toutes les prieres que l' eglise fait à l' entrée du caresme, montrent encore clairement ce qu' elle pratiquoit à l' égard des pecheurs, ausquels en ce jour elle imposoit penitence. Et nous voyons mesme encore dans Paris, que toutes les paroisses allans en procession le dimanche de la quinquagesime à l' eglise cathedrale, le penitencier, et ceux qui l' aident, exhortent tous ensemble le peuple devant leurs ---------------------------------------------------------------------p468 confessionnaux à faire penitence : ce qui marque, ce que l' eglise faisoit autresfois en particulier pour chaque pecheur à qui elle imposoit penitence, apres avoir entendu sa confession. Et enfin, cette absolution que l' on donne tous les ans dans Nostre Dame le jeudy saint, quoy qu' elle ne soit plus aujourdhuy que ceremoniale, est la marque de la sacramentale, que l' on donnoit autresfois aux pecheurs qui avoient fait penitence durant le caresme. Aussi ce jour s' appelle encore le jeudy absolu, parce que l' on y absolvoit les penitens, et on les recevoit à la participation de l' eucharistie, le jour que l' eglise en celebre l' institution ; suivant ce que nous avons desja dit, que le sentiment de l' eglise a tousjours esté, que la parfaitte purgation des pechez, s' accomplissoit en la reception du corps de Jesus-Christ, qu' elle donnoit pour cette raison immediatement apres l' imposition des mains. C' est aussi de cette coustume de se confesser au commencement du caresme, que le concile de Trente se doit entendre, lors qu' il louë ceux qui se confessent au sacré temps de caresme ; n' y ayant point d' apparence qu' il ait voulu loüer par ces paroles, ceux qui attendent aux derniers jours de la semaine sainte à se confesser ; puis que Saint Charles le plus fidelle interprete que l' on puisse desirer, des sentimens du concile, pour ce qui regarde les choses qui ---------------------------------------------------------------------p469 concernent la discipline, les a jugez si peu dignes de loüange, qu' il defend aux prestres de les recevoir en ce temps à la confession, pour avoir attendu si tard à s' acquitter du commandement de l' eglise. Aussi voyons-nous que depuis le concile de Trente, deux conciles de Cambray, et un de Bourges, restablissent par leurs decrets cette sainte coustume de se confesser au commencement de caresme, afin de vacquer durant ce temps aux oeuvres de penitence, et observer ce que le mesme concile de Bourges ordonne, (...). PARTIE 2 CHAPITRE 21 que le concile de Trente donne beaucoup d' ouvertures au restablissement de la penitence ancienne, et qu' il en establit les principaux fondemens. Premiere, et seconde de ces ouvertures. mais vous ayant promis cy-dessus d' examiner avec soin, quels sont les sentimens de ce saint concile, touchant la prattique que vous osez condemner, et que vous pretendez estre contraire à ces sacrées decisions : il est temps, que je m' acquitte de ma promesse, ---------------------------------------------------------------------p470 et que je vous fasse voir, qu' encore que tant de diverses heresies que ce concile avoit à combattre, et tant d' abus et de desordres qu' il avoit à corriger, ne luy ayent pas permis de prescrire en particulier tout ce qui se devoit observer dans l' administration des sacremens, n' ayant esté principalement assemblé, que pour en deffendre la substance ; tous ceux neantmoins qui le liront avec le mesme esprit qui l' animoit, y reconnoistront facilement qu' il est si esloigné d' abolir les exercices de la penitence, comme vous le voudriez faire croire, qu' il en a puissamment estably tous les veritables fondemens, et qu' il est impossible de satisfaire pleinement à ses enseignemens divins, qu' en travaillant autant qu' il se peut, au restablissement de la penitence ancienne. Cela se void premierement, en ce que le concile restablit toutes les traditions apostoliques, et tesmoigne en cent endroits, un desir ardent de remettre la discipline ecclesiastique au mesme estat auquel elle estoit auparavant que le relachement des hommes, l' ignorance des canons, et la depravation des moeurs l' eust alterée. Ce qui nous monstre la passion de cette sainte assemblée pour la pratique que vous condemnez, puis qu' elle n' est pas seulement l' une des plus importantes parties de la discipline ecclesiastique, comme tous les peres nous ---------------------------------------------------------------------p471 enseignent, mais la discipline du seigneur mesme, comme parle Saint Cyprien. Que ce n' est pas une invention des hommes, mais l' une des principales traditions des apostres, que la premiere eglise du monde, et la maistresse de toutes les autres, tesmoigne il y a desja quatorze cens ans, avoir receu d' eux avec l' instruction de l' evangile. ce n' est pas une invention de nostre temps, (dit le clergé de Rome escrivant à Saint Cyprien sur la rigueur que l' on doit tenir, pour n' admettre à la sainte communion ceux qui ont peché depuis le baptesme, qu' apres une longue et laborieuse penitence) (...). La seconde des ouvertures que le concile de Trente donne au restablissement de la penitence, c' est qu' il renouvelle tous les anciens canons qui regardent les moeurs et le devoir des ecclesiastiques, sous les mesmes peines, ou encore plus grandes, qu' ils ont esté instituez. De sorte qu' une grande partie de ces canons, mesme en beaucoup de rencontres, qui ---------------------------------------------------------------------p472 passent aujourdhuy pour legeres, portant pour peine la suspension du ministere, et le retranchement de l' autel ; il est necessaire pour satisfaire pleinement à l' intention du concile, de traitter en cette maniere les ecclesiastiques qui tombent en ces fautes ; et ainsi de remettre en usage en une infinité de cas, l' ancienne discipline, touchant la penitence des clercs, qui les obligeoit, comme tesmoigne le Pape Saint Leon, de se retirer en quelque lieu pour y pleurer leurs pechez, et faire une telle satisfaction à Dieu qu' elle leur peust estre salutaire. Et de plus, il est ordonné aux prestres, par les canons de les sçavoir tous, et de les avoir tousjours en memoire, afin de s' en servir aux occasions, pour la conservation de la discipline. Entre lesquels canons dont ils doivent estre informez, il y en a plusieurs qui les obligent de garder la vigueur de cette discipline, que vous contestez à l' endroit de ceux qui venoient se confesser des pechez mortels commis apres le baptesme. PARTIE 2 CHAPITRE 22 ---------------------------------------------------------------------p473 troisiesme ouverture que le concile donne au restablissement de la penitence, en condemnant Luther, qui vouloit que la penitence ne consistast que dans le changement de la vie. le troisiesme fondement qui se trouve dans le concile pour appuyer la verité de la penitence : c' est qu' il a decidé contre Luther, comme une verité catholique, et un article de foy, que la penitence ne consiste pas au seul changement de la vie pecheresse en la vie vertueuse ; mais à pleurer la vie passée, et à satisfaire à Dieu par les larmes, les prieres, les jeusnes, les aumosnes, et par les autres exercices que la tradition nous enseigne, et qui sont marquez par ces mots de l' evangile : (...), faites donc des fruits dignes de penitence, comme Saint Gregoire, et tous les peres les expliquent. Et l' un des principaux fondemens sur lequel il establit cette doctrine si sainte : c' est que l' on ne peut sans crime mespriser, ou renverser cette satisfaction salutaire, que tous les peres ont perpetuellement recommandée aux fidelles avec tant de soin : jugeant avec grande raison, ---------------------------------------------------------------------p474 que puis que c' est le mesme Dieu qu' on offense ; que c' est le mesme crime que l' on commet ; que c' est un chrestien qui le commet, comme autresfois ; il est bien raisonnable que le mesme homme ne satisfasse le mesme Dieu, du mesme crime, dans la mesme eglise, que de la mesme maniere. Et que si les playes du corps se guerissent en ce temps de la mesme sorte qu' il y a mille et deux mille ans ; il faut avec plus de sujet garder inviolablement dans la guerison des playes de l' ame, les mesmes regles de Jesus-Christ, que les apostres et leurs successeurs nous ont enseignées, comme estans encore plus immuables, que les raisons d' Hipocrate, et les proprietez de la nature. Ce qui paroist encore mieux, en ce que la guerison des ames est d' autant plus grande, et plus difficile que celle du corps, que l' ame est plus excellente que le corps, comme Saint Jean Chrysostome nous asseure, que nous le verrions clairement, si l' une estoit visible comme l' autre. Mais n' est-ce pas se mocquer ouvertement de l' eglise et du concile, que de condemner dans la speculation, les heresies et les erreurs de Luther, touchant la penitence (comme je ne doute point que vous ne les condemniez aussi bien que toute l' eglise) et de vouloir obliger les prestres d' imiter son erreur dans leur conduite, comme il semble que vous ayez dessein de faire, ne pouvant souffrir qu' ils imposent ---------------------------------------------------------------------p475 à leurs penitens, des satisfactions proportionnées à la grandeur de leurs pechez, ainsi que le concile l' ordonne ; et se servent pour leur guerison des remedes salutaires, dont les saints peres se sont servis, ce que le mesme concile leur recommande ? Que si l' on considere de plus, que Dieu ne permettant le mal, que pour en tirer du bien ; il ne peut avoir permis l' heresie, qui est le plus grand de tous les maux, que pour en tirer de plus grands biens : qui ne jugera plus dignes d' estre loüez, qu' accusez de temerité ; ceux qui par les austeritez, et la solidité de leur penitence, s' efforcent de seconder les desseins de la providence divine dans cette permission ? Car l' eglise ayant plus de besoin qu' elle n' eut jamais, de pratiquer la vraye penitence, sa vieillesse l' affoiblissant tous les jours, et la malice des chrestiens s' augmentant, à mesure qu' on approche du declin du monde ; Dieu a permis que Luther publiast cette heresie qui la combat, afin d' exciter l' eglise à la maintenir, et à pratiquer dans les moeurs ce qu' elle soûtenoit dans la doctrine. Si donc en suitte le mesme Dieu inspire à quelques personnes d' entrer dans ces saints exercices, par lesquels il a sanctifié tant de pecheurs ; d' embrasser avec ardeur tout ce qui peut servir à l' expiation de leurs offenses ; de s' efforcer à les noyer dans leurs larmes ; à les ---------------------------------------------------------------------p476 consumer par l' ardeur de leurs prieres ; à les racheter par les aumosnes ; à les couvrir par la charité ; et enfin, si pour establir toutes ces actions sur le fondement de l' humilité chrestienne, elles taschent de la pratiquer en la maniere dont les saints nous ont enseigné qu' elle se pouvoit le mieux pratiquer par les penitens ; c' est à dire (quoy que vous ne le puissiez souffrir) en s' esloignant humblement du saint autel pour estre plusieurs jours à faire penitence avant que de communier : qui est celuy qui ne se croira obligé de benir Dieu, et de le remercier des faveurs singulieres qu' il fait à ces ames ? Et qui ne voit au contraire, que ceux qui par ignorance, ou par un faux zele, ou par jalousie, ou par des interests secrets, murmurent contre des exemples qui doivent edifier tout le monde, ont sujet d' apprehender les jugemens de Dieu sur eux, et de peser attentivement cette parole de Saint Ambroise, (...). PARTIE 2 CHAPITRE 23 ---------------------------------------------------------------------p477 quatriesme ouverture que le concile de Trente donne au restablissement de la penitence, en ordonnant aux prestres d' imposer des penitences proportionnées à la grandeur des pechez, sous peine de s' en rendre participans. en quatriesme lieu, quoy que le concile ne declare que fort generallement, la maniere dont l' on doit satisfaire à la justice de Dieu, apres l' avoir offensé mortellement depuis le baptesme ; il le fait toutefois de telle sorte, qu' il ne justifie pas moins la conduite que vous condemnez, qu' il condemne tous les excez que vous paroissez vouloir autoriser. Il n' en faut point d' autres preuves, que ces paroles étonnantes, par lesquelles il enjoint à tous les prestres d' imposer à leurs penitens des peines proportionnées à la grandeur de leurs pechez, s' ils ne se veulent rendre participans des crimes d' autruy. Car ne montrent-elles pas clairement, combien ces sages directeurs sont loüables, qui pour accomplir autant qu' il se peut, cette proportion de la satisfaction au peché, s' efforcent d' accompagner toutes les autres satisfactions de la separation de l' eucharistie pour un temps, comme de celle que l' eglise a tousjours jugée la plus convenable à l' estat d' un ---------------------------------------------------------------------p478 penitent ; la plus agreable à Jesus-Christ ; la plus salutaire au pecheur ; et qui possede en mesme temps ces deux conditions si importantes pour une vraye satisfaction, d' estre ensemble la plus grande peine que l' on puisse imposer à un pecheur touché veritablement de Dieu, et neantmoins celle qui peut estre le plus facilement imposée à toutes sortes de personnes. La grandeur de cette peine paroist, en ce que les privations sont estimées plus, ou moins grandes, selon la grandeur et la qualité des biens qui leur sont opposez. Or l' eucharistie estant le souverain bien du chrestien en ce monde, s' il luy reste quelque estincelle de foy ; et quelque sentiment des choses divines, il ne peut estre affligé d' une peine plus sensible que de se voir separé pour ses pechez, de ce qui doit estre l' objet de tous ses desirs ; et c' est en cela que consiste l' une des plus justes proportions, que l' on puisse mettre entre la satisfaction et l' offense. Aussi n' eût-on pas creu autrefois ordonner rien de penible à un penitent, en luy imposant toutes les autres peines ordinaires, si l' on ne l' eût separé de la communion, et tous les peres ont estimé que cette separation rendoit les autres peines plus satisfactoires, comme la reception de l' eucharistie estoit le comble de toutes les graces precedentes qu' on avoit receuës par la componction, par les fruits des bonnes oeuvres, ---------------------------------------------------------------------p479 et par l' absolution et l' imposition des mains. Et cependant, parce que cette satisfaction est plus spirituelle que corporelle, il est aisé de juger qu' elle a cét advantage par dessus toutes les autres, qu' elle peut estre prattiquée par toutes sortes de personnes ; au lieu qu' il s' en trouve assez souvent qui ne sont gueres capables, ny de jeusner, ny de veiller, ny de se mortifier, ny de faire beaucoup d' aumosnes, et desquels un prudent confesseur ne peut demander autre chose pour le regard de ces actions, qu' une bonne volonté qui supplée à l' impuissance, et dans laquelle toutes ces oeuvres exterieures soient renfermées, comme les fruits dans la racine des arbres. Car comme les plus grandes oeuvres, selon le dénombrement qu' en fait Saint Paul dans la premiere aux corinthiens, peuvent estre sans la charité, aussi la charité et la bonne volonté peut estre souvent au fonds de l' ame, sans qu' elle produise aucune de ces bonnes oeuvres, à cause des divers obstacles qui se rencontrent, et qui ne dépendent pas d' elle. Mais cette separation de l' eucharistie ne trouve point toutes ces difficultez dans les ames veritablement penitentes ; et c' est ce qui fait voir le tort que l' on a de décrier, comme severe et insupportable, une conduite qui se prattique avec toute sorte de discretion, et sans aucune surcharge ---------------------------------------------------------------------p480 des ames, et qui n' estant point accompagnée de la honte publique, comme autresfois, lors qu' elle se faisoit à la veuë de tout le peuple, se trouve ordinairement toute renfermée dans l' humiliation du coeur, et dans cette condemnation volontaire que le pecheur prononce contre soy-mesme, en se jugeant indigne de participer à la chair de Jesus-Christ, et se representant dans cette exclusion passagere de la table de l' eglise, combien l' eternelle exclusion du festin des bien-heureux, sera terrible et espouventable. Voila de quelle sorte la prattique qui vous scandalise est conforme à l' intention du concile, qui nous oblige de proportionner autant qu' il se peut, la satisfaction au peché. Mais d' autre part, ces mesmes paroles que l' on peut appeller des foudres pour les confesseurs, laissent-elles en repos ces prestres, qui portez du mesme esprit que vous faites paroistre icy, trahissent les pecheurs avec une fausse misericorde, et une douceur cruelle, en couvrant seulement des playes, qui ne se peuvent guerir que par le fer et par le feu, comme dit Saint Pacien ? Qui se contentent, comme dit excellemment un autre saint, d' appliquer au dehors quelque unguent, lors que le mal est enraciné dans le plus profond des entrailles ; et enfin, qui se rendans manifestement prevaricateurs de l' ordonnance du concile, imposent ---------------------------------------------------------------------p481 sans aucune necessité, et sans s' estre mesme enquis de ce que peut accomplir leur penitent, de legeres peines pour de grands pechez, la recitation de quelques pseaumes pour un grand nombre de blasphemes et de parjures, le jeusne de quatre ou cinq vendredys au plus pour plusieurs adulteres, cinq fois l' oraison dominicale pour des communions sacrileges, et ainsi des autres ; et les envoyent aussi-tost à la sainte communion, auparavant mesme que d' avoir accomply cette legere penitence, ayant encore l' esprit tout remply des images de leurs crimes, et estans tous prests d' y retomber à la premiere rencontre ? Et pour trouver quelque couverture à leurs excez, ou ils soustiennent, (ce qui semble horrible à dire) que le confesseur n' est pas obligé d' imposer des satisfactions qui respondent en quelque sorte à la grandeur des pechez, contre la doctrine de tous les peres, et contre l' expresse definition du concile ; qui ne pouvoit pas mieux marquer cette obligation, qu' en nous asseurant, que celuy qui y contrevient se rend participant des pechez d' autruy. Ou distinguant deux sortes de satisfactions, dont les unes sont pour punir les pechez passez, et les autres pour se preserver de ceux que l' on pourroit commettre à l' avenir, ils enseignent que les dernieres seules obligent, et non pas les premieres : ce qui est tomber manifestement ---------------------------------------------------------------------p482 dans l' erreur de nos heretiques, qui mettans toute la penitence dans la nouvelle vie, ne laissent pas d' approuver ces secondes penitences, et trouvent fort bons tous les preservatifs dont l' on use, pour s' empescher de retomber dans les pechez precedens ; et ce qui combat encore directement la doctrine du concile, qui definit en termes exprez, que les satisfactions que les prestres sont obligez d' imposer, et les penitens d' accepter, ne doivent pas estre seulement pour la garde de la vie nouvelle, mais aussi pour le chastiment de la vie passée. (...). Ou enfin par un excez de hardiesse, qui ne se peut quasi comprendre, ils asseurent, que ces peines, quelques legeres qu' elles puissent estre, sont suffisantes pour satisfaire à l' ordonnance du concile ; c' est à dire, ils s' efforcent de renverser le sens commun, aussi-bien que le concile, en rendant vaines et imaginaires toutes les raisons qu' il apporte, du fruit et de la necessité de la satisfaction ; ce qu' il est bon de faire voir en particulier. PARTIE 2 CHAPITRE 24 ---------------------------------------------------------------------p483 que ceux qui negligent d' observer l' ordonnance du concile, touchant la proportion des penitences aux crimes et aux pechez, rendent vaines et imaginaires toutes les raisons qu' il apporte du fruict et de la necessité de la satisfaction. I raison du concile, que la penitence est un baptesme laborieux. la premiere des raisons que le concile apporte de la necessité de la satisfaction, est prise de ce que la justice de Dieu ne peut souffrir, que ceux qui sont tombez depuis le baptesme, soient receus en sa grace avec la mesme facilité qu' auparavant. Or n' est-il pas tout à fait hors de raison, de dire que cette difficulté, ces peines et ces travaux de la penitence, qui la font appeller par le concile apres tous les peres, un baptesme laborieux, consistent à dire cinq fois le pater noster , ou les sept pseaumes penitentiaux. Et cette persuasion est encore plus ridicule, si l' on considere que le baptesme auquel les peres comparent la penitence, n' est pas celuy des enfans, mais des hommes parfaits, lesquels estoient obligez avant que de le recevoir, d' estre quarante jours dans les jeusnes, les veilles, les prieres, l' assistance aux exorcismes, aux ---------------------------------------------------------------------p484 catecheses, et dans la separation de leurs propres femmes, ainsi que ces mesmes peres nous l' apprennent : et cependant ils ne laissoient pas de croire, que tous ces travaux comparez à ceux de la penitence, n' estoient qu' un jeu ; et que dans les eaux du baptesme, Dieu octroyoit liberallement la remission des pechez, qu' il n' accordoit dans la penitence qu' à l' abondance des larmes, et à la grandeur de l' affliction du pecheur, (...), comme Saint Pacien dit excellemment. Et ainsi, que deviendra cette doctrine du concile, que la justice divine ne peut souffrir, que ceux qui ont violé la grace de leur baptesme soient receus avec la mesme facilité qu' auparavant l' avoir violée ; si les peines que l' on impose dans la penitence, n' ont pas seulement de proportion avec celles que l' on imposoit autresfois aux catechumenes pour les preparer au baptesme ? PARTIE 2 CHAPITRE 25 ---------------------------------------------------------------------p485 seconde raison du concile. que les pecheurs sont retenus de pecher par la crainte des chastimens. la seconde raison, dont le concile se sert pour recommander la satisfaction ; c' est que la crainte des peines et des chastimens, que l' on doit imposer dans le tribunal de la penitence, retient les pecheurs, et leur sert de bride pour les empescher de retomber dans leurs pechez. Mais quel lieu peut elle avoir dans cette molle et cette lasche conduite de quelques confesseurs d' aujourdhuy, si l' on ne se persuade, que la crainte d' estre obligé de dire son chappelet, ou de faire quelque legeres aumosnes, puisse estre de quelque consideration dans l' esprit d' un homme pour le destourner du vice, que la corruption de nostre nature nous fait paroistre pour l' ordinaire accompagné de tant de charmes ? Et n' est-ce pas au contraire, comme remarque le concile, donner occasion aux hommes de retomber en de plus grands pechez, et de faire de plus grands outrages au Saint Esprit, que de traitter les pecheurs avec cette fausse douceur ? (...). ---------------------------------------------------------------------p486 Et ce mesme pere avoüe, que si la penitence n' est accompagnée d' une rigueur salutaire, elle porte les hommes à offenser Dieu par l' esperance de l' impunité. Car les novatiens luy objectant que de proposer aux hommes une seconde remission, c' estoit les inviter à commettre les pechez dont on leur promettoit le pardon ; (...) ? Que si nous faisons tout le contraire de ce que ce pere propose, et si nous traittons les plus grands pecheurs avec une lasche indulgence, et une injuste douceur, (...). ---------------------------------------------------------------------p487 Aussi voyons-nous aujourdhuy trop sensiblement l' effét de cette parole de Saint Augustin, (...). La facilité que quelques personnes veulent introduire de se relever d' un peché mortel, estant veritablement cause que les hommes se portent aussi facilement à les commettre, que si ce n' estoit qu' un jeu, jusques-là que l' on a bien osé publier, que trois ou quatre pechez mortels n' interrompent pas le cours d' une vie devote. Ce qui est la mesme chose que de dire, que trois ou quatre adulteres n' empeschent pas qu' une femme ne soit fidelle à son mary ; (...) ; puis que toute ame qui peche mortellement, commet un veritable adultere, en violant la foy qu' elle a donnée à Jesus-Christ dans son baptesme, comme à son veritable espoux. PARTIE 2 CHAPITRE 26 ---------------------------------------------------------------------p488 troisiesme raison du concile. que ces exercices de penitence servent à ruïner les habitudes des vices par des actions contraires. mais que direz-vous de la troisiesme raison du concile, si sainte et si importante, qui nous apprend que l' un des principaux fruits de la satisfaction, c' est de ruïner les habitudes du vice par les actions de vertu qui leur sont contraires. Ce qui se rapporte à ce que Saint Bernard enseigne, que la penitence est vengeresse des vices, et nourrice des vertus ; (...). Oserez-vous asseurer, que pour destruire des habitudes enracinées d' orgueil, d' avarice, d' impureté, d' yvrognerie, de médisance, il suffit de reciter quelques oraisons, au lieu d' ordonner aux avares de grandes aumosnes ; aux superbes, des exercices bas et humilians ; aux voluptueux, la maceration de leur chair ; aux médisans, la reparation de l' honneur d' autruy, aux despens mesme du leur. Et enfin à ceux qui se perdent dans la contagion du monde, comme il arrive à la plus grande partie des pecheurs, la retraitte et le silence, et au lieu des entretiens inutiles et dangereux, la priere dans leurs maisons ? ---------------------------------------------------------------------p489 Voila en general les satisfactions qui respondent à cette troisiesme raison du concile ; qui est si grande et si importante, que Saint Augustin ne donne point d' autre moyen pour ruïner la concupiscence qui reste dans les nouveaux baptisez. à plus forte raison la devons-nous representer et enjoindre à ceux qui l' ont augmentée par leurs habitudes vicieuses, par lesquelles la concupiscence croist, et se rend si forte, qu' il est rare de voir quelqu' un qui la surmonte par une longue suitte d' actions contraires, qui sont les seuls moyens que la nature et la grace ont establis pour la diminuer. Car qu' est l' habitude mauvaise qu' une seconde concupiscence establie dans la vieille, comme une seconde chaisne de fer, qui est fonduë dans la premiere ? C' est pourquoy il n' y a que Dieu seul, qui puisse rompre ce double enchaisnement par l' infusion de sa grace inseparable de l' exercice des bonnes oeuvres, comme Saint Augustin dit en cent endroits. Cette doctrine du concile, de satisfaire à Dieu par des actions opposées à nos vices, et à nos pechez, est celle de tous les peres. Et entr' autres Saint Jean Chrysostome l' explique divinement, lors qu' il dit, (...). ---------------------------------------------------------------------p490 Cependant qui n' admirera, que contre une doctrine si sainte, et si conforme aux principes de toute sorte de morale. Il se trouve des casuistes qui enseignent, (...). Comme si les satisfactions devoient estre remplies de delices : comme si nous n' estions ---------------------------------------------------------------------p491 pas obligez de déraciner nos mauvaises habitudes, par des violences et des efforts : comme s' il y avoit rien de plus raisonnable, que de guerir par la douleur et par la peine, ceux qui se sont perdus par le plaisir et la volupté : et enfin comme si c' estoit un legitime sujet de casser la sentence d' un juge, de ce qu' elle se trouve conforme aux ordonnances du legislateur ; et de renverser le jugement qu' un prestre aura prononcé en la personne de Jesus-Christ, parce qu' il y a suivy les regles inviolables de la tradition apostolique, et du dernier concile general, qui veut que nos satisfactions soient telles, qu' elles puissent servir de remede à ces ulceres envenimez que les crimes laissent dans nos ames, et ruïner nos habitudes vicieuses, par les actions des vertus contraires. PARTIE 2 CHAPITRE 27 quatriesme raison du concile. que ces oeuvres de penitence ont tres-grand pouvoir d' appaiser la cholere de Dieu. la quatriesme cause de la satisfaction que le concile de Trente apporte, ne vous est pas plus favorable. Car pourriez-vous bien pretendre, que la peine qu' il y a de dire cinq ou six fois l' oraison dominicale, ---------------------------------------------------------------------p492 deust estre mise au rang de ces grandes afflictions que l' escriture nous apprend avoir si souvent arraché les foudres de la main de Dieu ? Achab destourne les menaces du prophete Elie en déchirant ses habits royaux, en se couvrant d' un cilice, en jeusnant et dormant dans le sac et dans la cendre ; et n' osant seulement lever la teste vers le ciel. La grandeur de la penitence de Manassé le ramene de la captivité dans son royaume. Nabuchodonozor ne recouvre ce que son orgueil luy avoit fait perdre qu' apres sept ans de la plus extraordinaire affliction qui se lise dans l' escriture. Le roy d' Assyrie fait changer l' arrest prononcé contre Ninive en descendant de son throsne, en se despoüillant de ses ornemens royaux, en se couvrant d' un sac, en se couchant dans la cendre, en s' armant du jeusne avec tout son peuple, en criant à Dieu fortement, en se retirant de toutes leurs mauvaises actions. Estimez-vous que la peine de dire trois ou quatre fois les sept pseaumes, ait quelque rapport avec ces penitences et autres semblables, que le concile nous marque tacitement ; et pensez-vous qu' un homme qui ne feroit autre chose, se pûst raisonnablement promettre, d' attirer sur soy la misericorde de Dieu par la severité dont il useroit envers luy-mesme ; ce que tous les peres nous enseignent estre le devoir des veritables penitens ? ---------------------------------------------------------------------p493 Si cela est, ils ont eu grand tort de nous faire le visage de la penitence si austere. Il ne faut que demeurer dans toutes sortes de delices, dans la jouïssance de tous les plaisirs qui ne seront pas ouvertement vicieux, dans toute la pompe et la magnificence du siecle, dans la recherche de tous les divertissemens que le monde appelle honnestes, dans la continuation de toutes les visites inutiles, dans lesquelles il est impossible de guerir ses vieilles playes, quand on n' en contracteroit pas de nouvelles, dans l' ardente poursuitte des grandeurs, et des richesses, (...). Avec tout cela quelque grand pecheur que vous soyez, pourveu que vous accomplissiez fidellement quelques petites prieres, ou quelques legeres aumosnes, qu' un confesseur semblable à l' auteur de cét escrit vous aura enjointes, vous aurez droit d' emprunter ces paroles de Tertullien : (...). C' est l' image que cét auteur fait il y a plus de quatorze cens ans de ces penitens delicats qui redoutent les incommoditez du corps. (...). PARTIE 2 CHAPITRE 28 ---------------------------------------------------------------------p494 cinquiesme et derniere raison du concile. Que ces mortifications de la penitence nous rendent conformes aux souffrances de Jesus-Christ. enfin la derniere raison dont le concile se sert pour nous marquer la necessité de la satisfaction ; c' est qu' elle nous rend conformes à Jesus-Christ, satisfaisant par ses souffrances pour les pechez du monde ; sans laquelle conformité, nous ne devons point esperer de part à sa gloire : puis que la promesse de l' heritage celeste ne nous a esté annoncée que sous cette condition, (...). Que si cette regle est generalle pour tous les chrestiens, mesme innocens, (...) ---------------------------------------------------------------------p495 c' est avec raison, qu' il l' applique particulierement aux pecheurs, qui sont obligez de considerer, que si la sagesse infinie de Dieu n' a point trouvé de moyen plus propre pour l' expiation des pechez du monde, que dans les souffrances et dans les tourmens de son fils unique, qui s' en estoit chargé ; ils ne doivent pas se persuader, qu' ils seront traittez d' une autre sorte, ny s' imaginer que la satisfaction de Jesus-Christ les exempte de travailler avec ardeur à l' expiation de leurs fautes, qui est l' erreur de nos heretiques : mais qu' au contraire la plus grande gloire des souffrances de nostre chef, est qu' elles influent dans ses membres la force de souffrir avec luy, et donnent à leurs souffrances tout le prix et toute la valeur qu' elles ont devant Dieu. Et certes, ceux qui ont perdu la verdeur du bois de la vie, que la grace du baptesme plante dans les ames, et qui sont devenus un bois sec par quelque peché mortel, doivent considerer avec grande attention ce dernier advertissement que le fils de Dieu allant à la croix, et parlant à de saintes femmes, a donné à tous les pecheurs qui ne seront pas innocens comme luy, (...) ? Et se representer par ses paroles, l' obligation qu' ont tous les chrestiens, qui à l' esgard de Jesus-Christ ne sont qu' un bois sec, ---------------------------------------------------------------------p496 quelques justes qu' ils soient, et encore plus les grands pecheurs, de se conformer par une vie de penitence, et de souffrance à la vie penitente, et à la mort douloureuse de Jesus-Christ. Puis qu' il faut donc, selon le concile, apres l' escriture, que les satisfactions que les prestres ordonnent dans le tribunal de la penitence, rendent les penitens conformes à Jesus-Christ patissant ; je laisse à la conscience de ces confesseurs dont nous parlons, de juger si celles qu' ils imposent, meritent qu' on leur attribuë cét effét : et en suitte je les supplie de considerer s' il n' est pas evident, comme j' avois entrepris de le faire voir, que cette lasche conduite que l' on s' efforce d' autoriser à l' exclusion de toute autre plus conforme à la vigueur de l' evangile, rend vaines et imaginaires toutes les raisons que le concile de Trente apporte pour la satisfaction ? PARTIE 2 CHAPITRE 29 cinquiesme ouverture que le concile donne au restablissement de la penitence, en definissant, que les prestres doivent exercer leur puissance en liant, aussi-bien qu' en desliant, selon les anciens peres. ce mesme chapitre de la satisfaction nous fournit un cinquiesme fondement, pour justifier la prattique que vous taschez de décrier, lors qu' il nous apprend, ---------------------------------------------------------------------p497 que les prestres doivent exercer la puissance des clefs en liant, aussi-bien qu' en déliant, comme enseignent les anciens peres. Car demandez à ces peres, ausquels le concile nous renvoye, ce que c' est que lier un pecheur, et ils vous respondront que c' est le mettre au nombre des penitens ; luy prescrire le temps, et la maniere de la penitence ; et le separer durant ce temps-là de la participation des mysteres. C' est le lien dont Saint Ambroise ne feignit point de lier un empereur, lors que voulant retrancher le grand Theodose de la sainte communion, et le reduire à la penitence. (...). Ce que ce prince religieux comprit si bien, qu' apres estre demeuré huict mois entiers dans les gemissemens, dans les larmes, et dans cét humble esloignement de l' autel ; il n' osoit encore esperer d' obtenir de Saint Ambroise la remission de son peché, et la permission de celebrer avec les autres fidelles la nativité du sauveur, quoy que l' histoire ecclesiastique remarque, qu' il en eust une passion tres-violente. Et lors qu' il la luy demanda avec toute sorte de soûmission et d' humilité, il n' usa que ---------------------------------------------------------------------p498 de ces termes, (...). Et Saint Augustin parlant de ceux qui font penitence apres avoir violé la grace de leur baptesme par des pechez mortels, et de la reconciliation qu' on leur donne apres leur penitence achevée, en parle en ces termes : (...). D' où il est constant que la principalle partie de la puissance de lier selon les peres, est de mettre en penitence, et de separer de l' eucharistie. PARTIE 2 CHAPITRE 30 sixiesme ouverture que le concile donne, en ce qu' il enseigne que la confession des pechez en particulier, a pour but et pour objet l' imposition des peines qui les doivent expier. le sixiesme fondement que nous pouvons tirer du concile pour l' establissement de la penitence ; c' est qu' expliquant la necessité de la confession de tous les pechez, non seulement en general, mais aussi en particulier, il n' en apporte point d' autre raison, sinon que sans cela les prestres exerceroient le jugement de retenir, ou de remettre ---------------------------------------------------------------------p499 les pechez sans connoissance de cause, et ne pourroient pas garder l' equité dans l' injonction des peines. Ce qui nous monstre qu' en cela, comme en tout le reste, le concile n' a fait que suivre le sentiment de l' antiquité, qui a tousjours consideré la confession des pechez, comme un passage à l' imposition de la penitence qui estoit la fin prochaine, que le prestre se proposoit en escoutant les confessions, afin qu' il la pûst ordonner conforme aux pechez qu' il avoit ouys, et garder l' equité dont parle icy le concile, et la proportion qui doit estre entre l' offense, et la satisfaction qu' il recommande ailleurs avec tant de soin. Nous avons desja fait voir que le grand Saint Leon, expliquant la puissance que Jesus-Christ a donnée aux prestres de remettre les pechez, marque expressement, que leur charge consiste à imposer penitence à ceux qui confessent leurs fautes, afin de les reconcilier lors qu' ils se seront purifiez par une satisfaction salutaire. Ce que Saint Eloy explique encore plus clairement, lors qu' il dit, (...). Et long-temps avant luy Tertullien avoit dit dans son livre de la penitence, (...). ---------------------------------------------------------------------p500 Mais sur tout ce que nous avons rapporté de Saint Gregoire en un autre endroit, establit puissamment cette verité ; puis que ce grand pape definit en termes exprés, (...). Ce grand pape pouvoit-il mieux marquer ce que le concile nous enseigne, que le vray usage de la confession particuliere de tous les pechez mortels, est d' en donner au prestre une connoissance claire, afin qu' il puisse garder l' equité et la justice dans l' injonction des peines, qu' il doit ordonner pour l' expiation de tous les crimes qui se commettent apres le baptesme ? Et cette doctrine de l' eglise estoit autresfois tellement gravée dans le coeur de tous les ---------------------------------------------------------------------p501 fidelles, que l' on ne disoit point alors, comme l' on fait aujourdhuy, que l' on s' alloit confesser, mais que l' on alloit demander, et recevoir penitence. Ce qui a duré plus de douze siecles dans l' eglise : ainsi qu' il se peut voir, par ce que Saint Bernard escrit dans la vie de Saint Malachie, où descrivant les desordres de l' hybernie, avant l' episcopat de ce saint : (...). Et au siecle precedent Saint Anselme dit, que la penitence est une sentence, pour marquer, qu' une des principales parties de la puissance judiciaire du prestre, est l' imposition de la penitence. Mais à mesure que les coeurs des chrestiens se sont endurcis, et que l' impenitence s' est accruë, les hommes favorisant leur relaschement ont commencé à considerer le sacrement qui restablit les pecheurs en grace, plûtost par le rapport qu' il a à la confession, que par celuy qu' il a à la penitence, haussant l' une au prejudice de l' autre, et rabaissant de telle sorte celle que l' eglise a tousjours particulierement recommandée au peuple fidelle, au rapport du concile mesme, que ça esté avec beaucoup de raison, que depuis peu un evesque de grande reputation, s' est creu obligé de se plaindre dans la chaire, de ce qu' on vouloit faire le sacrement de confession, du sacrement de penitence. Et l' un des plus vieux ---------------------------------------------------------------------p502 docteurs de nostre faculté, qui est mort depuis peu d' années avoit accoustumé de faire la mesme plainte en ces paroles, comme un de ses amis me le rapportoit n' agueres, m' asseurant les luy avoir souvent ouy dire. (...). Nous sommes en un temps, où on a soin de racompter ses pechez, et non pas de les detester. Et en effét n' est-ce pas un grand desordre, d' accomplir exactement ce qui dans son institution est un moyen pour parvenir à une fin, et de negliger la fin mesme ; et n' est-ce pas ce que nous voyons aujourdhuy, où tant de personnes ont grand soin de recommander au peuple que leurs confessions soient fidelles et exactes, et n' en ont nul de discerner entre la lepre et la lepre, et d' imposer des penitences proportionnées à la grandeur des offenses, qui est la fin pour laquelle Jesus-Christ a ordonné la confession, selon la doctrine du concile. Puis donc que tous les catholiques sont obligez de reconnoistre d' un costé la necessité qu' il y a de se confesser estant coupable de quelque peché mortel, avant que de recevoir l' eucharistie, et que de l' autre l' eglise leur enseigne par la bouche du concile, que le but de la confession est de recevoir de la puissance du prestre la penitence qu' ils doivent accomplir, pour satisfaire à leurs pechez ; qui ne voit en ---------------------------------------------------------------------p503 suitte combien il est raisonnable de ne pas rompre cét ordre si saint, et d' accomplir entierement tout ce qui appartient au sacrement de penitence, avant que de passer à celuy de l' eucharistie ; puis que le premier nous doit servir de degré pour parvenir au dernier, comme le dernier est l' accomplissement et la consommation du premier ; et par consequent, qui pourra souffrir que vous improuviez comme une prattique dangereuse d' estre plusieurs jours à faire penitence avant que de communier. PARTIE 2 CHAPITRE 31 septiesme ouverture du concile, ou plustost ordonnance expresse de restablir l' ancienne penitence en une infinité de rencontres ; en ce qu' il est enjoint de soumettre les pechez publics à la penitence publique. enfin ce que nous pouvons remarquer en dernier lieu dans le concile, et qui n' est pas seulement quelque fondement, mais le restablissement tout entier de l' ancienne penitence en quantité de rencontres ; c' est qu' il ordonne expressément que les pecheurs publics fassent penitence publique. Lisez le pontifical, et vous trouverez qu' encore aujourdhuy, soûmettre un homme à la ---------------------------------------------------------------------p504 penitence publique, c' est le chasser publiquement de l' eglise, le separer non seulement de la participation, mais de la veuë mesme du corps du fils de Dieu, le vestir d' un cilice, le couvrir de cendre, l' envoyer manger son pain à la sueur de son visage, en luy ordonnant toutes sortes d' austeritez pour l' expiation de ses fautes, et l' obliger apres tout cela, pour recouvrer la paix de l' eglise, de la venir redemander dans les soûmissions les plus basses, le ventre couché contre terre, les yeux baignez dans ses larmes, et le visage couvert de la confusion de ses pechez. De sorte que cette ordonnance nous apprend, que la prattique que vous improuvez, d' estre plusieurs jours à faire penitence avant que de communier, est non seulement approuvée par le concile, mais expressément commandée, au regard d' une infinité de personnes : puis que le nombre des pecheurs publics, n' est que trop grand dans la corruption de ces derniers temps. Que si quelques raisons empeschent en quelques rencontres d' observer entierement cette sainte discipline, et de punir par une confusion publique ceux qui pechent publiquement ; il ne s' ensuit pas que l' on ne doive selon l' esprit du concile, les soûmettre au moins en particulier aux mesmes exercices de penitence qu' ils devroient prattiquer publiquement, et ---------------------------------------------------------------------p505 les tenir long-temps, pour le moins aux yeux de Dieu, dans les gemissemens et dans les larmes, auparavant que de les admettre à la reception de l' eucharistie : comme nous voyons dans Saint Basile, que lors que l' on exemptoit les femmes adulteres des exercices publics de la penitence, l' on ne laissoit pas de les tenir dans le retranchement de la sainte communion durant le temps ordonné par les canons. PARTIE 2 CHAPITRE 32 conclusion de la doctrine du concile, touchant la penitence, combien elle favorise la pratique que cét auteur ose condemner d' estre plusieurs jours à faire penitence avant que de communier. voila quelques traits de la doctrine de l' eglise unie en corps, et assistée particulierement du Saint Esprit. Si vous ne la pouvez souffrir, prenez le concile à partie, et non pas ceux qui s' efforcent de regler leur conduite, autant qu' ils peuvent, sur son esprit et ses sentimens. Car puis qu' il tesmoigne en tant d' endroits une si grande passion de remettre toutes choses dans leur premier ordre, et leur premiere sainteté, et qu' il se plaint en termes exprés de la dureté des hommes du temps ; n' est-ce pas seconder ---------------------------------------------------------------------p506 ses intentions, que de faire entrer les ames dans une prattique, que l' eglise en tous les siecles, par toutes les regions de la terre, et par la bouche de tous les peres, a jugée si sainte et si salutaire ? Puis qu' il condemne Luther comme heretique, pour avoir voulu abolir les exercices de la penitence, (...), pour me servir de ses paroles ; peut-on mieux s' opposer à cette erreur, selon l' esprit du concile, qu' en suivant l' exemple des peres qu' il nous propose à imiter, et guerissant les playes des ames par les mesmes remedes qu' ils ont fait ; entre lesquels le retranchement de l' eucharistie a tousjours tenu le premier lieu ? Puis qu' il oblige les confesseurs, d' imposer à leurs penitens des satisfactions proportionnées à leurs pechez, sur peine de se rendre participans des crimes d' autruy, s' ils usent de trop d' indulgence ; y a-t' il un moyen plus asseuré pour se guarentir de cette menace, que de garder cette admirable propportion, que tous les peres ont establie entre la penitence et le peché, en faisant sentir au pecheur par la separation du corps de Jesus-Christ pour quelque temps, le supplice qu' il merite par son crime d' estre eternellement separé de Dieu ? Puis qu' il enseigne, que les clefs n' ont pas esté moins données aux prestres pour lier que ---------------------------------------------------------------------p507 pour délier selon la doctrine des anciens peres qui peut trouver mauvais qu' ils exercent cette puissance, en interdisant aux pecheurs pour quelque temps la participation de l' eucharistie, puis que c' est en cela que les peres, ausquels le concile nous renvoye, ont tousjours mis le principal usage de la puissance de lier ? Puis qu' il declare, que la confession regarde comme sa fin, l' imposition de la penitence proportionnée à la grandeur des pechez ; qui s' estonnera, que comme ceux qui sont coupables de pechez mortels, ne doivent point communier qu' apres s' estre confessez, ils ne le fassent point aussi, qu' apres avoir accomply la penitence à laquelle la confession se doit rapporter ? Et enfin puis qu' il ordonne en termes clairs, que ceux qui pechent publiquement soient soûmis à la penitence publique ; c' est à dire, qu' ils soient retranchez publiquement de la sainte communion ; qui peut douter que ce retranchement ne soit tres-utile, et pour donner aux pecheurs une terreur salutaire, qui les empesche de retomber dans leurs pechez, et pour les porter à les expier avec plus d' ardeur par une religieuse severité envers eux-mesmes, en leur remettant tousjours devant les yeux l' image de l' excommunication eternelle, que cette excommunication temporelle leur represente ? PARTIE 2 CHAPITRE 33 ---------------------------------------------------------------------p508 prattique ancienne de la penitence, autorisée par Saint Charles en plusieurs manieres. Et premierement, par le renouvellement qu' il a fait des canons penitentiaux, avec ordre aux prestres de les sçavoir, et de les prendre pour modelles. mais quoy que ces ordonnances si saintes du dernier concile oecumenique expliquées par le mesme esprit qui les a faites, c' est à dire, par l' esprit de l' eglise universelle, qui se rencontre tousjours dans le consentement general des peres, ne soient que trop suffisantes pour nous asseurer des sentimens de l' eglise : Dieu neantmoins a voulu par une providence merveilleuse, qu' un grand saint, qu' il a suscité de nos jours pour estre l' image vivante de l' ancienne pieté, et le modelle de celle de nostre temps, ait expliqué plus au long ces sentimens du concile, afin que la briéveté des paroles de cette sainte assemblée ne pûst servir d' excuse, ou à l' indulgence excessive et dangereuse des prestres, ou à l' impenitence des pecheurs. C' est du grand Saint Charles dont je parle, lequel apres avoir travaillé si heureusement à la conclusion de ce saint concile ; n' a pas moins ---------------------------------------------------------------------p509 pris de peine durant sa vie, à en expliquer, et faire executer les ordonnances. Je ne pense pas que vous ayez beaucoup de sujet de vous plaindre, si je me persuade que l' autorité d' un grand archevesque, d' un grand cardinal, et d' un grand saint, en qui Dieu a canonisé les trois principaux degrez de la hierarchie, peut entrer en balance avec la vostre ; et que sous sa protection on n' a pas beaucoup de sujet de se mettre en peine de vostre censure. Voyons donc, si selon ses regles et ses maximes, l' on peut accuser un homme de temerité, pour demeurer quelque temps dans les austeritez de la penitence, avant que de s' approcher de l' eucharistie. Je les reduiray à trois considerations principalles, qui nous feront voir clairement, que cét homme divin n' a fait autre chose que bastir sur les fondemens du concile, dont nous venons de parler ; et reduire ses ordonnances generalles en des regles plus particulieres. La premiere de ces considerations, qui toute seule est capable de vous confondre, et de vous faire voir, combien la prattique que vous condemnez est conforme à l' esprit de ce grand saint, est le renouvellement qu' il a fait des anciens canons de la penitence. Nous voyons dans la quatriesme partie de ses actes, que pour faire executer ce que le concile ---------------------------------------------------------------------p510 de Trente enseigne si puissamment, touchant l' obligation que les prestres ont d' imposer, autant qu' il se peut, des penitences proportionnées à la grandeur des pechez : il monstre premierement l' importance de cette ordonnance, avertissant les prestres et les curez, qu' ils doivent principalement avoir soin, de ne pas imposer de legeres penitences pour de grands pechez. (...). Ces paroles sont assez fortes, pour faire quelque impression dans l' esprit des confesseurs, ---------------------------------------------------------------------p511 qui pensent serieusement au compte qu' ils rendront à Dieu de l' exercice de leur ministere. Et neantmoins, de peur que la generalité de ces termes ne servist de voile à leur negligence, il leur propose quelques exemples des satisfactions qu' ils peuvent enjoindre : (...). Il veut aussi que le confesseur impose differentes penitences, selon les differentes personnes, et les differentes sortes de pechez : (...). ---------------------------------------------------------------------p512 Voila d' excellentes leçons pour les directeurs des consciences : toutesfois il ne s' est pas arresté là, mais il s' est creu obligé de remonter à la source, et d' avoir recours à cette antiquité sainte, pour laquelle l' esprit de Dieu luy avoit donné une veneration si particuliere. ---------------------------------------------------------------------p513 Il s' est persuadé ne pouvoir proposer à ses prestres de modelle plus accomply, que ces regles anciennes de la penitence, que vous vous estes imaginé temerairement ne se pouvoir aujourdhuy observer sans temerité. Il a composé pour cét effet un corps nouveau des canons penitentiaux, qu' il a voulu mesme reduire à l' ordre du decalogue, pour en rendre l' intelligence plus facile ; et afin que l' on ne pûst douter de son dessein, voicy de quelle sorte il en parle. (...). Vous voyez que selon ces peres et Saint Charles, comme les medecins du corps ne se doivent pas contenter de connoistre les maladies, mais doivent principallement travailler à la connoissance des remedes ; ainsi les medecins des ames doivent avoir grand soin d' apprendre à discerner les pechez, mais ils en doivent avoir encore davantage, d' acquerir la science si necessaire des divers remedes, que les plus excellens maistres en cette medecine spirituelle, ont jugé propres pour la guerison de ces maladies. Ce qu' il explique dans la suitte par ces paroles. (...). ---------------------------------------------------------------------p514 (remarquez ces termes, ils decident toute nostre question, comme je vous le feray voir) (...). Ce que l' eglise a observé en tout temps, les penitences n' ayans jamais esté arrestées de telle sorte, qu' il ne fust au pouvoir des evesques de moderer quelque chose de leur rigueur, selon que les penitens s' en rendoient dignes, par la perseverance dans la douleur, dans les larmes, et dans les bonnes oeuvres. (...). Voulant marquer par ces dernieres paroles, qu' ils en doivent rechercher une plus grande dans les peres, et dans les conciles. Il ne reste donc qu' à considerer ces canons, pour voir quelles sont les regles de la penitence ---------------------------------------------------------------------p515 que Saint Charles propose à ses prestres. Et premierement ces canons ne regardent pas seulement les crimes enormes, ou publics ; mais toutes sortes de pechez mortels, et quelques-uns mesme qui ne le sont pas, comme les homicides de hazard. Il n' en faut point d' autre preuve que leur lecture : et quand vous considererez que les deux derniers commandemens du decalogue n' y sont pas obmis, et que les simples desirs de prendre le bien d' autruy, ou de commettre une fornication, sont punis d' une tres-longue et tres-laborieuse penitence, vous serez contraint d' avoüer, que la défaite par laquelle vous pensez vous échapper en voulant rejetter cette sainte discipline sur les seuls penitens publics pour des crimes enormes, ne peut estre icy alleguée avec la moindre couleur. En second lieu, ce que je vous prie de remarquer, ces canons ont cela de commun entr' eux qu' ils enferment tous la separation de l' eucharistie, les uns pour quelques jours, les autres pour quelques mois, d' autres pour plusieurs années, et quelques autres enfin pour toute la vie jusques à l' article de la mort. Car il est sans difficulté, que les canons n' ordonnerent jamais de penitence, que le retranchement de la communion n' en ait esté la principale partie : ce qui fait qu' Ives De Chartres au lieu que nous avons allegué, appelle generalement (...) : ---------------------------------------------------------------------p516 cette peine estant enfermée dans toutes les penitences canoniques ; soit qu' elle y soit marquée formellement, ou qu' elle ne le soit pas. Neantmoins beaucoup de ces canons de Saint Charles l' expriment en termes clairs. Celuy qui mange de la chair en caresme sans necessité, est privé de la communion de pasques, et obligé d' estre long-temps à ne manger point de chair. Celuy qui s' oblige par serment de plaider contre quelqu' un, et ne se reconcilier point avec luy, est privé de la communion une année toute entiere. Celuy qui se parjure en justice ne doit recevoir la communion qu' au bout de sept ans. Celuy qui se rend deserteur de la foy catholique, qu' au bout de dix. Un sacrilege qui envahit les biens de l' eglise n' est receu à communier que la quatriesme année. Un homicide volontaire doit demeurer toute sa vie à la porte de l' eglise, et ne communier qu' à la mort. La mesme chose est ordonnée pour la punition d' un inceste, et pour le crime d' un prestre qui dit la messe estant degradé. Une femme adultere ne doit recevoir l' eucharistie qu' apres une penitence de dix ans. Trois ans de penitence pour un usurier, dont il doit jeusner le premier au pain et à l' eau. Trois ans ---------------------------------------------------------------------p517 pour une simple fornication entre deux personnes qui ne sont point liées, et ainsi des autres qu' il seroit trop long de rapporter. Tournez maintenant vostre zele contre Saint Charles. Accusez-le comme perturbateur des loix, et de l' ordre de l' eglise, pour avoir proposé à ses prestres comme les plus saintes reigles ausquelles ils peussent se conformer, des choses si directement opposées selon vostre advis à l' usage de l' eglise d' apresent , ce sont vos termes : de leur avoir donné pour modelle des canons qui ne preschent autre chose que cette pratique pleine de temerité et d' extravagance, ainsi qu' elle vous paroist, d' estre plusieurs jours, voire plusieurs mois à faire penitence avant que de communier . Il le fait neantmoins, et il ne se contente pas de le faire une fois, il le repete en vingt endroicts de ses actes, et ne recommande rien tant aux confesseurs, que de regler les penitences qu' ils imposeront sur le modelle de ces canons anciens. Mais principallement ce qu' il en dit dans une instruction italienne est considerable. (...). ---------------------------------------------------------------------p518 Garder les anciens canons, c' est mettre un homme en penitence, c' est le faire demeurer long-temps dans les gemissemens et dans les larmes, avant que de luy permettre de communier ; et cependant selon Saint Charles, il est tousjours bon de garder les canons autant qu' il se peut. Cela estant, je vous supplie de me dire vostre advis sur cette rencontre. Un grand pecheur touché de Dieu, s' addresse à un prestre, et luy declarant le fonds de sa conscience le conjure de le traitter selon ce qu' il jugera plus à propos pour la guerison de son ame. Ce confesseur instruit dans la science de l' ecriture et des canons, comme Saint Charles l' ordonne, luy represente d' une-part, combien c' est une chose horrible de violer par des crimes l' alliance contractée avec Jesus-Christ dans le baptesme, et de chasser le Saint Esprit de son coeur, pour mettre le diable en sa place : et de l' autre, que la misericorde de Dieu est infiniment au dessus de toutes nos ingratitudes, et qu' il est tousjours prest de recevoir en sa grace ceux qui retournent serieusement à luy : mais qu' il doit considerer, que selon la doctrine de l' eglise, ce n' est pas assez de se retirer du mal, et de confesser ses pechez, si l' on ne s' efforce de les effacer par l' austerité de la penitence. (...). ---------------------------------------------------------------------p519 Apres cela, pour se conduire plus particulierement, selon les instructions de Saint Charles, il luy découvre que selon les canons penitentiaux, il devroit demeurer plusieurs années dans les pleurs, dans les gemissemens, dans les jeusnes, dans toutes sortes d' austeritez, avant que d' estre reconcilié, et admis à la participation de l' eucharistie. Et neantmoins pour moderer cette ancienne severité, quoy que tres-juste, il luy fait trouver bon de demeurer quelques mois dans les exercices de la penitence, pour satisfaire à la justice de Dieu, et se fortifier dans la vertu ; durant lequel temps il a soin de le recommander à Dieu dans ses sacrifices ; il l' assiste par ses conseils ; il l' anime par ses exhortations ; il le soustient dans ses foiblesses ; il dissipe ses tentations ; il l' entretient dans l' humilité d' un penitent ; il tempere la frayeur que luy donnent ses pechez, en luy inspirant la confiance en la misericorde de Dieu ; et enfin, il joint ses prieres et ses gemissemens aux siens, et pour faire l' office entier d' un charitable directeur, il prend sur luy-mesme une partie de sa penitence. Ainsi apres l' avoir éprouvé de cette sorte par l' espace de quelque temps ; il l' absout de ses pechez, et le reçoit à la sainte communion. Dissipez un peu le nuage qui vous offusque la veuë. Que trouvez-vous en ce procedé qui ne soit juste, qui ne soit saint, qui ne soit salutaire ---------------------------------------------------------------------p520 aux ames, qui ne ressente la pieté du christianisme, et qui ne porte avec soy sa recommandation et sa loüange ? Mais de plus qu' y trouvez-vous qui ne soit entierement conforme à ce qu' ordonne ce saint archevesque ? Il veut, (...) : c' est ce qui donne asseurance à celuy duquel je parle, qu' il ne peut mieux faire que de disposer son penitent à les observer au moins en partie ; et qu' ainsi sans se soucier de vostre censure, qui ne l' attaque pas tant que Saint Charles ; il ne sçauroit user d' une meilleure conduite, que de porter ceux qu' il y trouvera disposez, à demeurer quelque temps en penitence avant que de communier, selon le reglement de tous les canons. Voila ce qu' on peut legitimement appeller une prudente moderation de l' ancienne severité. Abbreger une partie du temps que les conciles ont prescrit : changer, selon que la prudence y oblige, la satisfaction publique en particulier, et se contenter que l' on fasse aux yeux de Dieu, ce que les peres vouloient que l' on fist aux yeux de toute l' eglise : n' obliger pas les penitens de se couvrir d' un sac mesme en secret, ---------------------------------------------------------------------p521 que les dames mesmes ne refusoient pas de porter à la veuë de tout le peuple, ainsi que Saint Hierosme rapporte de Fabiole : ne separer pas d' ensemble les personnes mariées, comme on faisoit autresfois : ne faire pas jeusner des pecheurs des années toutes entieres au pain et à l' eau : ne les contraindre pas de se tenir à la porte des eglises, pour émouvoir les fidelles par leurs pleurs, à les assister de leurs prieres : ne les engager pas à ces humbles prosternemens, et tant de fois reïterez pour recevoir l' imposition des mains des prestres : et enfin retrancher par condescendance à la foiblesse des hommes, une infinité de choses qu' on faisoit observer aux penitens dans la premiere vigueur du christianisme, avec tant de fruit pour leur ame, tant de reverence pour la justice de Dieu, et tant d' edification pour l' eglise. C' est de cette sorte que Saint Charles entend, que l' on se conduise avec prudence dans l' imposition des penitences canoniques, et qu' on les modere selon la condition, l' aage, le sexe, la foiblesse, et la grandeur de la contrition du penitent, jugeant fort bien que la douleur interieure peut estre quelquesfois si grande, qu' elle supplée à toutes les penitences exterieures ; comme les penitences exterieures peuvent estre si grandes, si continuelles, et si uniformes qu' elles suppléent au defaut des larmes, et de la douleur interieure, qui est quelquesfois plus ---------------------------------------------------------------------p522 cachée et moins connuë au prestre. Et sur cela, je me souviens d' une excellente histoire que Balsamon rapporte sur ce sujet dans son commentaire sur les epistres canoniques de S Basile. Il dit qu' un soldat qui estoit coupable d' un homicide, ayant esté absous par un evesque apres une penitence de fort peu de temps, l' empereur trouvant mauvais ce relaschement de la discipline, fit assembler un concile par le patriarche de Constantinople, pour juger si ce soldat avoit esté legitimement absous. L' evesque ayant esté appellé dans le concile pour rendre raison de son action, alleguoit un grand nombre de canons, qui permettent aux evesques d' accourcir ou de prolonger le temps de la penitence. (...). Il y a donc une grande difference entre la moderation des canons, que la discretion fait faire, et leur entier abolissement que la negligence produit, en sorte qu' il n' en reste plus aucune trace ; et pour faire voir combien cette ---------------------------------------------------------------------p523 fausse indulgence que vous voulez authoriser est esloignée des sentimens, et de l' esprit de Saint Charles ; il ne faut que considerer que s' il eust eu dessein d' y porter les confesseurs, c' eust esté une chose entierement ridicule, de leur ordonner avec tant d' instance d' apprendre les canons penitentiaux, et de leur proposer comme les plus fidelles regles, (...). Car je vous prie qui peut concevoir, qu' il soit necessaire que je sçache que les canons obligent un homme qui a commis une fornication, à demeurer trois ans dans les exercices de la penitence avant que de communier, pour ordonner à cette mesme personne cinq pater noster pour satisfaction, et l' envoyer aussi-tost communier ? La connoissance du canon, qui ne reçoit les adulteres à la participation de l' eucharistie, qu' au bout de dix années de penitence, m' est-elle necessaire pour ordonner à un adultere de dire trois ou quatre fois les sept pseaumes, ou jeusner deux ou trois vendredis, en luy laissant cependant recevoir aussi-tost le saint des saints ? Si je permets à un prestre de dire la messe le jour mesme ou le lendemain qu' il se sera confessé de ses débauches, diray-je que j' ay suivi pour regle le canon de Saint Charles qui ordonne à un prestre dix années entieres de penitence ? ---------------------------------------------------------------------p524 Mais il est inutile de s' arrester à une chose si claire, l' ignorance que vous tesmoignez de ces canons, et l' opinion que vous avez, sans doute que leur connoissance est tres-inutile, pour bien gouverner les consciences, ou qu' elle est mesme dangereuse, pour estre trop esloignée de la prattique ordinaire, monstre assez que dans la conduite des ames qui veulent revenir à Dieu, vostre esprit n' a rien de commun avec l' esprit de Saint Charles, et des peres qu' il a suivis. C' est pourquoy je me contenteray pour conclure cette consideration de vous remettre devant les yeux ces maximes importantes, que la tradition de l' eglise avoit enseignées à ce grand saint avant qu' il les enseignast aux autres. La premiere, qu' il est necessaire pour bien conduire les ames dans le tribunal de la penitence, d' estre instruit dans la science des canons, et des regles anciennes que les peres, et les conciles ont establies pour la punition des pechez, suivant cette ancienne decision d' un excellent pape, inserée dans le droit, (...). La seconde, que la forme et la regle de la justice qui se doit exercer dans ce tribunal, doit estre prise de ces canons, et qu' ils ne servent ---------------------------------------------------------------------p525 pas seulement pour reconnoistre la grandeur des pechez, mais aussi pour imposer une vraye penitence, selon la qualité de chaque peché. Ce qui a donné lieu au Pape Gregoire Vii de declarer (...). La troisiesme est, qu' encore que l' on puisse et que l' on doive moderer ces canons, selon la contrition, l' aage, la force, et les autres qualitez du penitent, (...) : et par consequent, que celuy qui peut disposer les ames à s' y soûmettre, et à prattiquer cette sainte humilité, qu' ils prescrivent tous, de se purifier quelque temps par les exercices de la penitence, avant que de s' approcher ---------------------------------------------------------------------p526 de l' eucharistie, ne fait rien en cela digne de censure, mais plûtost d' une eternelle loüange devant Dieu, et devant les hommes. PARTIE 2 CHAPITRE 34 secondement en ce que S Charles ordonne de soumettre les pecheurs publics à la penitence publique. la seconde consideration, qui nous fera voir l' ardeur de Saint Charles au restablissement de l' ancienne penitence ; c' est qu' il a renouvellé par un grand nombre d' ordonnances ce decret si salutaire du concile de Trente, de contraindre les pecheurs publics à la penitence publique. Dans le premier concile de Milan, qui a esté confirmé par le saint siege, il en parle de cette sorte avec les evesques de sa province. (...). Le mesme decret est renouvellé dans le troisiesme concile provincial. Et il ordonne expressement à ses prestres dans son manuel de le mettre en prattique. (...). ---------------------------------------------------------------------p527 Enfin, dans une excellente instruction qu' il a dressée en langue vulgaire pour les confesseurs de son diocese, et qui se trouve dans la quatriesme partie de ses actes, il leur fait le mesme commandement, suivant le concile de Trente, et deux de ses conciles provinciaux ; et adjouste expressément, comme dans son premier concile, (...). Mais ce qui est encore plus remarquable, c' est qu' entre les chefs, que les evesques peuvent, et doivent contraindre les religieux d' observer, nonobstant leurs exemptions et leurs privileges, ce grand saint marque expressément celuy-là. (...). De sorte, que selon ce decret si juste et si raisonnable ; un confesseur ---------------------------------------------------------------------p528 religieux a beau se pretendre exempt de la jurisdiction de l' ordinaire, l' evesque le peut obliger par force d' executer l' ordonnance si salutaire du concile, touchant le restablissement de la penitence publique. Ce qui marque évidemment, que ce restablissement de la penitence que vous trouvez si mauvais, a esté jugé si important au bien de toute l' eglise, qu' on n' a pas voulu qu' aucuns privileges en peussent empescher l' execution. Ces ordonnances tant de fois reïterées nous font assez voir combien ce grand saint avoit dans l' esprit, le restablissement de cette ancienne prattique de la penitence que vous condemnez si hardiment, et que vous croyez si contraire à l' esprit de l' eglise d' apresent , pour me servir de vos termes. Il a jugé si necessaire d' y soûmettre les grands pecheurs, et de les contraindre d' expier les crimes, qu' ils commettroient publiquement (ce qui n' est que trop ordinaire dans ce siecle corrompu) par les exercices laborieux d' une penitence publique, qu' il n' a pas voulu laisser en la disposition des prestres (non pas mesme de ceux qui seroient exempts de sa jurisdiction) le pouvoir de les en dispenser, pour donner moins de lieu au relaschement, et pour empescher autant qu' il pourroit, que l' indulgence pernicieuse des confesseurs ne rendist toutes ses ordonnances inutiles : comme il est vray que rien n' a tant contribué à la ruïne de la ---------------------------------------------------------------------p529 discipline ecclesiastique, que la liberté que les prestres ont prise de dispenser des canons sans aucune discretion. Ce grand saint a fait tout ce qu' il a peu pour aller au devant de ce desordre, et pour apporter quelque fermeté à ce restablissement de la penitence ancienne. L' esprit de Dieu qui avoit poussé le concile à en ramener dans l' eglise l' usage presque aboly, luy en avoit fait reconnoistre l' importance. Il voyoit fort bien qu' il n' y avoit point d' autre moyen d' arrester un peu le deluge horrible des vices, qui s' est débordé dans ces derniers temps, et que rien n' entretenant davantage la corruption generalle des moeurs des chrestiens, que la negligence des confesseurs, dont il se plaint si souvent, il estoit impossible de trouver du soulagement à ces maux, que dans les remedes qui leur soient contraires, et en opposant une juste severité, qui fasse sentir aux criminels la pesanteur de leurs crimes, aux complaisances pernicieuses, qui les nourrissent dans leurs pechez. Cependant qui ne s' estonnera que des sentimens si justes, si saints, et si dignes de la pureté de l' evangile, trouvent aujourdhuy des censeurs ? Que l' on accuse comme d' un crime des pasteurs de l' eglise, et des pasteurs dont la pieté est reconnuë et estimée de tout le monde, pour avoir remis en usage, avec une benediction toute particuliere de Dieu, quelque ombre ---------------------------------------------------------------------p530 de l' ancienne discipline, que le Saint Esprit a commandé de restablir à tous les pasteurs de l' eglise, par la bouche du dernier concile. Et que des particuliers se meslent de censurer, ce que les evesques confirment par leur autorité sacrée ; ce que Dieu autorise par les miracles de sa grace ; ce que les anges publient dans le ciel, comme le sujet de leur joye, en voyant faire penitence, non pas à un seul, mais à une infinité de pecheurs ; ce que tout un peuple embrasse avec ardeur, et avec zele, les uns comme le remede souverain de leurs blessures, les autres comme l' exercice de leur pieté, et l' affermissement de leur vertu, et tous ensemble comme une source feconde de benedictions et de graces ; et enfin ce que les ennemis mesmes de l' eglise, ne peuvent voir qu' avec estonnement, et avec respect. Certes, ceux qui se scandalisent ainsi de ce qui doit edifier tout le monde, doivent craindre la verité de ces paroles de Tertullien ; (...). Les bonnes choses ne scandalisent que les esprits mal disposez. Que ceux donc qui se scandalisent d' un si grand bien, reconnoissent leur mauvaise disposition. PARTIE 2 CHAPITRE 35 ---------------------------------------------------------------------p531 troisiemement, par plusieurs regles que Saint Charles a voulu estre inviolablement observées dans l' administration du sacrement de penitence. Dont la premiere est de differer l' absolution à tous ceux qui pechent dans le luxe et l' immodestie des habits. la troisiesme et derniere consideration vous fera voir, que mesme dans la penitence particuliere, et pour les pechez autres que scandaleux et publics, selon les regles divines de ce saint prelat, de cent personnes, qui se confessent de pechez mortels, il n' y en aura souvent pas quatre que l' on ne doive renvoyer, pour faire des fruits de penitence, avant que de leur donner l' absolution. Pour preuve dequoy je ne veux rapporter que quatre regles entre beaucoup d' autres semblables, qu' il propose à tous les confesseurs, pour estre inviolablement observées, et qu' il tesmoigne n' avoir faites qu' avec l' advis d' un grand nombre de theologiens, tant du clergé que reguliers. (...). ---------------------------------------------------------------------p532 La premiere de ses regles que nous considerons, regarde toutes les personnes qui pechent mortellement dans le luxe et l' immodestie des habits ausquelles Saint Charles veut que l' on differe l' absolution, jusques à ce qu' elles ayent donné durant l' espace de quelque temps de veritables preuves d' amendement, parce, adjouste-t' il pour raison de son ordonnance, (...). Ce qui nous monstre qu' il n' y a rien de plus dangereux pour entretenir les pecheurs dans leurs desordres, que ces absolutions precipitées : et qu' au contraire le meilleur moyen d' en arrester un peu le cours, c' est de se servir de la prattique que vous ne pouvez souffrir en les envoyant faire penitence, et en leur demandant des preuves d' une veritable conversion, avant que de les absoudre. PARTIE 2 CHAPITRE 36 ---------------------------------------------------------------------p533 seconde regle que Saint Charles ordonne aux confesseurs d' observer. Faire quitter les occasions du peché avant l' absolution. Combien les casuistes nouveaux ont corrompu la doctrine des occasions prochaines de pecher. la seconde regle de Saint Charles, c' est qu' il ne suffit pas que le pecheur ait une ferme resolution de quitter le peché mortel, mais qu' il doit aussi se retirer des occasions qui y portent, et qu' il ne faut pas se contenter qu' il promette de le faire, principalement s' il l' a desja promis, et qu' il n' en ait rien fait, mais qu' il faut attendre pour luy donner l' absolution, qu' il l' ait actuellement laissée. Cette doctrine est assez commune dans la theorie generale ; mais je me sens obligé de dire qu' il seroit à desirer, que non seulement elle fust plus fidellement prattiquée, mais aussi qu' elle fust mieux expliquée, et plus selon les principes de l' evangile, par ceux qui se meslent de prescrire des loix pour la conduite des consciences. Car que sert-il je vous prie d' enseigner en general, que l' on ne doit point absoudre ceux, qui ne quittent pas les occasions du peché, si l' on fait en sorte à force de subtiliser, que dans ---------------------------------------------------------------------p534 le particulier il ne se trouve quasi point de rencontre, où l' on puisse dire, qu' un homme soit dans l' occasion prochaine de pecher mortellement, et qu' en ce cas mesme l' on le dispense de l' obligation de s' en retirer sur toutes sortes de pretextes, pour vains et imaginaires qu' ils puissent estre ? Et cependant c' est ce que fait une grande partie de ces auteurs. D' une-part ils ne veulent reconnoistre pour occasion de peché, que l' on soit obligé de quitter, que celle qui fait offenser Dieu mortellement, tousjours, ou quasi tousjours, ou pour le moins tres-souvent, et dans laquelle on ne se trouve jamais, ou rarement sans offenser Dieu. (...). De sorte que selon l' un d' eux, l' on ne doit pas tenir pour une occasion prochaine de pecher, de demeurer avec une femme, de laquelle on abuse une fois ou deux le mois. (...). Comme si les crimes n' estoient abominables, que lors que nous les commettons tous les jours, et qu' une seule fornication ne fust pas plus que suffisante pour nous exclure à jamais de la possession de Dieu. Ils maintiennent d' un autre costé, comme l' un des plus nouveaux entre ces auteurs le rapporte et l' approuve en mesme temps ; (...). ---------------------------------------------------------------------p535 Voila de quelle sorte on laisse vieillir les hommes dans les crimes, et dans les vices, en leur permettant de demeurer dans toutes les occasions qui les y engagent, sur la moindre crainte de recevoir quelque incommodité . Comme si la verité mesme ne nous avoit pas asseuré, que la possession du monde entier ne doit pas seulement entrer en consideration, lors qu' il s' agit de la perte de nostre ame. Mais encore voyons un peu les raisons puissantes, sur lesquelles une si estrange doctrine peut estre fondée ; (...). ---------------------------------------------------------------------p536 Si ce raisonnement est bon, il ne faut plus parler de decalogue, ny d' evangile. Car je supplie tous les hommes d' examiner un peu dequoy il s' agit. Il s' agit du precepte d' éviter l' occasion quasi certaine d' offenser Dieu mortellement ; c' est la propre espece de cét auteur : et l' on enseigne que ce precepte, que tout le monde peut juger n' estre point une loy positive et capable de changement, mais naturelle, divine, eternelle, et immuable, ne peut obliger (remarquez ces termes) (...). A-t' on jamais entendu parler d' une semblable theologie, que les commandemens de Dieu ne nous puissent obliger que sous nostre bon plaisir, et lors seulement que nous les ---------------------------------------------------------------------p537 pouvons accomplir sans nous en incommoder : et si cette maxime passe pour bonne, quelle obligation peut-on trouver, soit dans la loy naturelle, soit dans le christianisme, dont les hommes charnels ne se puissent croire avec raison tres-legitimement dispensez en une infinité de rencontres ? Et c' est aussi, suivant ces maximes, que le mesme auteur enseigne au mesme endroit, que les serviteurs et les servantes peuvent en seureté de conscience servir de ministres aux débauches honteuses de leurs maistres et de leurs maistresses, porter les poulets, donner les rendez-vous, faire les messages, et tout le reste de cét infame commerce, pourveu qu' en tout cela ils n' ayent point d' autre but que leur commodité temporelle, (...). C' est à dire, que la fin basse et abjecte du gain, qui dans les veritables maximes du christianisme, fait dégenerer en vices les plus belles vertus, dans les maximes de cét auteur, fait changer de nature aux vices les plus honteux, et justifie les actions les plus criminelles. Mais n' est-ce pas une chose déplorable, qu' en des matieres decidées par la bouche de Jesus-Christ mesme, au lieu de nous renvoyer à l' evangile, l' on nous propose pour regles de nos consciences des resolutions toutes contraires à ses divins enseignemens ? Se peut-il ---------------------------------------------------------------------p538 rien voir de plus clair pour convaincre la fausseté de cette proposition dangereuse : (...). Quoy que ce soit, que Jesus-Christ ait entendu, disent les peres, par la main, le pied, et l' oeil, il est certain qu' il ne peut avoir entendu que des choses qui nous sont tres-cheres, et desquelles nous ne pouvons nous passer sans une extréme incommodité ; puis qu' il a choisi de toutes les parties de nostre corps, celles dont l' usage est plus ordinaire dans toutes les fonctions de la vie, et dont la perte nous est plus sensible. Et encore ne se contente-t' il pas en un autre endroit de nommer la main, mais il adjouste la main droitte, (...), pour exprimer davantage la necessité et l' utilité, ---------------------------------------------------------------------p539 de ce qu' il entendoit par cette main. Et cependant il nous commande en termes exprés, que si ces choses qui nous sont si utiles et si necessaires, nous détournent de son service, et nous sont occasion de ruïne, et de peché, nous nous en devons separer : et non seulement nous en separer, mais le faire avec force et violence, comme ces mots de coupper, retrancher, arracher, nous le font connoistre, selon la remarque de Saint Chrysostome. (...), il faut auparavant qu' il se persuade que de s' arracher un oeil, et se couper ---------------------------------------------------------------------p540 la main droite, ce soit retrancher de nostre corps des parties inutiles et de nul usage, dont la perte ne nous apporte aucune incommodité. Voila ce que produit l' esprit humain, lors qu' il s' escarte de la lumiere que Dieu nous a laissée dans les escritures. Le sauveur du monde a reproché aux pharisiens des traditions contraires au decalogue, qui n' estoient pas en apparence si mauvaises que celles-cy, puis qu' elles tendoient à honorer Dieu par les dons qu' on faisoit au temple, au prejudice des peres et des meres. Mais comme l' amour du prochain, et celuy que nous devons à nous-mesmes, sont joints ensemble d' un inseparable lien, il ne faut pas s' estonner, si de la mesme main, dont on establit l' usure qui ruïne la charité du prochain, l' on ruïne par ces mauvaises maximes la charité que tout chrestien se doit à soy-mesme, et à son propre salut. PARTIE 2 CHAPITRE 37 ---------------------------------------------------------------------p541 troisiesme regle de Saint Charles, que plusieurs personnes trouvant des occasions de pecher dans leur profession, quoy que de soy-mesme innocente, on ne les peut absoudre, si elles ne la quittent, ou au moins si elles ne donnent durant quelque temps des preuves d' un veritable amendement. de la plainte que ce saint fait, que la negligence des confesseurs a introduit une infinité d' abus en toutes sortes de professions. mais pour revenir à Saint Charles, et pour faire voir combien sa doctrine estoit esloignée de ces alterations de la doctrine evangelique, il ne faut que considerer la troisiesme regle qui passe encore bien plus avant, pour ce qui regarde les occasions du peché, comme il se peut voir par ces excellentes paroles. (...). ---------------------------------------------------------------------p543 Ouvrons les yeux puis que ce grand saint nous y exhorte, et considerons avec luy trois choses tres-importantes. La premiere, combien est criminelle devant Dieu la negligence de ces confesseurs, qui se persuadent n' avoir autre chose à faire dans le tribunal de la penitence, qu' à escouter les pechez de tous ceux qui se presentent, et à leur donner aussi-tost une absolution precipitée, puis que cét homme divin nous asseure, que c' est de là que sont procedez tant d' abus et tant de pechez, dont l' infection s' est tellement respanduë dans tous les arts, et dans toutes les professions, qu' il ne semble quasi plus possible à une grande partie des hommes, de les exercer sans s' y perdre. Ces paroles sont estranges, et elles meriteroient d' estre gravées sur tous les tribunaux des confesseurs, pour leur remettre devant les yeux l' importance de leur charge, et de quelle consequence sont les fautes qui s' y commettent par une fausse douceur. Je n' en dis pas davantage ; pour déplorer de si grands maux, les gemissemens sont plus propres que les paroles. La seconde chose que nous avons à considerer, c' est, que Saint Charles a jugé avec grande raison, que les remedes devans estre contraires aux causes des maladies, il n' y avoit point de meilleur moyen pour arrester un peu le cours des desordres, ausquels la negligence des confesseurs avoit donné lieu, qu' en retranchant cette facilité inconsiderée d' absoudre les plus grands pecheurs, sans avoir aucune raison de croire qu' ils vivront mieux à l' avenir, et en obligeant les prestres à voir des fruits veritables ---------------------------------------------------------------------p544 de correction et d' amendement, avant que de leur prononcer la sentence de reconciliation. Et remarquez je vous prie l' étenduë de cette regle, et combien elle comprend de personnes : car puis que Saint Charles asseure, qu' il n' y a quasi point d' art et de profession, où ne regnent mille abus, et mille pechez tres-grands ; si l' on est obligé (comme le porte cette ordonnance si juste et si sainte) de differer l' absolution à tous ceux qui se trouvent engagez dans ces pechez, sans qu' il y ait legitime sujet de croire qu' ils s' en dégageront à l' advenir, jugez combien il y en aura peu que l' on puisse absoudre de pechez mortels aussi-tost apres la confession, puis qu' une grande partie de ces pechez, ne se commet par les gens du monde, que dans ces engagemens. La troisiesme chose extrémement remarquable, c' est que cét homme de Dieu nous enseigne, que ceux qui se sentent foibles pour resister aux pechez, ausquels leur profession les engage, la doivent quitter absolument, ou pour le moins, ne l' exercer qu' avec grand conseil, et de grandes precautions. Et cét advis si important pour la conduite des consciences n' est pas de son invention ; mais a tousjours passé dans l' eglise pour une regle inviolable, sans l' observation de laquelle toutes les penitences sont estimées fausses. ---------------------------------------------------------------------p545 (...). Et c' est ce qui justifie ce que j' ay dit dans la premiere partie de cét ouvrage, qu' il y a beaucoup de personnes pour lesquelles il y a peu d' esperance de salut, qu' en rompant entierement avec le monde, et se dégageant des liens funestes, qui les retiennent dans la captivité du peché, ---------------------------------------------------------------------p546 et les y entraisnent comme par force lors qu' ils pensent s' en retirer. PARTIE 2 CHAPITRE 38 quatriesme regle de Saint Charles, que les confesseurs ne doivent point absoudre ceux qu' ils jugent probablement devoir retomber dans leurs pechez : quelques promesses, et quelques protestations qu' ils fassent de ne les plus commettre. mais considerons la derniere regle de ce saint prelat, qui nous fera voir encore plus clairement que toutes les autres, le grand nombre de personnes, ausquelles les prestres sont obligez de differer l' absolution, pour ne point abuser de leur ministere. (...). Jettez les yeux je vous prie, sur cette grande multitude de personnes, qui viennent en foule se presenter aux prestres, lors qu' il arrive ---------------------------------------------------------------------p547 une grande feste, et si vous en exceptez un petit nombre de bonnes ames en qui Dieu conserve l' esprit de son evangile, et qui par consequent ne commettent point de pechez mortels, puis que ce n' est pas vivre chrestiennement que d' en commettre ; je vous laisse juger à vous-mesmes, combien il y en aura peu qui ne soient compris dans cette regle de Saint Charles, c' est à dire, de qui l' on ne doive croire probablement, qu' ils retourneront dans leurs pechez, ou qui mesme n' y soient desja demeurez durant plusieurs années. Il faudroit estre bien peu informé de la corruption generale du monde, pour se persuader qu' il s' en rencontrast beaucoup d' autres. Mais pour n' entrer point dans un discours si plein d' horreur, je me contenteray de remarquer dans ces paroles de Saint Charles deux points, qui sont d' une extréme consequence dans l' exercice du ministere des prestres. PARTIE 2 CHAPITRE 39 deux considerations sur cette regle de Saint Charles ; dont la premiere est, que les conversions qui ne durent que fort peu de temps sont suspectes de fausseté. le premier des deux points que cette regle de Saint Charles nous oblige de considerer, est fondé sur ce qu' il ordonne de ne point donner l' absolution à ceux ---------------------------------------------------------------------p548 que l' on juge probablement devoir retomber dans le peché . Par où il marque qu' il ne suffit pas, que le penitent soit dans le dessein de quitter le vice, comme il avoit desja tesmoigné six lignes auparavant que cela ne suffisoit pas, mais qu' il est necessaire de plus, que le prestre juge probablement qu' il demeurera ferme dans ce dessein, et qu' il ne retombera pas dans les pechez dont il s' accuse. Ce qui ne se pouvant guere reconnoistre, que par l' experience, et l' épreuve des actions, c' est pour cela que ce saint juge, qu' il est necessaire de differer tres-souvent l' absolution, jusques à ce que le penitent donne de veritables preuves de son repentir, par le changement de sa vie. En quoy certes nous voyons, que ce saint prelat n' a point eu d' autre dessein que de suivre l' esprit des peres, et de marcher sur leurs traces, selon que Saint Gregoire l' ordonne à tous les bons pasteurs. Car encore qu' il puisse arriver qu' un homme veritablement penitent retourne apres dans son peché, et que ce soit l' une des plus grossieres erreurs de nos heretiques, de croire qu' un homme ne perde jamais la grace, aussi-tost qu' il a esté une fois veritablement sanctifié : il est certain neantmoins que les peres ont esté si esloignez de se persuader, comme quelques-uns font aujourdhuy, que ces vicissitudes de crimes, et de conversions deussent passer pour des choses ordinaires, ---------------------------------------------------------------------p549 qu' ils ont esté long-temps à ne recevoir les hommes à la penitence, qu' une seule fois depuis le baptesme ; quoy qu' ils ne doutassent point de la verité de cette doctrine catholique, que le concile de Trente nous enseigne, (...). Mais ils croyoient qu' on ne devoit user de ce pouvoir, qu' avec grande prudence, et grande sagesse, de peur de donner lieu aux pecheurs de se joüer de la penitence, et de se tromper eux-mesmes, et l' eglise en suitte par des fausses conversions ; (...). C' est pourquoy quelques personnes en Espagne sur la fin du sixiesme siecle, voulans introduire cette coûtume de reïterer sans cesse les pechez, et les absolutions, le troisiesme concile de Tolede ne craint point de dire, (...). Ce qui monstre que ces saints personnages éclairez par le Saint Esprit se fussent bien gardez de tenir pour convertis, et reconciliez avec Dieu, ceux qui se confessent aujourdhuy ---------------------------------------------------------------------p550 de tous leurs crimes, et y retournant demain ; ceux dont les moeurs ne sont pas plus conformes aux regles de l' evangile, apres la confession, qu' auparavant ; ceux qui ne donnent point d' autres marques de se repentir de leurs pechez, sinon qu' ils declarent à un prestre qu' ils les ont commis ; ceux qui s' imaginent que leur coeur est devenu en un moment de la retraitte des demons, le temple du Saint Esprit, sans qu' il en paroisse aucune marque dans les actions qui procedent de ce coeur, comme de leur principe, ainsi que Jesus-Christ tesmoigne ; ceux enfin, dans la vie desquels toutes les confessions, et toutes les communions peuvent justement estre appellées des parentheses, puis que de la mesme sorte que cette figure suspend bien le fil du discours, mais ne le rompt point, et n' empesche pas que les paroles suivantes ne soient liées aux precedentes ; ainsi dans ces personnes, toutes ces receptions des sacremens arrestent bien le cours du vice pour quelques jours, mais n' en sechent pas le torrent, et n' empeschent pas que les actions qui les suivent ne soient de mesme nature que celles qui les ont precedées. Ces suspensions qui arrestent un jour ou deux les actions vicieuses, sont comme les intervalles qui arrivent entre les accés de la fievre qui ne font pas que le malade soit gueri. Jesus-Christ ne compte pas la mort du Lazare ---------------------------------------------------------------------p551 pour une mort, parce qu' elle ne devoit durer que quatre jours, et il dit que sa maladie n' alloit pas à la mort, mais à la gloire de Dieu ; (...). On en peut dire de mesme de ces pretenduës conversions, qui ne durent que deux ou trois jours, et souvent moins ; (...). Cette conversion n' est point à la vie, mais à la mort, afin que par elle le diable soit glorifié. Et certes comme un homme qui quitteroit l' heresie pour embrasser nostre religion, et estant quelques jours apres retourné dans son erreur, l' abandonneroit de nouveau, pour se rendre catholique, et feroit ce changement vingt ou trente fois en sa vie, ne seroit jugé par qui que ce fust avoir esté bon catholique, et pleinement persuadé des veritez de nostre foy dans ces intervalles de temps, durant lesquelles il en auroit fait profession ; ainsi ces saints n' eussent jamais creu qu' un homme qui se confesse trente fois de ses crimes, et y retombe autant de fois eust jamais esté touché d' un vray repentir, et que ces conversions imaginaires, qui ne durent qu' un moment, et passent comme des éclairs, se deussent prendre pour de veritables conversions. (...). ---------------------------------------------------------------------p552 De sorte que nous apprenons par cette comparaison, que non seulement ces conversions pretenduës ne rendent pas l' ame nette, mais la font devenir encore plus salle. Ce qui a fait dire à ce saint dans le mesme livre, cette parole qui est devenuë si commune parmy tous les auteurs qui l' ont suivy. (...). ---------------------------------------------------------------------p553 Mais cette celebre definition de la penitence que les peres anciens nous ont enseignee, et que les docteurs des derniers siecles ont embrassee d' un commun accord, ne nous fait elle pas foy de cette verité ? Puis qu' elle nous apprend, (...). Ce qui a donné lieu à Saint Gregoire de mettre au mesme rang dans son pastoral, ceux qui quittent leurs pechez sans les pleurer, et ceux qui les pleurent sans les quitter, comme deux sortes de personnes opposees entr' elles ; mais qui s' accordent neanmoins dans le violement de la penitence. C' est pourquoy d' un costé il advertit les premiers, de ne pas croire leurs fautes abolies, lors qu' ils se contentent de ne les pas multiplier, et negligent de les laver dans leurs pleurs ; (...). ---------------------------------------------------------------------p554 Et le Pape Gregoire Vii qui gouvernoit l' eglise dans l' onziesme siecle, fit tenir en l' an 1079 un concile exprés en Bretagne, pour abolir, comme remarque Binius, l' abus qui s' estoit glissé dans cette province, par la negligence et l' ignorance des prestres, d' absoudre ceux qui continuoient de commettre les mesmes pechez, sans voir d' amendement en leur vie. Et dans la lettre qu' il escrit aux evesques, et aux ecclesiastiques de Bretagne, pour l' abolissement de cette coutume des fausses penitences, comme il l' appelle, il dit ces paroles dignes de la suffisance et de l' authorité d' un successeur de Saint Pierre. (...). ---------------------------------------------------------------------p556 Je ne puis encore oublier icy ce qu' environ cent ans depuis, Pierre De Blois autheur celebre dans les derniers temps a escrit sur ce sujet dans un traitté de la confession sacramentale, où il fait profession de ne rien dire, que ce que les peres luy ont appris. Il y parle fortement à l' exemple de Saint Gregoire, et contre ceux qui quittent leurs pechez sans les pleurer, comme il faut, et contre ceux qui les pleurent sans les quitter. Il dit d' une-part à ceux-là, (...). ---------------------------------------------------------------------p557 Cette mesme doctrine n' est pas moins clairement expliquee par le concile de Trente, dont Saint Charles n' a esté que l' interprete, puis qu' il nous enseigne en divers endroits, que pour faire penitence il ne suffit pas de confesser ses pechez au prestre, ou mesme de les detester, mais qu' il faut aussi s' en corriger, et changer sa mauvaise vie en une meilleure. C' est ce qu' il declare en refutant l' erreur de Luther, qui ne vouloit point admettre d' autre penitence que la nouvelle vie, et le changement des moeurs ; au lieu que le concile reconnoist bien, que ce renouvellement de la vie est necessaire pour la penitence, mais qu' il ne suffit pas seul, pour une bonne et entiere penitence. (...). ---------------------------------------------------------------------p558 D' où nous apprenons que le concile entend que la fuite du peché, et l' amendement de la vie fassent une partie de la penitence, quoy qu' ils ne la fassent pas toute entiere, ainsi que vouloit Luther. Et par consequent nous voyons combien Saint Charles a grande raison d' ordonner aux prestres qu' ils ne se contentent pas des promesses, et des protestations de bien vivre, mais qu' ils en voyent des effects, avant que de donner l' absolution, lors qu' ils jugent probablement que les pecheurs retourneront dans leurs pechez. Que si l' on luy eust objecté, qu' il suffit d' avoir dessein de quitter son peché, lors que l' on s' en confesse, quoy que puis aprés l' on ne demeure pas dans ce dessein : je ne doute point qu' il n' eust respondu, que ce dessein de bien vivre, qui est necessairement requis pour une bonne penitence, ne doit pas estre du nombre de ces desirs imparfaits et languissans, qui ne produisent jamais aucun effect, mais une volonté sincere qui degage nostre coeur des affections du peché, et qui comme le bon arbre de l' evangile, produise les fruits d' un veritable amendement. Ce que le concile de Trente luy avoit appris, lors qu' expliquant ce qui doit estre enfermé dans la contrition, pour estre partie du sacrement de penitence, il n' y met ---------------------------------------------------------------------p559 pas seulement le regret d' avoir offensé Dieu, et le dessein d' une nouvelle vie, mais aussi l' éloignement du peché , cessationem à peccato, et le commencement de cette nouvelle vie . Or j' interpelle la conscience de tous les hommes, si l' on peut dire raisonnablement, qu' un homme a quitté son peché, et qu' il est rentré dans une meilleure vie, parce qu' il a promis à un prestre de le faire, ou que se trompant soy-mesme, il se persuade en avoir la volonté, quoy qu' il n' en execute rien, et qu' il retombe dans ses crimes à la premiere occasion. (...), dit Saint Bernard : et les damnez mesmes conservent ces repentirs inutils, ainsi que nous l' apprenons du 5 chapitre de la sagesse, où le Saint Esprit nous decrit divinement leurs regrets, et nous tesmoigne qu' il se repentent d' avoir mal vescu, (...). Ils y reconnoissent leur folie ; ils y deplorent leur misere, et il se peut faire, selon cette pensee de Saint Bernard, que comme un homme mourant, qui se sentant couvert de pechez, voit l' enfer ouvert, et prest à le devorer, dit en soy-mesme : si je ne meurs point de cette maladie, je ne vivray plus comme j' ay fait : de mesme un damné considerant que ce sont ses crimes qui l' ont mis dans les flammes eternelles, peut dire en luy-mesme : si je pouvois sortir d' icy, je ne commettrois plus les crimes que j' ay commis ---------------------------------------------------------------------p560 autresfois ; ayant ainsi quelques desirs, mais inutiles, parce qu' ils ne peuvent rien produire. C' est l' amour d' eux-mesmes qui leur reste dans les enfers, qui leur donne ces pensees, sans que pour cela il se trouve aucun veritable changement dans le fonds de leur volonté, comme Grenade soustient, que cette crainte des peines d' enfer, que l' on voit dans la plus-part des pecheurs mourans, peut proceder de l' amour naturel qu' ils se portent à eux-mesmes : (...). Ainsi nous voyons le peu d' estat que l' on doit faire de toutes ces penitences qui ne sont point accompagnees du renouvellement, et du changement de la vie, et qui ne consistent qu' en des desseins, et des desirs vains et infructueux, tels que sont ceux des damnez ; n' y ayant autre difference entre les damnez et les meschans, qui continuent tousjours de commettre les crimes qui les damnent, sinon, que ceux-cy ne font point penitence, ce qui est la point, et ne la peuvent faire, ce qui est l' effect de la leur. De sorte qu' ainsi que Saint Jacques compare la foy, qui n' est point accompagnee des oeuvres, à la foy des demons, qui croyent en Dieu et qui tremblent ; et l' appelle une foy vaine et une foy morte : de mesme on peut dire que la penitence qui n' a que des desirs et ---------------------------------------------------------------------p561 des desseins, qui ne produisent aucunes oeuvres, ny aucun effet solide d' un veritable repentir, n' est qu' une penitence de damné, une penitence vaine et morte, une penitence qui meine en enfer, et qui continuë dans l' enfer. C' est par cette regle que Grenade tient pour suspectes de fausseté la plus grande partie des penitences des mourans. (...). C' est donc par les oeuvres, que l' on doit estimer les desirs, et les resolutions, et ainsi selon la regle de Saint Charles, un confesseur ne doit point absoudre ceux qu' il juge probablement devoir retourner dans leurs pechez, quoy qu' ils disent et qu' ils promettent au contraire, parce que jugeant que toutes ces promesses n' auront point d' effet, il doit juger en mesme temps qu' elles n' ont rien de solide, et que ce ne sont que de vains discours, ou des illusions ---------------------------------------------------------------------p562 de l' esprit humain, qui se trompant soy-mesme, se persuade d' avoir dans le coeur, ce qu' il n' y a pas, comme Saint Gregoire explique divinement, lors qu' il dit, (...). Je sçay bien que ceux qui ne veulent point user de ces retardemens salutaires, dont le grand Saint Charles veut que les prestres se servent en tant de rencontres ; ont accoustumé d' alleguer pour eux ces paroles d' Ezechiel, (...) : à quelque heure que le pecheur gemisse, il sera sauvé. Mais quoy que ces paroles se trouvent citées par beaucoup d' auteurs des derniers temps, comme si elles estoient veritablement de l' escriture, il est tres-vray neantmoins qu' elles n' en sont point : et que quelque peine que ceux qui les alleguent se donnent de les chercher, ils ne les trouveront jamais, ny dans nostre edition vulgaire, ny dans l' original hebreu, ny dans la version des septante, ny dans la paraphrase chaldaïque, ny dans aucune autre version, soit nouvelle, soit ancienne. Que s' il y a quelque chose dans le 18 et dans ---------------------------------------------------------------------p563 le 33 chapitre d' Ezechiel qui ait rapport à ces paroles ; pour le moins on m' avoüera qu' elles ne peuvent avoir aucun poids, qu' estans prises dans le sens du veritable texte de ce prophete. Or que dit ce prophete dans ces chapitres desquels on pretend que ces paroles sont tirées. Dans le 18 il parle de cette sorte, (...). Et dans le chapitre 33 apres avoir promis au pecheur de la part de Dieu, que son peché ne luy portera point de prejudice aussi-tost qu' il sera converty, il explique six lignes plus bas quelle doit estre cette conversion. (...). N' est-il pas clair par ces paroles, que ce prophete, non plus que tous les autres, ---------------------------------------------------------------------p564 ne reconnoist point de veritable conversion, que dans le changement de la vie pecheresse en une vie sainte, et dans l' abandonnement des vices, pour embrasser la vertu ? Et par consequent, qui peut avoir droit de se servir des paroles alleguées, qui ne se trouvent en aucun endroit de l' escriture, pour promettre le salut aux pecheurs, sous d' autres conditions, que celles que Dieu leur propose si clairement dans le veritable texte de ce prophete ; et plus particulierement encore dans Isaïe par ces paroles. (...) : (c' est à dire, entrez dans les exercices de la charité parfaitte et accomplie, qui comprend en éminence tous les actes de penitence et de satisfaction, aussi-bien que toutes les autres vertus.) (...). Mais enfin, quelque force que l' on veüille faire sur ces paroles, (...). PARTIE 2 CHAPITRE 40 ---------------------------------------------------------------------p565 seconde consideration sur la regle de Saint Charles. Que selon ce saint, les confesseurs ne sont point obligez par necessité d' adjouster foy aux promesses que les grands pecheurs leur font, de changer leur vie, s' ils ne donnent des preuves effectives de leur amendement. et cecy me donne sujet de passer à l' autre poinct des deux que nous avons dit se pouvoir tirer de la regle de Saint Charles, (...). Ces dernieres paroles meritent un peu de reflection, puis qu' elles nous apprennent cette importante verité, que la puissance d' un prestre ne dépend pas de ce que son penitent peut dire, ou promettre ; et que pour juger si un homme merite, ou ne merite pas d' estre absous, ---------------------------------------------------------------------p566 il doit bien suivre une autre lumiere, que celle qui se peut prendre de quelques paroles trompeuses, et de quelques vaines protestations. Et cependant l' orgueil et l' impenitence des hommes sont montez aujourdhuy jusqu' à un tel point, qu' il y en a beaucoup qui se persuadent, que pourveu qu' ils ayent fait le dénombrement de leurs pechez, du mesme ton que l' on conteroit une histoire, et qu' ils ayent promis des levres de s' en repentir, et de n' y plus retourner, ils ont droit de recevoir l' absolution, et que l' on ne la leur peut refuser, ny mesme differer d' un seul jour sans injustice ; de sorte que sans doute ils en appelleroient comme d' abus, s' ils ne trouvoient aisément des confesseurs qui les trompent, et qui reparent par leur douceur indiscrette la pretenduë rigueur des autres. Cette imagination est si ridicule, qu' elle ne merite pas d' estre refutée. Car qui ne voit que ce seroit entierement renverser l' ordre estably par Jesus-Christ ? Que ce seroit soûmettre le medecin au malade, le pasteur à la brebis, et le juge au criminel ? Que ce seroit faire descendre les prestres de leur tribunal, pour y faire monter ceux que Dieu leur a donnez à juger ? Et enfin que ce seroit fouler aux pieds les paroles eternelles du sauveur du monde, par lesquelles il leur a donné pouvoir de lier, et de délier les pecheurs, de retenir et de remettre les pechez ? ---------------------------------------------------------------------p567 Un grand evesque de nos jours d' une vertu rare, et d' une suffisance extraordinaire, dans son commentaire sur l' evangile, explique ainsi ces mots de nostre seigneur, (...). ---------------------------------------------------------------------p568 Ces paroles excellentes de ce grand homme, dont l' esprit n' estoit rempli que de la science de l' escriture et de la theologie de la tradition, c' est à dire, des conciles, et des peres, nous marquent deux jugemens dans le tribunal de la penitence ; le jugement de discretion, et le jugement de justice ; que le concile de Trente avant luy n' a pas marqué moins clairement, lors qu' expliquant la necessité de la confession particuliere de tous les pechez mortels, il n' en apporte point d' autre raison, sinon (...). Mais l' impenitence des hommes veut aujourdhuy renverser l' un et l' autre de ces jugemens. Celuy de justice , en s' imaginant que les prestres ne doivent imposer pour penitence, que de certaines actions legeres, qui ne contiennent ---------------------------------------------------------------------p569 pas seulement l' ombre des peines qu' ils meritent, ou mesme se persuadant qu' ils peuvent reserver en purgatoire toutes leurs satisfactions. Et celuy de discretion , en voulant que le confesseur soit obligé de les croire de tout ce qu' ils luy diront, et de les absoudre sur leur parole. Considerez je vous prie l' impertinence de cette pretention. Un homme sera demeuré plusieurs années dans les mesmes crimes ; il s' en sera confessé plusieurs fois ; il aura tousjours promis de s' en corriger ; il aura trompé autant de fois ses confesseurs, et n' aura rien executé de toutes ses vaines promesses : et il pretendra qu' apres tout cela celuy que Jesus-Christ luy a donné pour son juge, celuy qui doit rendre compte à Dieu de son ame ; celuy à qui tous ses pechez seront imputez, s' il les entretient par sa negligence, est obligé de l' absoudre sur la foy d' une parole, qu' il a tant de fois violée ; de l' admettre à l' usage des sacremens qu' il a perpetuellement traittez avec indignité ; de le laisser tomber en ses sacrileges ordinaires ; de luy permettre de se joüer de la communion de la paix, pour user des termes des conciles ? Et si ce confesseur veut examiner avec quelque soin, le fonds de sa conscience ; s' asseurer de son repentir, par quelques marques plus certaines que des paroles trompeuses, selon que l' ordonne Saint Charles apres tous les peres ; ---------------------------------------------------------------------p570 voir quelques efféts d' un veritable desir de quitter son vice, avant que de le traitter comme un homme veritablement converty ; il aura l' insolence de se plaindre qu' on luy fait tort ; (...) ? Pour le moins ces personnes meriteroient-elles ---------------------------------------------------------------------p571 qu' on les traittast de la mesme sorte, dont Ives De Chartres tesmoigne qu' il eust traitté les impenitens, si quelque occasion l' eust contraint de les admettre à la reconciliation, en leur disant clairement : (...). Le plus seur neantmoins, est d' embrasser en ces rencontres ce que j' ay desja rapporté de Saint Basile. (...). Saint Ambroise nous donne le mesme avis dans son commentaire sur le pseaume 37 où il fait un excellent discours de la penitence. (...). ---------------------------------------------------------------------p572 Et en effét il n' y a pas lieu de douter, que tant que les pecheurs demeureront dans cette fausse persuasion, qu' en rendant un compte exact de tous leurs desordres, et de toutes leurs abominations, l' absolution leur est deuë ; leurs playes se doivent tenir pour incurables, et leur salut pour desesperé. Je ne pretends point instruire personne en cét escrit, mais seulement leur faire écouter la voix des peres, que Dieu a suscitez de temps en temps pour expliquer les mysteres de son royaume, et servir de docteurs à tous les peuples. (...), pour me servir des paroles de Pierre De Blois. C' est pourquoy j' ayme mieux icy me taire pour faire parler Saint Pacien, touchant ceux qui s' imaginent, que toute la penitence ne consiste qu' à confesser exactement leurs pechez. Il le fait si excellemment que je ne feray point de difficulté de rapporter un peu au long ce qu' il en dit, puis qu' il ---------------------------------------------------------------------p576 contient l' une des plus belles et des plus importantes instructions que l' on puisse en ce temps donner aux ames. (...). PARTIE 2 CHAPITRE 41 que l' eglise a encore aujourdhuy les mesmes sentimens, touchant la penitence qu' elle a eus autresfois. Et que Saint Charles avoit dans le coeur de porter la discipline ecclesiastique à un plus haut degré qu' il n' a fait encore. certes, quand je considere ces paroles, et tant d' autres semblables des peres, dont toute l' eglise fait profession d' embrasser les sentimens ; je ne puis avoir d' autres pensées, sinon qu' il faut de necessité ; ou que ces hommes si esclairez de Dieu ayent esté tres-ignorans, et tres-aveugles dans la conduite des ames, en les traittans avec une insupportable tyrannie, et en leur prescrivant des remedes tres-fascheux, comme necessaires pour la guerison de leurs playes, sans lesquels neantmoins, il estoit tres-facile de les guerir : ou qu' il soit descendu quelque evangile nouveau, qui ait renversé toutes les regles de celuy selon lequel ils se gouvernoient : ou qu' enfin (s' il n' est permis qu' à Calvin, et aux autres heretiques de condemner les peres en cét article, d' ignorance et de cruauté, et que nous n' ayons point d' autre evangile, que celuy qu' ils ont presché) l' on peut avoir quelque sujet de douter, si les ames ---------------------------------------------------------------------p577 retournent à Dieu, et se guerissent de leurs blessures mortelles avec la facilité que quelques personnes se persuadent en ce temps. Mais quand je considere encore, que le dernier concile general ne nous recommande rien davantage, que de demeurer fermes dans la doctrine de nos peres, sur le fait mesme de la penitence ; et qu' un saint suscité particulierement de Dieu, pour estre dans la fin des siecles le modelle des bons prelats, marchant sur les traces de ce concile, a tant travaillé pour mettre en prattique les remedes si salutaires de ces fidelles medecins des ames ; soit en ramassant leurs canons et leurs regles de la penitence, pour les mettre devant les yeux de tous les prestres, comme le modelle le plus accompli qu' ils puissent suivre ; soit en ordonnant la penitence publique pour tous les pecheurs publics ; soit enfin en proposant tant de reglemens, pour obliger la plus grande partie de ceux mesmes qui ne pechent pas avec scandale, à faire des fruits dignes de penitence, avant que de recevoir l' absolution. Lors, dis-je, que je me remets tout cela devant yeux, je ne puis que je n' adore la bonté infinie de Jesus-Christ qui conserve tousjours son eglise dans l' unité d' une mesme foy, et d' une mesme pieté, et qui ne permet pas que l' ignorance des uns, ou l' impenitence des autres abolissent les veritables sentimens de la penitence, que tous les peres ---------------------------------------------------------------------p578 par toute la terre, et dans tous les siecles ont pris tant de soin de graver dans l' esprit des chrestiens. Il ne faut donc pas que personne, pour excuser la lascheté de sa conduite, prenne la hardiesse à l' exemple de Calvin, d' accuser d' une trop grande severité celle de tant d' hommes apostoliques, et principalement celle de Saint Charles, que nous pouvons dire au contraire avoir usé de beaucoup de condescendance, pour vaincre peu à peu la resistance du temps, et l' endurcissement des coeurs, et pour monter par degrez à l' establissement d' une discipline plus parfaite. C' est ce qu' il tesmoigne luy-mesme en beaucoup d' endroits, et entr' autres voicy comme il parle dans la harangue qu' il fit à l' entrée de son 3 concile provincial, apres avoir desja travaillé douze ou treize ans au reglement de son eglise. (...). ---------------------------------------------------------------------p579 Et afin que l' on ne se persuade pas qu' il ait entierement achevé depuis ce qu' il tesmoigne icy n' avoir qu' ébauché ; dans le sixiesme et dernier concile auquel il n' a survescu que deux années, apres avoir assemblé cinq conciles provinciaux, et un grand nombre de diocesains, pour l' establissement de la discipline ecclesiastique, apres avoir fait toutes les ordonnances lesquelles nous avons marquées, et une infinité d' autres semblables, il ne parle d' aucune chose avec plus de chaleur et d' émotion, que de l' indiscretion de ceux qui trouvoient mauvais que l' on tinst de nouveaux conciles, et que l' on fist de nouvelles loix pour perfectionner de plus en plus celles qu' il avoit desja faites pour la reformation de la vie des chrestiens. (...). PARTIE 2 CHAPITRE 42 ---------------------------------------------------------------------p580 que Saint Charles a porté les pecheurs à la penitence par l' exemple de sa vie. mais à tout cela, je ne puis que je n' adjoûte le tesmoignage de Dieu mesme, pour la confirmation de la doctrine de Saint Charles, en ce qui regarde les exercices de la penitence. Car de quelle sorte Jesus-Christ pouvoit-il mieux tesmoigner combien ces exercices luy sont agreables, qu' en inspirant à ce grand saint un si violent amour pour les austeritez et les mortifications, que dans l' éminence de sa dignité, et les fonctions de l' episcopat, il a voulu mener une vie de religieux et de penitent ; sans que les prieres de plusieurs excellens hommes de son temps l' ayent jamais peu porter à se relascher. Il est rapporté dans sa vie, qu' il ne leur disoit autre chose pour toute response, sinon etc. ---------------------------------------------------------------------p581 Ce qui nous marque bien clairement, qu' il n' entreprenoit ces choses que par le mouvement du Saint Esprit ; puis qu' un homme d' une aussi grande humilité qu' il estoit, se fust sans doute rendu facilement au conseil de tant de gens de bien, et aux remonstrances des papes mesmes, s' il n' eust senty une autre loy dans luy-mesme, qui le menoit ailleurs, à laquelle il est aussi difficile de resister, qu' aux torrens qui descendent des montagnes. De sorte, qu' au lieu que l' apostre dit, (...) ; c' est à dire, de ces personnes de pieté, qui s' opposoient à ses desirs, et qui estoient veritablement ses membres dans le corps de l' eglise. C' est cette loy interieure qui luy a fait mespriser le monde au milieu des plus grandes prosperitez, et qui l' a poussé à prattiquer en sa jeunesse des austeritez extraordinaires, principalement à un evesque, et à un cardinal : mais qui devoient estre telles, selon le dessein de Dieu, pour luy faire prescher la penitence par ---------------------------------------------------------------------p582 ses actions, aussi-bien que par ses paroles ; pour forcer par son exemple ceux que ces ordonnances n' auroient pas émeus ; et faire voir aux pecheurs le soin qu' ils doivent prendre d' expier leurs crimes, par la mortification de leur chair, et les austeritez de la penitence, puis que les innocens et les saints les embrassent avec tant d' ardeur, pour se purifier des moindres taches. Et c' est ce qui luy faisoit dire ordinairement, comme il est rapporté dans sa vie, (...). PARTIE 2 CHAPITRE 43 que l' on doit avoir grand esgard sur le sujet de la penitence, à la correspondance qui se trouve entre les ordonnances generales du concile de Trente, et les particulieres de Saint Charles qui la fait conclurre. je me suis arresté long-temps à declarer les sentimens de Saint Charles touchant la penitence, mais je l' ay fait, parce que j' ay creu qu' il estoit impossible de mieux faire remarquer aux chrestiens le soin que Dieu a pris de graver cette verité dans leurs coeurs, pour confondre l' heresie qui l' en a voulu effacer, que par cette admirable correspondance, ---------------------------------------------------------------------p583 qui se trouve entre les ordonnances generales du concile, et les particulieres de ce grand saint qui la fait conclure. Car si quelqu' un vouloit revocquer en doute les six ou sept ouvertures que le concile a laissées à la penitence, ou publique, ou privée, comme la faisoient les anciens dans la separation du corps du fils de Dieu ; il n' a qu' à jetter les yeux sur les reglemens de Saint Charles, qui avoit pris à tasche d' en faire executer les ordonnances ; et il verra facilement dans tout ce que nous en avons rapporté, que cette prattique de la penitence qui vous scandalise si fort, n' est pas seulement conforme aux ordonnances des anciens conciles, mais aussi à celles de celuy de Trente ? Personne ne pouvant douter que ce saint ne les ait entendus, puis que c' est luy qui a fait mettre le dernier sceau, et que son dessein n' ait esté en les faisant prattiquer le premier en son diocese, de declarer à tous les pasteurs de l' eglise catholique, comme il les falloit entendre, n' y ayant point de meilleure interpretation des canons, qui concernent la discipline, que celle qu' on remarque dans l' usage et dans les actions publiques des saints evesques. Et c' est de là que nous apprenons que si l' on demande pourquoy le concile n' a pas si distinctement, ny si clairement parlé de la penitence que Saint Charles, il est facile de respondre ---------------------------------------------------------------------p584 qu' il l' a fait, parce qu' apres avoir establi la verité de la doctrine touchant la penitence contre les heretiques, il n' a pas voulu trop gehenner la foiblesse des catholiques, qu' il a reconnuë estre grande dans toute l' eglise, et dont il pouvoit dire ce que Jesus-Christ disoit des juifs de son siecle : personne ne peut coudre une piece de drap neuf à un vieil habillement. C' est pourquoy le concile s' est contenté de leur avoir fait voir la verité dans ses decisions, croyant que s' ils estoient touchez tant soit peu du remors de leurs pechez ce mouvement de leur coeur les obligeroit assez à la vraye penitence, qui consiste dans les fruits visibles ; sans qu' il fist des loix particulieres pour chaque peché. Mais ce qu' il n' a pas fait avec tant de rigueur à l' esgard des penitens, il l' a fait à l' esgard des prestres, en leur commandant d' imposer des penitences proportionnées à la grandeur des pechez, à peine d' y participer eux-mesmes, et de se rendre coûpables d' une lasche negligence. Que s' ils se trouvoient en peine de quelle maniere ils devroient traitter les grands pecheurs avant que de les absoudre, et quelle penitence ils devoient enjoindre pour chaque peché, à cause que l' ancienne et si sainte discipline, que l' eglise a conservée durant tant de siecles, estoit presque ensevelie dans l' oubli, Saint Charles l' a voulu renouveller, comme ---------------------------------------------------------------------p585 divers papes, et divers evesques ont fait avant luy en divers temps, et il l' a fait aussi-tost apres la conclusion du concile, afin de tirer les ecclesiastiques de peine, en leur donnant par ces ordonnances particulieres, que nous avons rapportées en abregé, de tres-grandes et de tres-fidelles instructions sur les difficultez qui leur peuvent arriver dans l' usage de la penitence. Enquoy le Saint Esprit a fait voir, qu' il est vrayment le conducteur de l' eglise, ostant toute sorte d' excuse aux pasteurs, tant en faisant suppléer par cette voye, et par les premiers synodes particuliers, qui ont esté tenus par Saint Charles en Italie, incontinent apres le concile, ce qui sembloit y manquer ; qu' en proposant à tous les evesques, l' exemple du plus illustre prelat, et du plus grand saint des derniers siecles, afin qu' autant qu' ils auroient de zele et d' autorité, ils s' efforçassent de faire comme luy dans leur diocese, ce que l' eglise n' avoit pas voulu ordonner si ouvertement dans le concile general, à cause de la dureté des hommes, qu' elle gouverne tousjours comme ses enfans, s' accommodant un peu à leur foiblesse, et taschant tousjours de les remettre, et de les fortifier par les voyes les plus convenables, comme sont celles des synodes particuliers, où il est plus facile d' ordonner, et de faire prattiquer aux hommes en chaque diocese, les vrays remedes de la penitence, pour ---------------------------------------------------------------------p586 les guerir parfaittement de leurs pechez. Et c' est à quoy le concile a voulu pourvoir par les conciles provinciaux, ausquels il les oblige expressément, comme aux plus excellens remedes de tous les desordres, et l' unique moyen de faire subsister la discipline. Et le mesme Saint Charles, qui a esté le premier qui ait obey à cette ordonnance, nous a fait voir par ce grand nombre de reglemens, touchant l' obligation à la penitence convenable, qu' il n' y a point de raison plus importante que celle-là, pourquoy les synodes provinciaux soient si necessaires en ce temps. Apres cela, qui peut douter que le Saint Esprit, qui dans les conciles parle souvent le langage des escritures, c' est à dire, un langage abregé, et contenant des sens, qui ne paroissent pas si clairement sous la lettre, ne puisse dire à ceux qui croyent qu' il a parlé autrement que les anciens conciles, de la necessité de la penitence, touchant le point principal ; qui doute, dis-je, qu' il ne leur puisse dire ce que Jesus-Christ disoit aux juifs, ausquels le relaschement de leurs moeurs les rend semblables : (...). Parce que celuy qui a la grace et le don d' intelligence, pour bien comprendre les paroles du concile, ne manquera jamais de l' escouter, et de luy obeïr aux occasions, où il s' agira de rentrer dans la grace de Dieu par une vraye penitence, apres avoir appris ---------------------------------------------------------------------p587 par les regles de S Charles, et par les pratiques de son diocese, comment il les faut entendre. PARTIE 2 CHAPITRE 44 paralelle de Saint Charles et de Monsieur De Geneve. et certes il paroist visiblement que Dieu a voulu donner ce grand saint à l' eglise, pour servir de guide aux evesques et aux pasteurs dans l' administration de la penitence. Car si nous voulons faire un peu de reflection sur les deux plus saints prelats des deux derniers siecles, Saint Charles, et Monsieur De Geneve, nous trouverons que le Saint Esprit a suscité Saint Charles le premier, pour convertir une partie des peuples catholiques de l' eglise de Milan, l' une des premieres d' Italie, c' est à dire, pour commencer à reformer une partie de la maison de Dieu, par ses saintes constitutions, par ses seminaires, et par le renouvellement des exercices de la penitence : et il a suscité Monsieur De Geneve depuis luy pour convertir une partie des peuples du diocese de Geneve, c' est à dire, pour commancer à destruire une partie de la maison du diable, en convertissant les heretiques. Parce que le grand Saint Ambroise a esté le docteur de la penitence dans l' occident, comme Saint Basile et Saint Jean Chrysostome ---------------------------------------------------------------------p588 dans l' orient, et qu' il l' a faite pratiquer aux peuples, aux princes, aux ministres, et aux empereurs ; Dieu destinant le grand Saint Charles au restablissement de la penitence, et luy ayant inspiré l' esprit et le genie de Saint Ambroise, il voulut qu' il luy succedast aussi bien dans son siege que dans son esprit, et dans sa conduite, dans le throsne de l' eglise de Milan, où il y avoit beaucoup de catholiques à convertir, et peu ou point d' heretiques. Et parce qu' il destinoit Monsieur De Geneve à la conversion des heretiques, il l' a fait pasteur de la ville capitalle de l' heresie, de la Babylone des heretiques, où il y avoit plus de calvinistes à convertir, que de catholiques à regler. Dieu donna de grands appuis à Saint Charles pour soustenir son grand dessein de la reforme de son diocese, et du restablissement de la penitence qui devoit l' engager dans de grands combats. Il l' autorisa par ses parens, et par ses alliez dans l' Italie ; par ses amis dans la cour de Rome ; par son illustre naissance parmy les honnestes gens du monde ; par sa dignité de cardinal, de neveu d' un pape, et de legat du saint siege parmy les ecclesiastiques, et les princes ; par ses grandes richesses instrumens de ses grandes charitez, parmy les pauvres ; par sa haute pieté, parmy les bons ; par ses humiliations et ses austeritez merveilleuses, parmy les pecheurs. Il luy donna pour cela un visage venerable, ---------------------------------------------------------------------p589 plein de respect et de majesté ; une sagesse et une conduite capable de gouverner toute l' eglise, comme il avoit fait sous le pontificat de son oncle ; une magnanimité de grand seigneur, et de grand saint, pour ne point craindre les menaces des gouverneurs violens, les assassinats des moynes desesperez, les calomnies des ecclesiastiques rebelles, le refroidissement du pape, et des cardinaux trompez et surpris ; une force d' esprit extraordinaire, pour entreprendre de grandes choses ; une constance immobile pour les executer, et les achever ; une charité ardente et genereuse pour marcher sans crainte parmy la peste, parmy les torrens ; une vigueur de corps infatigable pour visiter incessamment son diocese, et supporter ses mortifications ; une humilité de penitent public, pour confondre l' impenitence publique ; un violent amour de l' eglise primitive, pour faire refleurir son ancienne discipline dans la decadence des derniers temps ; une reverence profonde de la sainteté de ses canons penitentiaux, pour les renouveller et les proposer comme des modelles ; une lumiere penetrante dans la dispensation de ces excellens remedes pour s' en servir à la guerison des ames ; et enfin toutes les qualitez divines et heroïques necessaires à un evesque pour reformer les desordres d' une eglise, et pour abolir cét abus si deplorable des confessions imparfaites, des absolutions ---------------------------------------------------------------------p590 precipitées, des satisfactions vaines, et des communions sacrileges. Et parce que Dieu destinoit Monsieur De Geneve à la conversion des heretiques, ainsi que Monsieur Le Cardinal Du Perron le reconnoissoit avec tout le monde, en disant souvent, qu' il pouvoit bien convaincre les heretiques, mais que c' estoit à Monsieur De Geneve à les persuader, et à les convertir, Dieu luy donna une douceur incomparable, absolument necessaire pour adoucir l' aigreur de l' heresie, et pour vaincre l' esprit en touchant le coeur ; une adresse non commune pour destruire leurs fausses opinions ; une science plus de la grace que de l' estude pour parler hautement des mysteres de la foy ; un discours plein d' atraits, et d' une eloquence sainte ; un air de pieté et de devotion, dans ses gestes, dans ses paroles, dans ses escrits ; un visage agreable capable de donner de l' amour aux plus barbares ; une pureté angelique qui jettoit comme des rayons de son ame sur son corps ; une humilité profonde, opposée à l' orgueil de l' heresie, et une humilité grave, opposée à ses mépris : et enfin une tendresse amoureuse et patiente, et des entrailles vrayement paternelles, pour embrasser avec des mouvemens de pitié ceux qui ont succé l' heresie avec le laict, et dont les peres ont esté les paricides pour surmonter peu à peu l' opiniastreté de leur erreur, et pour attendre du ciel le ---------------------------------------------------------------------p591 fruit quelquesfois lent et tardif des semences divines qu' il avoit jettées. Comme Dieu voulant monstrer d' abord, par les premiers ouvrages de Saint Charles encore jeune, qu' il le destinoit à la reforme d' une grande eglise, il l' appella au gouvernement de l' eglise romaine sous son oncle, où il ne fit qu' ébaucher ce qu' il acheva dans son eglise : de mesme Dieu voulant monstrer qu' il destinoit Monsieur De Geneve à la dignité episcopalle, pour la conversion des heretiques, il l' occupa durant qu' il n' estoit que prestre, à prescher, et à catechiser les calvinistes de sa contrée, à l' exemple de Saint Athanase, qui n' estant que diacre combatit les ariens, qu' il devoit combattre estant evesque jusqu' à la fin de sa vie. Et enfin, au lieu que Saint Charles a estably des maisons de penitence pour les pecheurs convertis, c' est à dire, pour les catholiques devenus bons chrestiens ; Monsieur De Geneve a estably des maisons de charité pour les heretiques convertis, c' est à dire, pour les chrestiens devenus bons catholiques. Que si l' on veut considerer Monsieur De Geneve, dans la maniere dont il agissoit avec les catholiques qu' il conduisoit, et le comparer avec Saint Charles ; on peut dire que Saint Charles estoit semblable à Saint Paul, qui fulmine par tout contre les mauvais chrestiens, qui leur presche fortement la penitence, qui ---------------------------------------------------------------------p592 vient avec la verge de fer, separer l' incestueux de l' usage des sacremens, et de la communion de l' eglise, qui livre au diable le corps des pecheurs tombez apres le baptesme, afin de sauver leur ame. Et que Monsieur De Geneve estoit semblable à Saint Jean l' evangeliste, qui tout plein d' amour ne preschoit sans cesse aux fidelles que la douceur de l' amour, et qui escrit aux dames religieuses et devotes, telles qu' ont esté tant de femmes, de filles, et de veuves vertueuses, dont Monsieur De Geneve a formé un ordre saint selon son esprit, c' est à dire, selon l' esprit d' amour, plustost que selon l' esprit de mortification, et de penitence. Ce n' est pas pourtant que Monsieur De Geneve n' ait inspiré fortement la penitence aux ames qu' il a conduites, et qu' il voyoit en avoir besoin, puis que c' est la voye royalle, et la voye estroitte, qui mene seule les pecheurs au ciel ; puis que ses plus intimes amis, et ses lettres tesmoignent assez, qu' il faisoit pratiquer les exercices de la penitence aux ames qui y estoient disposées, et qu' il estoit plus doux dans ses livres, que dans sa conduite ; faisant ses livres pour tout le monde, et conduisant les ames selon leurs dispositions particulieres, puis qu' il est impossible qu' une personne qui est en l' estat qu' il veut, c' est à dire, à qui l' amour de Dieu a changé le coeur, ne prattique toutes sortes de bonnes oeuvres, et de mortifications, pour se ---------------------------------------------------------------------p593 détacher de toutes les habitudes vicieuses, et avancer dans la vie de grace, comme tous les saints ont prattiqué dans tous les aages de l' eglise ; puis qu' en fin S Jean mesmes ce disciple si aimé, et cét apostre si amoureux, ne laissa pas de mettre un jeune homme qu' il avoit baptisé, et qui estoit tombé de la grace du baptesme, dans toute la prattique de la penitence, de le reduire aux jeusnes, aux soûmissions, et aux larmes, de jeusner, de s' humilier, et de pleurer avec luy, et de le reconcilier à l' eglise, apres qu' il eut rendu des tesmoignages publics d' une parfaite conversion, par plusieurs fruits visibles de penitence. Il semble neantmoins que Dieu avoit donné des graces particulieres à Monsieur De Geneve, pour conduire les bonnes ames à la perfection de la vertu, par la mortification de l' esprit ; et à Saint Charles pour ramener les grands pecheurs à la vertu, par la mortification de leur chair et de leurs sens. Que pour cela Monsieur De Geneve preschoit la pieté et l' innocence, par une vie sainte et peu austere : et Saint Charles la conversion des moeurs, et la penitence, par une vie toute austere et penitente. De sorte qu' ainsi que Monsieur De Geneve mesme prit Saint Charles pour son modelle, selon qu' on le rapporte en sa vie, les evesques et les directeurs de ce temps, qui se trouvent engagez comme Saint Charles à la conduite ---------------------------------------------------------------------p594 des grands pecheurs, des chrestiens de nom, et payens de vie, peuvent avec grande raison le prendre aussi pour le leur. Car il faut suivre les exemples des saints dans le point principal auquel il paroist que Dieu les a destinez pour servir d' exemple ; parce qu' encore que tous les saints ayent toutes les vertus dans le coeur, neantmoins chacun d' eux peut avoir en plus grande eminence l' esprit particulier de la vertu, au restablissement de laquelle Dieu l' a destiné particulierement. C' est ainsi que dans les derniers siecles Saint Bruno a esté un modelle pour la solitude, Saint Bernard pour la penitence, Saint Dominique pour la predication, Saint François pour la pauvreté, Saint François De Paule pour l' humilité, et ainsi des autres. Ce qui a lieu mesme pour la doctrine des peres, où nous voyons, qu' à cause que Dieu a destiné Saint Denis à reveler les mysteres de la hierarchie celeste et sacrée ; Saint Hilaire et Saint Athanase à éclaircir le mystere de la trinité ; Saint Hierosme à interpreter les escritures ; Saint Augustin à découvrir les mysteres de la grace ; Saint Gregoire à expliquer la morale chrestienne ; on suit d' ordinaire chaque pere dans la matiere particuliere à l' éclaircissement de laquelle il paroist que Dieu l' a appellé ; le Saint Esprit dispensant ses dons ainsi qu' il luy plaist, et donnant plus de lumiere, plus de force, et plus de zele à chaque saint, dans ---------------------------------------------------------------------p595 l' ouvrage particulier auquel il le destine, pour l' instruction des autres, et pour le bien de l' eglise. PARTIE 2 CHAPITRE 45 autres autoritez de ces derniers temps, touchant l' utilité de faire penitence avant que de communier. de sorte que sans chercher ailleurs d' autres preuves, je me pourrois contenter des decisions du dernier concile oecumenique, expliquées par le plus grand saint de nos jours, pour vous faire reconnoistre combien vous traittez injurieusement l' eglise, en voulant faire croire aux simples, qu' elle a aboly en nostre temps les plus saints exercices de la penitence ; qu' elle a renversé les sentimens des peres, ou plustost ses sentimens propres, et qu' estant devenuë contraire à elle-mesme, elle trouve mauvais aujourdhuy, que l' on prenne quelque temps pour faire penitence de ses pechez avant que de communier, ce que durant tant de siecles elle a jugé si salutaire aux pecheurs, et si conforme à l' esprit de l' evangile. Neantmoins, de peur que vous ne vous imaginiez que Saint Charles ait esté le seul à qui Dieu ait donné pensée d' autoriser cette sainte discipline, j' adjousteray en peu de mots, ce que d' autres conciles, d' autres evesques, d' autres saints, et d' autres docteurs de nostre temps ---------------------------------------------------------------------p596 nous ont enseigné sur cette matiere. Concile de Sens. Le concile de Sens, que le Cardinal Du Prat fit assembler dans le dernier siecle contre l' heresie de Luther, entre les erreurs de cét heresiarque qu' il condemne, marque cette proposition : (...). C' est donc un erreur, selon ce concile, de nier qu' il soit utile de se preparer à recevoir le corps de Jesus-Christ, non seulement par la contrition, et la confession, mais aussi par la satisfaction, la penitence, et l' exercice des bonnes oeuvres ; et par consequent, il n' y a que l' esprit d' erreur, qui puisse trouver mauvais, (...) : et c' est une insigne fausseté, d' attribuer à l' eglise des opinions qu' elle condemne dans ses conciles. Synode d' Ausbourg. Le synode d' Ausbourg en Allemagne, assemblé quelque temps depuis par le Cardinal De Sainte Sabine, propose une infinité de cas, dans lesquels il veut que l' on refuse, ou que l' on differe la communion, jusques à l' accomplissement ---------------------------------------------------------------------p597 de la penitence, mettant de ce rang, non seulement les crimes enormes, comme vous dites, mais mesmes les pechez tres-ordinaires, comme sont l' yvrongnerie, le larcin, l' excez du jeu, la mesdisance, et autres semblables ; ce qui me fait croire qu' il ne seroit peut-estre pas inutile de faire en ce lieu une déduction fidelle de tous ces canons : mais neantmoins, de peur d' estre trop ennuyeux, je me contenteray d' en rapporter sept ou huit, d' où l' on pourra facilement juger des autres, et juger en mesme temps, s' il est permis d' accuser de temerité, ceux qui portent les pecheurs à faire penitence de leurs fautes, avant que de les envoyer à l' autel. (...). ---------------------------------------------------------------------p599 Ceux qui se donneront la peine de considerer dans le dernier tome des conciles tous les autres canons que j' omets, comprendront facilement combien est grand le nombre de ceux que l' on doit selon ce synode separer de l' eucharistie, et reduire à la penitence, et neantmoins il ne s' est pas contenté de cela, mais pour étendre davantage cette sainte discipline, il adjoûte cette conclusion generale. (...). Remarquez en peu de mots dans cette conclusion : ---------------------------------------------------------------------p600 premierement, que tout confesseur peut faire pour une cause qui luy semblera juste, et dont il n' est pas obligé de vous rendre compte, ce que vous jugez ridiculement estre contraire à l' usage, et la prattique de l' eglise ; c' est à dire mettre un homme en penitence pour un temps, avant que de luy permettre de communier. Secondement, qu' il le peut faire pour les pechez mesmes secrets. Troisiesmement, que d' agir ainsi, c' est avoir soin du salut des ames. Quatriesmement, que le penitent est obligé d' obeïr, s' il ne se fait dispenser de ce commandement par une puissance superieure, comme de l' evesque, et non pas seulement egalle comme seroit celle d' un autre confesseur. Cinquiesmement, que l' on ne peut sans offenser Dieu de nouveau, violer cette ordonnance du confesseur, en s' approchant de l' eucharistie contre sa deffense. Mais passons outre. Conciles provinciaux de Malines, de Cologne, et de Bourges. Le concile provincial de Malines de l' année 1570 ordonne qu' on restablira la penitence publique pour les crimes publics. Celuy de Cologne avoit ordonné la mesme chose long-temps auparavant. ---------------------------------------------------------------------p601 Le concile provincial de Bourges, de l' an 1584 fait le mesme commandement, tesmoignant ne pouvoir souffrir, qu' aucun se voulust opposer à cette sainte discipline. Le mesme concile de Bourges ordonne aux prestres de sçavoir les canons penitentiaux, afin d' apprendre de ces regles saintes, la maniere d' imposer des satisfactions convenables et proportionnées aux pechez. Il defend aussi à qui que ce soit, de se presenter à l' eucharistie, s' il ne s' y est preparé, non seulement par la contrition, et par la confession, mais aussi par des oeuvres de penitence ; et par consequent, trouve fort bon ce que vous trouvez si mauvais, que les pecheurs prennent quelque temps pour faire penitence avant que de communier. Excellent discours du Cardinal Gropperus, sur le restablissement de la penitence. Le Cardinal Gropperus, que les histoires appellent l' ornement et la gloire de l' eglise de Cologne, et que ses merites seuls esleverent à cette eminente dignité de cardinal de l' eglise romaine, dans une institution catholique, qu' il tesmoigne n' avoir faite que pour opposer aux pernicieux livres de cette nature, dont les heretiques s' efforçoient d' empoisonner les esprits des peuples, parle si excellemment ---------------------------------------------------------------------p602 de la necessité de la penitence, et de l' obligation que les pasteurs ont d' en restablir autant qu' ils pourront les anciens exercices, que le livre de ce grand homme estant devenu fort rare, je me sens obligé pour la satisfaction de ceux qui ne le pourront pas voir, de rapporter les principaux points de ce qu' il dit sur cette matiere. Apres avoir expliqué la penitence publique, et monstré que dans les premiers siecles de l' eglise, elle ne se prattiquoit pas seulement pour des crimes publics, mais aussi pour les secrets, il dit en suitte, (...). ---------------------------------------------------------------------p603 Il maintient plus bas que les grands crimes ne se doivent point remettre dans l' eglise qu' apres l' accomplissement de la satisfaction, soit publique, soit secrette, selon la qualité des crimes. (...). ---------------------------------------------------------------------p606 Ce mesme auteur explique parfaitement bien la qualité des penitences qu' on doit imposer. (...). Mais tout cela n' est rien en comparaison de l' excellent discours, que ce sçavant cardinal fait pour porter tous les pasteurs de l' eglise au restablissement de la penitence publique, comme à l' unique remede des maux, et des desordres horribles qui regnent dans ces derniers siecles. ---------------------------------------------------------------------p613 Le tiltre de ce discours est ; (...). Nous pouvons dire la mesme chose, et encore davantage, d' un exemple de nos jours, lequel fait voir manifestement la verité de ce qu' asseure ce grand cardinal, que si quelque chose empesche le restablissement de la penitence ancienne, si necessaire pour arrester les scandales horribles de ces derniers temps, ce n' est pas tant le refroidissement du peuple, que la negligence des pasteurs. ---------------------------------------------------------------------p614 Marianus victorius evesque d' Italie. Marianus Victorius evesque d' Amelia en Italie, que ses commentaires sur Saint Hierosme ont rendu celebre, et de qui la suffisance, la dignité, et l' estime que divers papes ont fait de luy, me donne sujet de croire, sans apprehender de vous faire tort, qu' il estoit pour le moins aussi bien instruit que vous dans les sentimens de l' eglise, tant ancienne que d' apresent , pour me servir de vos paroles ; dans un excellent livre de la penitence, qu' il a fait contre les heresies de nostre temps, propose en un chapitre exprés comme une verité constante, (...). Ces paroles vous semblent-elles assez claires et assez directement opposées aux vostres pour arrester l' indiscretion de vostre censure, et moderer un peu la chaleur de vostre zele. Je vous prie neantmoins encore de considerer, que la penitence, que cét evesque entend ---------------------------------------------------------------------p615 que l' on accomplisse avant que de recevoir l' eucharistie, n' est pas de ces legeres penitences, qui ont si peu de proportion avec la grandeur des pechez, contre ce que le concile de Trente ordonne, puis qu' il les condemne fortement à la fin d' un petit traitté des penitences anciennes, qu' il a joint à cét ouvrage, et qu' il conclud par ces paroles, (...). ---------------------------------------------------------------------p616 Saint Francois Xavier. Que si la passion vous emporte si avant, que d' oser condemner ce sçavant evesque de temerité, estendez vostre pouvoir jusques au nouveau monde, et prononcez le mesme arrest à ce grand saint, dont Dieu s' est servy pour porter la lumiere de son evangile, à tant de peuples ensevelis dans les tenebres de la mort, et mettre son fils en possession d' une partie de son royaume, qui se doit estendre par toute la terre. Nous lisons dans la vie de Saint François Xavier, escrite par Tursellin, qu' un des principaux advis que cét homme de Dieu donnoit aux confesseurs de sa compagnie, lors principallement qu' ils confessoient des personnes engagées dans les affaires, et dans la corruption du monde, estoit, de ne les absoudre pas ---------------------------------------------------------------------p617 aussi-tost qu' ils se seroient confessez, mais de les soûmettre durant quelques jours aux exercices de la penitence. Voicy les paroles de ce saint, selon que Tursellin les rapporte. (...). S' il vaut mieux, selon l' advis de ce saint, faire accomplir toutes ces choses au penitent avant l' absolution, qu' apres ; c' est à dire, faire en sorte qu' il se nourrisse l' esprit du pain de la parole de Dieu : qu' il efface les taches de son ame par les larmes, et les mortifications : qu' il restituë ce qu' il doit : qu' il se reconcilie avec ses ennemis : qu' il se détache de ses habitudes vicieuses : qui peut douter, que lors que le temps de deux ou trois jours, qu' il propose pour exemple, ne suffira pas pour l' accomplissement de toutes ces choses, il ne soit tres-loüable, et necessaire, selon l' intention de ce saint, d' en prendre ---------------------------------------------------------------------p618 un plus long, lors principallement que le penitent se sentant touché de Dieu, se soûmet volontairement à ce delay, et consent de demeurer autant de temps en penitence qu' il en sera necessaire, pour effacer les images impures du vice, par la meditation des choses saintes ; pour rechercher les remedes de ses blessures dans les gemissemens, et dans les austeritez ; pour se resoudre à renoncer à ses richesses, s' il s' est enrichy du sang des pauvres par les usures, et les injustices ; pour arracher de son esprit les haynes enracinées ; pour arrester les mouvemens impetueux de la chair, qui ne se peuvent dompter que par de longues mortifications, lors que la corruption des moeurs s' est jointe à celle de la nature ; et enfin pour se dégager des liens funestes, qui le retiennent dans la captivité du peché ? (...). D' où il est aisé de juger, que ce que ce saint ne parle que de trois jours, a esté par une grande prudence de l' esprit de Dieu, pour faire entrer les pecheurs dans la penitence, et les y engager par un si court, et si facile commencement. Il y a de pareils exemples de la prudence des saints dans l' escriture, par lesquels on voit qu' ils n' ont demandé d' abord que peu de choses aux grands pecheurs, pour les attirer, ---------------------------------------------------------------------p619 et les engager lentement à la voye de la verité ; et de la penitence. Ainsi Daniel ne requit autre chose du Roy Nabuchodonosor, le plus grand pecheur de son temps, sinon qu' il fist des aumosnes pour détourner la colere de Dieu, dont il estoit menacé, en rachetant ses pechez avec de l' argent, ce qui luy estoit plus facile, qu' à ceux dont parle ce saint, de passer trois jours dans l' attente de l' absolution. Ainsi Saint Jean Baptiste qui a parlé avec tant de rigueur aux grands pecheurs, ne demande d' eux que peu de choses au commancement, et cela par condescendance, et pour s' accommoder à leur foiblesse, dit Saint Chrysostome. Ainsi S François Xavier voulant porter les penitens, et les confesseurs à mettre quelque interstice entre la confession, et l' absolution, propose trois jours pour exemple, quoy que le seul détachement des vicieuses habitudes, qu' il apporte comme une des principales causes de ce delay fasse assez voir, qu' il ne parle que par indulgence, puis qu' il est impossible à la plus grande part des pecheurs de se détacher en si peu de temps de leurs habitudes corrompuës, comme la seule philosophie naturelle nous l' apprend ; quoy qu' il puisse neantmoins arriver quelquesfois, qu' un grand pecheur se presente au prestre avec une telle componction de coeur, qu' un terme de trois jours luy suffira, et un moindre encore, comme on voit dans un exemple remarquable qui se lit ---------------------------------------------------------------------p620 en la vie de Saint Vincent Ferrier, et un autre en celle du Cardinal De Vitry. Mais enfin, si selon la doctrine de ce saint, il vaut mieux que les mortifications, les larmes, la reconciliation avec ses ennemis, le détachement du vice precedent l' absolution que non pas qu' ils la suivent : il vaut donc mieux aussi par consequent, et à plus forte raison, que toutes ces choses precedent la reception de l' eucharistie, et ainsi selon cét homme apostolique, c' est un important avis à donner aux confesseurs, que de leur persuader de faire demeurer les pecheurs en penitence durant quelques jours, avant que de les absoudre, et de leur permettre de communier. Scholastiques et casuistes de ce temps. Adjoustons, pour retourner en nostre monde, que les docteurs de l' echole, et les casuistes demeurent d' accord, qu' un confesseur peut obliger son penitent d' accomplir la penitence qu' il luy aura enjointe, avant que de recevoir l' absolution, et qu' il dépend entierement de sa prudence, de se conduire en cela, selon ce qu' il jugera plus à propos au salut de son penitent. Cela estant, comme les ignorans seuls en peuvent douter, avec quel front peut-on accuser un prestre de temerité ---------------------------------------------------------------------p621 pour separer l' absolution de la confession, et la differer jusques apres la penitence accomplie, puis qu' il ne fait en cela, selon les sentimens mesmes de tous les docteurs nouveaux, que ce qu' il a pouvoir de faire, s' il le juge expedient ? De sorte que l' execution de cette puissance dependant entierement de son jugement ; et son jugement dependant de ce que les penitens luy découvrent du fonds de leur conscience, de leurs pechez, du cours de leur vie, de leurs mauvaises inclinations, de leurs habitudes corrompuës, de leur engagement dans le mal, de leurs diverses dispositions interieures et exterieures ; comment peut-on sans une temerité prodigieuse censurer une action, qui dépend de la connoissance de toutes ces choses que nous ignorons, et dont mesme il n' est pas permis de nous enquerir, sans vouloir que l' on viole le sceau de la confession ? Je dis plus : c' est que si les confesseurs consideroient avec l' attention qu' ils doivent le grand nombre de personnes qui se joüent des sacremens, et qui confessent sans cesse les mesmes crimes, sans jamais les abandonner ; je ne doute point qu' ils ne reconnoissent facilement, combien le cas que les casuistes proposent est commun et ordinaire ; et combien il seroit souvent utile, voire necessaire pour le salut des pecheurs, de les envoyer faire penitence, et donner des preuves visibles d' une sincere conversion, ---------------------------------------------------------------------p622 avant que de les absoudre. J' ay desja rapporté les sentimens de Saint Charles sur ce point. Le Cardinal Baronius. J' y adjouste celuy d' un autre grand cardinal, qui dans son histoire ecclesiastique, apres avoir rapporté quelques paroles du clergé de Rome, écrivant à Saint Cyprien, touchant la reconciliation de ceux que le peril de mort obligeoit d' absoudre auparavant qu' ils eussent entierement achevé leur penitence, si neantmoins ils donnoient des signes d' un veritable repentir, par leurs larmes, par leurs gemissemens, et par leurs pleurs : et apres avoir consideré qu' apres tout cela ce clergé laisse encore au jugement de Dieu ce qui devoit arriver de ces personnes, (...). Brefs des papes. Passons plus outre, et pour faire voir, combien c' est une chose sainte, de faire en sorte que la penitence precede l' absolution, et par consequent la communion, opposons ---------------------------------------------------------------------p623 à ces gens hardis, qui condemnent tout ce qu' ils ignorent, l' autorité du successeur de Saint Pierre. Qu' ils s' enquierent de ce que portent les brefs, que le pape envoye pour donner pouvoir d' absoudre de quelque cas reservé, et ils trouveront qu' ils enjoignent expressément, que l' on imposera au penitent une satisfaction rigoureuse, dont il sera obligé d' accomplir au moins une partie avant que de recevoir l' absolution. Conclusion de toutes ces autoritez. Que direz-vous à cela ? Oserez-vous encore accuser un homme de temerité, pour faire une chose que le pape tous les jours ordonne de faire ? Nous voudrez-vous persuader, que vous connoissez mieux les usages de l' eglise, que le chef mesme de l' eglise ? Vous imaginez-vous que les plus saintes prattiques de la penitence soient abolies dans l' eglise, parce que vous les ignorez, ou qu' il ne vous plaist pas de vous en servir ? Pensez-vous estre toute l' eglise ? Cornelius Jansenius evesque d' Ipres, et l' un des plus sçavans hommes de ce siecle, qui veut que les prestres retiennent les pechez pour un temps, à cause de l' immaturité, pour parler ainsi, et de l' imperfection de la penitence, ---------------------------------------------------------------------p624 afin que peu à peu elle se perfectionne, n' estoit-il pas de l' eglise ? Binsfeld suffragant de l' archevesque de Treves, qui conseille aux confesseurs de ramener les penitens autant qu' il se peut, à l' observation des anciens canons, qui ordonnent plusieurs années de penitence avant que d' estre absous, et de recevoir l' eucharistie, n' estoit-il pas de l' eglise ? Grenade auteur celebre, entre ceux qui ont escrit de la devotion, qui parle, comme d' un grand abus, et d' une temerité insupportable de ce que plusieurs personnes, aussi-tost qu' ils ont achevé de vomir mille sortes de pechez abominables, se levant des pieds du prestre, se vont asseoir à la table du seigneur, et manger ce pain pour lequel il seroit besoin, s' il nous estoit possible, d' avoir la pureté des anges, et qui conclud en suitte, qu' ils devroient prendre quelques jours pour appaiser Dieu, laver et arrouser de larmes la maison où il doit loger, n' estoit-il pas de l' eglise ? Le Cardinal Baronius qui trouve si peu d' asseurance dans ces absolutions, qui se donnent à la haste, et qui n' ont point esté precedées par des fruits de penitence, n' estoit-il pas de l' eglise ? Le Cardinal Gropperus, qui parle si fortement contre le relaschement de la discipline, dans le fait mesme de la penitence, et qui reconnoist ---------------------------------------------------------------------p625 qu' on ne peut apporter de veritables remedes aux scandales, et aux desordres horribles qui regnent en ce temps, que par le restablissement de la penitence, n' estoit-il pas de l' eglise ? Marianus Victorius evesque d' Italie, et tres-estimé des papes qui parle de la mesme sorte que ce cardinal, et qui soûtient formellement apres tous les peres, que l' on ne doit pas seulement se confesser de ses pechez, mais que l' on en doit aussi faire penitence avant que de communier, n' estoit-il pas de l' eglise ? Saint François Xavier, qui veut qu' au regard des personnes engagées dans le vice, la meditation des choses saintes, les exercices de la penitence, la restitution de ce qu' ils doivent, la reconciliation avec leurs ennemis, et le détachement de leurs vicieuses habitudes precedent l' absolution, et par consequent la communion, n' estoit-il pas de l' eglise ? Tous les theologiens, qui demeurent d' accord comme d' une verité indubitable, que l' on peut encore aujourdhuy differer l' absolution, et à plus forte raison la communion, jusqu' apres l' accomplissement de la penitence, ne sont-ils pas de l' eglise ? Les catholiques du Mont-Liban, chez qui cette sainte discipline de l' ancienne penitence, s' est conservée jusques à nos jours, ne sont-ils pas de l' eglise ? ---------------------------------------------------------------------p626 Les conciles provinciaux de Cologne, de Malines, et de Bourges, qui ordonnent de restablir la penitence publique, ne sont-ils pas conciles de l' eglise ? Le synode d' Ausbourg assemblé par le Cardinal De Sainte Sabine, et inseré dans le corps des conciles, lequel apres avoir proposé tant de cas en particulier, pour defendre de communier jusqu' apres l' accomplissement de la penitence, porte generallement tous les confesseurs à embrasser cette conduite, n' estoit-il pas de l' eglise ? Les evesques qui ont condemné d' erreur dans le concile de Sens, ceux qui nient qu' il soit utile de se preparer à la reception de l' eucharistie, non seulement par la contrition et la confession, mais aussi par la satisfaction, et les bonnes oeuvres, n' estoient-ils pas de l' eglise. Saint Charles qui ne propose à ses prestres pour modelle de leur conduite envers les pecheurs que ces anciens canons, lesquels ne parlent d' autre chose que de faire penitence avant que de communier, et qui a fait tant d' ordonnances pour obliger les confesseurs à se retirer en cent rencontres de cette prattique ordinaire, dont vous ne voulez pas que l' on se puisse retirer sans temerité, n' estoit-il pas de l' eglise ? La voix du concile de Trente, que nous ---------------------------------------------------------------------p627 vous avons fait voir autoriser en tant de manieres la conduite que vous osez condemner, et condemner la vostre en tant de façons, ne vous semble-t' elle point la voix de toute l' eglise ? Et la seule ordonnance ecclesiastique, qui commande aux fidelles la reception de l' eucharistie, declarant en termes exprez, que tout confesseur a le pouvoir d' empescher son penitent de communier au temps mesme qu' il ordonne à tous les chrestiens de le faire, passe-t' elle en vostre endroit pour une ordonnance abolie, et qui ne soit plus d' aucun usage en l' eglise. PARTIE 2 CHAPITRE 47 que la prattique, que cet auteur veut absolument que l' on suive, à l' exclusion de toute autre, n' est point la prattique de toute l' eglise. cessez donc de vous imaginer, et d' asseurer temerairement ; que l' eglise ne fait plus ce que par tant d' autoritez vous voyez qu' elle fait encore, et ce que suivant ses ordres, tous les prestres peuvent faire, non seulement avec une pleine liberté, mais aussi avec son entiere approbation, comme estant ce qu' elle desire le plus. ---------------------------------------------------------------------p628 Ainsi cette prattique ordinaire que vous opposez, n' est qu' une prattique de beaucoup de particuliers dans l' eglise, et non pas la prattique de toute l' eglise : ou pour mieux dire, c' est l' une des prattiques de l' eglise (qui l' a tousjours fait en quelques cas particuliers) lors que l' on n' y mesle point d' abus, comme Saint Charles a remarqué qu' il s' y en pouvoit glisser beaucoup ; mais ce n' est pas la seule et unique prattique de l' eglise. Elle peut estre aujourdhuy la plus commune, parce qu' elle est favorisée par l' impenitence generale de tout le monde, tout le monde voulant bien se confesser, et personne presque ne voulant faire penitence : mais ce n' est pas, ny la plus excellente, ny la plus seure, ny la plus liée à l' une des principales marques de l' eglise, qui est l' antiquité, et la succession de la doctrine ; puis qu' elle ne s' est introduite que par l' indulgence et la condescendance de l' eglise, et que l' autre est la prattique originale, la prattique des apostres, la prattique de tous les peres, la prattique universelle de l' eglise durant prés de douze siecles : et qui bien qu' elle soit diminuée peu à peu depuis cinq cens ans par l' endurcissement des coeurs, dont le concile de Trente se plaint, et par l' ignorance et la negligence des ecclesiastiques, marquées et déplorées par le Pape Gregoire Vii et par Saint Bernard en tant de lieux, s' est neantmoins conservée en beaucoup de rencontres par une ---------------------------------------------------------------------p629 particuliere providence de Dieu, et a esté mesme plus particulierement renouvellée dans les derniers siecles, par les ordonnances des conciles, et des evesques, et par les escrits des saints, et des theologiens, ainsi que je vous l' ay fait voir. PARTIE 2 CHAPITRE 48 que l' on peut sans temerité, ne pas tousjours suivre les prattiques les plus communes et les plus ordinaires. mais afin de faire encore mieux voir l' injustice de vostre accusation, il ne sera pas inutile de vous avertir, que l' on n' est pas tousjours bien receu à accuser un homme de temerité, pour ne pas suivre la prattique ordinaire, lors que cette prattique ordinaire ne se trouve point fondée sur les ordonnances de l' eglise, mais seulement sur l' usage des particuliers ; et lors que l' on ne s' en retire point par esprit de division, et à dessein de troubler l' unité du corps de Jesus-Christ, pour la conservation de laquelle il faut souffrir le martyre, mais seulement pour suivre une autre prattique de la mesme eglise, que l' escriture, les papes, les conciles, et les peres nous enseigneroient estre plus sainte, quoy qu' en ce temps elle fust moins en usage. ---------------------------------------------------------------------p630 En voulez-vous un exemple ? C' est une prattique ordinaire de ne jeusner que jusques à midy, et de faire une collation sur la fin du jour. Et cependant cela n' empesche pas que le Cardinal Bellarmin ne soustienne que le veritable jeusne, selon la doctrine de tous les peres, consiste en un seul repas, qu' il ne faut prendre que sur le soir, et que l' usage contraire n' est que toleré, et non point approuvé de l' eglise. Quoy qu' il en soit, je crois que vous seriez le seul qui oseroit accuser de temerité un homme qui se voudroit retirer de la prattique ordinaire, pour se reduire à un jeusne plus parfait, et plus conforme à l' escriture, et à la tradition de l' eglise, que celuy que nous voyons estre quasi seul aujourdhuy en usage. Desirez-vous encore un autre exemple ? C' est une prattique ordinaire entre les ecclesiastiques, de ne garder dans la recitation de leur office aucun des temps marquez par l' eglise ; et de se contenter de prier Dieu trois ou quatre fois, au lieu qu' elle entend, qu' ils prient sept diverses fois durant le jour, à l' exemple de David : et neantmoins le mesme Cardinal Bellarmin, ne laisse pas avec une infinité d' autres theologiens et canonistes, de condemner de peché veniel ceux qui sans necessité suivent ce relaschement, et il est difficile de pretendre que ce soit par necessité, lors que l' on en fait une regle. Mais sans entrer en cette discussion, je crois ---------------------------------------------------------------------p631 pour le moins, que personne que vous ne s' avisera de condemner de temerité celuy qui considerant que Dieu merite bien que l' on le serve à ses heures, et que l' eglise a principallement regardé dans la recitation de l' office de tenir tousjours les ecclesiastiques dans l' esprit d' oraison, en renouvelant de temps en temps leur attention vers Dieu, aimera mieux se retirer de la prattique ordinaire, que de ne pas se conformer à l' esprit general de l' eglise, qui doit estre la principale regle de toutes nos devotions : et ne croira pas, que ses occupations ordinaires, le doivent dispenser de cette observance canonique, puis que c' est pour cela mesme, selon Saint Hierosme, que cette division des heures a esté instituée, (...). Mais s' il y a quelque sujet où les prattiques des particuliers ne puissent pas estre attribuées à toute l' eglise, c' est principalement en celuy de la penitence ; parce que se passant dans un secret merveilleux entre le penitent et le confesseur, tout ce que peut faire l' eglise, c' est d' ordonner generallement de quelle sorte elle veut que l' on s' y conduise, mais pour ce qui regarde l' execution de ce qu' elle ordonne, elle n' en prend point de connoissance, et s' en décharge entierement sur la conscience des prestres, ---------------------------------------------------------------------p632 qui respondront seuls devant Dieu de leur negligence, et de leur mollesse envers les pecheurs. Ainsi le concile de Trente ordonne à tous les confesseurs d' imposer à leurs penitens des satisfactions proportionnées à la grandeur de leurs pechez, sur peine de s' en rendre participans s' ils ne le font, et s' ils se contentent de punir de grands crimes par quelques legers chastimens. Si neantmoins il arrive, que beaucoup de prestres ou par ignorance ou par negligence, ou par une fausse et cruelle douceur prennent la coustume de fouler aux pieds cette ordonnance de l' eglise universelle si juste et si sainte, en imposant cinq pater noster , ou les sept pseaumes penitentiaux, ou quelque chose de semblable, pour des parjures, des blasphemes, des fornications, des adulteres, des communions sacrileges, et d' autres pechez tres-enormes, direz vous aussi-tost que ce violement des loix de l' eglise, que chacun de ses prestres fait en secret, et à l' oreille de son penitent, doit estre pris pour la prattique ordinaire dont il ne soit pas permis de se retirer sans temerité ? Et ce reglement estably par une authorité infaillible, et fondée sur la doctrine du Saint Esprit, sur la tradition des apostres, sur la decision de tant de papes, sur les canons de tant de conciles, et sur le consentement general de tous les peres, ne se pourra-t' il plus observer ---------------------------------------------------------------------p633 sans que l' on soit accusé de temerité par ceux qui vous ressembleront ? Cette imagination seroit ridicule. C' est aux conciles à faire des ordonnances, et aux particuliers à les suivre, s' ils font le contraire, ils en rendront compte à Dieu, et l' eglise n' est point responsable de leurs excez. C' est pourquoy, pour finir enfin cette seconde partie, un seul mot suffit pour respondre à toutes vos accusations : (...). PARTIE 3 CHAPITRE 1 ---------------------------------------------------------------------p635 De quelques dispositions plus particulieres pour communier avec fruit. Si l' on doit s' approcher de l' eucharistie sans aucune crainte, dans quelque froideur, indevotion, inapplication aux choses de Dieu, privation de grace, plenitude de l' amour de soy-mesme, et prodigieux attachement au monde que l' on se trouve, comme cét auteur enseigne. Et si le delay ne peut point servir à communier avec plus de reverence, et meilleure disposition. ---------------------------------------------------------------------p636 Response. La longueur de la response à l' article precedent, qui contient toute la seconde partie de cét ouvrage, me donnera sujet pour n' estre pas ennuyeux, d' abbreger la refutation du reste de vostre escrit. Et je le feray d' autant ---------------------------------------------------------------------p637 plûtost, que les principaux fondemens en ayans esté renversez en divers endroits, tout le reste peut de soy-mesme tomber par terre. C' est pourquoy, pour ce qui regarde cét article, je vous dis en peu de mots, que vous continuez à abuser du nom des saints, pour establir vos mauvaises regles ; et que si la proposition que vous avancez a quelque chose de semblable dans l' écorce de la lettre à quelques-unes de leurs paroles, le sens que vous leur donnez, et les consequences que vous en tirez sont autant esloignées de leur doctrine, que l' erreur l' est de la verité. Car il paroist par l' esprit general de vostre escrit, et par la liaison de vos maximes ensemble, que vous n' avez point d' autre dessein que d' oster aux ames toutes les pensées qui les pourroient porter à se retirer de l' eucharistie par respect, et de leur persuader que quelque indevotion qu' elles ressentent, quelque distraction en leur esprit, quelque froideur en leur volonté, quelque rebellion en leur sens, quoy qu' elles se reconnoissent dans l' aversion, et dans le dégoust pour toutes les choses de Dieu, et dans l' ardeur et l' enyvrement pour toutes celles du monde, quoy que dénuées de graces, et de ferveur de charité, et remplies d' amour d' elles-mesmes, et de passions dereglées, pourveu qu' il n' y ait point de peché mortel (ce sont vos paroles qui marquent vostre dessein) c' est à dire, selon ---------------------------------------------------------------------p638 que vous l' avez enseigné dans vostre article precedent, pourveu qu' elles s' en soient confessées, quoy qu' elles en ayent commis une infinité, et qu' elles en commettent tres-souvent, elles doivent s' approcher des saints autels que l' eglise appelle terribles, sans crainte aucune. voila la doctrine que vous desirez faire passer pour la doctrine des saints. à quoy je n' ay qu' à vous opposer ces paroles de Saint Chrysostome. (...). Et quant aux saints, par l' autorité desquels vous pretendez appuier de si dangereuses maximes, il est clair, que lors qu' ils exhortent de communier, quoy que l' on ne ressente pas l' ardeur de la devotion que l' on desireroit, ils n' ont jamais entendu parler, que des manquemens de devotion sensible, des secheresses, et des sterilitez, qui arrivent aux plus gens de bien, lors que Dieu retire d' eux pour quelque temps les consolations de sa grace, pour les humilier, ou les éprouver, comme Monsieur De Geneve l' explique excellemment dans son introduction. ---------------------------------------------------------------------p639 (...). Voyla l' estat dans lequel les saints veulent bien que l' on communie lors que le coeur est veritablement à Dieu ; ce qui se doit juger par les actions, et par les oeuvres, qui sont les fruits du coeur ; quoy qu' il soit dans quelque tiedeur à cause des secheresses qui luy arrivent, qui l' empeschent d' avoir tous les sentimens de devotion qu' il desireroit. C' est ce que les propres auteurs que vous citez vous eussent appris, ---------------------------------------------------------------------p640 si vous les eussiez leus avec l' attention que meritent les choses de Dieu. Gerson, ou plustost l' abbé Gersen, auteur de l' imitation de la vie de Jesus-Christ, qu' il n' addresse qu' à ses religieux dégagez de toutes les folies du monde, et non point à ceux qui passent leur vie dans les desordres, et dans la corruption du siecle, introduit Jesus-Christ parlant au disciple en cette sorte, sur la preparation que l' on doit apporter à la sainte communion. (...). ---------------------------------------------------------------------p641 Qui ne voit qu' il ne parle que des secheresses qui arrivent aux gens de bien, lors que Dieu retire d' eux le sentiment de la devotion, qui ne laisse pas de demeurer cachée dans le fonds de l' ame ; et neantmoins il ne veut pas, que l' on communie estant tout à fait en cét estat, mais que l' on persevere en oraison, que l' on gemisse, que l' on frappe à la porte, et que l' on ne cesse point, jusques à ce que l' on ait comme forcé Dieu de nous envoyer quelques rayons de sa grace, et quelques marques de sa visite. Et en un autre chapitre expliquant plus particulierement de quelle sorte on doit acquerir la grace de la devotion, (...). ---------------------------------------------------------------------p642 Apprenez de ces paroles, combien c' est une chose ridicule de conserver dans son coeur tous les desseins de satisfaire à son ambition, et à ses plaisirs, d' estre remply de l' amour de soy-mesme, et attaché prodigieusement au monde, et de s' imaginer, que pourveu qu' on soit une demy-heure à genoux en taschant de penser à Dieu, l' on fait tout ce que l' on peut pour s' exciter à devotion, et qu' ainsi l' on fait fort bien de communier, quoy qu' on n' en ressente point. Quant à Saint Bonaventure, le seul tiltre du ---------------------------------------------------------------------p643 chapitre, d' où les paroles que vous en citez sont tirées, vous devoit apprendre, combien ce que je vous ay desja dit est veritable, que ce passage ne se doit entendre que des tiedeurs, et des secheresses, qui arrivent aux personnes de pieté. Car ce que vous alleguez, ne se trouve qu' au second livre de l' avancement des religieux, chapitre 77 qui a pour tiltre, des tentations qui arrivent aux personnes devotes, où apres avoir expliqué ces mesmes secheresses, et ces mesmes sterilitez, dont Monsieur De Geneve parle, et en avoir découvert les causes, parlant en suitte des dispositions pour communier, il dit, (...). ---------------------------------------------------------------------p644 Ces derniers mots ne monstrent-ils pas clairement, qu' il n' entend parler que de ces tiedeurs qui arrivent aux personnes de vertu et de pieté, qu' il avoit expliquées auparavant, et non pas de ces froideurs et de ces indevotions qui procedent du déreglement de la vie, du desordre des passions, de l' attachement au monde, de la plenitude de l' amour propre, ou mesme de la negligence seule, et de la paresse, de l' inadvertance, des distractions d' une vie relaschée, et d' une accoustumance mauvaise , comme il parle ailleurs. Si vous tesmoignez en douter, apprenez-le de ses paroles mesmes dans son abbregé de la theologie. (...). ---------------------------------------------------------------------p646 Et si vous n' estes satisfait de ces paroles, adjoustez-y ce qu' il dit au livre de la preparation de la messe. (...). Et vous, par un nouvel art inconnu à tous les philosophes du monde, vous trouvez qu' un homme asseure une chose lors qu' il la nie formellement, et qu' ainsi vous avez droit de dire, selon la doctrine de ce mesme saint, (...). Par ce mesme artifice vous vous persuaderez quand il vous plaira, que tout ce que j' escris icy n' est que la confirmation de vostre doctrine : si ce n' est que l' on y trouve cette difference, que vous pourrez lire apparemment cét escrit, et que certainement vous n' avez pas leu Saint Bonaventure. PARTIE 3 CHAPITRE 2 Si dans la dispensation de l' eucharistie, on ne doit avoir aucun esgard aux foiblesses, aux langueurs, et aux maladies des ames. ---------------------------------------------------------------------p647 Tout vostre discours n' est fondé que sur un perpetuel equivoque, et sur un entier renversement de l' ordre estably par Jesus-Christ dans les moyens de nostre salut. Car qui doute que Jesus-Christ ne soit venu pour appeller à soy les pecheurs, pour enrichir les pauvres, pour fortifier les foibles, pour guerir les malades, pour rassasier les affamez ? Mais s' ensuit-il de là qu' il faille contre sa propre parole jetter le saint aux chiens, et les diamans aux pourceaux, et pousser par ---------------------------------------------------------------------p648 une facilité indiscrette toutes sortes de personnes à la frequente participation des mysteres. S' ensuit-il que ceux, qui, comme dit Grenade, ne viennent que de vomir leurs pechez, et qui en ont encore les images toutes vivantes dans l' esprit, et tres-souvent mesme la racine dans le coeur, preste à en produire de nouveaux à la premiere occasion, doivent aspirer aussi-tost à la recompense des justes, et à la felicité des saints. (...). S' ensuit-il que ceux, à qui les longs dereglemens, et les habitudes corrompuës ont causé une si grande foiblesse, qu' ils ne se peuvent asseurer de demeurer huit jours sans retomber dans leurs pechez, doivent se mettre au hazard, avant que de s' estre fortifiez par les exercices de la penitence, de recevoir Jesus-Christ chez eux pour l' en chasser aussi-tost à leur plus grande condemnation. S' ensuit-il que ces malades, qui sont encore tous couvers d' ulceres, et dont toutes les blessures ---------------------------------------------------------------------p649 seignent encore, doivent renverser l' ordre de la medecine celeste, comme parle Saint Augustin, et rechercher aussi-tost la guerison de leurs playes dans la participation du corps de Jesus-Christ, qui n' en doit estre que le dernier appareil, apres qu' ils en auront osté l' ordure et la corruption par l' arrousement de leurs larmes, et par les autres remedes de la penitence ? S' ensuit-il enfin que ceux qui se devroient contenter, à l' exemple de la chananée d' estre rassasiez des miettes qui tombent de la table du Seigneur, se doivent presenter aussi-tost à la table mesme, et se presumer dignes du pain des enfans. Vous vous trompez infiniment, lors que vous vous persuadez, qu' à cause que l' eucharistie a esté instituée par Jesus-Christ pour nous fortifier, nous nous en devons approcher dans toutes sortes de foiblesses, sans considerer de quelle nature elles sont, et de quelles causes elles procedent. Le pain nous a esté donné de Dieu pour fortifier nos corps, et pour soustenir le coeur de l' homme, comme l' escriture mesme témoigne, (...). Et c' est pourquoy nous voyons que dans les prophetes Dieu menace souvent son peuple de leur oster le soûtien du pain, (...). ---------------------------------------------------------------------p650 D' où nous avons raison de conclure qu' un homme qui se sent foible par defaut de nourriture, ou parce que ses esprits sont espuisez par le travail, fait fort bien de recourir au pain pour reparer ses forces, et pour le guerir de cette foiblesse, et de cette faim, qui est une marque de la santé. Mais si la foiblesse et la langueur, qu' un homme ressent, est une langueur de fievre, et qui procede de la corruption du dedans, et de la mauvaise disposition des parties nobles, ce seroit une fort mauvaise maniere de luy vouloir rendre les forces, que de luy faire manger beaucoup de pain, au lieu qu' on le luy doit retrancher, jusques à ce que les remedes ayent chassé les mauvaises humeurs, et remis le corps en une meilleure disposition. Et alors le pain pourra servir tout ensemble, et de nourriture, et de remede, en donnant à la guerison son dernier accomplissement, et consumant en quelque sorte les derniers restes de sa maladie, par la force, et par la vigueur qu' il redonne à tous les membres. Ainsi ce pain celeste nous a esté donné pour fortifier nos ames, pour les maintenir en vigueur ; pour empescher le deperissement de la grace, pour en reparer ce qui s' en perd tous les jours, pour nous soûtenir dans les foiblesses qui nous arrivent par la lassitude du chemin, lors que nous suivons Jesus-Christ dans le ---------------------------------------------------------------------p651 desert, comme les cinq pains qui estoient la figure de l' eucharistie furent distribuez aux troupes, ne deficerent in via ; pour rassasier cette faim ardente, qui nous fait brusler du desir de nous unir à Jesus-Christ ; et enfin, pour donner quelque soulagement à cette sainte langueur, que l' ame, qui est embrasée de l' amour de l' espoux celeste, ressent si souvent dans cette longue et ennuyeuse separation de son eternelle jouïssance. Car la femme qui ne languit pas dans l' absence de son mary, ne l' aime point ; et le voyageur qui ne souspire pas apres son retour, n' a point d' affection pour son païs ; et l' homme sain qui ne veut plus se nourrir de viandes solides, tesmoigne par là qu' il commence à estre malade. Mais si nous reconnoissons, que nous avons esteint en nous la chaleur du saint esprit, necessaire pour digerer cette nourriture divine : si le déreglement de nos passions a troublé tout le temperament de nostre ame : si le vice l' a corrompuë : si ces traits enflammez du diable, dont l' apostre parle, luy ont imprimé de tres-profondes blessures : si elle ne sent de la pesanteur lors qu' elle se veut eslever vers Dieu, que parce qu' elle gemit encore sous le poids de ses pechez : si ses langueurs et ses foiblesses, sont des marques visibles que le coeur est encore plein de venin : ce n' est pas le moyen de diminuer ses maux, que de vouloir manger les mesmes ---------------------------------------------------------------------p652 viandes, et en aussi grande quantité que ceux qui se portent bien ; au lieu de travailler auparavant par les exercices de la penitence, qui sont les propres remedes de ces maux, à reparer les desordres de nostre mauvaise vie, et à remettre peu à peu nostre ame malade en une assez bonne disposition, et en une assez grande santé, pour estre capable d' une nourriture si solide ; afin qu' alors ce pain spirituel et divin fasse à son esgard, ce que le pain materiel fait à l' esgard du corps, ne servant pas seulement à la nourrir, mais aussi à achever son entiere guerison, et à consumer les derniers restes de la maladie, en laissant en nous la semence et la racine d' une vie, et d' une santé toute divine, tant pour l' ame que pour le corps, parce qu' ainsi que nous l' apprenons dans l' eschole de l' eglise, c' est à la seule eucharistie qu' appartient proprement l' accomplissement de tous les efféts salutaires de toutes les penitences, de toutes les vertus, et de tous les sacremens. Mais parce que j' ay resolu de ne rien dire de moy-mesme dans cét ouvrage, et d' exposer simplement la doctrine sainte des saints peres ; escoutons ce que l' un des plus grands docteurs de l' eglise nous enseigne sur ce sujet, et voyons s' il croit comme vous, que quelques foibles et languissantes que soient les ames, elles ne peuvent raisonnablement se retirer de l' eucharistie, pour ne s' en approcher qu' estant plus fortes, ---------------------------------------------------------------------p653 et plus capables de profiter d' une nourriture si solide. Saint Ambroise dans son commentaire sur Saint Luc expliquant le miracle de la multiplication des cinq pains, considere premierement (...). Il remarque en suite, qu' il est rapporté dans l' evangile, que le sauveur guerit les malades avant que de faire ce miracle. (...). Et cependant pour nous monstrer, que mesme toute sorte de guerison ne rend pas l' ame capable de se nourrir de la chair divine du sauveur du monde, il adjouste que ces trouppes ne meritoient pas encore de la recevoir. (...). ---------------------------------------------------------------------p654 Jugez par ces excellentes paroles, combien vous estes contraire à la divine oeconomie du grand pere de famille, en poussant indifferemment toutes sortes de personnes, dans quelques foiblesses et quelques langueurs qu' elles se trouvent, à se nourrir des mesmes viandes, et en aussi grande quantité, que les plus saines. Au lieu que c' est en cela, comme dit ce pere, que nous devons adorer la bonté de nostre maistre, de ce qu' il daigne proportionner la nourriture qu' il nous donne, à la force de chacun en particulier : de peur que les viandes fortes comme ---------------------------------------------------------------------p655 est le corps de Jesus-Christ n' oppriment les foibles, ou que celles qui sont trop legeres ne puissent pas rassasier les forts. (...). Et de là nous apprenons, que ceux que l' on separe de l' eucharistie, comme d' une viande trop solide, ne doivent pas pour cela demeurer sans nourriture, mais avoir soin d' en substituer une autre en la place de celle-là, en demandant à Dieu qu' il redouble en eux la faim et la soif de la justice, c' est à dire, de son esprit et de sa grace. Car c' est une reigle generale, qu' il ne faut jamais rien retrancher des oeuvres de pieté, qu' en mesme temps nous n' ayons soin d' engager Dieu par d' autres bonnes oeuvres à remplir en nous cette perte et ce retranchement par un renouvellement de sa grace. Ce qui est plus veritable du retranchement de la communion que de tout autre ; parce que nous en separant par le ressentiment que nous avons de nostre infirmité, ou de nostre indignité, il faut que nous imitions le procedé dont on use envers les malades, qu' on ne prive jamais des viandes solides que mangent les sains, qu' on ne leur donne en la place l' esprit, et le suc des mesmes viandes dans des boüillons, et si on les privoit tout ensemble de l' une et de l' autre nourriture, ils tomberoient dans l' extremité de la langueur, ou seroient comme des malades desesperez à ---------------------------------------------------------------------p656 qui on ne donne plus rien que par forme. Et c' est ce qui trompe beaucoup de personnes, qui ne voient pas l' utilité qu' on peut tirer du retranchement de l' eucharistie, à cause qu' elles en jugent par l' exemple de ces demy-chrestiens qui ne s' en retirent, que par une pernicieuse negligence des choses de Dieu, et ausquels il est certain que ce retranchement est tout à fait inutile, parce que ce n' est point un effét du respect qu' ils portent à l' eucharistie, mais plûtost du mespris secret qu' ils en font, et qu' ils n' ont aucun soin de remplir ce vuide, ainsi qu' ils devroient, et de substituer au retranchement de cette nourriture divine, laquelle ils ne sont pas encore capables de bien digerer, quelque autre nourriture plus convenable à leur estat, qui pust servir à les fortifier, et à leur procurer peu à peu une assez grande vigueur pour pouvoir manger avec fruit le pain des forts. PARTIE 3 CHAPITRE 3 si l' inapplication aux choses de Dieu, ne peut point estre un sujet de s' abstenir de communier. apres avoir renversé dans le chapitre precedent le fondement general de vostre doctrine, il est necessaire d' en considerer quelques parties en particulier. ---------------------------------------------------------------------p657 (...). Vous ne sçauriez entendre par cette inapplication que le manquement d' attention, lors qu' on se presente à un mystere si auguste et si redoutable : de sorte que vous enseignez generallement, que le deffaut d' attention n' est pas un sujet legitime de porter un homme à s' esloigner de l' eucharistie, et que l' on fait fort bien de s' en approcher pour y trouver l' attention que l' on n' y apporte pas. Puis que vous avez dessein de faire passer vostre doctrine pour la doctrine des saints, je vous prie de conferer cette maxime avec ces paroles de Saint Bonaventure, (...). ---------------------------------------------------------------------p658 Voila de quelle sorte vostre doctrine se rapporte à celle des saints. Mais pour juger combien elle est dangereuse aux ames, il ne faut que considerer, que cette inapplication dont vous parlez, que la plus-part des gens du monde ressentent en ce qui regarde les exercices de pieté, ne vient d' autre chose, que de ce que leur esprit est tellement remply des vains phantosmes et des images charnelles, que les passions et les vices y impriment tous les jours, qu' il est impossible que les pensées des choses divines y trouvent place, et de ce que leur coeur est tellement attaché à la terre, qu' ils ne peuvent le lever au ciel. Et cependant comme si vous aviez dessein de les nourrir dans cette negligence criminelle, et de leur oster mesme le sentiment de leur mal, au lieu de leur representer comme Saint Bonaventure, (...). PARTIE 3 CHAPITRE 4 ---------------------------------------------------------------------p659 de l' estrange maxime de cet auteur ; que plus on est dénué de graces, plus on se doit hardiment approcher de Jesus-Christ dans l' eucharistie. mais vous passez encore bien plus avant, et je m' estonne que la main ne vous tremble, lors que vous escrivez ces paroles si contraires aux premiers sentimens de la pieté chrestienne, et au respect que nous devons à Jesus-Christ. (...). Si je voulois prendre cette proposition dans le sens que les termes portent, je vous pourrois dire qu' elle contient l' heresie de Luther et de Calvin, contre la preparation necessaire pour la reception de l' eucharistie ; et qu' elle donne lieu à tous les impies, qui s' approchent de ce sacrement, ayant la conscience chargée de mille ---------------------------------------------------------------------p660 crimes, de s' excuser de leurs sacrileges, puis que de là ils peuvent prendre sujet de respondre à ceux qui voudroient reprendre leur temerité criminelle, que tant plus ils se sont trouvez dénuez de grace, plus ils ont creu se devoir approcher hardiment de Jesus-Christ. Et l' exemple que vous apportez des pecheurs, que le sauveur du monde n' a jamais éloigné de soy, tandis qu' il a conversé parmy les hommes, fortifieroit encore cette interpretation. Car puis que la plus grande partie de ces pecheurs estoit dans l' estat de peché, et hors celuy de la grace, lors qu' ils s' approchoient de Jesus-Christ ; cét exemple n' est-il pas capable de porter aisément les hommes charnels à s' imaginer, qu' en demeurant dans tous les pechez, où leurs inclinations corrompuës les engagent miserablement ; ils feront fort bien de communier ; et que le fils de Dieu ne tiendra point à injure qu' ils s' approchent de luy en cét estat. Ce qui s' en conclud si facilement, que Saint Thomas apporte ce mesme exemple de ces pecheurs, qui s' approchoient de nostre seigneur lors qu' il estoit en ce monde, pour objection contre la doctrine catholique, de ne s' approcher de l' eucharistie, qu' en estat de grace et de charité ; et Luther en a fait l' un des principaux fondemens de son heresie contre cette mesme doctrine de l' eglise. Neantmoins, pour vous monstrer que je ne ---------------------------------------------------------------------p661 veux pas vous traitter avec rigueur ; je me renfermeray dans le meilleur sens, et le moins criminel que vous puissiez donner à ces paroles, qui est, qu' elles ne se doivent entendre qu' avec cette modification que vous avez exprimée dans l' article precedent, pourveu qu' il n' y ait point de peché mortel : c' est à dire, selon vostre doctrine, pourveu qu' en ayant commis, on s' en soit confessé auparavant. C' est tout ce que vous pouvez apporter pour vostre defense, et dire, que par ces graces, dont vous asseurez que plus on est dénué, plus on doit hardiment s' approcher de Jesus-Christ ; vous n' avez entendu que ces mouvemens de grace, par lesquels Dieu nous esclaire, nous eschauffe, nous remplit de devotion, et nous rend attentifs à ces mysteres. Toute la subtilité du monde ne sçauroit donner à vos termes une plus douce et plus favorable explication. Et cependant, qui sera le catholique à qui cette explication mesme ne donne de l' horreur ? Et qui pourra souffrir que dans l' eglise de Jesus-Christ, instruite par sa bouche mesme de la dignité de ce sacrement celeste, comme parle le concile ; instruite par la bouche de son apostre, de la punition qui menace ceux qui ne s' en approchent pas avec assez de reverence ; instruite par tant de saints de l' extréme soin que l' on doit avoir pour s' y preparer, et pour ne s' y presenter que dans des ---------------------------------------------------------------------p662 dispositions saintes, et dans une profonde humilité, on enseigne comme une excellente maxime, que tant plus que l' on se trouve avoir peu de devotion, peu de ferveur, de charité, peu de sentiment de Dieu, peu d' attention aux choses du ciel, on se doit plus hardiment approcher de Jesus-Christ ? C' est à dire, que la hardiesse de communier doit croistre, à proportion que l' on se sentira moins bien disposé pour le faire. Je n' en dis pas davantage, c' est perdre le temps, que de refuter ce qu' il ne faut que proposer à tous ceux qui ont la moindre pieté, pour estre rejetté comme impie. Il ne faut que rapporter ces maximes pour les destruire. Le blaspheme qu' elles contiennent est si visible, qu' il frappe les yeux d' abord, et l' impieté si grossiere et si claire, qu' elle n' a point besoin d' estre convaincuë. PARTIE 3 CHAPITRE 5 ---------------------------------------------------------------------p663 refutation des raisons que cét auteur apporte pour appuïer sa maxime. Dont la premiere est, que Jesus-Christ n' a point de plus grand contentement que de nous faire largesse de ses faveurs. Deux belles histoires des vies des peres. neantmoins, afin que vous ne vous plaigniez pas qu' on vous a condemné sans vous oüir ; il est raisonnable d' examiner les raisons sur lesquelles vous appuïez une doctrine si pernicieuse. La premiere est, que Jesus-Christ n' a point de plus grand contentement que de nous faire largesse de ses faveurs. et de là vous prendrez occasion de vous dispenser du respect, et de la reverence que vous luy devez ? Et parce qu' il est vostre bien-faicteur, vous traitterez aussi hardiment avec luy que s' il n' estoit pas vostre maistre ? C' est à dire, pour user des termes de Tertullien. Vous changerez sa liberalité toute libre en une servile necessité ? Mais vous deviez vous souvenir, et representer aux ames, pour ne les point tromper en des choses de si grande consequence, (...), ---------------------------------------------------------------------p664 et que s' il y a un mystere où il exerce jugement et misericorde, c' est principallement en celuy de l' eucharistie. Surquoy je me souviens de deux histoires admirables que Ruffin rapporte dans les vies des peres, où cette importante verité nous est representée par deux excellentes images. La premiere est, que Dieu fit voir à Saint Machaire D' Alexandrie. (...). La seconde est, qu' un evesque avoit ce don de Dieu, (...). ---------------------------------------------------------------------p665 Remarquez dans ces visions, que la communion ne change point l' estat de ceux qui la reçoivent ; que l' on n' y trouve point ce que l' on n' y apporte pas, mais seulement accroissement de ce que l' on y apporte, soit en bien, soit en mal ; que celuy qui a le visage lumineux lors qu' il s' en approche, s' en retourne plein de lumiere, et que celuy qui est noir et hideux avant que de communier, est brûlé comme par le feu apres avoir communié : et qu' ainsi l' effet de l' eucharistie dépend de la preparation ; qu' elle est la lumiere pour les bons, qu' elle est la flamme pour les meschans ; et que Jesus-Christ y fait largesse aux uns de ses faveurs , et y exerce avec rigueur ses jugemens contre les autres. PARTIE 3 CHAPITRE 6 refutation de la seconde raison ; que tandis que Jesus-Christ a conversé parmy les hommes, il n' a jamais esloigné de soy les pecheurs. Que les exemples de ces pecheurs nous enseignent à n' approcher de l' eucharistie qu' avec une extréme reverence. la seconde raison, par laquelle vous voulez persuader, que plus on se trouve dénué de graces, plus on doit hardiment s' approcher de Jesus-Christ, c' est, (...). ---------------------------------------------------------------------p666 Je vous ay desja fait voir où cela alloit, et quelle porte vous ouvriez aux communions sacrileges. Je n' en veux rien dire davantage. Mais considerons seulement quelques exemples de ces pecheurs qui se sont approchez de Jesus-Christ dans l' evangile, pour juger s' ils nous donneront sujet de nous en approcher plus hardiment, plus nous nous trouverons dénuez de graces. Saint Pierre, pour avoir veu quelque marque de la puissance de Jesus-Christ dans le miracle de la prise des poissons, se jette à ses genoux, saisi de crainte et d' estonnement, et le prie de se retirer de luy parce qu' il estoit pecheur, (...) : et nous, qui ne connoissons plus Jesus-Christ selon la chair, mais comme rentré dans la clarté qu' il avoit avant que le monde fust, et comme celuy à qui toute puissance a esté donnée dans le ciel et sur la terre, nous serons d' autant plus hardis à le presser, qu' il se donne à nous dans un mystere remply de tant de prodiges, que nous nous trouverons plus grands pecheurs, et plus dénuez de graces. Le centenier n' ose pas luy-mesme aborder le fils de Dieu, il luy envoye ses amis pour le prier de guerir son serviteur, et s' il luy parle luy-mesme, ce que Saint Augustin ne croit pas, ce n' est que pour luy protester de nouveau qu' il ---------------------------------------------------------------------p667 ne merite pas qu' il prenne la peine de venir chez luy, quoy que Jesus-Christ s' y fust offert luy-mesme ; l' eglise nous met tous les jours ses paroles dans la bouche pour nous imprimer son humilité dans le coeur : et vous voulez que non seulement nous recevions Jesus-Christ chez nous, lors que nous en sommes indignes, mais qu' en cela méme, que nous nous sentons moins preparez à une telle visite, nous le pressions d' y venir avec plus de hardiesse. L' hemoroïsse que les peres nous enseignent, avoir esté la figure des payens qui ont creu en Jesus-Christ, et qui represente en mesme temps ceux qui ont vieilly dans leurs pechez, quoy qu' elle bruslast du desir de sa guerison, pour laquelle elle avoit tant travaillé jusques à y dependre tout son bien, n' a pas la hardiesse de se presenter à Jesus-Christ, mais s' approche seulement de luy par derriere, et n' ose pas le toucher luy-mesme, mais sa robbe seulement, et encore de sa robbe les seules franges ; et tout cela avec tant de reverence et de respect, qu' apres mesme avoir receu la recompense de sa foy, elle se jette aux pieds du sauveur avec l' apprehension et le tremblement, timens et tremens, comme se connoissant coupable d' une trop grande presomption : et vous, vous voulez que ceux qui se sont nourris dans le vice, et qui n' ont jamais travaillé à guerir leurs playes par les remedes de la penitence, s' approchent ---------------------------------------------------------------------p668 de Jesus-Christ, non plus mortel, et couvert de nos infirmitez, mais immortel et revestu de la gloire de son pere, et ne s' en approchent pas seulement, mais le prennent, et le mangent avec d' autant plus d' effronterie, qu' ils ressentiront en eux moins de mouvemens de pieté. Cette pecheresse, en qui Dieu avoit estouffé le feu de l' amour du monde par l' embrazement de l' amour du ciel, s' approcha bien du sauveur, mais comme remarque Saint Basile, (...) : et vous, vous voulez que des personnes apres l' avoir imitée dans ses déreglemens sans l' avoir imitée dans sa penitence, estans encore remplies d' amour d' elles-mesmes, et attachées prodigieusement au monde, se presentent à Jesus-Christ pour recevoir un baiser de sa bouche, selon le langage des peres qui expliquent de l' eucharistie cette parole de l' espouse, (...) avec d' autant plus de hardiesse qu' elles se trouveront plus tiedes, plus froides, et moins embrasées de son amour. Adjoustons ce que Saint Bernard remarque divinement, que cette sainte répandit deux fois ses parfuns sur Jesus-Christ. (...). ---------------------------------------------------------------------p669 Que les pecheurs ayent donc recours à Jesus-Christ, comme à l' unique medecin de leurs maladies : mais que ce soit dans la crainte, et dans le tremblement, et dans une profonde humilité qui leur fasse reconnoistre, comme à Saint Pierre, qu' ils meriteroient qu' il s' esloignast d' eux. Qu' à l' exemple du centenier, ils envoyent vers luy pour ambassadeurs, et pour tesmoins de leur douleur, leurs gemissemens, et leurs larmes, comme parle l' eglise de ---------------------------------------------------------------------p670 Rome dans une lettre écrite à Saint Cyprien, (...). Qu' imitans l' hemoroïsse, ils se contentent de toucher les franges de sa robbe, c' est à dire, selon l' explication des peres, et selon le conseil de Saint Chrysostome, de se purifier par les paroles qui sont sorties de son humanité sainte, comme de la robbe qu' il a prise en s' incarnant. Et qu' enfin, suivant les traces de cette humble pecheresse, ils ne se croyent pas dignes d' offrir le sacrifice de loüange, aussi-tost qu' ils auront offert celuy de componction ; qu' ils ne passent pas si tost des pieds à la teste, ny des pleurs de la penitence à la joye de l' eucharistie, (...). PARTIE 3 CHAPITRE 7 s' il ne faut point d' autre disposition pour communier avec fruit, que d' estre en grace, ou s' imaginer y estre, et tascher d' avoir de la devotion, sentimens des peres sur ce sujet. ---------------------------------------------------------------------p671 apres avoir porté toutes sortes de personnes à communier tres-souvent, sans leur avoir dit un seul mot des preparations necessaires pour une action si importante, comme s' il n' en estoit besoin d' aucune ; vous vous avisez enfin, de le faire en cét article, et d' y expliquer la disposition necessaire pour communier utilement . Mais il valloit bien mieux se taire, que de parler si bassement de la preparation qu' il faut apporter à un mystere si eslevé. Car vous n' y desirez que deux choses. (...). Et encore pour cette seconde, il est bien aisé de voir ---------------------------------------------------------------------p672 que vous la renversez en effét, lors que vous tesmoignez en apparence la vouloir establir, et que vous la reduisez à n' estre plus qu' un amusement et un phantosme, puis que vous voulez, (...). De sorte, que tout se reduit à cette grace acquise par le sacrement de penitence ; et ce sacrement de penitence à une simple confession, selon vos articles precedens ; et cela mesme n' est pas absolument necessaire, selon l' opinion la plus probable ; mais c' est assez de ne se connoistre pas en peché mortel. Voila quelle est vostre doctrine touchant la disposition necessaire, non seulement pour communier, mais pour communier tres-souvent, puis que c' est de la frequente communion que vous traittez en cét escrit. Je n' en veux pas juger par moy-mesme ; mais je vous veux seulement monstrer le plus briévement que je pourray, qu' elle a tres-peu de rapport à ce que l' eglise de Dieu nous enseigne sur ce sujet, par la bouche des saints peres. Saint Denis je ne puis mieux commencer que par l' interprete divin de la hierarchie sacrée. Le grand Saint Denis nous enseigne, (...). ---------------------------------------------------------------------p674 Saint Justin Saint Justin le martyr expliquant ce sacrement dans la seconde apologie, nous apprend, (...). De sorte que si c' est vivre comme Jesus-Christ nous a enseigné, que de vivre dans toutes sortes de pechez, pourveu que l' on s' en confesse, vous avez raison de croire, qu' une simple confession sans amendement rend un homme digne de communier. Saint Basile je ne vous repete point ce que je vous ay desja rapporté de Saint Basile au livre premier du baptesme, (...). Mais pour vous monstrer comme il estoit ferme dans ce sentiment, il repete la mesme ---------------------------------------------------------------------p675 chose dans ses moralles, et encore s' il se peut avec des paroles plus puissantes. (...). Saint Ambroise Saint Ambroise, pour exhorter son peuple à communier, luy represente, (...). Mais pour leur apprendre, quelle devoit estre la preparation necessaire pour ne point recevoir ce corps à sa condemnation : (...). ---------------------------------------------------------------------p676 Saint Chrysostome si les divers endroits de Saint Chrysostome, que je vous ay rapportez, ne vous ont pas encore appris, combien la pureté et la vertu de celuy qui participe à cette victime sans tache, doit estre grande, j' y veux adjouster pour vous satisfaire entierement, et pour vous donner sujet de mieux conferer vostre doctrine avec la sienne, ce que cét homme incomparable animé de l' esprit de Dieu declare à son peuple, sur la grandeur de cette preparation, lors mesme qu' il témoigne desirer que l' on s' approchast continuellement de l' eucharistie. C' est dans l' une de ses homelies sur l' epistre aux hebreux, où il ne parle pas de luy-mesme, mais explique seulement ces paroles admirables de l' eglise dans la celebration des mysteres, (...). ---------------------------------------------------------------------p678 Saint Hierosme Saint Hierosme expliquant cette parole de Zacharie, (...). Mais ce qu' il y a de plus considerable, c' est que ce pere nous enseigne, que non seulement ceux qui reçoivent le corps et le sang de Jesus-Christ, ayant la conscience chargée de ---------------------------------------------------------------------p679 crimes mangent et boivent leur propre condemnation, mais ceux aussi qui retournent dans le vice apres avoir communié. Car expliquant ces paroles du pseaume ; (...). Saint Augustin Saint Augustin dans ses traittez sur Saint Jean explique en cette maniere ces paroles de l' evangile, le pain que je donneray c' est ma chair pour la vie du monde. (...). ---------------------------------------------------------------------p680 D' où nous apprenons que comme l' eucharistie est la mesme viande que celle qui se mange dans le ciel, il faut necessairement que la pureté du coeur des fidelles qui la mangent icy bas, ait de la convenance et de la proportion avec celles des bien-heureux, et qu' il n' y ait autre ---------------------------------------------------------------------p681 difference qu' autant qu' il y en a entre la foy et la claire vision de Dieu, de laquelle seule despend la differente maniere dont on la mange dans la terre et dans le ciel. C' est pourquoy Saint Augustin applique avec grande raison le mesme passage de l' evangile à toutes les deux manducations, et l' eglise a inseré ses paroles dans l' office du premier jour de l' octave du saint sacrement, afin d' obliger les fidelles à bien peser la disposition avec laquelle ils le doivent recevoir. Et de là il s' ensuit clairement, que celuy qui brusle encore du desir des biens du monde, apres avoir receu Jesus-Christ dans l' eucharistie, luy fait à proportion la mesme injure, qu' un bien-heureux feroit à Dieu, si apres s' estre donné à luy, il desiroit encore quelque autre bien. Car l' un suppose aussi bien que l' autre, qu' il n' est pas nourry de la plenitude de tous les biens, qui sont enfermez dans le corps de Jesus-Christ. Theodoret et Psellus. Theodoret, comme tous les autres peres, veut que la bonne vie soit la principalle disposition pour recevoir l' eucharistie, lors qu' il explique les paroles de S Paul : (...). ---------------------------------------------------------------------p682 Le mesme pere en un autre lieu declare excellemment en peu de mots, quelle doit estre la vertu et la pureté de ceux, qui s' approchent de cette table divine. C' est sur ces paroles du cantique des cantiques : (...). Et Psellus sur le mesme endroit fait parler ainsi l' espoux à l' espouse ; (...). ---------------------------------------------------------------------p683 Gennadius Gennadius dans le passage des dogmes ecclesiastiques, que vous-mesme avez cité, et que nous avons rapporté plus haut, soûtient, que lors qu' un homme s' approche de l' eucharistie, ayant la conscience engagée dans quelque affection de peché, mesme veniel, la communion charge plus la conscience qu' elle ne la purifie . Et ce sentiment que Gennadius avoit pris des peres qui l' ont precedé, et particulierement de Saint Denis dans sa hierarchie, a esté suivy d' une infinité d' auteurs qui sont venus depuis luy, lesquels ont tous approuvé cette maxime, comme tres-conforme aux principes de nostre foy. Saint Gregoire Saint-Gregoire expliquant ces paroles du cantique d' Anne, (...), nous enseigne qu' elles s' accomplissent tous les jours dans la reception de l' eucharistie, où il n' y a que les affamez qui soient rassasiez, et ceux qui sont remplis demeurent vuides, et n' y peuvent trouver de rassasiement. (...). ---------------------------------------------------------------------p685 Saint Bernard Saint Bernard au livre de la maniere de bien vivre, prononce comme une verité indubitable, qu' il faut accomplir la verité de Jesus-Christ, en faisant de bonnes oeuvres, auparavant que de pretendre de se nourrir de son corps. (...). Saint Thomas que si nous voulons passer des peres aux docteurs de l' eschole, nous trouverons ---------------------------------------------------------------------p686 la mesme doctrine dans ces deux grands saints, qui en ont esté les chefs, et les colomnes, ou pour mieux dire, les deux anges, Saint Thomas, et Saint Bonaventure. Pour le premier, outre une infinité de choses excellentes, que l' on peut lire sur ce sujet dans ses opuscules du saint sacrement, ce qu' il dit au mesme endroit en peu de paroles, est suffisant pour apprendre à tous les pecheurs, de quelle sorte il se faut preparer pour recevoir l' eucharistie, puis qu' il enseigne, (...). Saint Bonaventure pour Saint Bonaventure, je me contenteray d' un seul passage entre un grand nombre de tres-remarquables sur ce sujet. Dont j' en ay desja rapporté une partie, pour vous faire concevoir combien vostre doctrine est éloignée des sentimens de tous les saints. (...). ---------------------------------------------------------------------p688 Avila je concluray ces authoritez par celle d' un grand serviteur de Dieu de ces derniers temps, afin de vous faire voir que non seulement la doctrine des saints peres, mais aussi les sentimens communs de la pieté chrestienne sont entierement contraires à vos mauvaises maximes, qui ne tendent qu' à diminuer la preparation que demande un sacrement si auguste et si redoutable pour y pousser indiscrettement tout le monde. Jean Avila excellent prestre d' Espagne, outre ce que nous en avons rapporté en un autre endroit, parle ainsi dans l' une de ses lettres de la preparation à l' eucharistie. (...). ---------------------------------------------------------------------p691 Et dans une autre lettre écrivant à un predicateur, il l' instruit de la mesme sorte sur cette matiere. (...). Conclusion de ces autoritez. Il n' est pas beaucoup necessaire de faire le parallelle de vostre doctrine avec celle de tous ces peres, descendus depuis Jesus-Christ jusques à nous, comme je vous la viens de monstrer, par cette chaisne sacrée de la perpetuelle tradition de l' eglise. Je vous prie seulement de considerer, que selon le consentement general des peres, que le concile de Trente allegue tant de fois comme une regle inviolable, c' est par la pureté de la vie, par l' innocence des actions, par l' exercice des bonnes oeuvres, par le dégagement de la corruption du monde, par l' union avec Dieu, et enfin par un estat ferme et persistant dans la vertu chrestienne, que l' on doit juger un homme digne de recevoir l' eucharistie. De sorte, que le fondement general des dispositions necessaires pour communier avec fruit, selon la doctrine de l' eglise, c' est de vivre chrestiennement. C' est par là qu' il faut commencer l' espreuve de nous-mesmes, que Saint Paul veut que nous fassions avant que de manger de ce pain celeste, examiner serieusement si nous sommes ---------------------------------------------------------------------p692 veritablement chrestiens : si nos moeurs sont conformes à nostre creance : si nous executons fidellement ce que nous avons promis dans nostre baptesme : si nous sommes disciples de Jesus-Christ : si nous marchons sur ses pas, ainsi qu' il nous l' a commandé. Et si nous trouvons le contraire, corriger nostre vie, changer de vie, avant que de manger la vie, selon l' ordonnance de Saint Ambroise, (...) ; et faire en sorte selon Saint Bernard ; que Jesus-Christ demeure en nous par la foy, et par les bonnes oeuvres, pour pouvoir utilement manger sa chair et boire son sang. Se peut il rien concevoir de plus raisonnable et de plus conforme à l' esprit du christianisme ? Et si la foy nous enseigne, qu' il n' y a que les chrestiens et les baptisez qui soient capables de ce mystere, la lumiere seule de la raison nous doit-elle pas faire conclure, qu' il faut vivre en chrestien et en baptisé, c' est à dire, selon les enseignemens de l' evangile, pour meriter de communier, et que lors que par ses pechez l' on s' est exclus soy-mesme de cette table, il n' y a point d' autre moyen d' y rentrer, que de rentrer par la penitence dans l' accomplissement des obligations de son baptesme. PARTIE 3 CHAPITRE 8 ---------------------------------------------------------------------p693 si tous ceux qui ne pensent pas estre en peché mortel, ne pechent point en recevant le saint sacrement, ainsi que cét auteur soustient. que l' aveuglement et la negligence n' excusent point de peché, ceux qui communient estant en peché mortel, ne croyant pas y estre. mais sans nous arrester d' avantage à une chose si claire, il vaut mieux que nous passions à ce que vous dites, (...). Je ne veux point à cette heure disputer contre cette opinion, que vous croyez la plus probable : il me suffit de vous dire, que pour empescher que les ames n' en abusassent à leur ruïne, vous estiez obligé de ne la leur proposer, qu' avec l' explication que ses auteurs luy donnent, qui vous eust fait voir, que quand elle seroit aussi certaine, qu' elle l' est peu, elle n' empescheroit pas qu' une infinité de personnes ---------------------------------------------------------------------p694 ne commissent des sacrileges, en recevant l' eucharistie, lors mesme qu' ils ne pensent pas estre en estat de peché mortel. Car tous ceux qui sont de ce sentiment, ne laissent pas d' avoüer, qu' un homme communie indignement, quoy qu' il ne se croye pas en peché mortel, si c' est par sa faute qu' il a de luy-mesme cette creance. Ce qui arrive principalement de deux chefs, comme Saint Thomas enseigne, (...). Cela estant, vous persuaderez-vous, que ce grand nombre de personnes qui ne pensent à autre chose qu' à s' aveugler elles-mesmes, et trouver des couvertures à leurs crimes, soient excusables devant Dieu de toutes leurs communions sacrileges, pour ne s' estre pas creuës en peché mortel ? Croyez-vous que tant d' avares, qui s' imaginent pouvoir tromper Dieu, comme ils font les hommes, en trouvant moyen de pallier leurs usures ; que tant d' ecclesiastiques, qui bruslans d' un desir secret de s' engraisser ---------------------------------------------------------------------p695 du bien des pauvres, trouvent cent deguisemens pour trafiquer impunément des choses saintes ; que tant de prestres qui ne pensent point offenser Dieu, lors que sans vocation, sans suffisance, sans vertu, ils s' ingerent dans le ministere de l' eglise, par des considerations toutes charnelles ; que tant de femmes qui se croyent innocentes, en prenant plaisir de faire commettre mille crimes, ou qui s' imaginent n' estre nées que pour vivre en payennes : pensez vous, dis-je, que toutes ces personnes, et une infinité d' autres semblables, recevant le corps de Jesus-Christ dans cette fausse persuasion, qu' elles ne sont point en peché mortel, évitent la punition, dont l' apostre menace tous ceux qui s' approchent de l' eucharistie, avec une conscience impure ? Et moy, je vous soustiens au contraire, que souvent il n' y en a point qui communient avec plus d' indignité, que les personnes de cette sorte, qui au milieu de leurs vices ne se reconnoissent point coupables ; parce que ces tenebres, dont leur esprit est couvert, et qui leur ostent le discernement du bien, et du mal, ne sont que des marques visibles de la depravation de leur ame, et des punitions invisibles que Dieu exerce sur elles pour punition de leurs pechez, respandant, comme dit S Augustin, de justes aveuglemens sur des passions dereglees, (...). ---------------------------------------------------------------------p696 Que si nous passons à l' autre chef, dont Saint Thomas parle, c' est à dire, à la negligence de l' espreuve de soy-mesme, il est facile à juger que c' est la source la plus generale de toutes les mauvaises communions. Car la plus-part du monde se persuadant, que cette espreuve ne consiste à autre chose qu' à faire une exacte recherche de tous les pechez que l' on a commis, il ne se trouve presque personne qui sonde le fonds de son coeur, et qui interroge sa conscience sur la ferme et la veritable resolution, que tout penitent doit avoir pour obtenir la remission de ses pechez, de se donner à Dieu, de changer de vie, de se dégager pour jamais de la servitude du peché, et de vivre à l' avenir selon les obligations de son baptesme. (...). Et il arrive de là, que faute de se bien examiner sur ce point, tant de pecheurs s' approchent avec confiance de l' eucharistie, ne s' appercevans pas qu' ils n' ont fait que descharger leur memoire de leurs pechez, et qu' ils n' en ont point deschargé leur coeur. Que toutes ces confessions des levres qui ne sont point accompagnées du veritable dessein de servir Dieu, ne sont que des discours, et non pas des confessions : (...), dit excellemment le pape ---------------------------------------------------------------------p697 Nicolas premier : et que si toutes ces fausses penitences les justifient devant les hommes, elles ne les rendent que plus coupables devant celuy, qui ne s' arreste point à l' apparence des choses, mais qui penetre jusqu' au plus profond, et au plus caché de tous les replis de nostre ame. Et certes il faut estre possedé d' un estrange aveuglement, pour n' estre pas touché par sa propre experience, et n' entrer pas pour le moins en quelque crainte que toutes nos confessions, et toutes nos communions ne soient autant de sacrileges, lors que nous voyons sensiblement qu' elles n' ont jamais produit aucun amendement en nostre vie. Car puis que les sacremens ne manquent jamais de produire leurs effets, toutes les fois que nous sommes disposez de les recevoir, lors que nous ne reconnoissons point en nous aucune marque de ces efféts, mais plustost des marques toutes contraires ; sommes-nous pas bien aveuglez, et bien remplis de tenebres, si nous ne reconnoissons en mesme temps, que c' est nostre mauvaise disposition, qui arreste le cours de ces sources spirituelles, et empesche que les eaux de la grace n' en découlent sur nos ames ? De sorte, que l' un des principaux efféts de l' eucharistie, estant de nous donner de la force contre les attaques de nos ennemis, et de nous servir d' un celeste contre-poison, qui nous empesche d' estre infectez ---------------------------------------------------------------------p698 de nouveau par le venin des pechez mortels, comme le concile de Trente nous enseigne ; n' est-ce pas se vouloir tromper soy-mesme, que de se persuader que l' on reçoit ce sacrement avec fruit, lors que l' on n' en ressent jamais aucune force nouvelle, et que l' on retombe tousjours dans ses crimes avec la mesme facilité. Enfin pour finir ce chapitre, il ne faut que considerer, que le sauveur ne dit pas de celuy qui mange sa chair, et boit son sang, il est en moy, et je suis en luy ; mais il demeure en moy, et moy en luy. (...). D' où nous pouvons aisément apprendre, puis que toutes les paroles de Jesus-Christ ont leur poids, que l' effét de l' eucharistie n' est pas de faire que Jesus-Christ vienne en nostre ame, comme par une visite passagere, mais qu' il y establisse sa demeure, qu' il s' en rende le possesseur, et le maistre, qu' il en fasse son palais, et son royaume, qu' il y habite, et qu' il y regne. Car il est clair que dans l' escriture le mot de, manet, signifie une demeure ferme et asseurée : d' où vient que Saint Paul, pour exprimer que nous n' avons point en ce monde d' establissement stable et asseuré, mais que nous cherchons une meilleure patrie, se sert de ces termes : (...). Et Saint Jean Baptiste explique de la mesme sorte, que la ---------------------------------------------------------------------p699 cholere de Dieu demeure eternellement sur ceux qui ne croyent point en Jesus-Christ. (...). Que si nous considerons que ces paroles du sauveur : (...), comprennent en mesme temps, selon les peres, et la preparation à l' eucharistie, et l' effét de l' eucharistie ; parce que ce sacrement nous unit avec Jesus-Christ, et nous y suppose unis, comme la nourriture ne profite qu' aux membres qui sont joints aux corps ; nous en pouvons apprendre deux excellentes veritez. La premiere que puis qu' il faut demeurer en Jesus-Christ, pour manger la chair de Jesus-Christ, comme dit Saint Augustin, et apres luy Saint Bernard, nous devons avoir soin, qu' avant que de communier nous demeurions veritablement en Jesus-Christ. (...). C' est à dire, selon la force de ce mot dans l' escriture, que nous ayons acquis par l' exercice des bonnes oeuvres une ferme et stable demeure en nostre seigneur, et non pas seulement une visite passagere, qui n' est bien souvent qu' apparente, par une legere conversion, qui ne laisse rien dans nostre ame de permanent et de solide. La seconde, que l' eucharistie nous doit ---------------------------------------------------------------------p700 faire demeurer fermes et stables en Jesus-Christ, (...). Et qu' ainsi Saint Augustin a grande raison de dire, que la marque d' où nous pouvons reconnoistre, si nous avons mangé ce pain en la maniere que le sauveur du monde entend qu' il soit mangé par les fidelles, c' est de considerer s' il demeure en nous, et nous en luy ; s' il habite en nous, et si nous habitons en luy ; s' il se joint à nous de telle sorte qu' il ne s' en separe point. (...). PARTIE 3 CHAPITRE 9 de la devotion qui est necessaire pour communier avec fruit. ---------------------------------------------------------------------p701 si vous aviez bien compris ce que c' est que devotion, vous auriez sans doute beaucoup plûtost dit, que tres-souvent on se persuade d' avoir de la devotion, n' en ayant point, que non pas (ce que vous asseurez icy pour flatter les ames) qu' on croit souvent n' avoir point de devotion, encore que l' on en ait. Mais pour n' entrer point dans un discours qui seroit trop long, pensez-vous que cette volonté effective de plaire à Dieu, en laquelle vous dites que la devotion consiste, se trouve en tant de personnes ? Pensez-vous qu' elle se trouve en tous ceux qui croyent l' avoir ? Pensez-vous que toutes ces actes que l' on forme en son esprit, qui ne sont pour l' ordinaire que de simples pensées de l' esprit, et non point des affections du coeur, soient autant de volontez effectives de plaire à Dieu ? Les volontez effectives ne se reconnoissent que par les effets, et ces effets ne sont pas des paroles, mais des oeuvres, et ces oeuvres ne sont pas seulement de se confesser, et communier souvent, enquoy la plus-part des hommes veulent mettre aujourdhuy ---------------------------------------------------------------------p702 toute la devotion, mais d' accomplir fidellement la volonté du pere eternel. (...). Voila ce que c' est que d' estre devot : voila ce que c' est que d' avoir une volonté effective de plaire à Dieu. Si ce n' est qu' aux ames qui se trouvent en cét estat que vous conseillez de communier souvent, nous sommes d' accord. Mais si vous vous imaginez que sans regler sa vie selon les enseignemens de l' evangile, sans témoigner par ses actions que l' on est veritablement disciple de Jesus-Christ, sans marcher dans la voye estroite, sans se dégager de la corruption du monde, l' on ne laisse pas d' estre devot, et dans la volonté ---------------------------------------------------------------------p703 effective de plaire à Dieu, toutes les fois que l' on le dit à son confesseur ; c' est ce qui m' est aussi peu possible de croire, que de ne pas croire à la parole de Dieu, qui m' enseigne si formellement le contraire, non point en un endroit ou deux, quoy que ce ne fust que trop pour opposer à toutes les inventions des hommes, mais dans tout le corps des escritures divines. (...). Puis donc que c' est en mesme temps, et la preparation et l' effet de l' eucharistie, que de demeurer en Jesus-Christ, comme nous avons desja dit, la meilleure regle, et la plus asseurée, pour reconnoistre ceux qui meritent de communier souvent, c' est de ne pas tant regarder à ce qu' ils disent, qu' à ce qu' ils font, et de quelle sorte ils marchent sur les pas du sauveur du monde. Car pour comprendre facilement ---------------------------------------------------------------------p704 l' obligation que nous avons tous, d' imiter la vie de nostre seigneur, selon que l' evangile nous la descrit, il ne faut que considerer que nous sommes tous religieux de la religion generalle que Jesus-Christ a instituée, et obligez à l' observation de sa regle, laquelle à la façon de tous les instituteurs des religions particulieres, qui l' ont appris de luy et de son esprit, il a voulu prattiquer luy-mesme avant que de la faire escrire, et engager par son exemple, avant toute autre persuasion ceux qui la voudroient embrasser. C' est pour cette raison, que le sauveur du monde a voulu mener une vie commune, et vivre comme homme parmy les hommes, et non point comme Saint Jean, qui a vescu en ange dans le desert, et en penitent hors le desert ; afin que sa vie estant plus semblable à celle des autres hommes, elle fust plus propre à servir de modelle à la vie de tous les chrestiens, de quelque condition et profession qu' ils fussent. Et cependant nous voyons aujourd' huy, que la plus grande partie des chrestiens qui se sont engagez à la religion, et à la regle de Jesus-Christ, se persuadent que c' est assez d' en porter les marques exterieures, sans prendre aucune peine de marcher sur ses traces, d' imiter sa vie, et d' observer sa regle, qui est toute dans la charité, dans le mespris, et dans la haine du monde, et dans l' esloignement de ---------------------------------------------------------------------p705 toutes les choses qui nous peuvent porter à offenser Dieu. Enquoy ils sont semblables à ceux d' entre les religieux qui ont degeneré de leur regle, et qui menent une vie contraire à celle de leur premiere institution. Toute la difference qu' il y a, c' est que les hommes tant soit peu raisonnables trouvent bon, que l' on reforme les religions particulieres, et que l' on les ramene à l' observance de leur regle, et à l' imitation de la vie de leurs premiers instituteurs, quelque universel, et quelque inveteré que puisse estre le relaschement contraire. Mais il n' y a presque personne qui veüille souffrir aujourd' huy, qu' on ramene les religieux de la religion generalle de Jesus-Christ à une serieuse observation de la regle qu' ils ont voüée, c' est à dire, de l' evangile ; qu' on les oblige de se conformer à la vie de leur divin instituteur, et de marcher comme il a marché. Ils s' en croyent dispensez par la coustume. Ils se persuadent, que le temps a prescrit contre les loix de Dieu. Ils se contentent de voir qu' on vit de la sorte : ils ne s' enquierent point si l' on doit vivre autrement. Tous prests mesme d' accuser d' orgueil et de singularité, ceux qui s' efforcent plus qu' ils ne font à se conformer aux enseignemens de l' evangile, à marcher dans la voye estroite du ciel, et à ne pas suivre aveuglément tous les déreglemens, et tous les desordres, qui semblent autorisez par le long usage. ---------------------------------------------------------------------p706 Les vices grossiers ne passent pas encore pour legitimes, mais au moins pour tres-pardonnables : ceux qui en sont exempts passent pour saints, quelques vices de l' esprit qui les possedent, quelque vanité qui les enfle, quelque ambition qui les brusle, quelque avarice qui les ronge, quelques haines et quelques envies qui les deschirent. On ne juge plus de la devotion que par les frequentes communions : et on juge dignes de communier souvent, tous ceux qui confessent souvent leurs crimes, quoy qu' ils ne les quittent jamais. C' est assez qu' ils le fassent en intention de s' en détacher , et on croit que ces personnes ensevelies dans les vices, ont des volontez effectives de plaire à Dieu, toutes les fois qu' elles le disent à leur confesseur, quoy que l' on n' en voye jamais aucun effét. Saint Ambroise dit excellemment, (...). Mais aujourdhuy l' on veut allier deux nourritures si contraires. Ceux qui mangent tous les jours la chair du serpent et du dragon, mangent tous les huit jours la chair de Jesus-Christ aussi hardiment que les saints. Je dis plus. N' est-ce pas une chose horrible ---------------------------------------------------------------------p707 que nous poussions à se nourrir de Jesus-Christ, ceux que selon le langage de l' escriture, et des peres, nous devons tenir pour antechrists. (...). PARTIE 3 CHAPITRE 10 ---------------------------------------------------------------------p708 si ceux qui sont remplis de l' amour d' eux-mesmes, et si attachez au monde que de merveille font tres-bien de communier souvent. vous avez grande raison de dire que le point, que vous proposez en cét article, est dans les regles precedentes ; puis que s' en est une suitte legitime, et un digne couronnement de vos excez. Il estoit tres-raisonnable qu' apres avoir poussé toutes sortes de personnes à s' approcher de cette table divine, avec ---------------------------------------------------------------------p709 d' autant plus de hardiesse, qu' elles se trouveroient davantage denuées de graces ; vous portassiez par mesme moyen à communier souvent celles qui se trouveroient remplies d' amour d' elle-mesmes ; et qu' apres avoir declaré, que quelque inapplication aux choses de Dieu que l' on ressentist, l' on ne devoit point s' abstenir de recevoir l' eucharistie, vous continuassiez à enseigner que c' estoit rendre un grand honneur à Jesus-Christ de manger souvent son corps, estant attaché prodigieusement au monde qui est son plus grand ennemy. Il estoit impossible de trouver une plus juste proportion entre vos regles, puis que rien ne s' accorde mieux ensemble que la privation de la grace, et la plenitude de l' amour propre ; l' inapplication aux choses de Dieu, et l' attachement à celles du monde. Mais d' autant plus que ces principes se trouvent conformes entr' eux, d' autant plus sont-ils opposez à l' eternelle verité que l' escriture et la tradition de l' eglise nous enseignent. (...). Et ainsi selon cette regle divine de ce grand ---------------------------------------------------------------------p710 saint, ceux qui se trouvent remplis d' amour d' eux-mesmes peuvent-ils douter qu' ils ne soient du nombre des citoyens de Babylone ? Et cela estant, que faites vous autre chose en les poussant à la sainte communion, que de prendre le pain que Jesus-Christ n' a donné qu' aux enfans de Jerusalem, pour le donner aux enfans de son ennemie ? (...) ; quel honneur peuvent rendre à Jesus-Christ, en communiant souvent ceux, qui sont attachez au monde par un amour excessif, que semblable à cét honneur que Judas luy rendit en le baisant, et les juifs en le saluant comme leur roy. Et veritablement y a-t' il une plus mauvaise disposition pour participer souvent à ce mystere ineffable de l' amour divin, que d' y apporter un coeur rempli de l' amour du monde, et de soy-mesme, de cette charité terrestre directement opposée à la charité celeste, et qui n' est pas moins la reyne et l' origine des vices, que l' autre est la reyne, et l' origine des vertus. Car c' est ainsi que Saint Paul, et apres luy Saint Augustin nous ont appris, qu' il falloit considerer ces deux amours, comme deux sources generalles de tous les biens, et de tous les maux de nostre ame ; l' amour de Dieu de ---------------------------------------------------------------------p711 tout le bien ; l' amour de soy-mesme de tout le mal. C' est pourquoy comme l' apostre d' une-part appelle l' amour de Dieu, la plenitude de la loy, et luy attribuë les actions de toutes les autres vertus, en disant que la charité est patiente, qu' elle est douce, qu' elle n' est point jalouse , et le reste : ainsi d' autre-part, pour descrire la corruption des derniers temps, et cét horrible deluge de toutes sortes de vices, qui devoit inonder le monde sur la fin des siecles, il establit l' amour de soy-mesme , pour la racine et le fondement de tous les autres. (...). Puis donc que vous jugez si bien disposez pour recevoir l' eucharistie, ceux qui sont remplis de l' amour d' eux-mesmes, puis que vous ---------------------------------------------------------------------p712 leur asseurez, qu' ils font tres-bien de communier souvent, et qu' ils rendent par ce moyen un grand honneur au fils de Dieu ; augmentez ce grand honneur que Dieu reçoit par ces communions frequentes ; ne separez point les branches du tronc ; joignez les ruisseaux à la source : poussez à communier tous les jours, si ce n' est assez de tous les huict jours, tous ceux qui se trouveront remplis d' avarice, de vanité, d' orgueil, de perfidie, d' impieté, d' incontinence, et de ces autres belles qualitez, que Saint Paul nous propose comme la suite de cét amour de soy-mesme ; et pour accommoder toutes choses à vos principes, et renverser le langage de l' eglise, apres en avoir renversé les sentimens, au lieu qu' autresfois elle faisoit prononcer par ses diacres, Sancta Sanctis, les choses saintes sont pour les saints, afin qu' il n' y eust que les justes et les saints, qui eussent la hardiesse d' approcher de l' eucharistie : pour faire plus aisément reüssir vostre dessein, faites retentir cette voix à l' entour de nos autels, (...). Les choses saintes sont pour ceux qui s' ayment eux-mesmes, pour les avares, les vains, les superbes, et autres semblables. Et ce qu' il y a de considerable, c' est que le pretexte que vous prenez pour l' establissement de vostre mauvaise maxime, s' accommode égallement bien à toutes sortes de vices. Car ---------------------------------------------------------------------p713 qui est celuy qui ne puisse dire, qu' il communie en esperance de se détacher du vice dont il est rempli ? Qui est le concubinaire qui ne puisse dire, qu' il approche souvent de l' autel en esperance de se détacher de l' amour de sa concubine ? Qui ne peut dire en nourrissant des inimitiez mortelles dans son coeur, que c' est dans l' esperance de s' en détacher qu' il reçoit l' eucharistie ? Le plus avare et le plus ambitieux de tous les hommes ne pourra-t' il pas dire de la mesme sorte, que c' est en esperance de se détacher de son avarice, ou de son ambition, qu' il se presente souvent à cette table sacrée ? Mais ne semble-t' il pas que Saint Paul nous ait voulu marquer ce desordre, puis qu' apres le denombrement de ces vices qu' il joint à l' amour de soy-mesme, comme des ruisseaux infectez de cette source empoisonnée, il adjoûte, comme pour derniere marque de ces hommes corrompus, qu' ils n' auront que l' apparence de la pieté, et n' en auront point la verité ny l' effét. Voila l' image accomplie de ces personnes, dont vous parlez, qui estans remplies de l' amour d' elles-mesmes, et attachées prodigieusement au monde, ne laissent pas selon ces conseils de frequenter les sacremens, avec d' autant plus de hardiesse qu' elles ont moins de vertu ; qui par cette fausse apparence de pieté dont ---------------------------------------------------------------------p714 parle l' apostre s' imaginent honorer Dieu par leurs frequentes communions, en le deshonorant sans cesse par les déreglemens de leur vie ; et se nourrissent dans cette malheureuse presomption, que sans se mettre en peine d' accomplir les preceptes de Jesus-Christ, et de suivre l' exemple qu' il nous a laissé, ils ne laisseront pas d' estre traittez de luy comme ses enfans et ses bien-aymez, pour s' estre souvent assis à sa table. Mais il n' est pas si estrange, que l' aveuglement des hommes enchantez de l' amour du monde, et qui ne travaillent à autre chose qu' à pouvoir allier Jesus-Christ avec Belial, leur fasse embrasser un chemin si court et si facile, pour aller en paradis sans beaucoup de peine. Ce qui est deplorable, c' est qu' ils trouvent des conducteurs, qui entreprennent de les y mener par ce chemin ; qui veulent malgré Jesus-Christ, que sans marcher dans la voye estroitte, l' on ne laisse pas de parvenir à la vie ; et enfin qui selon l' excellente parole de Saint Augustin, au lieu d' estre les predicateurs de Dieu, se rendent les predicateurs du serpent, en promettant aux hommes ce que Dieu ne leur promet pas. Car en la mesme sorte que Dieu ayant menacé de mort les premiers hommes s' ils mangeoient du fruit defendu, le serpent leur promet au contraire qu' ils ne mourroient pas, quoy qu' ils en mangeassent. nequaquam ---------------------------------------------------------------------p715 moriemini. ainsi Dieu nous asseurant par la bouche de Saint Paul, que ceux qui s' approchent de cette table avec une conscience corrompuë, trouvent leur mort dans cette viande divine, et entre ceux dont la conscience est corrompuë, marquant en teste les hommes amoureux d' eux-mesmes, (...) ; vous entreprenez neantmoins de persuader à ces gens remplis d' amour d' eux-mesmes, et attachez excessivement au monde, qu' il n' y a point de danger pour eux à communier. (...). Et qu' au contraire, ils rendent un grand honneur à Jesus-Christ, en le recevant dans un coeur plein de poison, et que pourveu qu' ils perseverent à le recevoir avec une telle impureté, il ne manquera pas de les rendre purs. Saint Gregoire nous asseure, que dans ce festin celeste ceux qui sont remplis de la nourriture des vices peuvent bien manger, mais non pas y estre rassasiez ; (...) : parce qu' il n' y a que les affamez, et qui sont entierement despoüillez des vices, qui y soient rassasiez. (...) ; et vous enseignez au contraire, que ceux qui sont remplis de l' amour d' eux-mesmes, et de l' enchantement du monde, sont propres à estre rassasiez de cette nourriture divine, (...) ; et vous les flattez de cette esperance ---------------------------------------------------------------------p716 trompeuse, qu' en communiant souvent, Dieu les dégagera de leurs vices. Mais qu' ils escoutent, pour se détromper d' une si dangereuse erreur, ce que Saint Isidore prononce sur ce sujet. (...) ? Et qu' on ne s' imagine pas que cette plenitude d' amour propre, et ce merveilleux attachement au monde, dont vous parlez, n' empesche pas le fruit de l' eucharistie, pour n' estre pas joints à des pechez grossiers et corporels, qui frappent d' avantage les yeux des hommes. Les maladies de nos ames n' en sont que plus dangereuses, pour estre interieures et cachées, et selon la doctrine du fils de Dieu, il n' y en a point de plus opposez à la grace, que ces sepulchres blanchis qui paroissent beaux au dehors, et qui au dedans sont pleins d' ordure, et de corruption. Et pour comprendre facilement, que la depravation de nostre coeur par ces affections desordonnées aux choses du monde, sans d' autres vices plus charnels, suffit pour nous ravir le fruit, que nous pourrions esperer dans la sainte ---------------------------------------------------------------------p717 communion, nous n' avons qu' à considerer, que Jesus-Christ nourrissant nostre ame de deux sortes de nourritures, de sa parole, et de son corps (ce qui fait que Saint Augustin les comprend tous deux dans la demande que nous faisons tous les jours à Dieu, de nous donner nostre pain quotidien) il n' y a point d' apparence de s' imaginer, que la nourriture de sa chair profite de quelque chose, à ceux à qui l' evangile nous tesmoigne, que celle de sa parole ne sert de rien. Or la verité mesme nous avertissant de ce qui estouffe la semence de la parole dans nostre coeur, et l' empesche de porter du fruit, n' allegue point les homicides, les adulteres, les fornications, les larcins, les blasphemes, et les autres crimes grossiers et visibles, (...). Et ainsi puis que tous ceux dont vous parlez, qui sont attachez prodigieusement au monde, y sont necessairement attachez par quelques-uns ---------------------------------------------------------------------p718 de ces liens, ou par le soin, et l' empressement des affaires temporelles, ou par la passion d' amasser du bien, ou par le desir de passer le temps, et de prendre leurs plaisirs ; ce que le sauveur dit d' eux, touchant la nourriture de sa parole ; ne le pouvons-nous pas dire avec encore plus de raison, touchant la nourriture de son corps ; (...) ; ce sont ceux, qui non seulement escoutent, mais reçoivent tres-souvent l' auteur de la vie, (...). Toutes ces communions ne produisent point de fruit, et n' en produiront jamais tant que le coeur sera plein de cét amour corrompu. Encore mesme que ces personnes se soient delivrées des crimes grossiers, et s' addonnent à quelques exercices exterieurs de pieté, c' est en vain neantmoins qu' elles esperent, que le sauveur remplisse des ames que le monde a desja remplies. (...). ---------------------------------------------------------------------p720 Reconnoissez dans ces excellentes paroles de Saint Bernard la condemnation formelle de vostre mauvaise conduite : et que les personnes engagées dans les dereiglemens du siecle, que vous poussez à communier si souvent, y reconnoissent l' estat miserable où elles languissent, sans qu' elles s' en apperçoivent. Qu' elles y remarquent le ver qui leur ronge les entrailles ; qu' elles y apprennent à ne se pas arrester à ces guerisons superficielles et fardées, qui nous rendent plus dignes de la damnation que nous n' estions auparavant ; et qu' une fois pour toutes elles prennent une ferme resolution de mettre ---------------------------------------------------------------------p721 la cognée à la racine de l' arbre, qui n' est autre, selon les peres, que l' amour desordonné de soy-mesme, et l' attachement du monde, au lieu de s' amuser à ne coupper que les branches, qui repoussent tousjours de nouveau, tant que le tronc demeure sur pied. Que si elles ne se veulent pas rendre à l' advis de ce grand saint, qu' elles escoutent ce que le saint esprit leur commande par la bouche d' un apostre. Voila de quelle sorte Saint Jacques parle aux amateurs de ce monde, apres nous avoir asseurez qu' ils ne peuvent estre qu' ennemis de Dieu. (...). Il ne leur dit en aucune sorte, que nonobstant leur amour du monde, ils se doivent presenter à l' eucharistie, qu' ils doivent approcher de Jesus-Christ sans aucune crainte, et que c' est le plus asseuré moyen de se remettre bien avec luy. Le saint esprit ne donne point ces conseils. Mais il leur commande de nettoyer leurs mains, c' est à dire de se retrancher de toutes les mauvaises actions : et non seulement cela, mais de purifier leurs coeurs, c' est à dire, d' en déraciner cette amitié du monde, qui est une inimitié avec Dieu, et n' estre plus double ---------------------------------------------------------------------p722 d' esprit, en se donnant tous entiers à nostre seigneur Jesus-Christ, sans penser se partager entre luy et le siecle. Il ne trouve point d' autres remedes à leurs maux, que les afflictions, les gemissemens, et les larmes de la penitence. Et pour leur en enseigner les regles il les avertit, que leurs ris se doivent convertir en pleurs ; qu' autant qu' ils se sont plongez dans les vaines joyes, ils se doivent plonger dans une tristesse salutaire, et que les peines, et les douleurs doivent payer les plaisirs de leur vie passée par une juste mesure. Et parce que la penitence n' est rien, si elle n' est accompagnée d' humilité, il leur commande en suitte de s' humilier et s' abbaisser en la presence du seigneur, en entrant dans une sainte confusion de leurs pechez, et dans une profonde reconnoissance de l' estat miserable où ils se trouvent reduits, pour avoir abandonné les voyes de Dieu. Apres cela il leur promet que le seigneur les eslevera (...). Comme s' il disoit, Dieu recevra les offrandes de vos mains, lors qu' elles seront nettes de toutes leurs taches : il prendra sa demeure dans vostre coeur quand vous en aurez chassé le monde : il vous tendra les bras, pourveu que vous retourniez à luy dans les gemissemens et dans les soûpirs ; quand vos larmes parleront pour vous, il écoutera leur voix : il perdra le dessein de vous punir, lors qu' il verra que vous vous punissez vous-mesme, et vous sera ---------------------------------------------------------------------p723 d' autant plus doux, que vous vous serez plus severe : il ne vous imputera point vos plaisirs et vos delices, lors qu' il les verra changez en austeritez, et en mortifications : et enfin plus vous entrerez dans l' humiliation de la penitence, et plus il vous eslevera dans sa gloire. Voila l' instruction que Saint Jacques donne aux enfans du monde, pour les faire retourner à Dieu. Considerez-la je vous prie avec l' attention qu' elle merite ; il n' est pas icy question de l' advis d' un casuiste, ou de l' opinion d' un docteur particulier. C' est Dieu mesme qui nous parle, et c' est par ces regles qu' il nous jugera. Que luy pourrons-nous respondre s' il nous demande au dernier jour qui nous a donné la hardiesse d' asseurer aux amateurs du monde l' entrée de son royaume, sous d' autres conditions que celles qu' il leur a proposées par son apostre ? Sans les obliger à déraciner de leur coeur les affections du siecle ; sans les faire entrer dans les pleurs, dans les gemissemens, et dans les mortifications ; sans changer leurs divertissemens en regrets, et leurs delices en austeritez ; et enfin sans les reduire dans l' abbaissement et dans l' humiliation, où doivent estre de veritables penitens ? Que pourrons-nous dire à cela ? Pensons-nous estre excusables devant luy, ou pour avoir ignoré des choses que nous ne sçaurions ignorer sans crime, ou pour avoir alteré par des interpretations humaines ---------------------------------------------------------------------p724 ses divines instructions, ou pour avoir mieux aymé suivre dans nostre conduite nos opinions et nos phantaisies, que les regles inviolables de sa parole ? PARTIE 3 CHAPITRE 11 si Jesus-Christ reçoit un grand honneur des frequentes communions, de ceux que cét auteur porte à communier souvent. si au jugement de tous les hommes, ce seroit traitter injurieusement les roys de la terre, que de leur dire, qu' ils reçoivent un grand honneur de ce que ---------------------------------------------------------------------p725 leurs sujets mangent souvent à leur table : est-ce parler dignement du roy du ciel, que de dire comme vous faites, qu' il reçoit un grand honneur de ce que de miserables creatures prennent souvent place à sa table, pour se nourrir de son propre corps ? C' est un honneur infiny qu' il nous a fait, de nous admettre dans le temps à la participation de la mesme viande, dont joüissent ses esleus dans l' eternité, sans qu' il y ait autre difference, sinon qu' icy il nous en oste la veuë, et le goust sensible, nous reservant l' un et l' autre pour le ciel. Et vous voulez que ce soit luy qui reçoive un grand honneur de ce que nous nous trouvons souvent à ce festin adorable. Mais de plus, si nous considerons quelles sont les personnes que vous y portez ; que peut recevoir Jesus-Christ de leurs frequentes communions, que de la honte et de l' outrage, comme je vous l' ay tant de fois monstré. Jesus-Christ ne nous a-t' il pas averty dans l' evangile, qu' il ne nous suffisoit pas pour l' honorer de l' appeller, seigneur, seigneur, mais qu' il falloit executer ses preceptes, et mener une vie conforme à ses saintes instructions. Il nous commande de nous haïr nous-mesmes, si nous voulons estre du nombre de ses disciples ; il nous defend par la bouche de son apostre d' aimer le monde ; il nous ordonne de marcher par la voye étroite, pour parvenir à son royaume ; ---------------------------------------------------------------------p726 (...). Pourquoy venez-vous à ma table, puis que vous ne faites pas ce que je vous dis ? Que si au temps des sacrifices charnels, et des ombres de la loy, Dieu tesmoigne par son prophete, que c' est une espece d' idolatrie de le penser adorer en luy des-obeïssant, combien plus dans la nouvelle alliance, où il ne peut souffrir que des adorateurs en esprit et en verité. C' est estre juif de s' imaginer, que toutes les actions exterieures, quelques saintes qu' elles paroissent, puissent plaire à Dieu, si elles ne sont sanctifiées par son esprit. Et c' est estre pelagien que de croire, que ces actes de foy, d' esperance, de charité, et d' humilité, dont vous parlez, se puissent faire autrement que par un don particulier de la grace de Jesus-Christ, qui nous en forme les mouvemens dans le coeur. Et ainsi, c' est tromper les ames, que de leur persuader, qu' il ne faille que communier souvent, pour exercer souvent ces actes, comme s' ils accompagnoient necessairement toutes les communions, et qu' ils se produissent toutes les fois qu' il nous plairoit reciter certaines formules, ausquelles on s' imagine les pouvoir reduire, comme s' ils dépendoient entierement de nostre propre volonté, et que nous n' eussions besoin pour les ---------------------------------------------------------------------p727 faire, que de nous y exciter nous-mesmes. Mais qui peut faire croire, qu' un homme fasse de grands actes de foy, en recevant l' eucharistie, si toutes ses actions, et toutes ses oeuvres, sont plûtost des marques d' une foy morte, et semblable à celle des demons, que d' une foy vive, agissante et animée par la charité ? Est-ce esperer beaucoup en Dieu, que d' estre attaché prodigieusement au monde ? Est-ce avoir beaucoup d' amour pour luy, que d' estre remply de l' amour de soy-mesme ? Est-ce avoir une grande humilité, que de se presenter d' autant plus hardiment au plus terrible des mysteres, que l' on est plus denué de graces ? Enfin, est-ce donner un grand contentement à Jesus-Christ, pour me servir de vos paroles, que de le reconnoistre sur les autels, et le desavoüer dans ses moeurs ? Certes, autant que les communions de ceux, dont le coeur est veritablement à Dieu, et qui vivent selon l' evangile, sont agreables au sauveur du monde, autant a-t' il en horreur toutes les communions de ces amateurs du siecle, qui par une erreur impie veulent separer la religion de la moralle, et n' estre chrestiens que dans l' eglise ; qui se persuadent que la frequentation des sacremens est tres-compatible avec leurs passions déreglées ; et qui apres une confession des levres, qui n' a nulle marque d' une veritable conversion, donnent pour retraitte ---------------------------------------------------------------------p728 au fils de Dieu, une maison qui paroist nette sur la surface, comme parle Saint Bernard, mais qui au fonds est toute pleine de bouë. Ils se flattent de quelques bonnes pensées qui leur remplissent l' esprit lors qu' ils communient, et s' imaginent, selon que vous taschez de leur persuader, qu' ils y exercent quantité d' actes de vertu, de foy, d' esperance, de charité, d' humilité, ne s' appercevans pas que tous ces actes ne sont que des illusions. Car au lieu que les gens de bien ont quelquesfois le coeur couvert de mauvais desirs, et de mouvemens de peché, et neantmoins le fonds du coeur est tres-net ; les gens du monde au contraire à l' approche de la communion ont le coeur rempli de bons desirs, comme ils croient, et toutesfois le fonds de leur coeur demeure tres-corrompu. Le diable excite les mauvaises pensées dans les uns, sans qu' elles leur nuïsent, et les bonnes dans les autres, sans qu' elles leur servent, et c' est par là mesme qu' il porte souvent les méchans à la sainte communion pour leur y faire faire des sacrileges. C' est pourquoy comme Saint Jean Chrysostome prefere d' une-part la felicité des fidelles à celle des mages, en ce qu' ils adorent sur les autels celuy qu' ils adorerent dans une creche, et le possedent revestu de la gloire de son pere, au lieu que ces sages ne le virent que revestu d' infirmité, et n' ont pas seulement droit ---------------------------------------------------------------------p729 de luy faire leurs offrandes, qui doivent estre les richesses des bonnes oeuvres, mais aussi de le prendre et de le manger : il ne craint point d' autre-part de comparer les chrestiens qui communient indignement, à ce roy barbare et impie, qui vouloit tuer Jesus-Christ, sous pretexte de l' aller adorer avec les mages. Et comme ce doit estre la conduite du saint esprit qui amene les justes à l' eucharistie, ainsi que ce fut une lumiere du ciel qui amena ces princes à Jesus-Christ ; ce pere nous asseure, (...). Ce qui vous fait voir, que ce n' est pas un stratageme du diable, d' empescher que ceux qui sont indignes de ces mysteres, ne s' en approchent pas à leur condemnation, mais que c' est faire la charge du diable, que de les y envoyer estant en cét estat. PARTIE 3 CHAPITRE 12 si le delay ne sert de rien pour nous faire communier avec meilleure disposition. exemples de quelques saints sur ce sujet. ---------------------------------------------------------------------p730 vous renouvellez en cét article, quoy qu' en d' autres termes, les deux maximes que vous attribuez cy-dessus à Saint Chrysostome, l' une (...). Je vous ay fait voir en son lieu, combien elles sont esloignées des sentimens de ce pere, il me reste de vous monstrer icy par quelques autoritez, comme je m' y suis obligé, combien elles sont peu conformes à la verité, au sens que vous les entendez. Je le feray en peu de mots, et commenceray par ce que vous dites, (...) : pour traitter en suite ce qui regarde la reverence de cét adorable sacrement. ---------------------------------------------------------------------p731 Lors que vous prononcez, comme une maxime indubitable, (...), ou vous l' entendez generalement pour quelque cause que l' on differe, et quoy que l' on fasse durant ce delay, ou seulement de ceux qui ne different que par negligence et par mespris, et qui cependant ne font autre chose que de perseverer dans le libertinage et dans le vice, sans travailler en aucune sorte à se rendre plus dignes de recevoir l' eucharistie. Si vous n' aviez dessein de parler que de cette derniere sorte de personnes, vous auriez raison de dire, (...) : mais ce que vous adjoûtez en suitte seroit impie, (...). Si ce n' est que vous voulussiez adjoûter cette maxime pernicieuse et semblable à beaucoup d' autres, que quantité de communions indignes, sont de fort bonnes preparations pour apprendre à communier dignement, dequoy nous parlerons ailleurs. Que si vostre proposition est generalle, comme la suite de vos paroles, et l' esprit universel de vostre discours, montrent assez que c' est vostre sens. Se peut-il rien imaginer de plus contraire aux regles saintes de la pieté chrestienne, que de dire, que lors qu' un homme differe de recevoir l' eucharistie pour en approcher avec plus de pureté en s' y preparant ---------------------------------------------------------------------p732 durant ce temps par l' exercice des bonnes oeuvres ; le delay ne luy sert de rien pour communier en suitte avec meilleure disposition, et cela n' approche-t' il pas de la doctrine de Luther condemnée dans le concile de Sens, (...). Saint Hierosme nous apprend que les quarante jours de jeusne du caresme sont une preparation à l' eucharistie. (...). Et que nous voyons beaucoup de tres-grands saints ont eu cette devotion particuliere de se preparer durant tout le caresme à la communion de pasque, en joignant ce jeusne spirituel au corporel. Theodoret qui a escrit la vie de Saint Simeon Stilite, et qui parle de ce qu' il a veu et sceu de ceux qui estoient avec ce saint, lequel vivoit de son temps, qui le connoissoit particulierement, et renvoya à luy des barbares pour recevoir sa benediction episcopale, dit qu' au bout de treize ou quatorze ans qu' il fut solitaire, il s' enferma dans une cellule, et jeusna quarante jours du caresme, sans rien manger, et que Bassus solitaire qui avoit fermé sa cellule par dehors l' estant venu voir au bout de quarante jours, le trouva contre terre, et si foible, qu' il ne pouvoit, ny parler ny se remuer, et que ---------------------------------------------------------------------p733 luy ayant lavé la bouche, il luy donna l' eucharistie, qui luy rendit ses forces. Et depuis cette année jusques au temps que Theodoret escrivoit sa vie, il avoit jeusné vingt-huict caresmes de cette sorte, mais avec bien moins de peine, comme dit ce pere, n' ayant plus eu de peine lors qu' il fut sur la colomne ; Dieu le fortifiant de plus en plus par sa grace. Sainte Genevieve qui vivoit du temps de ce saint, et qui mesme eut revelation de luy, demeuroit encore plus long-temps separée de la sainte communion, puis que nous lisons dans sa vie, que depuis la feste des rois, jusques au jeudy saint, elle se retiroit en un hermitage où elle demeuroit toute seule, s' adonnant à l' oraison, à examiner sa conscience, couchant sur la dure, et jeusnant plus estroitement qu' en une autre saison. Nous lisons dans la vie de Saint François qu' il faisoit presque la mesme chose tous les ans apres la feste des rois, qu' il s' en alloit au desert en memoire des quarante jours que nostre seigneur fut en solitude, et qu' il demeuroit enfermé dans une cellule durant ce temps là ; priant et jeusnant fort austerement. à quoy l' on peut adjouster l' exemple des religieux solitaires du monastere prés le Jourdain, dont Sophronius evesque de Jerusalem, dit en la vie de Sainte Marie egyptienne, qu' ils communioient tous le premier dimanche de ---------------------------------------------------------------------p734 caresme, et s' en alloient en suite dans le desert, où ils demeuroient jusques au dimanche des rameaux qu' ils revenoient dans leur monastere. Pensez-vous que ces delais ne servissent de rien à ces saints pour se rendre plus dignes de participer à la gloire de Jesus-Christ en l' eucharistie, apres s' estre rendus durant ce temps-là participans de ses souffrances ? Mais il est difficile de n' estre pas touché de l' exemple de Saint Ignace, dont Ribadeneira rapporte au commencement de sa vie, qu' il mangeoit une fois le jour un morceau de pain qu' on luy donnoit d' aumosne, ne beuvoit que de l' eau, et jeusnoit ainsi tous les jours, hors le dimanche qu' il se confessoit et communioit. Desorte que vous voyez que ce saint se preparoit toute la semaine avec tant d' austerité et de mortification à la communion du dimanche, que vous voulez estre commune à toutes sortes de personnes : et peut-on douter que ce delay ne luy servist pour recevoir plus dignement Jesus-Christ apres s' estre purifié par un jeusne si rigoureux ? Mais que pourrez-vous respondre à ce qu' adjouste le mesme auteur, que ce saint ayant esté fait prestre, il demanda un an entier à se preparer pour dire sa premiere messe ? Croioit-il que ce fust une chose inutile comme vous le voulez persuader, lors qu' il s' agit des mysteres qui font trembler les plus justes, ---------------------------------------------------------------------p735 de prendre du temps pour s' y preparer, et pour attirer sur soy par les gemissemens et par les prieres la grace du saint esprit, puis qu' ayant servy Dieu depuis tant d' années avec une si grande ferveur, et estant desja parvenu par la voye de la penitence à un degré de vertu si eminent, il ne s' estime pas neantmoins encore assez pur, pour offrir à Dieu le sacrifice de la messe, et differe non point quelques semaines ou quelques mois, mais un an tout entier les fonctions du sacerdoce auquel Dieu l' avoit appellé, pour s' y preparer durant ce temps-là par de continuels exercices de pieté. Que si ces grands saints remplis de l' esprit de Dieu, et embrasez de son amour, jugeoient qu' il leur estoit utile de differer quelquesfois la communion, ou la celebration des mysteres, pour s' en approcher en suite avec plus d' ardeur et de pureté, qui peut trouver mauvais que de grands pecheurs prattiquent cette humilité, qui ne leur est pas seulement utile, mais bien souvent necessaire, et qu' ils different de communier, pour effacer par les exercices de la penitence, les taches de leurs pechez ? L' on ne peut nier sans erreur, que la principalle disposition pour recevoir utilement l' eucharistie, ne soit la pureté de l' ame, et qu' ainsi on ne la reçoive avec meilleure disposition, d' autant plus que l' ame est pure : et à moins que de tomber dans l' heresie de Luther et de ---------------------------------------------------------------------p736 Calvin, et de corrompre comme eux la verité de la parole divine, il faut necessairement avoüer que les prieres, les jeusnes, les aumosnes, et les autres bonnes oeuvres servent à nous faire acquerir la pureté de l' ame ; et par consequent, l' on ne peut nier sans erreur, que lors qu' on differe de communier, pour s' y preparer par ces actions saintes et salutaires, ce delay ne serve pour communier avec meilleure disposition. Et certes l' on peut dire des penitens, qui se separent de l' eucharistie, en s' en reconnoissant indignes, la mesme chose que Saint Ambroise dit du centenier, qui n' osa recevoir Jesus-Christ en sa maison. (...). ---------------------------------------------------------------------p737 Ainsi ces personnes touchées du sentiment de leurs pechez se rendent plus dignes de la sainte communion en s' en retirant comme indignes : elles se rapprochent de Jesus-Christ en s' esloignant de son autel : et n' osant recevoir le sauveur, elles reçoivent du sauveur la guerison de leurs ames. PARTIE 3 CHAPITRE 13 si ce n' est pas une action de respect envers l' eucharistie, de s' en abstenir quelquesfois par humilité, ou de differer la communion pour quelque temps. Exemple de quelques grands saints sur ce sujet. et c' est ce qui nous peut donner entrée dans nostre autre point, et nous servir à examiner si c' est un sentiment chrestien, ce que vous enseignez, que l' on ne doit point prendre pour une action de respect envers le s. Sacrement, de s' en retirer quelquesfois, ou de differer la communion pour quelque temps. Mais il n' est pas besoin d' un long discours pour refuter une maxime si visiblement contraire aux premieres notions de nostre foy. Il y a long-temps que Saint Augustin a decidé que l' humilité du centenier, qui n' osa recevoir ---------------------------------------------------------------------p738 Jesus-Christ en sa maison, ne luy fut pas moins agreable, que le zele de Zachée qui l' y receut avec joye, et qu' ainsi les ames saintes honorent esgalement le sauveur, soit que suivant les mouvemens de leur foy elles s' approchent souvent de sa table, soit que par un religieux respect, elles s' en retirent quelquesfois. Tous les theologiens apres Saint Thomas demeurent d' accord, que l' un et l' autre regarde la reverence deuë au saint sacrement. Et avant luy l' auteur de l' imitation de Jesus-Christ dit en termes formels, (...). Et Saint Bonaventure juge cette doctrine si certaine, qu' il ne fait point de difficulté de dire, qu' il semble, que ce soit une marque d' irreverence à un prestre de dire tous les jours la messe, et de n' obmettre jamais par respect la celebration du sacrifice. (...). ---------------------------------------------------------------------p739 Et nous voyons que l' esprit de Dieu s' est pleu quelquesfois à imprimer de telle sorte dans le coeur de quelques saints ces mouvemens de respect et d' humilité, qu' ainsi que quelques-uns n' ont osé aspirer au sacerdoce comme Saint François ; d' autres ayans esté faits prestres, n' ont jamais eu la hardiesse d' exercer les fonctions de leurs charges. Nous en lisons deux exemples admirables dans la vie des peres, de deux excellens solitaires du desert, dont l' un s' appelloit Muthues, de qui l' histoire rapporte, que l' evesque l' estant venu visiter, et le voyant si saint le fit prestre malgré luy, et ayant sceu de luy que son compagnon estoit tres-vertueux, il le fit encore prestre : mais ils ne dirent point la messe par humilité, et Muthues dit : (...). Et pour passer à des exemples de saints beaucoup plus illustres, S Epiphane ne nous tesmoigne-t' il pas, (...), ---------------------------------------------------------------------p740 qui sont les propres termes de Saint Epiphane, dans une lettre à Jean evesque de Jerusalem, traduite en latin par Saint Hierosme mesme : et il adjouste qu' il fut contraint pour cette raison, de prendre de force un religieux du mesme monastere, et de le faire diacre et prestre en suite, malgré luy, quoy qu' il resistast, et qu' il s' escriast, qu' il estoit indigne de cette charge. Ce que tout le monde sçait avoir esté tres-ordinaire dans ces premiers siecles, où la dignité de la prestrise estoit gravée de telle sorte dans le coeur des chrestiens, qu' il falloit user de violence envers la plus-part des gens de bien, pour les faire resoudre de monter à un degré, qu' ils estimoient si fort au dessus de leur merite. Je n' en rapporte point d' exemple, parce qu' ils sont infinis, et que tout le monde les sçait, je vous supplie seulement de juger de là, que ces grands saints n' estimoient pas, que toute la pieté consistast à se pousser dans les charges de l' eglise, dés le premier mouvement que Dieu nous donne d' estre à luy, à s' ingerer dans toutes sortes de fonctions, à entreprendre de convertir tout le monde, avant peut-estre que l' on soit bien affermy dans la vertu, et enfin, pour revenir davantage à nostre sujet, à ne manquer pas ---------------------------------------------------------------------p741 un jour à dire la messe, si l' on est prestre, et à communier tres-souvent, si on ne l' est pas. Et veritablement si vostre doctrine estoit vraye, et que Dieu ne se trouvast point honoré, de ce qu' on se retire quelquesfois de ses mysteres par respect, selon les mouvemens que le saint esprit en donne ; il faudroit accuser Saint Hierosme, et ces autres saints d' une fausse humilité, et d' une devotion scrupuleuse, et se persuader qu' ils estoient moins instruits que vous dans les regles de la pieté chrestienne, ce que je ne pense pas que vous ayez la hardiesse de pretendre. PARTIE 3 CHAPITRE 14 s' il n' est jamais à craindre comme cét auteur le pretend, que la trop grande frequentation de l' eucharistie, ne diminuë la reverence que l' on doit à ce mystere. si c' est une action de reverence envers le saint sacrement, de s' en retirer quelquesfois par humilité, comme nous le venons de monstrer, l' on ne peut nier, que ce delay ne serve souvent pour nous faire communier avec plus d' ardeur ; et qu' au contraire, il ne soit à craindre, que la trop grande frequentation de l' eucharistie ne nous en diminuë le respect, principalement si nous ne sommes pas ---------------------------------------------------------------------p742 encore affermis dans une parfaite vertu. Soûtenir le contraire, ainsi que vous faites, c' est combattre le sens commun, et l' experience de tous les hommes. Car qui est celuy qui ne voye, et qui ne sente, soit dans soy-mesme, soit dans les autres, que la foiblesse de nostre esprit nous porte à avoir moins d' attention pour les choses, quelques excellentes qu' elles soient, à mesure qu' elles nous deviennent plus ordinaires ? Ceux qui servent Dieu plus fidellement n' experimentent-ils pas tous les jours la peine qu' il y a, d' empescher que les plus saints exercices de pieté, lors qu' ils se sont rendus communs, ne se fassent plus par mouvement de vertu, mais par la seule accoustumance ? Et quant à ce qui regarde l' eucharistie, tous les theologiens n' enseignent-ils pas apres Saint Thomas, que l' une des raisons qui nous doit empescher de communier tous les jours, (...), supposans comme une indubitable verité, qu' il y a tres-grand danger, qu' une trop frequente reception de l' eucharistie ne nous en fasse approcher avec moins de reverence ? Vous entreprenez neanmoins de nous persuader le contraire, et par une excellente raison vous voulez faire croire aux personnes les plus ---------------------------------------------------------------------p743 imparfaites (car c' est à celles-là principalement que vous parlez, comme il paroist par tout vostre escrit) que plus elles communieront, plus elles le feront avec ferveur, et avec respect. (...). Je ne m' arreste point à vous monstrer, combien c' est une chose esloignée de la verité, que l' on ayme Dieu davantage, plus on le connoist ; puis qu' il est certain, que ceux qui connoissent Dieu plus parfaitement, ne l' ayment pas tousjours avec plus de charité, et que c' est un pelagianisme de croire, que la plus grande connoissance que nous puissions avoir de Dieu ; nous puisse porter à l' aymer, si par une grace nouvelle il ne grave son amour dans nostre coeur. Je passe aussi ce que vous asseurez, que plus on s' approche de l' eucharistie, plus on connoist et l' on ayme Dieu, vous ayant des-ja montré tant de fois, que les frequentes communions de ceux qui ne vivent pas chrestiennement, ne servent qu' à les aveugler et les endurcir davantage, suivant cette excellente parole de Saint Bernard, (...). ---------------------------------------------------------------------p744 Je me contenteray de vous dire, que vostre raison seroit excellente, si les hommes estoient des anges, et si cette mauvaise inclination, de mépriser les choses qui nous sont devenuës communes, se prenoit de la part des objets, et non point de la part de nous-mesmes. Saint Augustin soustient avec tres-grande raison, que les miracles ordinaires, que Dieu opere tous les jours dans la nature, sont beaucoup plus admirables, que tous ceux dont il s' est servy pour nous attirer à sa connoissance, et que l' homme seul est incomparablement une plus grande merveille, que toutes les merveilles qu' il a fait faire par les hommes. Mais que Dieu nous a voulu toucher par des prodiges extraordinaires et inopinez, parceque les prodiges ordinaires et communs, quoy que beaucoup plus estranges, nous parroissent mesprisables pour estre sans cesse devant nos yeux. (...). Et que les peres mesmes ont reconnu, ---------------------------------------------------------------------p745 que rien ne nous empeschoit d' estre dans une continuelle admiration des ouvrages de Dieu, que ce que nous les voyons tous les jours. Direz-vous donc, suivant la maxime que vous voulez establir en ce lieu, que le mespris est venu, de ce que les hommes ont reconnu des defauts et de l' imperfection dans les chefs-d' oeuvres de la main du tout-puissant ? Est-ce qu' ils ont trouvé des fautes dans l' architecture de l' univers, du déreglement dans le cours des astres, du desordre dans la vicissitude des saisons ? Et de ce que personne ne regarde avec tant d' attention ou le soleil, ou la lune, que lors qu' ils sont eclipsez, est-ce qu' ils sont plus beaux dans leurs defaillances, que dans la plenitude de leur clarté ? Enfin, Dieu n' a pas voulu, selon Saint Augustin, que cette grande abondance de miracles qu' il a fait paroistre à la naissance de l' eglise durast tousjours, (...). Direz-vous que c' est qu' il craignoit, ce qui est seulement horrible à penser, que nous découvrissions quelque defaut, et quelque imperfection dans ses oeuvres miraculeuses ? Apprenez donc, que la raison pourquoy la ---------------------------------------------------------------------p746 familiarité des choses nous en diminuë le respect, n' est pas tousjours, que dans la suite elles nous paroissent moins parfaites, qu' elles ne paroissoient d' abbord, mais plûtost de ce que nous les connoissons imparfaitement, principalement les spirituelles, et de ce que la curiosité qui est la troisiesme playe de nostre ame, et la troisiesme partie de ce peché qui habite en nous, ainsi que Sainct Paul appelle la concupiscence, nous portant sans cesse à la recherche des objets nouveaux, nous fait perdre la ferveur pour ceux qui sont devenus communs. Et c' est à cette corruption naturelle de l' esprit humain, que l' auteur de l' imitation de Jesus-Christ rapporte la diminution du respect envers un sacrement si adorable ; lors qu' il s' écrie. (...). à quoy l' on peut adjoûter que le long usage de faire quelque action nous fait perdre insensiblement l' attention que nous devons avoir en la faisant, parce que l' habitude se change en nature, et les actions naturelles se font sans reflection. Et quoy qu' il y ait une accoustumance dans les bonnes oeuvres, qui est bonne, et qui enferme comme un continuel mouvement du s. Esprit, et qui peut faire dire des hommes excellens ---------------------------------------------------------------------p747 en pieté, ce que Saint Augustin dit de Dieu, (...) : il y en a aussi une autre qui est mauvaise, et qui dans la continuation des bonnes oeuvres, met l' esprit de l' homme en la place de l' esprit de Dieu. Et c' est en partie à cause de cette mauvaise accoustumance, qui nous oste la ferveur et le sentiment de la devotion que l' on ressent au commencement des bonnes oeuvres, et des saints exercices, que les anges se réjouïssent d' avantage de la nouvelle conversion d' un pecheur, que de la perseverance des justes dans la bonne vie. Ainsi, quoy que l' eucharistie doive estre le comble de nos souhaits, nostre infirmité neantmoins est si grande, et si prodigieuse, tant que nous sommes en ce monde, que nous devons éprouver nos forces, avec un extréme soin, de peur qu' une trop frequente communion ne nous refroidisse, au lieu de nous embraser ; et ce ne sera que dans l' autre vie, où nous serons continuellement rassasiez de cette viande divine, sans crainte d' aucun dégoust, parce que nous la mangerons à découvert et sans voiles, et que nous serons gueris de toutes nos maladies, et de toutes nos langueurs. PARTIE 3 CHAPITRE 15 ---------------------------------------------------------------------p748 qui sont ceux que les peres ont blasmez, pour se retirer trop de la sainte communion. vous entendez aussi peu la doctrine de ces peres, que celle de tous les autres que vous avez citez jusques icy. Saint Cyrille et Saint Isidore parlent fortement, comme tous les saints, contre ceux, qui refusent de communier par un oubly de Dieu, par une negligence honteuse des choses de leur salut, par une crainte servile, qui fuyent ceste hostie vivante, comme les criminels le visage de leur juge, (...). ---------------------------------------------------------------------p749 Qui est celuy qui en cela n' imite leur zele, et qui ne trouve tres-mauvais, qu' un grand nombre de chrestiens vivent dans cette letargie, pour ce qui regarde les choses divines, et dans ce mespris insupportable des plus saints mysteres de nostre religion, que si la coustume et l' usage, plûtost qu' aucun sentiment de pieté, ne les portoit à communier à pasques, à peine penseroient-ils jamais, que Jesus-Christ se fust donné luy-mesme à son eglise dans un sacrement si divin pour estre la nourriture de nos ames. Mais comme il ne sert de rien de connoistre les maladies, si l' on n' en connoist les remedes ; il ne suffit pas de nous dire que les peres condemnent cét abus que tout le monde condemne avec eux ; mais l' importance est d' apprendre, quel est le remede qu' ils veulent que l' on y apporte. De sorte que toute la question se doit reduire à ces termes ; si lors que les personnes se retirent de l' eucharistie par le remors de leurs crimes, ou par un esprit de libertinage l' on les doit porter selon vos maximes à s' en approcher aussi-tost apres une legere confession, et à communier tres-souvent, quoy que l' on ne voye aucun veritable amendement dans leur vie, et que ce leur soit encore une chose tres-ordinaire de commettre des pechez ---------------------------------------------------------------------p750 mortels ; ou bien si l' on les doit exhorter à faire une bonne penitence de leurs pechez, à changer de moeurs, et à embrasser une vie vertueuse et chrestienne, avant que de rentrer dans la participation des mysteres. C' est ce qu' il faut voir par les auteurs mesmes que vous alleguez, et dans les endroits mesmes que vous en citez, ou que vous avez dessein de citer comme vous estans favorables. Saint Cyrille dans ses commentaires sur Saint Jean parle en deux divers lieux, contre ceux qui negligent de recevoir l' eucharistie, mais en tous les deux le conseil qu' il leur donne, c' est de se purifier de leurs pechez, et d' embrasser une vie sainte et chrestienne. Voicy les paroles du livre troisiesme. (...). Considerez je vous prie ce que ce pere veut que l' on fasse avant que de communier, lors qu' il s' efforce davantage à y porter les fidelles. ---------------------------------------------------------------------p751 Il veut que l' on se soit auparavant purifié de ses pechez, ce qui se fait par la penitence, que l' on ait embrassé une forme de vie vertueuse, que l' on ait rompu les liens du diable, comme sont toutes sortes de mauvais engagemens qui nous retiennent dans le mal, que l' on ait secoüé son joug en renonçant pour jamais à ses pompes et à ses oeuvres, comme nous avons fait à nostre baptesme, que l' on se soit remis dans le service de Dieu, et que l' on ait vaincu les voluptez de la chair par l' exercice de la temperance ; c' est à dire, par les jeusnes, et par les autres mortifications, comme toutes les habitudes corrompuës se doivent destruire par la prattique des vertus contraires, selon tous les peres et le concile de Trente apres eux. Tout cela ne consiste point en des paroles, mais en des actions et en des oeuvres : et à moins que de demander à Dieu des miracles extraordinaires, il ne faut point pretendre que cela se puisse faire en une heure. Il dit la mesme chose en peu de paroles dans le 4 livre, (...). Pour Saint Isidore, vous n' avez qu' à adjoûter aux paroles que vous en citez, quoy qu' avec alteration, celles qui les suivent immediatement, (...) : ---------------------------------------------------------------------p752 par où il fait voir, qu' il ne parle que de ceux qui se sont tellement convertis à Dieu par le secours de la penitence, ainsi qu' il declare auparavant, qu' ils ne sont plus en estat de retomber dans leurs pechez, et non pas de ceux qui y retombent à toutes rencontres : et encore il adjouste pour monstrer combien la preparation à ce divin sacrement doit estre sainte, que les personnes mariées doivent demeurer plusieurs jours en continence et en prieres, avant que de communier. Mais outre cela, il decide en ce mesme endroit nostre question en termes clairs, et prononce comme une verité constante, (...). Cela suffit pour faire avoüer aux plus passionnez, que tous les tesmoins que vous produisez, au lieu de parler en vostre faveur, deposent contre vous-mesme. Je veux neantmoins vous avertir charitablement, que vous pouviez encore appuyer vostre doctrine de l' autorité du plus eminent et du plus illustre de tous les docteurs de l' eglise, puis que Saint Augustin ne parle pas moins fortement ---------------------------------------------------------------------p753 que Saint Cyrille et Saint Isidore, contre ceux qui refusent de communier. Sans doute, que vous n' eussiez pas manqué de l' alleguer avec les autres, si vous l' eussiez rencontré parmy vos memoires. C' est pourquoy, vous ne trouverez pas mauvais, que je le fasse pour vous, et que je rapporte tout entier un sermon qu' il a fait sur ce sujet ; où cét homme divin nous donne en peu de paroles toutes les instructions, que nous pouvons desirer sur cette matiere. (...). Voila justement les mesmes personnes, contre qui Saint Cyrille parle, et dont nous traittons en tout ce chapitre, voyons maintenant le jugement qu' il en fait. (...). Pouvoit-il representer en des termes plus puissans à ces personnes negligentes, le peril où elles se mettent en s' esloignant de l' eucharistie par la connoissance qu' elles ont de leurs crimes, dans lesquels elles perseverent ? Et ne semble-t' il pas que Saint Cyrille et Saint Isidore ayent pris de ---------------------------------------------------------------------p754 là ce qu' ils en disent. Mais parce, comme je vous ay desja dit, que c' est peu de chose de découvrir les maux, si on ne travaille à les guerir, escoutons le conseil qu' il donne en suitte. (...). Il ne leur dit pas simplement, qu' ils se doivent approcher de l' eucharistie ; ce seroit leur vouloir faire trouver du poison dans cette nourriture divine. Il n' a garde aussi de leur dire, qu' ils ont tort de se croire indignes de cette viande celeste, ce seroit les trahir, au lieu de les conseiller, il se contente de les exhorter à s' en rendre dignes. Mais l' importance estant de sçavoir de quelle sorte ils le pouvoient faire ; c' est ce qu' il leur represente en ces termes, que je supplie tout le monde de considerer. (...). Je ne pense pas que personne ait la hardiesse de douter, que Saint Augustin n' ait connu les veritables regles du christianisme, pour se rendre digne de l' eucharistie, lors qu' on s' en ---------------------------------------------------------------------p755 estoit rendu indigne par ses pechez, et les ayant connuës, il faut necessairement, qu' il les ait expliquées en cét endroit, puis qu' il y fait profession particuliere, d' en vouloir instruire son peuple. Et cependant, je ne trouve point, qu' il leur dise, qu' il n' y a autre chose à faire qu' à confesser ses pechez, mais au contraire, je vois qu' il enjoint expressement trois choses. La premiere de quitter ses pechez, changer sa mauvaise vie, et de faire paroistre par ses moeurs une veritable conversion. La deuxiesme, de se presenter au prestre pour confesser ses pechez, luy découvrir ses blessures, et luy demander une penitence qui leur soit proportionnée, afin qu' il reçoive de son authorité le temps et l' ordre qu' il doit garder, pour satisfaire à la justice de Dieu. La troisiesme, d' accomplir cette penitence, et se purifier par les austeritez et les mortifications de l' impureté de ses pechez. Mais la suitte de ce sermon nous donnera une plus grande lumiere, et y adjoustera quelques advis tres-importans. (...). Si la penitence ne consistoit qu' à se confesser, ne seroit-il pas ridicule de dire, que les mourans ne sont pas capables de faire penitence, puis que nous ne voyons autre chose, que des mourans qui se confessent ; mais ---------------------------------------------------------------------p756 Saint Augustin s' explique assez ; nous n' avons qu' à l' escouter. (...). C' est donc par nos oeuvres, et non point seulement par des paroles, que l' on se rend digne de recevoir l' eucharistie ; puis que c' est de la preparation necessaire pour communier, que Saint Augustin traitte en cét endroit. (...), (c' est à dire, d' imposer la satisfaction, que les malades estoient obligez d' accomplir, si Dieu leur rendoit la santé, comme il se void par un grand nombre de canons) (...). ---------------------------------------------------------------------p757 Voila la theologie de Saint Augustin, ou plûtost celle de tous les peres, touchant la preparation, que doivent apporter à l' eucharistie ceux qui se trouvent coupables des pechez mortels. (...). PARTIE 3 CHAPITRE 16 si c' est le plus grand malheur qui puisse arriver à l' eglise, et un stratageme du diable, que de porter les pecheurs à la penitence, et de s' opposer à l' abus horrible, qu' une infinité de personnes fait aujourdhuy des sacremens. ---------------------------------------------------------------------p758 c' est un malheur imaginaire, et qui n' est fondé, que sur une pure calomnie, qu' il y ait des personnes de pieté, qui détournent de communier souvent les ames qui en sont dignes ; ou qui mesme ne portent pas à une tres-frequente participation des sacremens tous ceux, dont la conscience est assez pure, la vertu assez solide, et la vie assez chrestienne, pour meriter une si familiere communication avec Jesus-Christ. Mais le veritable malheur de l' eglise, qui ne peut estre deploré avec assez de gemissemens et de larmes, c' est de voir un si grand nombre de personnes, qui traittent aujourdhuy avec tant d' indignité les plus redoutables mysteres de nostre religion ; qui ne craignent point de recevoir le saint des saints avec une bouche pleine d' ordure et de corruption, comme parle Saint Jean Chrysostome ; qui menant une vie toute corrompuë, et toute payenne, ne font autre chose que se confesser et communier ; et que l' on reconnoist sensiblement ne tirer autre fruit de toutes leurs communions, qu' une folle confiance en la misericorde de Dieu, qui ---------------------------------------------------------------------p759 leur fait esperer le salut, sans observer aucun des preceptes de l' evangile, et en marchant avec asseurance dans la voye large qui mene à la mort. Saint Augustin rapporte que de son temps, il y avoit quelques personnes vicieuses, qui pour se flatter dans leurs crimes, se persuadoient que sans les quitter, Dieu ne laisseroit pas de les delivrer de la damnation eternelle, pourveu qu' elles fissent beaucoup d' aumosnes : mais aujourdhuy la pluspart des chrestiens semblent passer plus avant, et vouloir gagner le ciel avec moins de peine, et à meilleur marché, puis que c' est une chose bien plus facile de frequenter les sacremens en la maniere que vous l' enseignez, que de faire de grandes aumosnes, et que ceux qui sont remplis de l' amour d' eux-mesmes, et attachez excessivement au monde , prendront bien plus aisément resolution de communier souvent, que de se despoüiller d' une partie de leur bien, pour en soulager les pauvres. Aussi est-ce une chose horrible, que l' on n' ait jamais veu d' avantage de confessions et de communions, et jamais plus de desordre, et plus de corruption. On se presse autour des confessionnaux, les autels sont environnez de communians, les paroisses, et principalement les monasteres en sont pleins : et cependant, qui peut ignorer ce que les seculiers ne sçavent que trop, par la connoissance qu' ils ont du monde, ---------------------------------------------------------------------p760 ce que les confesseurs connoissent encore d' avantage par la necessité de leur fonction, et ce que les predicateurs font retentir si hautement dans les chaires, pour exciter les pecheurs à la penitence, que toutes les veritables marques du christianisme sont presque aujourdhuy esteintes dans les moeurs des chrestiens ? Qu' il n' y eust jamais plus d' impureté dans les mariages, plus de corruption dans les familles, plus de desbordemens dans la jeunesse, plus d' ambition parmy les riches, plus de luxe parmy toute sorte de personnes, plus d' infidelité dans le commerce, plus d' alteration dans la marchandise, plus de tromperie dans les artisans, plus d' excez et de desbauches dans le menu peuple ? Qui ne sçait que depuis vingt ans la fornication a passé parmy les gens du monde, pour une faute legere ; l' adultere, l' un des plus grands de tous les crimes, pour bonne fortune ; la fourberie et la trahison, pour la vertu de la cour ; l' impieté et le libertinage, pour la force de l' esprit ; les juremens et les blasphemes, pour un des ornemens du langage ; la tromperie et le mensonge, pour la science du debit et du traffic ; la fureur du jeu continuel, pour une honneste occupation des femmes ; le mespris des maris, l' abandonnement du soin des familles, la negligence de l' education des enfans, pour le privilege de celles qui ont quelques avantages de ---------------------------------------------------------------------p761 la nature, ou de la fortune ; la qualité d' honneste femme, pour une qualité differente de celle de femme de bien ; la simonie déguisée, et la prophanation du bien de l' eglise pour un accommodement legitime, et qui facilite le commerce des benefices ; et enfin les volleries et les usures pour un revenu des charges, pour l' interest ordinaire de l' argent, et pour une invention de s' enrichir, dont il n' y a quasi plus que les simples et les ignorans qui fassent aujourdhuy quelque scrupule ? Je ne dis rien des crimes plus abominables que nos peres ont ignorez, et qui se sont débordez de telle sorte dans ce siecle malheureux, que l' on ne sçauroit y penser sans estre saisi d' horreur. Je passe encore les pechez purement spirituels, que l' on ne connoist point, et que l' on compte pour rien, et que S Paul comprend tous en ces deux paroles, (...), qui sont les plus grands pechez, et les plus horribles aux yeux de Dieu. Voila ce qu' on doit avec verité appeller le plus grand malheur qui puisse arriver à l' eglise : si ce n' est que l' on adjouste que c' en est encore un plus grand, de ce qu' il se trouve des personnes qui font profession de pieté, qui flattent les pecheurs dans les desirs de leur ame, comme parle l' escriture ; qui déguisent par des paroles trompeuses la violence de leurs maux ; qui leur annoncent une fausse paix, pour me ---------------------------------------------------------------------p762 servir des termes de Saint Cyprien, pernicieuse à ceux qui la donnent, et infructueuse à ceux qui la reçoivent ; qui ne semblent travailler à autre chose, qu' à nourrir les crimes par une fausse douceur, au lieu de les arrester par une juste severité ; et qui ravissant aux ames malades les remedes de la penitence, ne leur presentent autre chose pour leur guerison, que le poison funeste d' une communion precipitée, (...), selon les paroles de la maistresse de toutes les eglises de la terre. Ce sont des personnes qui s' imaginent avoir fait devenir toute chrestienne, sans qu' il y soit arrivé d' autre changement, sinon que ceux qui n' y communioient que tous les ans, y communient tous les mois, et encore plus souvent, et ceux qui y communioient tous les mois, y communient tous les dimanches. Ils vous avoüeront que les moeurs n' y sont pas moins corrompuës qu' auparavant, que les hommes n' y sont pas moins avares, moins ambitieux, moins enflez d' orgueil, moins attachez à leurs plaisirs, à l' incontinence, à l' yvrognerie, moins fourbes, moins perfides, moins médisans, moins blasphemateurs, et enfin pour prendre les choses à la racine, d' où les prend Saint Paul, moins amateurs du monde et d' eux-mesme : et neantmoins, ils vous ---------------------------------------------------------------------p763 soustiendront qu' ils sont en beaucoup meilleur estat qu' ils n' estoient, parce qu' ils racontent tous les huict jours à un prestre ce qu' ils ne racontoient que tous les mois, et qu' ils adjoûtent tous les huit jours deux sacrileges à leurs autres crimes ; de la mesme sorte qu' un homme publieroit l' abondance d' une campagne dont tous les arbres seroient remplis de fort belles feüilles, et ne porteroient que des fruits empoisonnez, ou semblables à ceux de Gommorre, qui sous la plus belle écorce du monde, conservent encore les funestes reliques de la vengeance divine. Je trouve dans l' evangile une effroyable figure de ces personnes, qui se contentent de multiplier les communions sans changer d' esprit, et sans faire penitence de leurs pechez ; et le malheur qui les attend s' ils perseverent dans ce desordre, est bien visiblement tracé, dans la sentence de condemnation de Jesus-Christ prononcée contre les capharnaïtes. Car nous voyons dans Saint Matthieu, que c' est dans capharnaum que Jesus-Christ a commencé à prescher la penitence. C' est là où il dit, (...). Et dans le chapitre 4 de Saint Luc, il se void, que les capharnaïtes admiroient sa doctrine, et en estoient ravis, (...), et qu' il y fit plusieurs miracles. Et cette double admiration de la doctrine et des ---------------------------------------------------------------------p764 miracles, leur donnoit tant d' affection pour luy, qu' ils l' alloient chercher jusques dans le desert, et le vouloient retenir parmy eux, et l' empescher de quitter leur ville. De sorte qu' il fut contraint de leur dire, qu' il estoit obligé d' aller aussi prescher aux autres villes. Ainsi les capharnaïtes ont creu en Jesus-Christ : ils ont admiré sa doctrine, et ses miracles : ils se sont réjoüis de ce qu' il habitoit dans leur ville, de ce qu' il les preschoit, de ce qu' ils mangeoient et beuvoient avec luy, comme dit Saint Luc de tous les lieux où il a presché, (...) : ils s' en sont allez le chercher jusques dans le desert. Ils l' ont voulu retenir chez eux, et l' empescher de sortir hors de leur ville : ils ont tout fait, horsmis qu' ils n' ont pas fait penitence de leurs pechez : et pour cela seul, il prononce une plus horrible sentence de condemnation contre cette ville, que contre toutes les autres. En Saint Matthieu chapitre Ii il commença à prononcer des maledictions contre les villes où il avoit fait plusieurs miracles, à cause qu' ils n' avoient pas fait penitence. Il dit contre Chorozain, et Bethsaïde, que si on eust fait les miracles dans Tyr, et dans Sydon, qu' il avoit fait dans ces deux villes, elles eussent fait penitence dans la cendre, et dans le cilice, et que Tyr et Sydon seroient traittées plus doucement au ---------------------------------------------------------------------p765 jour du jugement, que Chorosain et Bethsaïde. Mais il dit de Capharnaum, qu' elle a esté élevée jusques dans le ciel, et qu' elle sera abbaissée jusques dans les enfers, (...). C' est l' image des pecheurs, qui ne laissent pas de participer aux divins mysteres. Ils sont eslevez jusques dans le ciel, parce qu' ils sont tous les jours avec le dieu du ciel dans le sacrifice de la messe où ils assistent ; ils escoutent sa parole dans ses sermons ; ils mangent à sa table dans l' eucharistie ; ils ne veulent point que Jesus-Christ sorte de chez eux, ou ils veulent qu' il y revienne bien-tost, multipliant sans cesse les communions pour cét effet. Mais Jesus-Christ habite en eux, comme il habitoit dans Capharnaum, par la presence reelle et veritable de son corps dans leurs poitrines, et non par la presence de son saint esprit dans leur coeur. C' est pourquoy ils ne font point penitence de leurs pechez ; ils ne changent point de vie ; ils demeurent remplis de l' amour d' eux-mesmes , comme auparavant, et attachez excessivement au monde ; attirant ainsi sur eux la condemnation de Capharnaum, dont ils imitent l' impenitence. Voila pour vous le dire encore une fois, en quoy consistent les veritables malheurs de l' eglise, pour lesquels l' apostre Saint Paul nous oblige de gemir, comme il s' est declaré luy-mesme, ---------------------------------------------------------------------p766 oblige de pleurer ceux qui parmy les chrestiens n' avoient pas fait penitence de leurs pechez. Et c' est au contraire le plus grand bonheur de l' eglise, que Dieu renouvelle l' esprit de la penitence dans le coeur des chrestiens, et qu' il leur inspire d' en embrasser les exercices pour se garantir de ses menaces, puis que le concile de Trente nous asseure que çà tousjours esté une verité constante dans l' eglise de Dieu, qu' il n' y avoit point de plus seure voye pour destourner la cholere du seigneur, preste à tomber sur nos testes ; que de prattiquer sans cesse ; avec une veritable douleur d' esprit, ces oeuvres de penitence. C' est un tesmoignage sensible de l' amour de Jesus-Christ pour son espouse, que dans la corruption de ces derniers siecles, il suscite des personnes, qui au milieu du monde renoncent sincerement à toutes ses folies et à toutes ses vanitez : qui fassent profession publique de vouloir estre entierement à Jesus-Christ, qui pour rentrer dans les obligations de leur baptesme en renouvellent les promesses ; qui n' ayment rien davantage que l' abaissement de la vie chrestienne et penitente ; qui selon ce que Saint Ambroise rapporte du grand Theodose, aiment bien mieux estre reprises, que flattées, et estre traittées avec une sainte justice, qu' avec une fausse misericorde ; qui ne recherchent point à leurs playes de remedes precipitez et ---------------------------------------------------------------------p767 qui ne durent qu' un moment, mais qui taschent de satisfaire à la justice divine par les gemissemens et les larmes, par les prieres, par les jeusnes, par les aumosnes, par le retranchement des plaisirs, par la retraitte, par le silence, par l' esloignement des compagnies inutiles, et par toutes sortes de bonnes oeuvres ; qui s' efforcent d' eslever l' edifice de leur salut sur le fondement de l' humilité, laquelle ne consiste pas tant à participer aussi-tost aux mysteres les plus eslevez du christianisme, qu' à s' en esloigner pour un temps en se jugeant indigne d' en approcher ; qui prattiquent fidellement ce qui nous est prescrit dans l' evangile, de se reconcilier avec son frere avant que de se presenter à l' autel, et surmontent pour cét effét par la force de l' esprit de Dieu toutes les inclinations naturelles de leur esprit, et toute l' aigreur des ressentimens ; qui recherchent des occasions singulieres pour donner des preuves d' affection envers des personnes, qui selon les considerations de l' interest, et les maximes corrompuës du monde, leur devroient estre les plus odieuses ; et enfin que Dieu semble avoir choisies pour donner quelque exemple de la maniere, dont les personnes engagées dans les desordres du monde doivent revenir à Dieu par une veritable conversion. Peut-il entrer dans l' esprit d' un chrestien, à moins que d' estre possedé d' un estrange aveuglement, ---------------------------------------------------------------------p768 que le plus grand malheur qui puisse arriver à l' eglise, soit qu' il y ait beaucoup de personnes qui agissent de cette sorte ; que ce soit une secte dangereuse de vivre selon les obligations de l' evangile ; que ce soit une action criminelle de se purifier quelque temps par les exercices de la penitence, avant que de se presenter au plus redoutable des mysteres ; et ce qui est horrible à penser, que la conduite des apostres, et de tous les peres, pour ramener des ames à Dieu, doive estre prise pour un stratageme du diable. Il n' y a que l' ignorance qui puisse excuser ce blaspheme, mais elle n' est pas excusable en celuy qui se mesle d' instruire les autres. Et si vous continuez à soûtenir que ceste prattique ne puisse venir du saint esprit, il faut que vous adoriez un autre saint esprit, que celuy qui est descendu sur les apostres, puis que ce sont les apostres qui ont enseigné à l' eglise de separer les pecheurs de l' eucharistie, pour faire penitence de leurs pechez : un autre saint esprit, que celuy qui a assisté tant de papes dans le gouvernement general de la mesme eglise, puis que ce sont les papes qui ont confirmé cette sainte discipline en tant de diverses occasions. Un autre saint esprit, que celuy qui a presidé à tant de conciles, puis que ce sont ces conciles qui ont formé une infinité d' ordonnances pour regler les divers temps de cette ---------------------------------------------------------------------p769 humble et salutaire separation, selon la diversité des pechez : et enfin un autre saint esprit, que celuy qui a animé tous les peres, puis que ce sont les peres qui nous apprennent comme une verité constante, que le moyen le plus asseuré pour n' estre point eternellement rejetté de l' autel du ciel, c' est de se retirer durant quelque temps de l' autel de la terre pour purifier sa vie. PARTIE 3 CHAPITRE 17 si l' on peut accuser ceux qui taschent de se purifier par les exercices de la penitence, qui consistent dans les prieres, dans les jeusnes, dans les aumosnes et les autres bonnes oeuvres, de se servir d' autres moyens, que de ceux que Jesus-Christ a instituez pour purifier nos ames. la chaleur qui vous emporte, vous empeschant de bien discerner les choses, cause une telle confusion dans vostre discours qu' il n' est pas aisé de comprendre ---------------------------------------------------------------------p770 le sujet de vostre cholere. Car si vous entendez parler des confessions qui sont en usage parmy les gens de bien pour les pechez veniels, c' est une calomnie grossiere, qu' il y ait des personnes de vertu qui trouvent mauvais que l' on se confesse souvent en cette maniere. Mais d' ailleurs la foy nous enseigne que la confession est utile, et non necessaire pour la remission de cette sorte de pechez ; qui se peuvent effacer par beaucoup d' autres remedes, comme le concile de Trente nous enseigne en termes exprés : et ainsi, l' on ne peut nier sans heresie qu' outre la confession il n' y ait d' autres moyens establis par Jesus-Christ en son eglise pour purifier nos ames de ses taches ordinaires. Que si vous comprenez dans cette coustume de se confesser souvent les frequentes confessions de tant de personnes, qui vivans dans le desordre et dans le vice, et commettans sans cesse des pechez mortels, se contentent de les raconter souvent à un prestre sans jamais s' en corriger, je ne feray point de difficulté de vous dire apres un grand pape, que d' approuver que les hommes se joüent ainsi perpetuellement des sacremens de Jesus-Christ, ce n' est pas les traitter avec indulgence, mais consentir à leurs crimes. (...). ---------------------------------------------------------------------p771 Mais parce que nous avons assez parlé de cét abus en d' autres endroits, et que je me reserve d' en parler plus amplement, si vous m' y obligez par une replique, il vaut mieux passer à ce que vous adjoustez, (...). Surquoy je n' ay autre chose à vous respondre, sinon que si vous compreniez bien ce que c' est que le sacrement de penitence, vous ne pourriez rien dire qui ruïnast d' avantage vostre mauvaise conduite. Je vous ay desja monstré, que le dernier concile oecumenique suivant les sentimens, et le langage de tous les peres, nous represente la penitence comme un baptesme laborieux, et un baptesme de larmes. Qu' il definit contre les erreurs des heretiques de ce temps, qui se sont tous declarez ennemis de la penitence, que la justice divine ne peut souffrir, que l' on soit renouvellé par ce second baptesme, qu' avec beaucoup de peines et de travaux. Qu' il deteste la temerité de ces impies, qui des trois parties dont ce sacrement est composé, ont travaillé principallement à abolir celle que l' eglise a tousjours principallement recommandée à ses enfans, sçavoir la satisfaction, qui consiste dans les jeusnes, dans les aumosnes, et dans les ---------------------------------------------------------------------p772 autres exercices de la vie spirituelle. Et enfin que la principale raison dont il se sert pour establir contre les mesmes heretiques, que la confession particuliere de tous les pechez mortels est necessairement de droit divin, c' est qu' il n' est pas possible, que les prestres gardent la justice dans l' imposition des peines pour le chastiment des offenses, s' ils ne les connoissent en particulier. Ainsi puis que vous declarez, comme la verité vous y oblige, que le sacrement de penitence est estably de Jesus-Christ, pour nous faire avoir la pureté de l' ame, ou pour mieux dire, pour la reparer, et que vous ne pouvez pas nier, que cette pureté ne soit necessaire pour communier dignement, il s' ensuit que pour satisfaire pleinement à l' intention de Jesus-Christ, tous ceux qui sont decheus de la grace doivent passer par ce baptesme laborieux, qui enferme tant de larmes, de peines, et de travaux, selon le concile et tous les peres, pour se preparer à l' eucharistie. Mais si vous n' entendez par le sacrement de penitence, que la simple confession, comme le commencement de vostre article, et les autres endroits de vostre escrit donnent assez sujet de le croire, et si vous avez dessein d' accuser tous ceux, qui avec la confession, taschent de se purifier par les jeusnes, les prieres, les aumosnes, le pardon des offenses, et les autres bonnes oeuvres, comme s' ils vouloient avoir la pureté ---------------------------------------------------------------------p773 de l' ame par d' autres moyens que ceux que Jesus-Christ a establis en son eglise ; je ne craindray point de soûtenir, que cette accusation contient une formelle heresie, puis que l' on ne peut nier, sans renverser un article de nostre foy, que ces actions de penitence, ne soient des moyens establis par Jesus-Christ pour purifier nos ames. Il est superflu d' apporter des preuves d' une verité si constante parmy tous les catholiques, qui n' a point eu jusques icy d' autres ennemis que les ennemis de l' eglise, et qui se trouve dans l' escriture en termes si clairs, qu' elle semble y estre escrite avec les rayons du soleil, comme Tertullien parle. Car que peut-on desirer de plus manifeste que ces paroles, (...), et une infinité d' autres tesmoignages que tous nos docteurs rapportent contre les heretiques de ce temps, et que le Cardinal Bellarmin remarque excellemment ne se devoir pas seulement entendre de la remission des pechez, quant à la peine temporelle, mais aussi quant à la coulpe, ---------------------------------------------------------------------p775 entant que ces oeuvres de penitence sont des dispositions à la justification. (...). Ces paroles du Cardinal Bellarmin conformes aux sentimens de tous les peres sur ce sujet, sont tres-importantes, pour déraciner une erreur qui se glisse parmy le peuple, et qui prend son origine d' une maxime de theologie mal entenduë. Car de ce que les theologiens enseignent ordinairement, que tout ce qu' un homme fait en estat de peché mortel, ne peut estre agreable à Dieu, quelques-uns ne comprenans pas le sens de ceste doctrine, se laissent persuader que de jeusner, veiller, prier, donner l' aumosne, se mortifier avant que d' avoir receu l' absolution de ses pechez, sont des oeuvres inutiles et perduës, et qui ne sont d' aucune consideration devant Dieu. D' où il s' ensuivroit que tous les peres, qui selon le témoignage du mesme cardinal, (...), les obligeant de demeurer plusieurs années, voire ---------------------------------------------------------------------p776 mesme quelquesfois toute leur vie, dans les austeritez de la penitence, avant qu' estre admis à la grace de la reconciliation, auroient esté dans l' ignorance, et dans l' erreur (ce que les heretiques mesmes n' osent soûtenir ouvertement) et se seroient rendus coupables devant Dieu d' une rigueur inhumaine, en engageant les penitens, sans aucun fruit, à de vains travaux, et rétablissant dans la loy nouvelle le joug insupportable de la vieille loy, dont la pesanteur consistoit principallement en ce point, que ce grand nombre d' observations si laborieuses ne servoit de rien pour la santification des ames, comme Saint Paul le témoigne si souvent. C' est pourquoy, pour ne point tomber dans une opinion si fausse, et un sentiment si injurieux à la suffisance et à la sainteté des peres, qui apres les apostres ont esté les seconds organes du saint esprit, et les oracles de l' eglise : il est manifeste, que la maxime des theologiens ne se doit entendre qu' à l' égard de ceux, qui sont de telle sorte en estat de peché mortel, qu' ils y ont encore la volonté engagée, et qui ne travaillent point à en sortir. C' est de ces pecheurs dont l' escriture témoigne que les dons sont en horreur devant Dieu, que leurs offrandes luy sont abominables, et que leurs prieres mémes sont imputées à peché. C' est contre ces ames endurcies, que les peres declament avec tant de zele, en les advertissant, ---------------------------------------------------------------------p777 que c' est une pretention folle et ridicule de se persuader, que perseverant dans le desordre, et dans le vice, et faisant de grandes aumosnes, elles se delivreront de la vangeance divine qui les attend, et appaiseront la cholere de celuy, qu' elles ne cessent d' offencer par leurs crimes. (...). Voilà de quelle sorte les peres parlent contre ces pecheurs incorrigibles qui sont si communs en ce siecle, qui voudroient bien gaigner le ciel par quelques aumosnes, en se rendant tous ---------------------------------------------------------------------p778 les jours dignes de l' enfer par leurs crimes. Mais quant à ceux à qui le saint esprit touche le coeur, pour les faire entrer dans la reconnoissance et dans le repentir de leurs pechez, et qui, comme par le Cardinal Bellarmin, commencent à faire penitence par un mouvement et une grace particuliere de Dieu, qui est celuy qui se pourroit persuader, que toutes les aumosnes qu' ils font, avant que d' avoir encore obtenu la grace de la justification, afin de la pouvoir obtenir ; que toutes les peines qu' il se donnent pour satisfaire à la justice divine ; que toutes les aumosnes qu' ils font pour rachetter leurs pechez, selon le conseil de l' escriture ; que toutes les bonnes oeuvres, qu' ils exercent pour attirer sur eux la misericorde de Dieu, fussent sans valeur et sans fruit ? L' eglise est bien eloignee de ce sentiment, et elle a tousjours eu soin de nous enseigner par la bouche de ses saints docteurs, que comme d' un costé, les aumosnes sont inutiles à ces pecheurs, dont nous venons de parler, qui perseverent dans leurs crimes, elles sont de l' autre costé tres utiles à ceux, qui pensent serieusement à changer de vie, et qui par une liberale effusion de leur bien, s' efforcent d' engager Dieu à leur accorder la grace d' une parfaite conversion. Saint Augustin marque excellemment en un mesme endroit ces deux veritez importantes, lors qu' il nous enseigne, (...). ---------------------------------------------------------------------p779 Ce qui nous fait voir clairement, que les aumosnes (et c' est la mesme chose des autres exercices de pieté,) servent et ne servent pas à ceux qui sont en estat de peché mortel, selon leurs diverses dispositions, et les divers mouvemens qui les portent à les donner. Elles ne servent qu' à condamner ces pecheurs impenitens, qui aymans le vice, et craignans les chastimens que Dieu leur prepare, voudroient comme ---------------------------------------------------------------------p780 achetter à prix d' argent la licence d' estre impunement vicieux. Mais elles servent infiniment à ceux à qui Dieu inspire un desir sincere de se degager du miserable estat, où le peché les a reduits, et qui pour cet effet, suivant le conseil de Jesus-Christ, se font le plus d' amis qu' ils peuvent auprés de Dieu, des richesses de l' injustice. C' est pourquoy S Augustin, pour estoufer cette fausse opinion que les pecheurs ne peuvent rien faire, qui soit agreable à Dieu, nous enseigne en plusieurs endroits, que cette parole de l' aveugle-né. (...), nous sçavons que Dieu n' escoute point les pecheurs, est la parole d' un homme, qui n' avoit pas encore receu la veuë de l' ame, comme il avoit receu celle du corps, (...). ---------------------------------------------------------------------p781 Mais ce qui sert encore à entretenir beaucoup de personnes dans l' erreur contraire à cette verité, est les mauvais sens qu' ils donnent à une autre maxime tres-catholique, que sans la grace on ne peut rien faire, qui soit agreable à Dieu. Car au lieu que dans cette proposition le mot de grace ne se doit entendre, que de la grace que les theologiens appellent actuelle, ils l' entendent de l' habituelle et santifiante, et ainsi ils en inferent mal à propos, que si l' on n' est en estat de grace, et justifié devant Dieu, l' on ne peut faire aucune action, qui luy soit agreable, et qui serve de quelque chose pour le salut. Ce qui absolument parlant, est aussi faux que la doctrine, dont l' on veut tirer cette mauvaise consequence, est tres veritable. Pour éviter cette erreur, qui est tres dangereuse dans la morale chrestienne, il faut prendre garde de ne pas confondre l' estat de grace avec le secours de la grace, l' estre en grace, avec l' agir par grace, qui sont deux choses entierement differentes. ---------------------------------------------------------------------p782 l' estat de grace regarde la grace santifiante, par laquelle le saint esprit prend possession de nostre ame, en fait son palais et son temple, l' embellit et la renouvelle pour en faire l' espouse de Jesus-Christ, ou plustost pour en faire Jesus-Christ mesme, par l' union ineffable des membres avec la teste, qui fait dire si souvent à Saint Augustin, apres l' avoir appris de Saint Paul, que de la teste et du corps, il ne se fait qu' un seul Christ, (...). C' est ce que les peres appellent la grace de la remission des pechez , par ce que c' est par elle que Dieu les remet, et qu' il en efface les taches et les soüilleures : la grace de la regenaration, par ce que c' est elle qui nous fait entrer dans la participation de la nature divine, comme dit Saint Pierre, par une renaissance toute celeste : la grace de l' adoption, par ce qu' elle nous rend enfans de Dieu d' enfans du diable que nous estions auparavant : la grace de sanctification, par ce qu' elle nous rend saints par la communication qu' elle nous donne de la sainteté de Jesus-Christ. la grace d' inhabitation, par ce que c' est par elle que le saint esprit, et toute la divinité habite en nostre ame, et que nous sommes les temples vivans du dieu vivant. Ce qui fait admirer à Saint Augustin, (...). ---------------------------------------------------------------------p783 Voilà ce qu' on doit entendre par le mot de grace, lors que l' on dit qu' un homme est en grace ou en estat de grace . Ce qui est fort eloigné de la signification du mesme mot, lors qu' on l' employe pour signifier la grace qui nous fait agir , et ce secours actuel de Dieu, que les peres et les conciles nous asseurent estre necessaire à chaque bonne action. Car alors il ne signifie plus l' inhabitation de Dieu dans nous, par laquelle il nous sanctifie, mais son operation dans nostre volonté, soit qu' il habite, ou qu' il n' habite pas encore dans nos ames. (...). Et il est à remarquer que toute la dispute entre les pelagièns et l' eglise, ne regardoit point cette premiere sorte de grace, que ces heretiques ne desadvoüerent jamais, mais seulement la seconde, (...), comme dit Saint Augustin au nom de l' eglise, et qu' il definit en un autre endroit, (...). Ce n' est donc pas de la grace habituelle et ---------------------------------------------------------------------p784 santifiante, qui ne se trouve que dans les justes, mais de cette grace actuelle, qui consiste dans une certaine douceur celeste, que le saint esprit respand dans nos coeurs, pour nous porter au bien par l' amour de la justice, que se doit entendre ce langage ordinaire de la pieté chrestienne fondé sur les oracles de l' escriture et de la tradition, que sans la grace nous ne pouvons rien faire qui plaise à Dieu. Or ce ne sont pas seulement ceux qui sont en estat de grace, c' est à dire justes et santifiés, qui ont de ces mouvemens de grace, mais Dieu les donne quand il luy plaist aux plus grands pecheurs, en leur inspirant des desirs sinceres de conversion, et les degageant peu à peu des affections du monde, pour les attirer à son service. Et par consequent, il est tres-faux, que ceux qui sont en estat de peché mortel, ne puissent rien faire qui leur serve pour leur salut, et pour obtenir de Dieu le pardon de leurs offences. (...). Et c' est en quoy consiste l' admirable oeconomie de la grace, en ce que dependant toute entiere de la pure liberalité de Dieu, il en dispose neanmoins de telle sorte les divers effets, que les premiers servent de degrez aux seconds, et que le commencement de ses dons nous sert ---------------------------------------------------------------------p785 de merite, pour en recevoir l' accroissement. Et ainsi il ne faut pas s' estonner, si ce qu' un pecheur fait par des mouvemens de penitence peut estre agreable à Dieu, et le disposer à la justification, puis que ce ne sont pas tant ses oeuvres, que les oeuvres de Dieu mesme, operant dans luy, preparant par ces saintes dispositions, la demeure qu' il veut habiter. (...). ---------------------------------------------------------------------p787 Saint Augustin pouvoit-il establir plus clairement, que les larmes et les aumosnes sont des moyens establis de Dieu ab abluendum et sanandum peccatum , pour laver et guerir le peché, et par consequent, pour acquerir la pureté de l' ame. Mais cette verité paroist encore plus visiblement, quand on considere que selon l' ordre estably dans l' eglise par le sauveur, les pecheurs qui travaillent à se purifier de leurs impuretez par les exercices de la penitence, ne les doivent entreprendre que par l' advis de leur confesseur, suivant cette belle parole de Saint Gregoire, (...). Et ainsi toutes ces peines et tous ces travaux, dont les penitens se servent comme de remedes amers, pour guerir les playes de leurs ames, ne doivent plus estre considerez simplement selon leur nature, mais comme estans devenus partie du sacrement par l' imposition du prestre, et recevant par l' impression ---------------------------------------------------------------------p788 de la puissance sacerdotale, qui est la mesme que celle de Jesus-Christ, une nouvelle force, et une nouvelle vertu, pour contribuer à l' effacement des pechez. (...). Nous ne trouvons autre chose dans les peres, et ils asseurent tous, que par les larmes, les prieres, les jeusnes, les aumosnes, les mortifications ---------------------------------------------------------------------p789 et les autres oeuvres de penitence, les pechez sont lavez, purifiez, effacez, couverts, abolis, rachetez, gueris, expiez : et ainsi je laisse à juger aux moins intelligens si l' on peut sans esprit d' erreur accuser ceux qui travaillent à se purifier de leurs pechez, non seulement par la confession, mais aussi par les oeuvres de penitence, de faire tort à Jesus-Christ en se servant d' autres moyens que ceux qu' il a establis en son eglise. Que si frappé de l' absurdité d' une accusation si indigne d' un catholique, vous nous voulez faire croire, que vous n' estes pas dans un si mauvais dessein, c' est à vous à nous declarer, quels sont donc ces moyens que Jesus-Christ n' a pas establis en son eglise, dont ---------------------------------------------------------------------p790 vous vous plaignez que l' on se sert, pour acquerir la pureté de l' ame : et quand vous l' aurez fait, je vous promets dés à present de faire voir à tout le monde, que cette imaginaire accusation que vous formez, ne peut avoir de fondement, que dans l' ignorance, ou la calomnie ; quelle combat, ou la verité par des erreurs manifestes, ou l' innocence par des suppositions grossieres, et qu' en l' un ou en l' autre, ce n' est pas tant les hommes, que vous attaquez, que Jesus-Christ mesme, soit en renversant la doctrine de son evangile, soit en taschant de noircir la reputation de ses serviteurs, d' autant plus dangereusement que couvrant vos medisances de l' obscurité des paroles, et ne les semant qu' en secret, vous voulez en mesme temps attaquer la verité, et luy ravir les moyens de se deffendre.